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situation, de tel ou tel texte. Ainsi les contes de Pierre Gripari,
Contes de la rue Broca
,
Contes de la Folie Méricourt)
sont-ils,
théâtralement parlant, plus riches que ses Farces pour collé-
giens, qui réduisent l'argument aux échanges verbaux.
Le bruit et la fureur, le délire verbal, la somptuosité des dé-
cors et des costumes, tout cela aussi est du théâtre, comme la
grandeur du style dans
L'annonce faite à Marie
de Claudel, ou les
subtilités du texte dans Les Caprices de Marianne, de Mus-
set, pièce classique plébiscitée l'an dernier par un public très
jeune, comprenant même des classes de CM2.
Il faut même redire l'importance de la "diction", dans son
sens fort, comme élément constitutif de nombreux textes. Le
dernier ouvrage de Gérard Genette, précisément intitulé
Fiction
et Diction
, pointe, sans vraiment tenir ses promesses, les deux
pôles vers lesquels s'aimantent les textes littéraires et, dirons-
nous, toutes les activités symboliques où la voix, le rythme,
concourent à la compréhension. On commence à réévaluer cette
poétique qui "doit pouvoir s'appuyer sur une rythmique, si né-
cessaire au moment où l'enfant, dans sa croissance organique
même, éprouve le besoin de consolider des structures récem-
ment acquises". Le "par cœur de l'ancienne école, dont elle a en
effet abusé, n'était que l'intuition de ce besoin fondamental de
l'enfant de s'inscrire dans des rythmes. A vouloir parfois trop
précipiter la dimension intellectuelle des apprentissages, l'école
moderne l'a peut-être oublié"3.
Plus complémentaires qu'opposées, ces deux démarches
sont à considérer dans une alternance qui interdit de fixer une
progression du simple au compliqué ; il n'en reste pas moins que
l'écoute et la diction facilitent l'appropriation du sens et des vir-
tualités théâtrales de tout texte, notamment pour qui manque
d'un vocabulaire critique4.
Le rythme, la prosodie, sont autant structurés par la pause,
le silence, l'attente et la suspension. Du point de vue du specta-
teur, cette raréfaction, comme avec certaines poésies très sim-
ples et très courtes dans le genre du "haiku", favorise la mé-
moire. On oublie presque tout des films d'action et des romans
fleuves, on en éprouve même une sorte de culpabilité à ne pas
plus tirer profit de cette abondance, mais on conserve éton-
namment fort le souvenir de spectacles dont le dépouillement
nous avait même quelquefois ennuyés (je pense au Secret, de
Richard Demarcy, inspiré par la lenteur et le hiératisme du kabu-
ki). Car le monde a le temps de s'installer, de prendre forme.
Jusqu'au risque, faut-il l'avouer, de tomber quelquefois dans la
recherche de l'image pour l'image, comme dans certains specta-
3 Laurence CORNU, Jean-Claude POMPOUGNAC, Joël ROMAN,
Le Barbare et
l'Écolier,
Calmann-Lévy, 1990, p. 121.
4 Un ouvrage récent de Bernadette GROMER et Marlise WEISS,
Dire, Écrire,
dans
une collection de formation des enseignants, (Armand Colin, 1990) accorde une place
non négligeable à ces questions délaissées depuis quelques années.