du migrant vulnérable au coeur du paradigme sécuritaire des États

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‘Citoyenneté’ du migrant vulnérable au coeur du paradigme sécuritaire
des États'
Équipe de recherche "Migrations, sécurité, citoyenneté"
Le thème « ‘Citoyenneté’ du migrant vulnérable au cœur du paradigme sécuritaire des
États » combine plusieurs éléments relevant de différentes disciplines des sciences
sociales. On entend par « migrant vulnérable » une nouvelle catégorie sociale composée
au moins des migrants irréguliers (sans-papiers, « overstayers », etc.), des demandeurs
d’asile en attente ou déboutés et des personnes disposant d’un des désormais nombreux
statuts précaires (saisonniers, travailleurs agricoles, « live-in caregivers », détenus, etc.).
La programmation de recherche a pour but de promouvoir une meilleure compréhension
de l’impact du paradigme sécuritaire qui domine les politiques migratoires, au Canada
comme dans d’autres pays d’accueil, sur la transformation du statut du migrant
vulnérable. Les résultats de la programmation de recherche éclairciront des enjeux
communs à chacune des disciplines concernées. Le thème choisi est innovateur en ce
qu’il traite d’un phénomène social préoccupant et très peu exploré: la précarisation du
statut du « migrant vulnérable ». Il nécessite la construction d’un cadre conceptuel
approprié, reflétant des réalités émergentes dans nos sociétés, qui demeurent floues au
plan de la conceptualisation scientifique. Le terme « citoyenneté » renvoie à l’ensemble
des droits et obligations de toute personne au sein de la « cité » qu’elle habite (ne pas
confondre avec la nationalité) : la programmation s’intéressera particulièrement à la
situation sociale, politique, juridique et psychologique de cette catégorie de migrants. Les
mesures précarisant leur statut au nom de la gestion sécuritaire de la migration seront
également explorées. Le thème choisi nécessitera une analyse conceptuelle de la
« sécurité » axée sur le sens du discours sécuritaire et des politiques répressives
déployées. L’importance du thème et de la programmation vient de la difficulté
manifeste, au sein de l’opinion publique comme dans le discours des élites, entre ceux qui
défendent une idéologie universaliste, cosmopolite, fondée sur la primauté des droits,
respectueuse de la diversité sociale, ouverte à la pluralité des identités culturelles, et ceux
qui prônent un renforcement des frontières, une réaffirmation de l’identité culturelle
locale, une « préférence nationale » et une réciprocité obligée des migrants. Au cœur du
nouveau paradigme sécuritaire issu entre autres des événements du 11.09.2001, il est
difficile de concilier droits fondamentaux de chacun et sécurité de tous. Pour le respect
des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques, les mesures sécuritaires doivent
pourtant se couler dans le moule de la protection des droits, devenue aujourd’hui le seul
horizon de légitimité de l’action publique. La lutte contre l’immigration irrégulière est
devenue un axe central de la « guerre au terrorisme » et de l’ensemble du dispositif
sécuritaire occidental, alors même que le rapport entre les deux politiques est rien moins
qu’évident : on a pu dire que le nouvel impératif sécuritaire sert essentiellement de
parapluie idéologique à des mesures restrictives des migrations qui l’ont précédé. Si les
impératifs de sécurité devaient primer sur la protection des droits des migrants, les
conséquences sociales seraient graves : coût politique au plan de la légitimité de l’État :
fermeture sur une idéologie nationale, voire ethno-nationale; coût juridique, par la mise
en cause des droits de chacun, national ou étranger, tant la définition de ce dernier est
affaire d’appréciation conjoncturelle (affaire Arar); coût social croissant, du fait de la
banalisation des discriminations et de l’utilisation du profilage ethnique, de
l’accroissement des inégalités sociales; coût au plan de la santé des individus et des
familles; coût pour les finances publiques, du fait de la dépendance envers les réseaux
publics de santé et de services sociaux, consécutive à la marginalisation accrue des
migrants démunis. L’originalité du thème propose un contre-balancier aux discours
dominants sur l’exclusivité des enjeux sécuritaires. Le thème souligne l’urgence de
s’interroger sur les conséquences négatives multiples de la précarisation du migrant
vulnérable. Il offre une perspective mettant en avant une citoyenneté plurielle, ouverte et
inclusive, ce qui permettra à l’équipe d’esquisser des solutions normatives visant à
recadrer la tension entre le paradigme sécuritaire et le paradigme des droits humains. Le
thème vient pallier une importante lacune dans la littérature sur le sujet, surtout depuis les
évènements du 11.09.2001. Si les auteurs s'intéressent aux garanties en cas de répression
envers les migrants ou les demandeurs d'asile dans le cas d'études sur la protection de
certains droits ou libertés, très peu d'articles traitent effectivement du cas des migrants
vulnérables proprement dits et explorent le rétrécissement de leur statut juridique, social
et de santé dans la société d’accueil, ainsi que de leur acceptation sociale. Le thème se
situe dans la continuité et constitue un élargissement de recherches antérieures centrées
sur les modifications récentes du concept et de la pratique de l'asile au plan international,
sur les stratégies d'exclusion des demandeurs d'asile mises en œuvre dans les États
d’accueil pour prévenir ou bloquer les flux de réfugiés Sud-Nord.
La problématique de la recherche est basée sur la dichotomie paradigmatique entre la
souveraineté nationale privilégiant la sécurité et la protection des droits humains du
migrant vulnérable. Les années 1990 ont été marquées par une intensification de flux
migratoires irréguliers, les différences de richesses et de stabilité entre Nord et Sud
constituant un puissant incitatif migratoire. Puis une décrue au tournant des années 2000
et un regain depuis deux à trois ans sont observables alors que se multiplient les discours
sur la remise en cause par la globalisation du pouvoir souverain des États de contrôler
l’entrée et la résidence des étrangers sur leur territoire. Pourtant de nombreux contrôles
migratoires, de plus en plus sophistiqués ont été mis en place par les États, alimentant
paradoxalement le marché des passeurs clandestins, des faux papiers et de tous les
"trafics" d'humains en quête d'un meilleur sort. Tout au long des années 90, la conception
des politiques migratoires comme politiques de sécurité a gagné en puissance. Le migrant
irrégulier a été progressivement criminalisé avec la redéfinition des menaces à la sécurité
intérieure qui relevait des activités de police (Bigo, 1992). Un continuum de menaces a
été évoqué « reliant terrorisme, drogue, criminalité organisée, mafia, filière, et passeurs,
immigrants illégaux, immigration et demandeurs d’asile, transférant l’illégitimité des
premiers vers les seconds » (Bigo, 1996). Ce contexte se traduit, dans chaque pays, par
une montée en puissance d’un discours politique sécuritaire visant à convaincre les
opinions publiques des dangers des migrations irrégulières et de la nécessité de les
réprimer. Depuis les événements du 11.09.2001, de Madrid et de Londres, les politiques
migratoires sont devenues un des éléments clefs de la nouvelle conceptualisation de la
sécurité nationale relevant cette fois-ci de la défense. Une association est établie entre la
figure du migrant érigée en un facteur de risque et les impératifs de lutte contre la menace
terroriste. La perception publique des risques diversifiés multiples induite par ce discours
sécuritaire de plus en plus musclé aboutit à l’« altérisation » des migrants dont le statut
juridique et social est précaire. Le migrant vulnérable est stigmatisé par une association
quasi-systématique des migrations irrégulières avec des activités traditionnelles de
criminalité internationale (traite des personnes, trafic de drogue, trafic d’armes,
contrebande, grand banditisme mafieux, etc.) et par des soupçons constants que l’individu
en cause pourrait être un vecteur de violence ethnique, de criminalité internationale, voire
de terrorisme. (Crépeau, 2003a, 2003b; Crépeau-Jimenez, 2004). Cette transformation de
la perception et du discours autour de l’image de migrants, de plus en plus souvent
qualifiés de non désirés, est complexe. Elle affecte l’ensemble des champs de l’agir
social : le politique, les médias, l’activité policière, les métiers du droit, les acteurs de la
santé, etc. Le migrant vulnérable, devenu cible sécuritaire, voit ses droits et libertés
restreints sans qu'il puisse toujours réagir juridiquement (les voies de droit se
rétrécissent), politiquement (il est indésirable) ou socialement (sa discrétion est gage de
survie). Les politiques de sécurité sont certes nécessaires et elles doivent être adoptées
dans des circonstances bien particulières. Pour les États, la lutte contre la migration
irrégulière, devenue problème sécuritaire majeur au plan médiatico-politique, pose de
nombreux problèmes de compatibilité avec la protection des droits et libertés due à toute
personne, en vertu tant du droit international des droits humains auquel ils se sont
commis, que des normes de droit interne (constitutionnelles et législatives) qui les lient.
Les politiques de sécurité peuvent, par exemple, autoriser des discriminations étendues et
prolongées selon l’origine ethnique et le phénotype. Ces discriminations peuvent aussi
s’étendre à des migrants naturalisés, précarisant ainsi le statut de personnes détenant le
statut juridique de citoyens et dont le seul crime est d’avoir vu le jour à l’étranger. Un
autre crime est l’appartenance religieuse présumée : ainsi, les pays d’origine des
ressortissants étrangers visés par la « Special Registration » du Department of Homeland
Security américain s’élèvent à 25 : « Special Registration, put in place after September
11, 2002, to keep track of those entering and leaving our country in order to safeguard
U.S. citizens and America’s borders […] was the first step taken by the Department of
Justice and then by the Department of Homeland Security in order to comply with the
development of the Congressionally-mandated requirement for a comprehensive entryexit program.” (Department of Homeland Security, 2006). Selon la C.I.A. (2006), la
population de 24 de ces 25 pays compte de 60 à 100% de musulmans. Le traitement du
migrant vulnérable constitue le cas limite qui teste la solidité des fondements
démocratiques de l'État de droit. Les droits et libertés proclamés comme fondamentaux et
inhérents à toute personne humaine doivent être mis en oeuvre en faveur de tous, quels
que soient leur statut juridique ou leur condition. Il est nécessaire de promouvoir une
‘citoyenneté’ sociale, politique, juridique et de santé du migrant vulnérable,
« citoyenneté » étant ici entendue comme un ensemble cohérent de droits et de
bénéfices qui permettent une participation significative à la vie de la cité.
L’objectif général de la programmation de recherche vise à (1) analyser les diverses
stratégies institutionnelles pour réconcilier les préoccupations sécuritaires des États
(protection du territoire, lutte contre criminalité et terrorisme, etc.) et les droits et libertés
de chacun, dans une conception élargie de la citoyenneté (participation à la cité); (2)
étudier les conséquences des tensions intercommunautaires créées et des contradictions
entre les besoins de protection des migrants vulnérables et les transformations de leurs
droits relevant du discours sécuritaire, et (3) identifier, développer ou évaluer des
initiatives multisectorielles ayant pour objectif de minimiser ces conséquences. Les
recherches de l’équipe porteront centralement sur la situation canadienne, mais des
comparaisons seront souvent essentielles avec des sociétés comparables : Europe (Union
européenne et certains pays à déterminer), États-Unis et Australie. La programmation de
recherche sera articulée autour de quatre axes reflétant chacun un enjeu majeur pour la
question traitée, à savoir les axes sécurité, juridique, social et santé. Cette démarche,
contribuera à la formulation par l'équipe de recherche d’une vision d'ensemble cohérente
des divers concepts sécuritaires dans les discours de l'après-11-septembre, pour mieux
saisir la trame de fond idéologique sur laquelle se tressent les interrelations entre
étrangers et citoyens, aux plans politique, juridique, social et de santé.
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