La proprioception Corinne Arni W 2008/3 - Mai 2008 1. La femme désincarnée Cas de Christina décrit par Oliver Sacks, dans son livre L’homme qui prenait sa femme pour un chapeau. Christina est atteinte d’un maladie neurologique brutale touchant exclusivement les fibres proprioceptives (polynévrite aigüe sensorielle). Perte de toute proprioception. 1 Gestion proprioceptive est remplacée par un ensemble de compensations essentiellement visuelles. Pas de guérison neurologique. En perdant son sens proprioceptif, Christina a perdu l’ancrage organique fondamental de son identité. Par sa rééducation, elle a réussi à manœuvrer, mais elle n’a pas réussi à être. Ce cas montre que les fonctions proprioceptives dépassent sa participation à la gestion de la posture et de l’équilibre, et au contrôle du mouvement. Il participe au sentiment d’exister à travers son corps. 2. Neurophysiologie de la proprioception 2.1 Définitions de la proprioception La proprioception est la sensibilité qui vient du corps et qui nous informe sur le corps, son mouvement et sa position. Son nom découle de son rôle: • « proprio- » : en propre, à soi • « -ception » : capter 2 Définition de la proprioception par Oliver Sacks (1988): « flux sensoriel continu, mais inconscient, qui traverse les parties mobiles de notre corps (muscles, tendons, jointures) et grâce auquel leur position, leur tonus et leur mouvement sont en permanence contrôlés et adaptés d’une façon qui nous demeure cachée en raison de son caractère automatique et inconscient. » Alain Berthoz parle de « sens du mouvement », de « sens kinesthésique », de « sensation du mouvement ». 2.2. Récepteurs proprioceptifs La proprioception est située dans tout le corps. Elle est constituée de capteurs, de nerfs sensoriels et centres sensoriels. Proprioception cutanée La peau a une sensibilité : • extéroceptive : le tact • proprioceptive : étirement de l’élasticité de la peau renseigne sur l’orientation du segment dans l’espace 3 Proprioception musculaire Pour Roll, il n’y a pas de dissociation entre sensibilité, sentiment de corporéité et sentiment d’existence individuelle. Proprioception articulaire Récepteurs sensitifs situés dans la capsule articulaire et les ligaments. Récepteurs de Golgi: réflexe myotatique inverse. Les récepteurs articulaires sont sensibles dans les amplitudes extrêmes. Proprioception vestibulaire Les capteurs vestibulaires donnent la mesure des mouvements de la tête. Le système vestibulaire assure : • la stabilisation posturale • la stabilisation du regard Proprioception visuelle Proprioception visuelle permet de situer l’œil dans l’espace. Phénomène d’illusion de mouvement propre du corps par un déplacement visuel : la vection 4 2.3 La proprioception musculaire 400 muscles dans le corps •Les fuseaux neuromusculaires Les fuseaux neuromusculaires sont des récepteurs fusiformes cachés au cœur des muscles: plusieurs dizaines par gramme de tissu musculaire. Chaque fuseau neuromusculaire contient des fibres musculaires intrafusales. 5 Innervation sensorielle par les fibres sensitives (1a) Ces mécanorécepteurs sont sensibles à l’état de longueur des muscles et à leur allongement. Innervation motrice par les MTN γ • En pratique Pour obtenir un mouvement qui donne des informations sensorielles, il faut privilégier l’allongement musculaire, donc le relâchement musculaire 3. Proprioception et sensation 3.1 Expériences de Roll Les informations émises par les fuseaux neuromusculaires sont des informations sensorielles, elles sont à la source de la sensation de mouvement Expériences qui consistent à exercer des vibrations sur les tendons de certains muscles 6 1ère expérience sur la sensation d’extension et de flexion (Roll, 1994) Conclusions : Activer la fonction sensorielle du muscle donne la sensation claire du mouvement physiologiquement associé à cette fonction. On peut donc dire que l’on sent que l’on bouge grâce à la sensibilité des muscles. 7 2e expérience (Roll, 1994) Conclusions: La sensation de mouvement se manifeste dans tout le corps dès lors que les muscles sollicités sont concernés dans la gestion de la posture globale du corps. La proprioception est un élément clé de la gestion de la posture et de l’équilibre. Le contexte environnemental est important et modifie la perception. 8 3e expérience (Roll) Conclusion: La proprioception musculaire n’intervient pas seulement dans les fonctions sensori-motrices de base mais également dans les fonctions cognitives. • Applications thérapeutiques o personnes plâtrées o enfants infirmes moteurs-cérébraux qui présentent une distonie tronc/tête o personnes qui ont un bras en triple flexion 9 3.2 Proprioception et lenteur (Thierry Hasbroucq) Dans les mouvements rapides volontaires, les informations proprioceptives des fuseaux neuromusculaires informent le système de la réussite ou de l’échec du mouvement réalisé. Dans les mouvements volontaires lents, tout commence par une levée de l’inhibition de la boucle myotatique. Le gain de cette boucle somesthésique augmente et le système nerveux intègre de façon permanente les informations proprioceptives. Dans le cas d’un mouvement lent, tout commence par une prise d’information, par une action sensorielle. Donc à l’origine du mouvement lent se trouve la sensorialité. Effectuer un mouvement lent ou étirer lentement un tissu musculaire va intégrer de manière continue les informations proprioceptives. 10 4. Fonctions de la proprioception • Proprioception inconsciente et automatique: tonus, posture et équilibre • Proprioception consciente: sens du mouvement • Proprioception, support des fonctions cognitives • Proprioception, ancrage fondamental de l’identité 5. Le travail de la proprioception en fasciathérapie • Toucher un muscle, c’est toucher sa fonction motrice et proprioceptive. La rééducation permet de faire le lien entre sensibilité / sentiment de corporéité / sentiment d’existence individuel • Proprioception consciente est le sens du mouvement : • Permet de connaître la position du corps dans l’espace • Permet de ressentir le geste du dedans • Sentiment d’existence individuel • Etirement de la peau renseigne sur l’orientation du segment dans l’espace (B.M.S.) 11 • La rééducation en fasciathérapie (thérapie manuelle, yeux fermés), va solliciter la proprioception cutanée et musculaire : • Privilégier l’étirement musculaire dans un relâchement donne des informations sensorielles • Activer la fonction sensorielle du muscle donne la sensation claire du mouvement physiologique associé à cette fonction • Importance du contexte : • couché / assis / debout • yeux ouverts / yeux fermés • Exécuter un mouvement lentement offre plus d’informations sensorielles Bibliographie • Berthoz, A. (1997). Le sens du mouvement. Paris: Odile Jacob. • Hasbrouck, T. (2001). Les modalités de contrôle du mouvement volontaire : mouvement lent / mouvement rapide. In Bois, D. (sous la direction). Thérapie & Mouvement. Paris : Point d’Appui. • Roll, J.-P. (1994). Sensibilités cutanées et musculaires. In Richelle, M., Requin, J. & Robert, M. Traité de psychologie expérimentale. Tome 1. Paris: PUF. • Roll, J.-P. (1998). Les muscles, organes de la perception. In Pour la science, No 248, Juin 1998. • Sacks, O. (1988). L’homme qui prenait sa femme pour un chapeau. Paris: Seuil. 12