COMMENT JE TRAITE UNE ARYTHMIE ? I. Philip, S. Provenchère, P. Sakr. Département d’Anesthésie-Réanimation, Hôpital Bichat, 47, rue Henri Huchard, 75018 Paris. [email protected] INTRODUCTION La bonne prise en charge des arythmies par l’anesthésiste-réanimateur, au bloc opératoire, en postopératoire ou en réanimation impose la connaissance d’un certain nombre d’éléments simples (physiologiques, cardiologiques et pharmacologiques) qui feront l’objet de ce chapitre. 1. ÉLECTROPHYSIOLOGIE : CE QU’IL FAUT SAVOIR 1.1. ÉLECTROPHYSIOLOGIE Le couplage excitation-contraction est la base de la physiologie cardiaque. Les cellules myocardiques sont excitables, un stimulus approprié pouvant entraîner une modification des propriétés de la membrane, à l’origine d’un flux transmembranaire d’ions qui peut à son tour être responsable du «potentiel d’action». Les modifications des flux transmembranaires sont liées à des systèmes de pompes et de canaux (sodiques, calciques, potassiques) (Figure 1). mV 1 0 0 2 3 4 -100 Na+ Intra-celulaire ATP MEMBRANE K+ Na+ Ca+ K+ Extra-cellulaire Figure 1 : Représentation simplifiée d’un potentiel d’action au niveau d’une cellule myocardique avec les principaux mouvements ioniques. Phase 0 : dépolarisation rapide ; phase 1 : repolarisation rapide ; phase 2 : repolarisation lente en plateau ; phase 3 : fin de la repolarisation ; phase 4 : diastole : potentiel de repos. 78 MAPAR 2003 Si chaque structure cardiaque possède des propriétés spécifiques, on peut néanmoins distinguer deux grands types de cellules (Figure 2, a et b): • Les cellules non douées d’automatisme (myocarde contractile auriculaire et ventriculaire). Elles n’ont pas de dépolarisation diastolique lente ; la phase 0 est rapide, dépendante des canaux sodiques et le plateau du potentiel d’action est prolongé, permettant une entrée importante de calcium. • Les cellules douées d’automatisme (nœud sinusal, nœud auriculo-ventri-culaire (NAV), faisceau de His-Purkinje). Elles ont une dépolarisation diastolique lente, une pente de dépolarisation de la phase 0 lente, dépendante des canaux calciques. Ainsi, chaque tissu a des caractéristiques électriques propres qui expliquent d’une part la physiologie, et d’autre part la physiopathologie (arythmies, troubles de conduction, et mécanismes d’actions des antiarythmiques). K Ca Na Na K Ca Ca 0 Na K Ca K Na Na K -80 Figure 2 a : potentiel d’action d’une cellule myocardique contractile (non douée d’automatisme), à réponse (conduction) rapide. mV 2 0 0 3 -60 4 4 Figure 2 b : potentiel d’action d’une cellule myocardique douée d’automatisme, à réponse (conduction) lente. En pratique donc, l’automatisme est le fait des cellules du nœud sinusal (qui ont l’automaticité la plus élevée), la conduction est plus lente dans les cellules nodales (NAV) où la vitesse de dépolarisation de phase 0 est basse (rôle de filtre du NAV). A l’opposé, dans le faisceau de His-Purkinje, la conduction est très rapide, assurant normalement une activation synchrone des deux ventricules. Les variations du tonus sympathique et/ou parasympathique modifient de façon importante l’électrophysiologie ; elles participent largement dans la genèse des troubles du rythme. Elles doivent donc être prises en compte, notamment dans la phase péri-opératoire. Questions pour un champion en anesthésie 79 Les mécanismes responsables des arythmies cardiaques peuvent être classés en deux grandes catégories : anomalies de la genèse de l’influx (automatisme anormal et postpotentiels, précoces ou tardifs), anomalies de la conduction de l’influx (phénomènes de réentrée). 1.2. ANTI-ARYTHMIQUES Il est classique de séparer les médicaments anti-arythmiques en fonction de leur action préférentielle sur les canaux ioniques. Cette classification (Tableau I) apparaît simplifiée, car certaines substances ont plusieurs mécanismes d’action (l’amiodarone en particulier). Néanmoins, elle permet de comprendre et de prévoir l’efficacité des molécules sur les différents troubles du rythme [1]. Tableau I Récepteur cible médicaments Classe (Signes ECG) Canaux Na et K IA (allongement QRS et QT) Canaux Na IB (Amiodarone) II (allongement R) Esmolol, propranolol, aténolol, sotalol, (amiodarone) Canaux K III (allongement QT) Amiodarone Sotalol Bretylium Canaux Ca IV (± allongement PR) Vérapamil Diltiazem, (amiodarone) Il est également possible d’utiliser (en cas de TSV) la Striadyne® (triphosadénine, les américains utilisant l’adénosine) qui hyperpolarise le tissu nodal (en activant des canaux potassiques) et provoque un bloc auriculo-ventriculaire du troisième degré transitoire. La réponse est variable : • Arrêt de la TSV en cas de tachycardie avec réentrée nodale ou avec un faisceau accessoire • Ralentissement (transitoire) de la réponse ventriculaire en cas de fibrillation, de flutter auriculaire ou de tachycardie atriale focale (Tableau II), ce qui facilite le diagnostic. • Réponse variable dans les autres tachycardies jonctionnelles. Néanmoins, l’utilisation de la Striadyne® doit être prudente, compte tenu des effets secondaires possibles. Les antiarythmiques de classe I ont actuellement peu d’indications ; il est recommandé de les arrêter en préopératoire. En dehors de la lidocaïne, ils ont très peu de place en aigu, surtout en péri-opératoire. Pour la pratique (cf infra), on peut retenir que l’amiodarone présente un certain nombre d’avantages dans le contexte péri-opératoire et en réanimation : elle est active aux deux étages (ventriculaire et auriculaire), elle a moins d’effets secondaires en aigu que les autres anti-arythmiques, elle a un effet bénéfique en cas de fibrillation ventriculaire et /ou d’arrêt cardiaque extra-hospitalier [2-4]. L’administration d’amiodarone par voie intraveineuse (ou orale mais récente) a, essentiellement un effet d’inhibition des courants potassiques, avec un risque mineur d’interférence avec les agents d’anesthésie. A l’opposé une prise chronique chez des patients ayant une cardiopathie évoluée peut être délétère lors de l’anesthésie. Néanmoins, compte tenu de sa longue demi-vie d’élimination (plusieurs semaines), le sevrage préopératoire de l’amiodarone est difficilement envisageable. De nouvelles molécules dérivées de l’amiodarone devraient être 80 MAPAR 2003 bientôt disponibles : la dronédarone (dérivé non iodé) et le E 047/1 (métabolite actif de courte durée d’action, à l’opposé de l’amiodarone) [5, 6]. Tableau II Principaux troubles du rythme Troubles du rythme supraventriculaires Tachycardie sinusale Extrasystole auriculaire Fibrillation auriculaire Tachycardie atriale • Flutter (macroréentrée) • TA réentrantes • TA focales Tachycardie jonctionnelle • Focales (exceptionnelles) • Rythmes réciproques nodaux • Rythmes réciproques utilisant une voie accessoire Troubles du rythme ventriculaires • Extrasystole ventriculaire • Tachycardie ventriculaire (> 3 ESV consécutives) • Rythme idioventriculaire accéléré • Fibrillation ventriculaire Enfin, il faut citer le sulfate de magnésium dont l’injection intra-veineuse peut être active par de multiples mécanismes [7] : classe IV principalement mais aussi classe I, etc… 2. LES DIFFÉRENTS TROUBLES DU RYTHME 2.1. LES MÉCANISMES Schématiquement, trois mécanismes sont possibles pour les différents troubles du rythme [8, 9] : 2.1.1. L’AUTOMATISME ANORMAL Il survient soit lors d’une ischémie ou d’une anoxie, soit lors de certaines modifications ioniques (hyperkaliémie par exemple) ou d’une augmentation des catécholamines. Il est secondaire soit à une élévation de la pente de dépolarisation de la phase 4 (catécholamines) soit à un déplacement du potentiel de repos vers des valeurs moins négatives. 2.1.2. LES POST-POTENTIELS Les postpotentiels, précoces ou tardifs, peuvent engendrer des activités autodéclenchées. Les premiers se voient surtout au niveau des fibres de Purkinje dans certaines conditions pathologiques (ischémie, dyskaliémie, étirement ...) et sont favorisés par les anti-arythmiques. Les seconds sont favorisés par les tachycardies, les catécholamines et les digitaliques. 2.1.3. LES RÉENTRÉES Elles apparaissent quand un trouble de conduction ralentit le passage de l’influx dans une voie, alors qu’il se fait normalement dans les tissus adjacents ; l’influx va Questions pour un champion en anesthésie 81 alors remonter «à contre-sens» dans la voie initialement bloquée, créant une boucle avec possibilité de déclenchement d’une tachycardie. Il peut s’agir de macroréentrée ou de microréentrée. Il convient de mettre à part la torsade de pointes, qui est favorisée par un allongement de l’intervalle QT acquis ou congénital, mais aussi par la bradycardie, l’hypokaliémie, l’hypomagnésémie et certains antiarythmiques. Le mécanisme initiateur de l’arythmie est vraisemblablement l’automatisme déclenché (post-potentiels précoces). Le diagnostic n’est pas toujours aisé dans la mesure où l’aspect est voisin d’une TV mais il existe un changement progressif de l’axe de QRS autour de la ligne iso-électrique. 2.2. LES TROUBLES DU RYTHME Ils sont rappelés dans le tableau II. 3. TROUBLES DU RYTHME ET PÉRIODE PÉRI-OPÉRATOIRE 3.1. INCIDENCE L’incidence des troubles du rythme rapportée dans la littérature, pendant la phase périopératoire, dépend de plusieurs facteurs [9-11] : • Du type de surveillance utilisée, continue ou non [10]. • De l’existence ou non de cardiopathies sous-jacentes • Enfin du type de chirurgie. Les chirurgies cardiaques, pulmonaires ou même œsophagiennes (lors du temps thoracique) sont celles qui s’accompagnent le plus fréquemment de ces complications [12-15]. Haering et al. ont colligé les complications cardiaques péri-opératoires survenant chez 77 patients ayant une cardiomyopathie hypertrophique à prédominance septale, opérés de chirurgie non cardiaque [16]. Chez un quart des patients, un trouble du rythme, bien supporté, va survenir. Un seul patient va faire une tachycardie ventriculaire, contemporaine d’un infarctus péri-opératoire, qui nécessitera une cardioversion en urgence. Un autre exemple, plus fréquent celui-là, est celui de la prise en charge des patients ayant un prolapsus de la valve mitrale. Les sujets les plus à risque de troubles du rythme, notamment ventriculaires, sont les plus âgés, ceux ayant une fuite mitrale significative, et ceux ayant une dilatation de l’oreillette et du ventricule gauches [17]. Chez les nombreux sujets ayant simplement un click télésystolique, avec ou sans anomalies de la repolarisation sur l’ECG de base, il ne semble pas que la fréquence des troubles du rythme soient accrue. Par contre, il est recommandé de s’assurer de l’absence de désordres ioniques associés. Les patients recevant des ß-bloquants au long cours doivent continuer leur traitement. La digoxine doit être évitée dans le traitement des arythmies chez ces patients car elle est susceptible d’engendrer des arythmies ventriculaires. La dysplasie ventriculaire droite arythmogène est une maladie familiale beaucoup plus rare (de l’ordre de 1 pour 10 000). Elle peut être suspectée en péri-opératoire devant la survenue de trouble du rythme ventriculaire sévère chez un sujet jusqu’alors asymptomatique. En cas de maladie connue, la prise en charge fait appel, en prévention, à l’utilisation de l’amiodarone ou de bêta bloquants. En ce qui concerne le type de chirurgie, il est fréquent d’observer des TSV après chirurgie pulmonaire [12]. La survenue d’une telle complication est associée à une morbidité et une mortalité plus élevées et un allongement de la durée d’hospitalisation [12, 14, 15]. En chirurgie cardiaque (et aussi thoracique), de nombreux troubles du rythme surviennent pendant le geste chirurgical : ils sont volontiers déclenchés par les manipulations du chirurgien et sont donc souvent brefs et résolutifs sans traitement. Après chirurgie cardiaque, de nombreux facteurs expliquent la fréquence des arythmies 82 MAPAR 2003 postopératoires. Ceci est vrai en particulier après revascularisation coronarienne et ce, même chez des patients en rythme sinusal jusqu’alors. La fréquence des TSV chez ces malades va de 10 à 35 % selon les études. Là encore, la survenue d’une ACFA allonge la durée d’hospitalisation [13]. Plusieurs molécules ont fait la preuve de leur efficacité (en prévention) pour la réduction de l’incidence de la fibrillation postopératoire : les ßbloquants, l’amiodarone [18]. La stimulation auriculaire postopératoire permet également d’avoir les mêmes résultats [19]. 3.2. RISQUES, TOLÉRANCE Tous les niveaux de tolérance sont possibles : le plus souvent elle est très bonne, néanmoins elle peut être très mauvaise et nécessiter une cardioversion immédiate. 3.2.1. HYPOPERFUSION PÉRIPHÉRIQUE • Le cas extrême est la fibrillation ventriculaire (FV) où, en l’absence de contraction ventriculaire synchrone, le cœur n’éjecte rien. Une hypoperfusion périphérique peut également survenir lorsque la fréquence ventriculaire est trop rapide, ne laissant plus un temps suffisant au remplissage du ventricule. Celui-ci ne peut plus éjecter à chaque systole un volume suffisant pour assurer une perfusion périphérique adéquate. Les patients ayant un syndrome de pré-excitation type Wolff-Parkinson-White, ont la particularité de faire des troubles du rythme SV avec une réponse ventriculaire très rapide (> 200.min-1) car la vitesse de conduction dans le faisceau accessoire est très rapide. Chez de tels patients avec une arythmie complète par fibrillation auriculaire (ACFA), il faut donc éviter d’utiliser des agents ralentissant la vitesse de conduction dans la voie normale (nœud auriculo-ventriculaire) et risquant de faire passer l’influx des oreillettes vers les ventricules par le faisceau accessoire. Ainsi les digitaliques et les inhibiteurs calciques sont dangereux chez les patients ayant un tel syndrome de préexcitation. • Quelque soit le trouble du rythme, la perte de la contraction auriculaire (ACFA, rythme jonctionnel, etc...) a des conséquences très différentes sur le remplissage ventriculaire selon la qualité de la fonction diastolique du ventricule. On admet que la contribution auriculaire au remplissage du ventricule passe de 10 à 15 % (chiffres normaux) à 40 % en cas d’altération sévère de la fonction diastolique. Là encore, toute diminution importante du remplissage ventriculaire se traduira instantanément par une baisse du débit cardiaque. Ainsi, la tolérance d’un passage en ACFA sera moins bonne chez un sujet âgé, hypertendu ou ayant un rétrécissement aortique, trois facteurs associés à une altération des propriétés diastoliques ventriculaires. A l’opposé, certaines pathologies (comme les valvulopathies mitrales chroniques) induisent une dilatation auriculaire importante. La contraction de l’oreillette est peu efficace et participe très peu au remplissage ventriculaire. 3.2.2. RISQUE D’ŒDÈME PULMONAIRE L’exemple le plus typique est celui de patient porteur de rétrécissement mitral serré. Toute élévation de la fréquence cardiaque, par la réduction de la durée de la diastole qu’elle provoque, risque d’entraîner une élévation importante des pressions dans l’oreillette gauche, compte tenu de l’obstacle mitral. Chez de tels patients, il est impératif de contrôler à tout prix la fréquence cardiaque (beaucoup plus par exemple que de chercher à réduire une ACFA) pour éviter tout œdème pulmonaire. 3.2.3. ISCHÉMIE MYOCARDIQUE Il est évident que certaines arythmies, en particulier ventriculaires, peuvent être déclenchées par des phénomènes ischémiques. A l’inverse, tout épisode de tachycardie Questions pour un champion en anesthésie 83 chez un insuffisant coronarien risque de déclencher une ischémie myocardique (augmentation des besoins en O2 et baisse des apports). Par ailleurs, la fréquence cardiaque est un des principaux facteurs influençant la genèse des troubles du rythme, notamment en situation d’ischémie. Ceci justifie: • La poursuite systématique des ß-bloquants jusqu’à la prémédication comprise chez des patients recevant un ß-bloquant au long cours. • Le contrôle rapide de toute tachycardie chez des patients coronariens. 3.2.4. RISQUE D’EMBOLIE SYSTÉMIQUE La constitution d’un thrombus dans l’oreillette ou l’auricule gauche se voit essentiellement chez les patients ayant certains facteurs de risque : fibrillation auriculaire (et/ou flutter) «chronique» surtout si elle survient sur une cardiopathie chronique ayant entraîné une dilatation auriculaire. La crainte d’accidents emboliques doit rendre prudent dans l’arrêt des anticoagulants chez un patient traité au long cours. Par ailleurs, la réduction d’un tel trouble du rythme, en particulier par choc électrique, entraîne un risque non négligeable d’embolie systémique [20]. Il est recommandé d’obtenir une anticoagulation efficace (INR > 2,5) si la fibrillation dure depuis plus de 48 heures. L’efficacité de l’héparine est probable, bien que moins documentée. A l’inverse, en aigu, devant un trouble du rythme récent (moins de 48 heures) le risque d’accident embolique est plus faible, autorisant une réduction sans anticoagulation. 3.3. FACTEURS SPÉCIFIQUES : INFLUENCE DE L’ANESTHÉSIE, FACTEURS AGGRAVANTS 3.3.1. INFLUENCE DE L’ANESTHÉSIE L’association (potentiellement délétère) entre agents anti-arythmiques et anesthésiques est à considérer soit lors de la prise en charge péri-opératoire de patients traités par anti-arythmiques, soit lors de l’utilisation d’anti-arythmiques pour le traitement de troubles du rythme péri-opératoire. De nombreux travaux se sont intéressés aux effets des agents anesthésiques (qui modulent les canaux ioniques) sur l’électrophysiologie [8-10, 22]. Ainsi, in vitro et/ou à fortes concentrations de nombreux effets ont été démontrés. Les différents effets rapportés, s’ils sont de peu d’importance en clinique, peuvent être majorés en cas d’association avec les anti-arythmiques, surtout en cas de cardiopathie sous-jacente. L’influence des modifications du tonus sympathique est aussi à prendre en compte (par exemple pour la kétamine). On peut schématiquement retenir que les agents anesthésiques ont tous plus ou moins des effets analogues aux anticalciques et qu’ils ont plutôt des effets antiarythmiques. Pour les halogénés, les effets dépendent du tissu cardiaque, de la concentration et de l’agent. De manière générale, les effets sont plus marqués sur les cellules nodales que sur les cellules à conduction rapide, et plus importants avec l’halothane et l’enflurane qu’avec les agents largement utilisés actuellement (isoflurane, desflurane et sevoflurane). Ils induisent une bradycardie sinusale et ralentissent la conduction au niveau du NAV, du système His-Purkinje et du myocarde auriculaire (et ventriculaire à un moindre degré). Il était classique de recommander une utilisation très prudente du diltiazem, et surtout du vérapamil par voie intraveineuse en cas d’anesthésie avec les halogénés, mais ceci était essentiellement vrai avec l’enflurane et l’halothane. Les effets des agents anesthésiques intraveineux sont très variables. En clinique, le propofol induit une bradycardie sinusale et ralentit la conduction du NAV, sans altérer les paramètres électrophysiologiques du myocarde auriculaire et ventriculaire. Aux 84 MAPAR 2003 concentrations habituelles en anesthésie, l’étomidate et le midazolam ont peu d’effets et le risque d’interférence avec les anti-arythmiques est faible. En ce qui concerne les anesthésiques locaux, leurs effets sur la membrane cellulaire ressemble à ceux des anti-arythmiques de classe I, à savoir qu’ils ont un effet sur les canaux sodiques. Néanmoins, ces effets n’apparaissent que pour des concentrations plasmatiques élevées, le seuil de toxicité variant selon la molécule : ainsi la marge de sécurité est beaucoup plus petite avec la bupivacaïne qu’avec la lidocaïne et la ropivacaïne. Ces dernières doivent être préférées chez les patients prenant des antiarythmiques (β-bloquant, verapamil, anti-arythmique de classe I), ou ayant des troubles conductifs, en particulier ventriculaires. 3.2.2. RECHERCHE DE FACTEURS DÉCLENCHANT De même, la recherche (et leur correction) de facteurs déclenchant ou aggravant doit être systématique ainsi que leur correction : hypokaliémie ou hypomagnésémie, hypoxie, acidose, surdosage en catécholamines, etc... Par contre, la correction d’une hypokaliémie asymptomatique par un apport de potassium durant la phase préopératoire n’est pas recommandée [23]. 4. EN PRATIQUE 4.1. LES RÈGLES Seuls les troubles du rythme soutenus, mal tolérés, survenant sur une cardiopathie, ou symptomatiques d’un infarctus doivent être traités. Quelques règles élémentaires sont à garder à l’esprit quand on utilise les antiarythmiques: • Connaître le patient (cardiopathie ?, arythmie existant déjà en préopératoire ?). • Corriger les facteurs aggravant ou déclenchant. • Utiliser l’antiarythmique que l’on a l’habitude de manier, pourvu que son indication et son efficacité soient bonnes. • Ne pas associer un deuxième produit si l’on n’est pas certain d’avoir utilisé la posologie adaptée et respecté le délai d’action. • Toute association d’anti-arythmique risque de potentialiser leurs effets délétères (sur la conduction, l’inotropisme et / ou les effets pro-arythmogènes). • Le recours au choc électrique externe doit être précoce si la tolérance du trouble du rythme n’est pas bonne. De nouvelles modalités de défibrillation (utilisation d’onde diphasique et non plus monophasique) permettent d’améliorer l’efficacité de la cardioversion, aussi bien en cas de fibrillation ventriculaire qu’en cas de fibrillation auriculaire [24]. Plusieurs études ont bien montré que le choc électrique externe n’induit pas d’augmentation des troponines plasmatiques (TnI et TnT cardiaque). Une élévation de la concentration de la TnIc ou de la TnTc reste donc spécifique d’une lésion myocardique (ischémique en général), contrairement aux CK-MB, non cardiospécifiques. 4.2. CONDUITE PRATIQUE Devant l’apparition d’un trouble du rythme, le premier élément est, comme cela a déjà été rappelé, d’en évaluer rapidement la tolérance. En cas d’arythmie ventriculaire, il est essentiel d’éliminer une ischémie ou un infarctus myocardique [11], ce qui est largement facilité depuis la possibilité de dosage des troponines cardiaques. Le deuxième élément est celui du diagnostic précis du trouble du rythme. Pas toujours très facile sur un scope, il peut être facilité par un enregistrement sur papier (en prenant plutôt DII). S’il survient en salle de réveil, il doit être impérativement enregistré sur un Questions pour un champion en anesthésie 85 ECG complet. Le diagnostic du trouble du rythme se fait toujours à partir des mêmes éléments : • La fréquence ventriculaire est-elle régulière ? • Les complexes QRS sont-ils élargis ? • Y-a-t-il des ondes P ? Quelle est leur fréquence et leur couplage avec les QRS ? La mise en évidence de l’activité auriculaire peut être facilitée par les manœuvres vagales ou l’injection de Striadyne®, ou l’enregistrement par voie œsophagienne. 4.3. LE TRAITEMENT CURATIF Il est repris en détail dans le Tableau III. Il faut garder à l’esprit que les tachycardies les plus fréquentes sont certainement les tachycardies sinusales, qui sans être à proprement parler des troubles du rythme, peuvent être mal tolérées chez le coronarien ou le malade ayant un rétrécissement mitral. Seul le traitement ou la correction de la cause éventuelle est logique dans un premier temps (hypovolémie, douleur, réveil sur une sonde d’intubation...). En cas de fibrillation auriculaire rapide, il est souvent suffisant, dans un premier temps, de ralentir la fréquence ventriculaire plutôt que de chercher à tout prix la restauration d’un rythme sinusal. Enfin il faut garder à l’esprit que l’amiodarone, en cas de troubles du rythme ventriculaire sévère (TV, FV résistante) semble être supérieure à la lidocaïne ou aux autres anti-arythmiques [4]. Tableau III conduite à tenir simplifiée devant un trouble du rythme. Voir les détails dans le texte. Trouble du rythme Traitement Tachycardie sinusale • Traiter la cause (hypovolémie, douleur, anesthésie insuffisante, …) • Eventuellement β-bloquant (coronarien) Tachycardie supraventriculaire • En fonction du diagnostic • Amiodarone (IV ou per os) • Esmolol (IV) Voire inhibiteur calcique Striadyne • Discuter CEE • Anticoagulation ? Tachycardie ventriculaire • Eliminer ischémie • Amiodarone et / ou lidocaïne • CEE ? (d’emblée si FV) REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES [1] Balser J. New concepts in antiarrhythmic therapy. Refresher Course Lectures, ASA 2002;271:1-7 [2] Balser JR. The rational use of intravenous amiodarone in the perioperative period. Anesthesiology 1997;86:974-987 [3] Connolly SJ. Evidence-based analysis of amiodarone efficacy and safety. Circulation 1999;100:2025-2034 [4] Dorian P, Cass D, Schwartz B, Cooper R, Gelaznikas R, Barr A. Amiodarone as compared with lidocaine for shock-resistant ventricular fibrillation. N Engl J Med 2002;346:884-90 [5] Sun W, Sarma J, Singh B. Electrophysiological effects of dronaderone (SR33589), a noniodinated benzofuran derivative, in the rabbit heart. Comparison with amiodarone. Circulation 1999;100:2276-2281 86 MAPAR 2003 [6] Kulier A, Novalija E, Hogan Q et al. The effects of the new antiarrhythmic E 047/1 on postoperative ischemia-induced arrhythmias in dogs. 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