«l'homme...est à l'image de Dieu par le fond incompréhensible de lui-même»
9
. Nous voilà prévenus:
la métaphysique dont il est question chez lui n'aura rien d'une suite de notions abstraites et
parfaitement transparentes s'enchaînant dans une pure logique d'école. Elle sera indissociable de
l'expérience spirituelle, réfléchie, confrontée à celle d'autres chercheurs, et exprimée sous la forme
de paradoxes qui, sans satisfaire immédiatement l'esprit avide de certitudes, le conduit pourtant vers
cette seule certitude qui fait des saints dont parlait Newman.
Si le désir de Dieu a un caractère ontologique, révélateur de la capacité native que nous avons de
connaître Dieu, ce sera donc plutôt le point de départ d'une quête intérieure, à travers ombres et
lumières, car Dieu ne veut pas exhausser ce vœu de la nature profonde de l'homme sans son accord
et la tension de tout son être. Mais celui-ci à son tour n'est pas abandonné à cet effort dans une
solitude qui le séparerait du reste du monde. Ce monde créé a en effet lui-même un sens qu'il lui
revient de découvrir, comme l'artiste s'initie le premier à la beauté des choses en les exprimant dans
son poème, dans sa partition, sur sa toile ou sur son bloc de pierre. Mais cela ne s'arrête ni à la
création artistique ni à l'activité spécifiquement religieuse: «Tout acte humain, connaissance ou
vouloir, écrit Henri de Lubac, supposant au réel sur lequel il s'exerce une solidité et un sens, prend
appui secrètement sur Dieu». Dans Sur les chemins de Dieu, il précisera sa pensée: «Car Dieu est
l'Absolu ; et l'on ne peut rien penser sans poser l'Absolu en le rattachant à cet Absolu, ni ne peut
rien vouloir sans tendre à l'Absolu, ni rien estimer sans le peser au poids de l'Absolu»
10
.
Henri de Lubac, dans ce second ouvrage, qui est, pour bonne part, avec sa postface, une réponse aux
objections suscitées par le premier, se défend de réserver la métaphysique ainsi conçue à «un petit
monde de spécialistes». «Tous les autres» seraient-ils irrémédiablement «dans l'illusion» ? Pour
sortir de ce point de vue, qu'il juge «superficiel», il rappelle que «Dieu est naturellement connu de
tous» mais qu'il n'en est «pas toujours reconnu»
11
. Et cela n'est pas d'abord un problème d'accès
dirions-nous technique au monde de la pensée, mais plutôt une question de «goût»: «Le diagnostic
le plus triste et le plus alarmant à porter sur notre époque, écrit-il en 1947, c'est qu'elle a perdu, au
moins en apparence, le goût de Dieu». Dix ans plus tard, il ajoute: «L'homme se préfère à Dieu.
Alors il détourne le mouvement qui le mène à Lui ; ou, ne pouvant réellement le détourner, il
s'acharne à l'interpréter à faux»
12
Et pourtant, de nouveaux pèlerins de la Vérité se lèveront toujours. Car la Vérité est
«consubstantielle» à l'esprit de l'homme, selon l'expression de Gabriel Madinier qu'Henri de Lubac,
qui la fait sienne, ne craint pas de citer longuement: «La pensée n'est point constituée en elle-même
antérieurement à l'idée de Vérité ; elle est le surgissement dans la conscience du besoin de Vérité. Il
ne s'agit donc pas d'une aspiration de l'esprit qui serait seconde ou contingente ; cette aspiration est
l'esprit même qui n'est que puissance ou fonction de vérité»
13
. D'où cette conclusion du Père de
Lubac: «En repoussant une vérité particulière, on accueille seulement une absurdité, tandis qu'en
repoussant la Vérité totale, c'est d'un seul coup l'absurdité qu'on introduit en soi»
14
. L'appel divin ne
cesse néanmoins de se faire entendre, et le besoin de Vérité, autre nom du désir, se fraye la voie au