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Les chemins de Heidegger
Hans-Georg GADAMER
Tradution, présentation et notes par
Jean GRONDIN
©Librairie philosophique J. Vrin
Bibliothèque des textes philosophiques
ISSN 0249-7972
ISBN 2-7116-1575-8
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Avant-propos du traducteur .................................................................... 3
Préface................................................................................................... 12
1. Existentialisme et philosophie de l’existence (1981)........................ 14
2. Martin Heidegger à 75 ans (1964) .................................................... 26
3. La théologie de Marbourg (1964)..................................................... 39
4. « Qu’est-ce que la métaphysique? » (1978)...................................... 53
5. Kant et le tournant herméneutique (1975) ........................................ 57
6. Le penseur Martin Heidegger (1969)................................................ 67
7. Le langage de la métaphysique (1968) ............................................. 74
8. Platon (1976)..................................................................................... 85
9. La vérité de l’œuvre d’art (1960)...................................................... 97
10. Martin Heidegger à 85 ans (1974) ................................................ 112
11. Le chemin vers le tournant (1979)................................................ 122
12. Les Grecs (1979)........................................................................... 138
13. L’histoire de la philosophie (1981)............................................... 151
14. La dimension religieuse (1981)..................................................... 164
15. Être Esprit Dieu (1977)................................................................. 179
16. Du commencement de la pensée (1986)....................................... 193
17. Le retour au commencement (1986)............................................. 215
18. L’unité du chemin de Martin Heidegger (1986)........................... 241
Index nominum................................................................................... 257
3
Avant-propos du traducteur
Ce livre offre d’abord une formidable introduction à la pensée de Martin
Heidegger, comme il y en a peu et comme il n’y en aura plus. Témoin de la
première heure, élève et ami personnel de Heidegger, grand philosophe et
herméneute, Gadamer, qui est né en 1900 et qui nous a quittés le 13 mars
2002, a suivi de très près le parcours de son maître à travers tous les détours
de son chemin de pensée et les vicissitudes de son siècle. Présent au début de
son enseignement révolutionnaire à Fribourg en 1923, donc avant que la
parution d’Être et temps en 1927 ne lui confère une notoriété mondiale,
Gadamer a aussi pu porter un regard sur la portée historique de son oeuvre
après sa mort en 1976. Aristote et Ricoeur ont bien raison : ce n’est qu’après
la mort d’un individu que l’on peut vraiment saisir la signification de son
existence. C’est pourquoi Les Chemins de Heidegger n’ont paru qu’en 1983.
Mais celui qui retrace alors le cheminement complexe de Heidegger, soixante
ans après l’avoir rencontré, l’a connu dans sa première fraîcheur, donc avant
l’existentialisme, avant la déconstruction et bien avant que l’édition
monumentale de son œuvre ne permette de le ranger dans le panthéon des
classiques de l’histoire de la pensée. Il a surtout été le témoin privilégié de ses
premières motivations, à la fois philosophiques et religieuses, mais aussi de la
constellation dans laquelle il est apparu et qu’il a si profondément
métamorphosée. Gadamer a, en effet, aussi côtoyé ses premiers interlocuteurs,
Edmund Husserl, Max Scheler, Nicolai Hartmann, Karl Jaspers, Karl Löwith,
Hannah Arendt, Rudolf Bultmann, Werner Jaeger, Leo Strauss, mais aussi
Paul Natorp, mort en 1924 et qui avait dirigé sa thèse de doctorat sur Platon en
1922. Il a assisté au succès foudroyant d’Être et temps, mais comme tant
d’autres élèves de Heidegger, il trouvait que son maître n’y était peut-être pas
assez lui-même, parce qu’il s’y appropriait d’une manière un peu trop
artificielle tout le vocabulaire de la philosophie transcendantale de Husserl,
qu’il critiquait pourtant avec tant de véhémence dans ses cours. Il n’a donc pas
été surpris de voir Heidegger prendre un tournant après Être et temps. Il s’en
est rendu compte quand il est allé entendre ses conférences sur l’origine de
l’œuvre d’art à Francfort en novembre 1936. C’était un nouvel Heidegger, qui
s’était manifestement remis de son égarement politique1, mais qui s’inspirait
1 Cf. la lettre de Gadamer à Löwith du 12 décembre 1937 (citée dans ma biographie de
Gadamer : Hans-Georg Gadamer. Eine Biographie, Tübingen, Mohr Siebeck, 1999,
180) qui fait état d’une visite auprès de Heidegger, où celui-ci aurait lui-même parlé de
« l’épisode fatal » de 1933.
4
maintenant beaucoup de la poésie et de Hölderlin. Gadamer a continué de le
fréquenter durant les dures années du régime nazi, quand la terreur totalitaire
avait pour effet de resserrer les liens personnels, puis après la guerre quand
Heidegger s’est subitement retrouvé isolé en Allemagne. Il avait été suspendu
de ses fonctions à l’université de Fribourg au moment où l’existentialisme, qui
lui devait à peu près tout, était la mode de l’heure partout ailleurs dans le
monde. Gadamer a contribué à le réhabiliter, en faisant paraître un recueil
d’hommage pour son soixantième anniversaire en 1950, en le faisant élire à
l’Académie de sciences de Heidelberg, où il l’invita souvent et où il organisa
un colloque pour son 80e anniversaire en 1969 et, bien sûr, en faisant lui-
même de l’herméneutique phénoménologique dans l’esprit de Heidegger. À
chacune des étapes du parcours de Heidegger, Gadamer était donc présent, et
fasciné d’y être, mais il était encore là quand son chemin s’est terminé pour
nous dire ce qui s’était passé au juste, ce que signifiait ce langage prodigieux,
mais difficile, qu’avait inventé Heidegger et ce qu’il recherchait au juste
quand il mettait en question, et depuis le début de son itinéraire, tout l’héritage
de la philosophie occidentale.
Plus qu’une introduction, ce livre est donc un témoignage, un mémorial,
un monument, mais surtout le fait d’une rencontre exceptionnelle. C’est que
de tous les élèves immédiats de Heidegger, Gadamer est sans aucun doute
celui qui a développé l’œuvre la plus autonome, la plus réfléchie, quand il a
fait paraître son œuvre maîtresse Vérité et méthode, en 1960, le premier et
peut-être le seul véritable chef-d’œuvre de la philosophie allemande depuis
Être et temps.
Mais bien avant que cet ouvrage ne voie le jour, Heidegger avait déjà
reconnu en Gadamer son élève le plus brillant. En 1945, alors que tout
indiquait qu’il allait être suspendu de ses fonctions à l’université de Fribourg
(il allait l’être jusqu’en 1951), c’est Gadamer qu’il avait recommandé comme
son successeur2. Après tout, Gadamer avait eu l’heureuse idée de se consacrer
2 Cf. la lettre de M. Heidegger à R. Stadelmann du 1er septembre 1945, dans le t. 16 de la
Gesamtausgabe, 2000, 395 : « En premier lieu, je recommande Gadamer (Leipzig); mais
je ne sais pas où il se trouve à l’heure actuelle. Pour ce qui est de l’envergure spirituelle,
mais aussi comme enseignant et comme collègue, c’est très certainement le meilleur (der
Wertvollste). C’est lui que je souhaiterais avoir comme successeur, si on devait en venir
là ». Cf. aussi la lettre à R. Stadelmann du 30 novembre 1945 (GA 16, 407) : « Gadamer
est, par ailleurs, un excellent professeur, qui jouit d’une grande expérience et qui aime
beaucoup enseigner. Il m’a écrit récemment depuis Leipzig, où il est doyen, pour me dire
qu’il aimerait bien aller dans une université plus petite. […] Pour les étudiants comme
pour le travail à la faculté, Gadamer serait encore plus important; c’est le professeur né,
avec beaucoup de distinction (au meilleur sens du terme) - mais il possède un horizon très
5
aux Grecs, à Platon et à Aristote, après avoir été ébloui par sa première
rencontre avec Heidegger, alors que la plupart de ses élèves se contentaient
d’imiter leur maître. Malgré toute l’estime qu’il avait pour lui, Heidegger
trouvait cependant que Gadamer tardait beaucoup à écrire. « Non, mais quand
va-t-il faire paraître un livre substantiel? », demandait-il parfois à ses amis au
cours des années cinquante3.
Mais Heidegger sous-estimait peut-être l’ombre qu’il projetait sur son
élève. Gadamer l’a d’ailleurs avoué : « écrire représenta pour moi et pour
longtemps un véritable tourment, j’avais toujours la damnée sensation que
Heidegger regardait par-dessus mon épaule! »4 Pas facile d’écrire quand on a
un tel maître et qu’on sait qu’il s’agit d’un nouvel Aristote ou d’un autre
Hegel. Deux types d’écriture sont alors souvent pratiqués, l’imitation pénible
du maître ou encore le parricide qui consiste à adopter hâtivement un point de
vue critique qui se prétend plus fin que le maître : Heidegger aurait ignoré ceci
ou cela, la dimension sociale, l’éthique, la logique, les sciences, le corps, sa
pensée ne serait que le reflet de sa classe sociale, etc. Sachant à qui il avait
affaire, Gadamer a préféré attendre.
À l’évidence, l’interprétation de Gadamer a été longuement mûrie
puisque le philosophe de Heidelberg s’est gardé d’écrire sur Heidegger avant
d’avoir atteint l’âge de soixante ans, l’année où - la coïncidence n’est pas
banale - parut son propre chef-d’œuvre. Tout se passe comme s’il avait
attendu la publication de son ouvrage - et la prise de position autonome qu’il
signifiait - avant de se risquer à parler publiquement de son maître. Et il ne l’a
d’abord fait qu’à la demande expresse de Heidegger, puisque c’est celui-ci qui
l’a invité à écrire une petite préface à l’édition séparée de son essai « Sur
l’origine de l’œuvre d’art » en 1960.
Il est assez frappant de remarquer que dans son œuvre maîtresse, Vérité
et méthode, Gadamer parlait assez peu de Heidegger. Lorsqu’il se réclamait,
avec force, de la tradition humaniste au tout début (!) de Vérité et méthode, il
n’évoquait pas du tout la Lettre sur l’humanisme, où son maître marquait, au
contraire, toute sa distance par rapport à l’humanisme. S’il s’inspirait
évidemment d’Être et temps en parlant du cercle de la compréhension (mais
large, d’une grande ouverture, et reste en contact immédiat avec les choses elles-mêmes.
Si, bien sûr, on devait demander mon avis à Fribourg sur la question, c’est donc Gadamer
que je nommerais en premier lieu comme successeur. »
3 Cf. Hans-Georg Gadamer. Eine Biographie, Tübingen, Mohr Siebeck, 1999, 300.
4 H.-G. Gadamer, « Autoprésentation », dans La Philosophie herméneutique, PUF, 1996,
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