Livre MAPAR 2003

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COMMENT JE TRAITE UNE ARYTHMIE ?
I. Philip, S. Provenchère, P. Sakr.
Département d’Anesthésie-Réanimation, Hôpital Bichat, 47, rue Henri Huchard,
75018 Paris. [email protected]
INTRODUCTION
La bonne prise en charge des arythmies par l’anesthésiste-réanimateur, au bloc
opératoire, en postopératoire ou en réanimation impose la connaissance d’un certain
nombre d’éléments simples (physiologiques, cardiologiques et pharmacologiques) qui
feront l’objet de ce chapitre.
1. ÉLECTROPHYSIOLOGIE : CE QU’IL FAUT SAVOIR
1.1. ÉLECTROPHYSIOLOGIE
Le couplage excitation-contraction est la base de la physiologie cardiaque. Les cellules
myocardiques sont excitables, un stimulus approprié pouvant entraîner une modification
des propriétés de la membrane, à l’origine d’un flux transmembranaire d’ions qui peut
à son tour être responsable du «potentiel d’action». Les modifications des flux transmembranaires sont liées à des systèmes de pompes et de canaux (sodiques, calciques,
potassiques) (Figure 1).
mV
1
0
0
2
3
4
-100
Na+
Intra-celulaire
ATP
MEMBRANE
K+
Na+ Ca+
K+
Extra-cellulaire
Figure 1 : Représentation simplifiée d’un potentiel d’action au niveau d’une cellule
myocardique avec les principaux mouvements ioniques. Phase 0 : dépolarisation
rapide ; phase 1 : repolarisation rapide ; phase 2 : repolarisation lente en plateau ;
phase 3 : fin de la repolarisation ; phase 4 : diastole : potentiel de repos.
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Si chaque structure cardiaque possède des propriétés spécifiques, on peut néanmoins
distinguer deux grands types de cellules (Figure 2, a et b):
• Les cellules non douées d’automatisme (myocarde contractile auriculaire et ventriculaire). Elles n’ont pas de dépolarisation diastolique lente ; la phase 0 est rapide,
dépendante des canaux sodiques et le plateau du potentiel d’action est prolongé,
permettant une entrée importante de calcium.
• Les cellules douées d’automatisme (nœud sinusal, nœud auriculo-ventri-culaire (NAV),
faisceau de His-Purkinje). Elles ont une dépolarisation diastolique lente, une pente de
dépolarisation de la phase 0 lente, dépendante des canaux calciques.
Ainsi, chaque tissu a des caractéristiques électriques propres qui expliquent d’une part
la physiologie, et d’autre part la physiopathologie (arythmies, troubles de conduction, et
mécanismes d’actions des antiarythmiques).
K
Ca
Na
Na
K
Ca
Ca
0
Na
K
Ca
K
Na
Na
K
-80
Figure 2 a : potentiel d’action d’une cellule myocardique contractile (non douée
d’automatisme), à réponse (conduction) rapide.
mV
2
0
0
3
-60
4
4
Figure 2 b : potentiel d’action d’une cellule myocardique douée d’automatisme, à
réponse (conduction) lente.
En pratique donc, l’automatisme est le fait des cellules du nœud sinusal (qui ont
l’automaticité la plus élevée), la conduction est plus lente dans les cellules nodales (NAV)
où la vitesse de dépolarisation de phase 0 est basse (rôle de filtre du NAV). A l’opposé,
dans le faisceau de His-Purkinje, la conduction est très rapide, assurant normalement une
activation synchrone des deux ventricules. Les variations du tonus sympathique et/ou
parasympathique modifient de façon importante l’électrophysiologie ; elles participent
largement dans la genèse des troubles du rythme. Elles doivent donc être prises en compte,
notamment dans la phase péri-opératoire.
Questions pour un champion en anesthésie
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Les mécanismes responsables des arythmies cardiaques peuvent être classés en deux
grandes catégories : anomalies de la genèse de l’influx (automatisme anormal et postpotentiels, précoces ou tardifs), anomalies de la conduction de l’influx (phénomènes de
réentrée).
1.2. ANTI-ARYTHMIQUES
Il est classique de séparer les médicaments anti-arythmiques en fonction de leur action
préférentielle sur les canaux ioniques. Cette classification (Tableau I) apparaît simplifiée,
car certaines substances ont plusieurs mécanismes d’action (l’amiodarone en particulier).
Néanmoins, elle permet de comprendre et de prévoir l’efficacité des molécules sur les
différents troubles du rythme [1].
Tableau I
Récepteur cible médicaments
Classe (Signes ECG)
Canaux Na et K
IA (allongement QRS et QT)
Canaux Na
IB
(Amiodarone)
II (allongement R)
Esmolol, propranolol, aténolol,
sotalol, (amiodarone)
Canaux K
III (allongement QT)
Amiodarone
Sotalol
Bretylium
Canaux Ca
IV (± allongement PR)
Vérapamil
Diltiazem, (amiodarone)
Il est également possible d’utiliser (en cas de TSV) la Striadyne® (triphosadénine, les
américains utilisant l’adénosine) qui hyperpolarise le tissu nodal (en activant des canaux
potassiques) et provoque un bloc auriculo-ventriculaire du troisième degré transitoire.
La réponse est variable :
• Arrêt de la TSV en cas de tachycardie avec réentrée nodale ou avec un faisceau accessoire
• Ralentissement (transitoire) de la réponse ventriculaire en cas de fibrillation, de flutter
auriculaire ou de tachycardie atriale focale (Tableau II), ce qui facilite le diagnostic.
• Réponse variable dans les autres tachycardies jonctionnelles.
Néanmoins, l’utilisation de la Striadyne® doit être prudente, compte tenu des effets
secondaires possibles.
Les antiarythmiques de classe I ont actuellement peu d’indications ; il est recommandé
de les arrêter en préopératoire. En dehors de la lidocaïne, ils ont très peu de place en
aigu, surtout en péri-opératoire.
Pour la pratique (cf infra), on peut retenir que l’amiodarone présente un certain
nombre d’avantages dans le contexte péri-opératoire et en réanimation : elle est active
aux deux étages (ventriculaire et auriculaire), elle a moins d’effets secondaires en aigu
que les autres anti-arythmiques, elle a un effet bénéfique en cas de fibrillation ventriculaire et /ou d’arrêt cardiaque extra-hospitalier [2-4]. L’administration d’amiodarone par
voie intraveineuse (ou orale mais récente) a, essentiellement un effet d’inhibition des
courants potassiques, avec un risque mineur d’interférence avec les agents d’anesthésie.
A l’opposé une prise chronique chez des patients ayant une cardiopathie évoluée peut
être délétère lors de l’anesthésie. Néanmoins, compte tenu de sa longue demi-vie
d’élimination (plusieurs semaines), le sevrage préopératoire de l’amiodarone est difficilement envisageable. De nouvelles molécules dérivées de l’amiodarone devraient être
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bientôt disponibles : la dronédarone (dérivé non iodé) et le E 047/1 (métabolite actif de
courte durée d’action, à l’opposé de l’amiodarone) [5, 6].
Tableau II
Principaux troubles du rythme
Troubles du rythme supraventriculaires
Tachycardie sinusale
Extrasystole auriculaire
Fibrillation auriculaire
Tachycardie atriale
•
Flutter (macroréentrée)
•
TA réentrantes
•
TA focales
Tachycardie jonctionnelle
•
Focales (exceptionnelles)
•
Rythmes réciproques nodaux
•
Rythmes réciproques utilisant une voie accessoire
Troubles du rythme ventriculaires
•
Extrasystole ventriculaire
•
Tachycardie ventriculaire (> 3 ESV consécutives)
•
Rythme idioventriculaire accéléré
•
Fibrillation ventriculaire
Enfin, il faut citer le sulfate de magnésium dont l’injection intra-veineuse peut être active
par de multiples mécanismes [7] : classe IV principalement mais aussi classe I, etc…
2. LES DIFFÉRENTS TROUBLES DU RYTHME
2.1. LES MÉCANISMES
Schématiquement, trois mécanismes sont possibles pour les différents troubles du
rythme [8, 9] :
2.1.1. L’AUTOMATISME ANORMAL
Il survient soit lors d’une ischémie ou d’une anoxie, soit lors de certaines modifications
ioniques (hyperkaliémie par exemple) ou d’une augmentation des catécholamines. Il est
secondaire soit à une élévation de la pente de dépolarisation de la phase 4 (catécholamines)
soit à un déplacement du potentiel de repos vers des valeurs moins négatives.
2.1.2. LES POST-POTENTIELS
Les postpotentiels, précoces ou tardifs, peuvent engendrer des activités autodéclenchées. Les premiers se voient surtout au niveau des fibres de Purkinje dans certaines
conditions pathologiques (ischémie, dyskaliémie, étirement ...) et sont favorisés par les
anti-arythmiques. Les seconds sont favorisés par les tachycardies, les catécholamines
et les digitaliques.
2.1.3. LES RÉENTRÉES
Elles apparaissent quand un trouble de conduction ralentit le passage de l’influx
dans une voie, alors qu’il se fait normalement dans les tissus adjacents ; l’influx va
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alors remonter «à contre-sens» dans la voie initialement bloquée, créant une boucle
avec possibilité de déclenchement d’une tachycardie. Il peut s’agir de macroréentrée
ou de microréentrée.
Il convient de mettre à part la torsade de pointes, qui est favorisée par un allongement
de l’intervalle QT acquis ou congénital, mais aussi par la bradycardie, l’hypokaliémie,
l’hypomagnésémie et certains antiarythmiques. Le mécanisme initiateur de l’arythmie
est vraisemblablement l’automatisme déclenché (post-potentiels précoces). Le diagnostic
n’est pas toujours aisé dans la mesure où l’aspect est voisin d’une TV mais il existe un
changement progressif de l’axe de QRS autour de la ligne iso-électrique.
2.2. LES TROUBLES DU RYTHME
Ils sont rappelés dans le tableau II.
3. TROUBLES DU RYTHME ET PÉRIODE PÉRI-OPÉRATOIRE
3.1. INCIDENCE
L’incidence des troubles du rythme rapportée dans la littérature, pendant la phase
périopératoire, dépend de plusieurs facteurs [9-11] :
• Du type de surveillance utilisée, continue ou non [10].
• De l’existence ou non de cardiopathies sous-jacentes
• Enfin du type de chirurgie. Les chirurgies cardiaques, pulmonaires ou même
œsophagiennes (lors du temps thoracique) sont celles qui s’accompagnent le plus
fréquemment de ces complications [12-15].
Haering et al. ont colligé les complications cardiaques péri-opératoires survenant chez
77 patients ayant une cardiomyopathie hypertrophique à prédominance septale, opérés
de chirurgie non cardiaque [16]. Chez un quart des patients, un trouble du rythme, bien
supporté, va survenir. Un seul patient va faire une tachycardie ventriculaire, contemporaine
d’un infarctus péri-opératoire, qui nécessitera une cardioversion en urgence.
Un autre exemple, plus fréquent celui-là, est celui de la prise en charge des patients
ayant un prolapsus de la valve mitrale. Les sujets les plus à risque de troubles du rythme,
notamment ventriculaires, sont les plus âgés, ceux ayant une fuite mitrale significative, et
ceux ayant une dilatation de l’oreillette et du ventricule gauches [17]. Chez les nombreux
sujets ayant simplement un click télésystolique, avec ou sans anomalies de la repolarisation sur l’ECG de base, il ne semble pas que la fréquence des troubles du rythme soient
accrue. Par contre, il est recommandé de s’assurer de l’absence de désordres ioniques
associés. Les patients recevant des ß-bloquants au long cours doivent continuer leur
traitement. La digoxine doit être évitée dans le traitement des arythmies chez ces patients
car elle est susceptible d’engendrer des arythmies ventriculaires.
La dysplasie ventriculaire droite arythmogène est une maladie familiale beaucoup
plus rare (de l’ordre de 1 pour 10 000). Elle peut être suspectée en péri-opératoire
devant la survenue de trouble du rythme ventriculaire sévère chez un sujet jusqu’alors
asymptomatique. En cas de maladie connue, la prise en charge fait appel, en prévention,
à l’utilisation de l’amiodarone ou de bêta bloquants.
En ce qui concerne le type de chirurgie, il est fréquent d’observer des TSV après
chirurgie pulmonaire [12]. La survenue d’une telle complication est associée à une
morbidité et une mortalité plus élevées et un allongement de la durée d’hospitalisation [12, 14, 15]. En chirurgie cardiaque (et aussi thoracique), de nombreux troubles
du rythme surviennent pendant le geste chirurgical : ils sont volontiers déclenchés par
les manipulations du chirurgien et sont donc souvent brefs et résolutifs sans traitement.
Après chirurgie cardiaque, de nombreux facteurs expliquent la fréquence des arythmies
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postopératoires. Ceci est vrai en particulier après revascularisation coronarienne et ce,
même chez des patients en rythme sinusal jusqu’alors. La fréquence des TSV chez ces
malades va de 10 à 35 % selon les études. Là encore, la survenue d’une ACFA allonge
la durée d’hospitalisation [13]. Plusieurs molécules ont fait la preuve de leur efficacité
(en prévention) pour la réduction de l’incidence de la fibrillation postopératoire : les ßbloquants, l’amiodarone [18]. La stimulation auriculaire postopératoire permet également
d’avoir les mêmes résultats [19].
3.2. RISQUES, TOLÉRANCE
Tous les niveaux de tolérance sont possibles : le plus souvent elle est très bonne,
néanmoins elle peut être très mauvaise et nécessiter une cardioversion immédiate.
3.2.1. HYPOPERFUSION PÉRIPHÉRIQUE
• Le cas extrême est la fibrillation ventriculaire (FV) où, en l’absence de contraction
ventriculaire synchrone, le cœur n’éjecte rien.
Une hypoperfusion périphérique peut également survenir lorsque la fréquence ventriculaire est trop rapide, ne laissant plus un temps suffisant au remplissage du ventricule.
Celui-ci ne peut plus éjecter à chaque systole un volume suffisant pour assurer une
perfusion périphérique adéquate.
Les patients ayant un syndrome de pré-excitation type Wolff-Parkinson-White, ont la
particularité de faire des troubles du rythme SV avec une réponse ventriculaire très
rapide (> 200.min-1) car la vitesse de conduction dans le faisceau accessoire est très
rapide. Chez de tels patients avec une arythmie complète par fibrillation auriculaire
(ACFA), il faut donc éviter d’utiliser des agents ralentissant la vitesse de conduction
dans la voie normale (nœud auriculo-ventriculaire) et risquant de faire passer l’influx
des oreillettes vers les ventricules par le faisceau accessoire. Ainsi les digitaliques et
les inhibiteurs calciques sont dangereux chez les patients ayant un tel syndrome de
préexcitation.
• Quelque soit le trouble du rythme, la perte de la contraction auriculaire (ACFA, rythme
jonctionnel, etc...) a des conséquences très différentes sur le remplissage ventriculaire
selon la qualité de la fonction diastolique du ventricule. On admet que la contribution
auriculaire au remplissage du ventricule passe de 10 à 15 % (chiffres normaux) à
40 % en cas d’altération sévère de la fonction diastolique. Là encore, toute diminution
importante du remplissage ventriculaire se traduira instantanément par une baisse du
débit cardiaque. Ainsi, la tolérance d’un passage en ACFA sera moins bonne chez un
sujet âgé, hypertendu ou ayant un rétrécissement aortique, trois facteurs associés à une
altération des propriétés diastoliques ventriculaires. A l’opposé, certaines pathologies
(comme les valvulopathies mitrales chroniques) induisent une dilatation auriculaire
importante. La contraction de l’oreillette est peu efficace et participe très peu au
remplissage ventriculaire.
3.2.2. RISQUE D’ŒDÈME PULMONAIRE
L’exemple le plus typique est celui de patient porteur de rétrécissement mitral serré.
Toute élévation de la fréquence cardiaque, par la réduction de la durée de la diastole qu’elle
provoque, risque d’entraîner une élévation importante des pressions dans l’oreillette
gauche, compte tenu de l’obstacle mitral. Chez de tels patients, il est impératif de
contrôler à tout prix la fréquence cardiaque (beaucoup plus par exemple que de chercher
à réduire une ACFA) pour éviter tout œdème pulmonaire.
3.2.3. ISCHÉMIE MYOCARDIQUE
Il est évident que certaines arythmies, en particulier ventriculaires, peuvent être
déclenchées par des phénomènes ischémiques. A l’inverse, tout épisode de tachycardie
Questions pour un champion en anesthésie
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chez un insuffisant coronarien risque de déclencher une ischémie myocardique (augmentation des besoins en O2 et baisse des apports). Par ailleurs, la fréquence cardiaque
est un des principaux facteurs influençant la genèse des troubles du rythme, notamment
en situation d’ischémie. Ceci justifie:
• La poursuite systématique des ß-bloquants jusqu’à la prémédication comprise chez
des patients recevant un ß-bloquant au long cours.
• Le contrôle rapide de toute tachycardie chez des patients coronariens.
3.2.4. RISQUE D’EMBOLIE SYSTÉMIQUE
La constitution d’un thrombus dans l’oreillette ou l’auricule gauche se voit essentiellement chez les patients ayant certains facteurs de risque : fibrillation auriculaire (et/ou
flutter) «chronique» surtout si elle survient sur une cardiopathie chronique ayant entraîné
une dilatation auriculaire. La crainte d’accidents emboliques doit rendre prudent dans
l’arrêt des anticoagulants chez un patient traité au long cours.
Par ailleurs, la réduction d’un tel trouble du rythme, en particulier par choc électrique, entraîne un risque non négligeable d’embolie systémique [20]. Il est recommandé
d’obtenir une anticoagulation efficace (INR > 2,5) si la fibrillation dure depuis plus de
48 heures. L’efficacité de l’héparine est probable, bien que moins documentée. A l’inverse,
en aigu, devant un trouble du rythme récent (moins de 48 heures) le risque d’accident
embolique est plus faible, autorisant une réduction sans anticoagulation.
3.3. FACTEURS SPÉCIFIQUES : INFLUENCE DE L’ANESTHÉSIE, FACTEURS
AGGRAVANTS
3.3.1. INFLUENCE DE L’ANESTHÉSIE
L’association (potentiellement délétère) entre agents anti-arythmiques et anesthésiques est à considérer soit lors de la prise en charge péri-opératoire de patients traités
par anti-arythmiques, soit lors de l’utilisation d’anti-arythmiques pour le traitement de
troubles du rythme péri-opératoire.
De nombreux travaux se sont intéressés aux effets des agents anesthésiques (qui
modulent les canaux ioniques) sur l’électrophysiologie [8-10, 22]. Ainsi, in vitro et/ou à
fortes concentrations de nombreux effets ont été démontrés. Les différents effets rapportés, s’ils sont de peu d’importance en clinique, peuvent être majorés en cas d’association
avec les anti-arythmiques, surtout en cas de cardiopathie sous-jacente. L’influence des
modifications du tonus sympathique est aussi à prendre en compte (par exemple pour
la kétamine). On peut schématiquement retenir que les agents anesthésiques ont tous
plus ou moins des effets analogues aux anticalciques et qu’ils ont plutôt des effets antiarythmiques.
Pour les halogénés, les effets dépendent du tissu cardiaque, de la concentration et de
l’agent. De manière générale, les effets sont plus marqués sur les cellules nodales que
sur les cellules à conduction rapide, et plus importants avec l’halothane et l’enflurane
qu’avec les agents largement utilisés actuellement (isoflurane, desflurane et sevoflurane).
Ils induisent une bradycardie sinusale et ralentissent la conduction au niveau du NAV, du
système His-Purkinje et du myocarde auriculaire (et ventriculaire à un moindre degré).
Il était classique de recommander une utilisation très prudente du diltiazem, et surtout
du vérapamil par voie intraveineuse en cas d’anesthésie avec les halogénés, mais ceci
était essentiellement vrai avec l’enflurane et l’halothane.
Les effets des agents anesthésiques intraveineux sont très variables. En clinique, le
propofol induit une bradycardie sinusale et ralentit la conduction du NAV, sans altérer
les paramètres électrophysiologiques du myocarde auriculaire et ventriculaire. Aux
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MAPAR 2003
concentrations habituelles en anesthésie, l’étomidate et le midazolam ont peu d’effets
et le risque d’interférence avec les anti-arythmiques est faible.
En ce qui concerne les anesthésiques locaux, leurs effets sur la membrane cellulaire
ressemble à ceux des anti-arythmiques de classe I, à savoir qu’ils ont un effet sur les
canaux sodiques. Néanmoins, ces effets n’apparaissent que pour des concentrations
plasmatiques élevées, le seuil de toxicité variant selon la molécule : ainsi la marge de
sécurité est beaucoup plus petite avec la bupivacaïne qu’avec la lidocaïne et la ropivacaïne. Ces dernières doivent être préférées chez les patients prenant des antiarythmiques
(β-bloquant, verapamil, anti-arythmique de classe I), ou ayant des troubles conductifs,
en particulier ventriculaires.
3.2.2. RECHERCHE DE FACTEURS DÉCLENCHANT
De même, la recherche (et leur correction) de facteurs déclenchant ou aggravant
doit être systématique ainsi que leur correction : hypokaliémie ou hypomagnésémie,
hypoxie, acidose, surdosage en catécholamines, etc... Par contre, la correction d’une
hypokaliémie asymptomatique par un apport de potassium durant la phase préopératoire
n’est pas recommandée [23].
4. EN PRATIQUE
4.1. LES RÈGLES
Seuls les troubles du rythme soutenus, mal tolérés, survenant sur une cardiopathie,
ou symptomatiques d’un infarctus doivent être traités. Quelques règles élémentaires sont
à garder à l’esprit quand on utilise les antiarythmiques:
• Connaître le patient (cardiopathie ?, arythmie existant déjà en préopératoire ?).
• Corriger les facteurs aggravant ou déclenchant.
• Utiliser l’antiarythmique que l’on a l’habitude de manier, pourvu que son indication
et son efficacité soient bonnes.
• Ne pas associer un deuxième produit si l’on n’est pas certain d’avoir utilisé la posologie
adaptée et respecté le délai d’action.
• Toute association d’anti-arythmique risque de potentialiser leurs effets délétères (sur
la conduction, l’inotropisme et / ou les effets pro-arythmogènes).
• Le recours au choc électrique externe doit être précoce si la tolérance du trouble du
rythme n’est pas bonne. De nouvelles modalités de défibrillation (utilisation d’onde
diphasique et non plus monophasique) permettent d’améliorer l’efficacité de la
cardioversion, aussi bien en cas de fibrillation ventriculaire qu’en cas de fibrillation
auriculaire [24]. Plusieurs études ont bien montré que le choc électrique externe
n’induit pas d’augmentation des troponines plasmatiques (TnI et TnT cardiaque).
Une élévation de la concentration de la TnIc ou de la TnTc reste donc spécifique
d’une lésion myocardique (ischémique en général), contrairement aux CK-MB, non
cardiospécifiques.
4.2. CONDUITE PRATIQUE
Devant l’apparition d’un trouble du rythme, le premier élément est, comme cela a déjà
été rappelé, d’en évaluer rapidement la tolérance. En cas d’arythmie ventriculaire, il est
essentiel d’éliminer une ischémie ou un infarctus myocardique [11], ce qui est largement
facilité depuis la possibilité de dosage des troponines cardiaques.
Le deuxième élément est celui du diagnostic précis du trouble du rythme. Pas toujours
très facile sur un scope, il peut être facilité par un enregistrement sur papier (en prenant
plutôt DII). S’il survient en salle de réveil, il doit être impérativement enregistré sur un
Questions pour un champion en anesthésie
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ECG complet. Le diagnostic du trouble du rythme se fait toujours à partir des mêmes
éléments :
• La fréquence ventriculaire est-elle régulière ?
• Les complexes QRS sont-ils élargis ?
• Y-a-t-il des ondes P ? Quelle est leur fréquence et leur couplage avec les QRS ? La
mise en évidence de l’activité auriculaire peut être facilitée par les manœuvres vagales
ou l’injection de Striadyne®, ou l’enregistrement par voie œsophagienne.
4.3. LE TRAITEMENT CURATIF
Il est repris en détail dans le Tableau III. Il faut garder à l’esprit que les tachycardies
les plus fréquentes sont certainement les tachycardies sinusales, qui sans être à proprement parler des troubles du rythme, peuvent être mal tolérées chez le coronarien ou le
malade ayant un rétrécissement mitral. Seul le traitement ou la correction de la cause
éventuelle est logique dans un premier temps (hypovolémie, douleur, réveil sur une
sonde d’intubation...).
En cas de fibrillation auriculaire rapide, il est souvent suffisant, dans un premier temps,
de ralentir la fréquence ventriculaire plutôt que de chercher à tout prix la restauration
d’un rythme sinusal. Enfin il faut garder à l’esprit que l’amiodarone, en cas de troubles
du rythme ventriculaire sévère (TV, FV résistante) semble être supérieure à la lidocaïne
ou aux autres anti-arythmiques [4].
Tableau III
conduite à tenir simplifiée devant un trouble du rythme. Voir les détails dans le texte.
Trouble du rythme
Traitement
Tachycardie sinusale
• Traiter la cause (hypovolémie, douleur, anesthésie
insuffisante, …)
• Eventuellement β-bloquant (coronarien)
Tachycardie supraventriculaire
• En fonction du diagnostic
• Amiodarone (IV ou per os)
• Esmolol (IV)
Voire inhibiteur calcique
Striadyne
• Discuter CEE
• Anticoagulation ?
Tachycardie ventriculaire
• Eliminer ischémie
• Amiodarone et / ou lidocaïne
• CEE ? (d’emblée si FV)
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