Introduction
En France, la lutte contre la douleur est une préoccupation de santé publique récente, puisque le
premier plan concernant ce sujet date de 1998 [1]. En médecine d’urgence, intra ou
extrahospitalière, les premières recommandations nationales datent des années 1990. Ceci
contraste avec le fait que c’est un des principaux motifs de consultation des urgences [2-4]. Il est
vrai que les moyens antalgiques disponibles autrefois n’avaient rien à voir avec ceux
d’aujourd’hui. On peut remarquer cependant que la découverte du principe actif de l’opium,
baptisé «!Morphine!», date de pratiquement 200 ans. Entre toutes les connaissances acquises sur
cet antalgique majeur et finalement son utilisation actuelle en médecine d’urgence, il y a un
fossé dont la compréhension dépasse une observation simple des faits. Les soignants en sont
toujours rendus à des atermoiements dès qu’il s’agit de réduire la douleur d’un patient. On
parle même d’oligoanalgésie ce qui souligne bien le décalage existant entre les moyens
disponibles et l’action entreprise [6-12]. Est-ce lié au doute toujours renouvelé sur la réalité de
l’importance de ce symptôme exprimé par le patient? Dans son histoire de la douleur, Roselyne
Rey précisait:
«!La douleur est bien en effet une construction culturelle et sociale!: elle n’a pas la même
signification à toutes les époques et dans toutes les civilisations et, à l’intérieur même du cadre de la
culture occidentale, la mémoire collective conserve le souvenir d’épisodes, de circonstances où les limites
de l’endurance semblaient étrangement reculées, éffacées!: procession de flagellants du Moyen-Age,
soldats de Napoléon pendant la campagne de Russie qui repartaient à cheval après une amputation,
convulsionnaires de Saint Médard au XVIIIè siècle qui s’infligeaient des tourments (braises ardentes, fer
chauffé à blanc, coups et meurtrissures), cortège des martyrs, récit de la vie des mystiques, autant de
témoignages ou d’exemples d’un rapport des hommes à la douleur modifié par des croyances, liés à des
arrière-plans philosophique et religieux divers!» [15]
Cette vision historique peut permettre de comprendre en partie l’approche dubitative des
professionnels de santé quant à l’importance de la douleur exprimée par leur patient. Il faut
bien constater que le niveau de connaissance des recommandations nationales est faible [14].
Les dossiers médicaux des patients des urgences sont pauvrement renseignés pour ce qui
concerne la douleur [15]. Or la reconnaissance du symptôme, sa traçabilité et la connaissance de
recommandations sont les socles d’une prise en charge efficace. L’expression de l’intensité de la
douleur est une résultante multifactorielle, elle ne dépend pas seulement de «!circuits
neurologiques!» [16]. C’est la raison pour laquelle seul le patient peut en donner la mesure. La
définition retenue par l’Association Internationale pour l’Etude de la Douleur (IASP) tient
d’ailleurs compte de tous ces aspects!: «!C’est une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable
liée à un dommage tissulaire réel ou potentiel ou décrite en ces termes!» [17]. Comme le précise l’IASP,
la douleur aiguë est protectrice puiqu’elle constitue un signal d’alarme. Mais une fois le
symptôme reconnu, il n’a plus aucune utilité. Son traitement devient alors un objectif prioritaire
sans conséquences négatives pour le patient comme cela a été démontré en médecine d’urgence
[18, 19].