L`Anthropologie du Migrant. Séminaire: Ailleurs, le 14 juin 2007. (Im

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L’Anthropologie du Migrant.
Séminaire: Ailleurs, le 14 juin 2007.
(Im)migrant identity in the U.K/ Identité de l(‘im)migrant au Royaume-Uni.( Simon Bugler)
Une distinction conceptuelle entre migrant et immigrant s’impose. Le premier se réfère à
l’individu qui se trouve entre deux espaces sociaux: son lieu de résidence permanente (parfois
d’origine) et celui où il se rend (et réside temporairement) pour le travail. En revanche, le concept
d'immigrant suggère plus de stabilité géographique, l’individu ayant choisi de quitter son pays pour
s’installer dans un autre pays. Cependant, les définitions sont rarement si simples; et c’est bien le
cas avec l’anthropologie du migrant en Grande-Bretagne. En effet, beaucoup d’immigrés des pays
du New Commonwealth sont arrivés en Grande-Bretagne avec l’espoir de retourner dans leur pays
d’origine. Ils espéraient accumuler du capital sous forme d’épargne afin d’améliorer leur niveau de
vie lors de leur retour. La réalité des bas salaires a transformé ces migrants en immigrants:
l’épargne restant illusoire pour la majorité des “migrants” . On comprend mieux ceci en distinguant
entre deux catégories de migrants:
i) Le migrant hautement diplômé, socialement mobile, souvent aisé en termes économiques et
(encore souvent) bi-lingue, avec une bonne maîtrise de l’anglais. Ce sont les critères qu'incarne le
migrant souhaité actuellement en Grande-Bretagne.
ii) Le migrant sans diplôme, limité en ressources économiques, et rarement bi-lingue. Ce profil
correspond à celui de la plupart des (im)migrants post-1945 en Grande-Bretagne.
En effet, la première catégorie est actuellement le choix préféré de tous les pays membres de
l’Union Européenne, et pour cause, car le pays d’accueil reçoit des travailleurs qualifiés et réalise
des économies importantes car l’éducation et les soins médicaux jusqu’à l’âge d’adulte ont été
assuré par le pays d’origine. En plus, ces migrants sont souvent payés moins que leurs homologues
indigènes du pays d‘accueil. Par ailleurs, ces migrants sont pour la plupart déjà Occidentalisés par
leur éducation, et donc posent moins de problèmes pour les autorités du point de vue d’une
intégration dans le pays d’accueil. Ce type de migrant fait souvent l’objet des écrits post-modernes
sur les diasporas et la question de l'hybridité. Mais je suis moins intéressé par (i) que (ii) pour des
raisons idéologiques et intellectuelles. En me concentrant sur (ii), je souhaite démontrer le rôle des
discours nationalistes Anglo-britanniques au Royaume-Uni qui circonscrivent l’espace de l’identité
des (im)migrants, et je veux suggérer que la reprise récente d’un discours sur l’identité nationale
Anglo-britannique est la preuve de la persistance d’un discours national-impérialiste , marqueur de
la présence d’un des concepts clés de la modernité: la culture nationale. Dans cette perspective, il y
a continuité entre la modernité et ce que l’on appelle late modernity. Et cette continuité se
manifeste en particulier dans la tendance à une homogénéisation culturelle construite autour d’une
culture nationale. La conséquence de ce phénomène est la fermeture de l’espace aux identités
culturelles alternatives au profit de la culture nationale. Pour la plupart des (im)migrants venus des
sites (ex)-coloniaux, leur identité d’origine (nationale/ religieuse ou ethnique) est soumise à des
stratégies d'exclusion, sur le plan spatial, social, économique ou politique, même lorsqu’il s’agit des
immigrants qui ont le statut de citoyen à part entière.
Depuis le débat engagé par Talal Asad et Edward Said, l’anthropologie britannique a dû
adopter une approche bien plus critique : il n’est plus possible de parler des cultures exotiques,
hermétiquement fermées à toute influence de l’extérieur, car, depuis le début de la modernité,
l’Occident, sous les forces diverses de la globalisation délimite la place économique , politique et
culturelle de l’Autre. Et Talal Asad est particulièrement intéressant sur ce point:
“ What first attracted me to anthropology was that it encouraged one to think of human
beings as having different kinds of possibility. One of the things modernity has done…is to
extinguish various possibilities ” ( Talal Asad, The Trouble of Thinking, dans, Powers of the
Secular Modern. Talal Asad and His Interlocutors, Stansford University Press, Stansford,
2006, p. 274.)
L’argument que Talal Asad développe dans son livre tend a suggérer que la modernité projet Occidental par excellence - s’impose et réduit les autres possibilités. C’est à dire la
modernité élimine de l’espace public les identités culturelles qui s’opposent à celle(s) de la nation
en se définissant comme identités alternatives. On voit dans cette perspective que le pouvoir
politique et économique jouent un rôle prépondérant dans ce que l’on pourrait appeler le champ
culturel, et surtout ce qui concerne la question de l’identité culturelle. Je veux suggérer donc que
l’identité de l’(im)migrant est circonscrite par late modern Western society: l’(im)migrant doit
réconcilier son identité au carrefour du pouvoir politique, économique et culturel de l’Occident, et
sur le territoire qui est défini comme faisant partie intégrale de l’identité nationale .
A partir du milieu de années 1980, les écrits anthropologiques sur l’identité en général
avaient bien changés, surtout par rapport aux monographies classiques de Malinowski, RadcliffeBrown et leurs disciples. L’identité n’était plus considérée comme étant réductible à une liste de
traits culturels ou traduisible à partir d’une analyse structurelle des institutions; l’identité n’était
plus conceptualisée en termes essentialistes. L’identité était devenu plus complexe, modulable,
transformable, ouverte à diverses influences et d’emblée, multiple dans ses formes et sources. En
anthropologie, la plus grande influence dans ce que l’on appelle postmodern anthropology était la
publication du livre, Writing Culture , basé sur une colloque international . La problématique
centrale était celle de l’interprétation de la culture en général, et la traduction culturelle de l’Autre ,
en particulier. L’impact de Writing Culture sur la question de l’identité a été radical et a eu un
impact direct sur l’analyse des populations (im)migrants en Europe. Talal Asad (avec Dixon) a
réorienté le débat spécifiquement vers l’Europe et l’Autre lors d’un autre colloque international qui
a réuni anthropologues et littéraires autour des questions d’identité au sein d’une Europe moins
sure d’elle-même et face à des minorités venues d’ailleurs, et principalement des ex-colonies. Ces
deux colloques ont signalé l’émergence d’une approche inter-disciplinaire par rapport à l’identité,
avec des échanges entre des perspectives anthropologiques et littéraires. L’acteur en tant
qu’individu était au centre des discours d’identité, interprété par la pensée post-moderne
anthropologique et littéraire. Les vieilles certitudes de la modernité devaient être déconstruites, et
l’identité devait être conçue - de la part de l’individu - comme étant multi-layered , basée sur de
multiples possibilités, et comme une autobiographie toujours “en chantier”. On y voit souvent
l’individualisme idéologique à l’Occidentale, le culte de l’individu, et souvent le discours sur
l’identité de l’(im)migrant qui en résulte conçoit le contact avec l’Occident comme source de
libération, source d’une hybridité culturelle. L’Occident contresigne l’Autre, et par conséquent, lui
confère une légitimité.
Mais comme Barnard l'indique, et comme Talal Asad le souligne à travers son oeuvre , le
post-modernisme a trop souvent tendance à abstraire le pouvoir de tout discours sur l’identité. Mais
puisque depuis la modernité le pouvoir est omniprésent dans tous les rapports -politiques,
économiques et culturels - entre l’Occident et le monde non-Occidental, il me paraît inconcevable
que l’on puisse parler de l’identité de l’(im)migrant en Grande-Bretagne sans tenir compte du
pouvoir. Je voudrai examiner ceci dans le contexte de la Grande-Bretagne depuis 1945, en
m’éloignant de l’approche post-moderniste en vogue parmi bon nombre d’anthropologues au
Royaume-Uni.
Migration vers le Royaume-Uni post-1945.
Plusieurs programmes de recrutement étaient développés dans différents pays du New
Commonwealth pour faire face aux besoins économiques en Grande-Bretagne. Pour la plupart le
migrant fournissait une main d'oeuvre non-qualifiée, souvent dans des hôpitaux publics ou dans le
système de transport à Londres et dans d'autres grandes villes comme Birmingham. Sur le plan
culturel, il n'y avait pas de politique précise concernant la place identitaire dans la société
britannique. La maîtrise de la langue anglaise n'était pas un critère, et l'identité du migrant n'était
guère considérée comme un problème pour l'intégration puisque l'attitude dominante (en l'absence
d'une politique d'intégration cohérente) était que le migrant deviendrait britannique au fur et
mesure qu'il rallongeait son séjour en Grande-Bretagne. L'assimilation du migrant devait se faire
automatiquement: le migrant échangerait sa culture d'origine pour celle du peuple britannique.
Lorsque il s'est avéré que le migrant, devenu immigrant, ne démontrait pas le désir de s'engager
dans un tel échange identitaire à sens unique, préférant maintenir son identité d'origine, l'attitude
officielle s'est modifiée : l'assimilation prendrait plus longtemps, mais toujours est-il que la position
des autorités restait ferme sur l'assimilation inéluctable, même s'il fallait deux ou trois générations.
On parlait plutôt maintenant de l'acculturation (graduelle) de l'immigrant. Cependant, vers le début
des années 70, le constat dans des écoles que les enfants des immigrants réussissaient moins bien
que les autres élèves a forcé les autorités à repenser la question de l'assimilation. Le résultat était un
changement radical, avec l'adoption du multiculturalisme comme politique officielle. Cette
intitiative a donné naissance à une politique de discrimination positive à l'égard de la population
d'immigrant en Grande-Bretagne. La liste des initiatives politiques est très longue, mais l'on peut
citer parmi les plus importantes, le Race Relations Act 1976 interdisait toute forme de
discrimination raciale, tandis que le Motor-Cycle Crash Helmet (Religious Excemptions-Section
2A) autorisait les Sikhs qui voulaient porter leur turban à conduire une moto sans casque. En 1989,
le Employment Act ( section 11) permettait aux Sikhs de porter leur turban dans des chantiers
dangereux, sans être obliger de porter un casque de sécurité, tandis que le Employment Equality
( Religion or Belief) Regulations Act renforce la protection offerte aux minorités par rapport à la
religion. Par ailleurs, le recensement de 1991 a introduit une question sur l'identité ethnique, tandis
que celui de 2001 a inclus une question sur l'identité religieuse. Il y eut diverses critiques de la part
de l'anthropologie sur l'introduction de telles questions dans un recensement mais la défense
officielle était que les données produites par les questions sur l’identité ethnique et religieuse
serviraient à identifier la nature de l'exclusion socio-économique dont souffrent les (im)migrants et
leurs descendants. L'idée était donc de mieux pouvoir formuler une politique de discrimination
positive afin d'aider les populations concernées. Bref, le multiculturalisme en Grande-Bretagne
proposait un statut de compensation socio-économique et socio-culturel à la population immigrant.
D'ailleurs, les émeutes urbaines depuis 1980 et qui concernent surtout les populations d'origine
(im)migrante réflète le malaise de ces populations face à leur exclusion socio-économique.
L'inclusion des questions ethnique et religieuse était inspirée par le désir du gouvernement d'en
finir avec la contestation urbaine des émeutes. Mais en même temps la question d'identité restait en
suspens dans la mesure où l'immigrant devait rester enfermé dans son identité d'origine, tandis que
l'identité de la population dite "white mainstream British" restait intacte, inchangée par le contact
avec l'immigrant. Un mur imaginaire séparait les deux et conservait la pureté identitaire
(imaginaire).
Parallèle au dévélopement du multiculturalisme, un discours national Anglo-britannique
reprenait petit à petit le devant de la scène politique. Incité par les émeutes raciales de 1958 à
Nottingham et à Notting Hill, le gouvernment a promulgé en 1962 la première loi qui avait pour but
de réduire l'immigration. En réalité, la loi cherchait à réduire surtout l'immigration du New
Commonwealth. Cette loi fut renforcée par d'autres en 1965, 1968 et 1971. Celle de 1968, et surtout
celle de 1971, favorisaient l'immigration du Old Commonwealth au dépens du New
Commonwealth, puisque la Patrials Clause donnait le droit de résidence aux migrants qui avaient
un lien familial étroit avec la Grande-Bretagne: tel un grand-parent qui était né sur le territoire
britannique. Le concept de l'identité du migrant était dorénavant tâché par la couleur de la peau de
l'(im)migrant. En 1978, Margaret Thatcher a renforcé l'aspect discriminatoire de l'identité du
migrant lors d'un entretien télévisé, avertissant le public du danger des cultures différentes qui,
suite à des vagues d'immigration menaçaient d'après elle, de submerger la culture nationale
britannique. Le British Nationality Act 1981(83) donnait plus de force à la loi de 1971, mais laissait
plus de marge pour des migrants de Hong Kong (en vue de sa décolonisation), en fonction de leur
situation économique. La porte était ouverte au migrant économique , mais pas à celui qui est
contraint de migrer par la pauvreté: au contraire, ce type de migrant économique correspond plutôt
à notre catégorie (i) ci-dessus.
Plus récemment, une série de lois pour contrôler les demandeurs d'asile ont été promulgées
à partir de la fin des années 80, mais surtout pendant les années 90. Cette politique cherche à
exclure le migrant selon le profil de notre catégorie (ii), et réflète une évolution inquiétante: on
passe du migrant qui est le bienvenu (celui de post-1945) - jusqu'à aller le recruter dans son pays
d'origine - au migrant non souhaité jusqu'à refoulement. De surcrôit, à partir de 1989, divers
gouvernments ont adopté des critères culturels pour juger l'acceptabilité ou non, de l' (im)migrant.
Par exemple, suite à l'affaire de Salman Rushdie en 1989, un ministre du Ministère de l'Intérieur,
Chris Patten a déclaré que:
" Immigrant children require certain essentials including a clear understanding of British
democratic processes, of its laws, the system of Government and the history that lies behind them".
Talal Asad ironise sur le fait que très peu de Britishers possèdent ces connaissances essentielles .
D'ailleurs l'exigeance préalable à l'octroi de la citoyennté britannique - que tout demandeur parle
l'anglais - (pour faciliter l'emploi, par exemple) ne répond pas au problème des jeunes d'origine
immigrante, nés en Grande-Bretagne, et qui parle couramment l'anglais, mais qui constituent le
groupe le plus touché par le chômage, et en particulier, les jeunes Bangladeshi, comme le
démontrent les recensements de 1991 et 2001.
Le gouvernement actuel a donné plus de précisions sur la question d'identité culturelle, avec
l'intervention en 2002, de David Blunkett, Secrétaire d'Etat du Ministère de l'Intérieur:
" To enable integration to take place and to value the diversity it brings, we need to be secure
within our sense of belonging and identity and therefore to be able to reach out and embrace those
who come to the U.K...Having a clear, workable and robust nationality...is the prerequisite to
building the security and trust that is needed".
On voit ici un appel au besoin de renforcer l'idée d'identité nationale et le sens de l'appartenance,
un appel qui a été réitéré encore cette année (juin 2007) dans un entretien avec plusieurs ministres
du gouvernement. Dans un article publié dans The Guardian les ministres soulignent la montée
d'un nationalisme Anglo-britannique et l'inquiétude face aux changements démographiques dus à
l'immigration post-1945:
" In addition [the ministers] argue that government has to acknowledge and respond to the growing
mood of English nationalism...[the ministers] insist migration has brought benefits, but say
sometimes the pace of change is rapid and destabilising, pointing out that by 2011, only 20% of
Britain's workforce will be white, able-bodied men under 45".
Les critères culturels sont devenus de plus en plus importants dans les discours nationalistes. Le
migrant doit se conformer à l'identité britannique surtout s'il veut devenir immigrant et
éventuellement, citoyen britannique. Mais cela ne fait que renvoyer à la question: qu'est ce que
c'est, être britannique? Evidemment, en termes anthropologiques, il serait impossible d'yen donner
une définition. Comme Just et Forsythe l'ont découvert dans leurs études sur l'identité nationale en
Grèce et Allemagne respectivement, la complexité de nos sociétés industrialisées rend toute
définition d'identité nationale illusoire, sauf, bien sûr pour les politiciens. Mais, cela n'empêche pas
la libre circulation des notions d'identité nationale. Dans les médias et auprès des gouvernements,
des discours nationalistes prolifèrent, brandissant des images d'une identité nationale comme s'il
existait une identité nationale à la fois cohérente, stable et pure. Le “comme si” est d'une très
haute importance, nous rappelant Benedict Anderson et son discours sur la nation imaginaire. Mais,
en un sens, peu importe si les discours nationalistes sont en réalité basé sur l'imaginaire, sur le
“comme si” ; car, comme nous l'a déjà souligné W.I. Thomas:
"If men define situations as real, they are real in their consequences". Le discours nationaliste
anglo-britannique est profondément imaginaire, mais le gouvernement agit en conséquence et les
conséquences des discours nationalistes en Grandes-Bretagne sont réelles et néfastes pour
l'(im)migrant qui se trouve souvent exclu en termes socio-économique, socio-culturel et sociopolitique.
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