ment, en un temps de l’ordre de la
seconde (ce qui bien sûr est extrê-
mement long à l’échelle des mouve-
ments atomiques) une conformation
tridimensionnelle spécifique dite
l’état natif de la protéine, et bien
sûr ce sera cette conformation parti-
culière qui lui confèrera ses proprié-
tés fonctionnelles « magiques ».
L’idée maîtresse que nous vou-
lions faire ressortir de cette brève
analyse est que le physicien consi-
dèrera une protéine comme une mo-
lécule qui, d’une part, ne possède
pas d’autres propriétés que celles
qu’on pourrait théoriquement dé-
duire de sa topologie chimique en
intégrant (avec un calculateur de
puissance suffisante, et sans oublier
de prendre en compte le milieu en-
vironnant) l’équation de Schrödin-
ger dépendant du temps, mais
d’autre part a été sélectionnée de
telle sorte que ces propriétés soient
tout à fait exceptionnelles. Or, si
l’on commence à bien connaître les
propriétés des protéines dans leur
aspect fonctionnel, biologique, on
est encore loin de pouvoir identifier
le caractère exceptionnel que pour-
raient revêtir certaines de leurs pro-
priétés vues du point de vue de la
physique moléculaire (hypersurface
de potentiel, modes de vibration,
couplages, anharmonicité, etc.).
L’une des tâches essentielles du
biophysicien moléculaire sera donc
de discerner les propriétés spécifi-
ques d’une protéine particulière,
celles qui seraient communes à l’en-
semble des protéines, et celles qui
seraient partagées par l’ensemble
des polypeptides ou même de tous
les hétéropolymères.
Les données expérimentales sur
la structure tridimensionnelle des
protéines globulaires ont été obte-
nues principalement par radiocristal-
lographie, et aussi plus récemment
(pour les petites protéines) par réso-
nance magnétique nucléaire utilisant
l’effet Overhauser nucléaire. Toutes
ces données peuvent être consultées
dans la Protein Data Bank de Broo-
khaven.
TRANSITIONS CONFORMATIONNELLES
DANS LES ENZYMES
Une enzyme est par définition une
protéine dont le rôle est de servir de
catalyseur à une réaction biochimi-
que spécifique. Comme dans toute
réaction chimique, la ou les molécu-
les réagissantes (les réactants, ou
dans le langage des biochimistes les
substrats) vont être transformées en
des molécules produits. Dans la ca-
talyse par une enzyme, les substrats
se fixent sur l’enzyme (en général
par un certain nombre de liaisons
faibles, non covalentes, mais qui
déjà sélectionnent le bon substrat
par rapport à ses analogues présents
dans le milieu), puis a lieu la réac-
tion chimique proprement dite, et
enfin les produits se détachent de
l’enzyme, qui est alors prête à fonc-
tionner à nouveau. C’est ce que
nous appellerons un cycle catalyti-
que.
Chez de nombreuses enzymes, ce
cycle s’accompagne de deux ou plu-
sieurs transitions conformationnel-
les de l’enzyme. Typiquement, par
exemple, l’enzyme sera initialement
dans la conformation tridimension-
nelle correspondant à son état natif,
puis la fixation soit des substrats
eux-mêmes, soit de molécules diffé-
rentes dites effecteurs allostériques,
va induire une transition de l’en-
zyme vers une autre conformation
(c’est-à-dire une autre configuration
dans l’espace des coordonnées ato-
miques), plus propice à la réaction
chimique voulue ; une fois la réac-
tion achevée et les produits libérés,
l’enzyme retournera à sa conforma-
tion initiale. Ces conformations dif-
fèrent non par l’enchaînement des
atomes, qui est conservé, mais par
le résultat d’un certain nombre de
mouvements de rotation de parties
de la molécule autour de liaisons
covalentes simples (sur le schéma
de l’encadré, les liaisons C-NH,
N-CH, ainsi que des liaisons sim-
ples existant dans les groupements
latéraux R
i
). Une analogie, qui nous
resservira, est celle des mouvements
permis dans le cube de Rubik.
Ce sont les biochimistes qui iden-
tifient les premiers les différentes
conformations d’une enzyme, en les
stabilisant sélectivement par un
choix judicieux du milieu et en par-
ticulier de sa teneur en différents
substrats, produits, ou effecteurs,
puis en étudiant les caractères
physico-chimiques de l’enzyme
dans chacune de ces conformations.
Dans les cas favorables, les diverses
conformations peuvent donner lieu à
une cristallisation sélective, et ainsi
à la détermination des coordonnées
atomiques dans chaque conforma-
tion. Les conclusions des biochimis-
tes sont alors susceptibles d’être
corroborées par les particularités
structurales révélées par les cristal-
lographes.
Il n’existe par contre aucune tech-
nique expérimentale permettant de
déterminer comment s’effectue une
transition conformationnelle, en par-
ticulier quel chemin elle suit dans
l’espace de configuration, c’est-à-
dire dans l’espace des coordonnées
de tous les noyaux atomiques de
l’enzyme. C’est pourquoi il a paru
utile à quelques groupes de cher-
cheurs de s’attaquer à ce problème
par des techniques de simulation sur
ordinateur, basées sur la dynamique
moléculaire. La dynamique molécu-
laire consiste, dans ses grandes li-
gnes, en une solution numérique des
équations de mouvement de Newton
pour chaque atome du système, en
connaissant les masses et les vites-
ses de tous les atomes et les forces
qui agissent sur eux. Les durées
d’accomplissement de ces transi-
tions sont également inconnues ; on
peut penser qu’elles se situent quel-
que part entre 10
–9
et 10
–3
s. Notons
que, serait-on sûr qu’une transition
ne demandât qu’une nanoseconde,
on pourrait mettre en œuvre les mil-
liers d’heures de supercalculateur
qui permettraient de reproduire cette
transition et donc de l’analyser en
détail. Mais dans le doute, ce serait
comme sauter dans le brouillard
par-dessus une rivière inconnue en
espérant que la rive opposée ne sera
qu’à quelques mètres !
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