Journal Identification = ABC Article Identification = 0865 Date: July 18, 2013 Time: 10:51 am
486 Ann Biol Clin, vol. 71, n◦4, juillet-août 2013
Biologie au quotidien
de déséquilibre de sa psychose maniacodépressive.
Dans ses autres antécédents, il est noté une extraction
dentaire 15 ans auparavant sous anesthésie générale. Son
traitement habituel comprend de la fluoxétine, du lithium,
du valproate de sodium, de l’oxazépam, de la pipam-
pérone et de la cyamézanine. Dans le bilan étiologique
de l’altération de l’état général, il bénéficie d’un scanner
thoraco-abdominopelvien mettant en évidence des adé-
nopathies médiastinales. L’indication d’une fibroscopie
bronchique à la recherche de lésions en faveur d’un can-
cer bronchopulmonaire est posée. Une anesthésie générale
avec intubation orotrachéale est choisie compte tenu de
l’antécédent psychiatrique. Le patient pèse 52 kg pour
1,70 m. L’induction est réalisée par propofol (20 mg) et
suxaméthonium (100 mg) ; l’entretien de la sédation par
sévoflurane. La durée de la fibroscopie bronchique est de
25 min. Cette dernière est sans particularité, hormis une sur-
élévation régulière blanchâtre de la muqueuse de la bronche
souche gauche faisant réaliser des biopsies systématiques.
À la fin du geste, la sédation est arrêtée puis le patient
est transféré en salle de surveillance post-interventionnelle.
L’évolution est marquée par la persistance d’un coma
et l’absence de déclenchement du respirateur, tandis que
l’hémodynamique reste stable. Le monitorage de la cura-
risation par le « train of four » (TOF : mesure au niveau
de l’adducteur du pouce du rapport entre la réponse de
la 4estimulation et de la 1re stimulation, après 4 stimu-
lations brèves d’une durée de 0,2 ms, répartie sur 2 s)
indique une curarisation profonde avec un TOF à 0 sur une
échelle de 4. La mesure de la glycémie capillaire ne retrouve
pas d’hypoglycémie. Une tentative d’antagonisation par
anéxate, naloxone et prostigmine s’avère sans effet. Trois
heures plus tard, le TOF est mesuré à 2 sur 4, puis à 4
sur4àla4
eheure. Un bilan étiologique du coma est réa-
lisé mais il reviendra ultérieurement normal : lithiémie à
0,53 mmol/L (0,6-1,2), taux de TSH, T3L et T4L respec-
tivement à 1,62 mUI/L (0,27-0,42), 5,53 pmol/L (3,1-6,8)
et 14,23 pmol/L (13-23), taux de valproate de sodium à
77 mg/L (50-100), recherche d’antidépresseurs tricycliques
négative, alcoolémie à 0 g/L. Le patient est transféré intubé
et sédaté par propofol dans le service de réanimation dans
l’attente d’une décurarisation complète. Un bilan complé-
mentaire à l’admission (bilan hépatique, troponine et bilan
rénal) s’avère normal. Après vérification de l’absence de
curarisation résiduelle, la sédation est arrêtée 7 h après la
fibroscopie bronchique. Le patient est extubé sans compli-
cations. Un prélèvement sanguin sur tube sec à la recherche
d’un déficit congénital ou acquis en butyrylcholinestérase
plasmatique est réalisé. Ce dernier reviendra ultérieurement
et confirmera un déficit quantitatif (butyrylcholinestérase
plasmatique à 3 003 UI/L pour une norme entre 4 200 et
13 000 UI/L). Par ailleurs, la recherche par biologie molé-
culaire retrouve une mutation de cette enzyme à l’état
homozygote du variant atypique. L’évolution globalement
favorable permet le retour du patient dans le service de
psychiatrie dès le lendemain.
Le point de vue du biologiste
La cholinestérase est une enzyme catalysant l’hydrolyse
de l’acétylcholine en acétate et en choline. On distingue
deux types de cholinestérases par leur origine, leur struc-
ture, leur spécificité d’action et l’indication de la mesure de
leur activité [1].
L’acétylcholinestérase (cholinestérase globulaire ou choli-
nestérase vraie car intracellulaire) a une affinité presque
exclusivement spécifique pour son substrat naturel,
l’acétylcholine. Elle est synthétisée dans le globule rouge
et le tissu nerveux. Son rôle physiologique est d’assurer
le fonctionnement des synapses acétylcholinergiques de
la jonction neuromusculaire en évitant l’accumulation de
l’acétylcholine. Elle est également présente dans les pou-
mons et la rate [1].
La butyrylcholinestérase (cholinestérase sérique ou pseu-
docholinestérase car extracellulaire ou BchE en abréviation
internationale) a une affinité beaucoup plus large. Elle
hydrolyse de nombreux esters synthétiques et naturels,
dont l’acétylcholine. Elle est présente dans le plasma, le
foie (siège de sa synthèse), le pancréas et l’intestin [1].
Néanmoins, son rôle physiologique demeure incertain :
elle pourrait participer à l’hydrolyse du neurotransmetteur
pendant la différenciation cellulaire au cours du dévelop-
pement embryonnaire, à la transmission nerveuse lente
ou encore à la régulation de la concentration plasmatique
de la choline [1, 2]. Le dosage de la butyrylcholinesté-
rase est réalisé grâce à une technique colorimétrique qui
mesure la cinétique d’hydrolyse à l’aide d’un substrat, la
butyrylthiocholine [1]. Les valeurs usuelles de la butyryl-
cholinestérase varient selon l’âge, le sexe et la concentration
d’œstrogènes/progestérone (grossesse, prise de contracep-
tifs oraux) [1, 3]. La mesure de son activité enzymatique
est indiquée dans l’intoxication aiguë ou l’exposition chro-
nique aux produits organophosphorés, l’évaluation d’une
insuffisance hépatocellulaire et la recherche d’une anomalie
de production qualitative se traduisant par une curarisation
prolongée. La mesure de l’activité de l’acétylcholinestérase
confirme également les cas d’intoxications aiguës ou chro-
niques aux organophosphorés. Cette dernière est aussi
présente dans le liquide amniotique au cours d’un défaut
de fermeture du tube neural [1].
La curarisation prolongée après administration d’une dose
usuelle de succinylcholine a été décrite pour la première fois
en 1953 [3]. Il existe de nombreuses étiologies expliquant
un déficit en butyrylcholinestérase, congénital ou acquis
(tableau 1). Cependant, le déficit enzymatique d’origine
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