puisque les cercles intellectuels ont cédé leur place à des systèmes d’échange différents
et on ne trouve plus de cercles ni de cafés où mener un débat sur les questions de la
philosophie. Quelques initiatives universitaires ou associatives tentent de percer, mais
moins spontanées, la flamme n’y étant pas, elles ne font pas long feu. En Europe aussi
les attentes ne sont plus les mêmes. D’abord il s’est formé une Europe économique -et
dit-on sociale-, il n’y a donc plus de barrière à travailler ou à éditer une œuvre qui
n’est pas du terroir. Mais paradoxalement, la campagne qui se monte à l’encontre de
Heidegger en France, et dont nous recevons automatiquement les retombées par effet
de la langue, est beaucoup plus importante que ce qui se fait en sa faveur. Depuis
quelques années, un déferlement de penseurs, en croissance continue, jugent
Heidegger de nazi et rien que nazi, faisant l’impasse sur son œuvre entière et son
génie de philosophe, en rattachant minutieusement chacun de ses ouvrages, de ses
pensées, de ses phrases et de ses actions, même les plus tardifs, à un objectif nazi. Si
bien que ceux qui se dressent contre ce mouvement se retrouvent, eux aussi, en train
d’écrire pour défendre le philosophe et non plus pour éclaircir un point ou un autre
de sa pensée qui serait encore obscur.
Il est à remarquer que Heidegger ne s’est jamais caché d’avoir un jour, en 1932, peut-
être naïvement, cru ou espéré que le parti social-démocrate pouvait sauver l’humanité
de la crise qu’elle vivait pour éviter le pire. En 1934, il s’est rendu compte de son
erreur de jugement et s’est expliqué à ce sujet. Ce qui ne l’a pas totalement innocenté,
mais il ne le demandait pas et ne se justifiait pas, la chose a ainsi été classée. Ce qui est
surprenant est que certains penseurs reviennent à la charge, de façon cyclique, et
relancent le débat sans avoir découvert d’éventuels arguments nouveaux qui
éclaireraient une zone d’ombre. Est-ce que cette campagne n’a pas pour but de limiter
à posteriori l’étendue de l’influence que peut encore prendre le philosophe dans le
domaine de la pensée et de détourner le regard des jeunes pour les orienter vers des
sujets de réflexion plus locaux ? Je ne sais pas, mais je suis sûre que soutenir cette
thèse en France sans avoir d’abord justifié ma position sur ce détail, me placerait
d’emblée en situation suspecte.
Heidegger, il faut peut-être le rappeler, a été comparé, surtout après la guerre, même
par ses disciples français et américains, souvent juifs d’ailleurs, à un nouvel Aristote et
un autre Hegel. C’est un philosophe de renom, peut-être le seul au vingtième siècle,
après des noms comme Nietzsche ou Kant qu’il a lui-même mis en valeur. C’est donc
lui rendre justice que de revenir à lui en reposant simplement la question de l’être là
où il l’avait laissée.
Ce qui nous intéresse est la question relative à l’homme, l’humain, le
Dasein
tel qu’il
l’appelle dans
Sein und Zeit,
cette œuvre maitresse qui nous intéresse principalement.
Ces termes,
Sein und Zeit
et
Dasein,
sont chez lui porteurs d’un poids, d’un sens, d’une
philosophie que même le traducteur français n’arrive pas à combler. Pour cela, nous