24Heures L'INVITÉE 20.01.2012
« Le manque d’argent ne doit priver personne de soins »
Christa Calpini,
députée radicale, pharmacienne.
L’autre matin, vers 10 heures, il est entré dans la pharmacie. Un peu gêné, il a expliqué qu’il avait
une otite (il avait déjà eu ce problème) et qu’il avait besoin d’antibiotiques mais n’avait pas
d’ordonnance. Je lui ai demandé pourquoi il n’avait pas consulté un médecin, et il m’a répondu
qu’il ne le pouvait pas car il n’était pas assuré. «Cela fait une année que je ne paie pas mes primes
et je suis en attente d’une aide sociale, m’a-t-il répondu. Je travaille sur un chantier, j’ai mal et vous
pouvez m’aider.» Il m’a dit le nom du médicament prescrit précédemment, et je l’ai dépanné avec
un des multiples emballages qu’on me rend, non échu et à peine entamé.
Ce monsieur d’environ 50 ans fait partie des nombreux Suisses (18%) qui renoncent aux soins
médicaux, faute de moyens financiers. Selon une enquête menée dans onze pays de l'OCDE, notre
pays s’en sort certes mieux que les Etats-Unis, où 42% de la population malade n’a pas accès aux
soins, mais moins bien que la Suède ou l’Angleterre (11%). Nous parlons ici simplement d’accès aux
soins et non de leur qualité, qui constitue un autre débat.
Si, du côté des assureurs, on soupçonne que les malades renoncent aux soins parce que ceux-ci ne
sont pas réellement nécessaires (ils relèveraient du confort), il n’en va pas de même pour la
Fédération suisse des patients: le système des franchises n’est à ses yeux pas adéquat et peut
même être pernicieux. Ceux qui ont un revenu moyen ne permettant pas de toucher une
subvention ont tendance à choisir une franchise élevée afin de diminuer le montant de leur prime.
Quand survient la maladie, ces assurés n’ont pas de quoi payer les premiers francs à leur charge
pour la consultation médicale et les médicaments. L’équilibre budgétaire du ménage étant fragile,
ils renoncent aux soins, et c’est navrant.
En effet, l’expérience prouve que, lorsqu’on attend trop longtemps pour une prise en charge
médicale de certaines pathologies, les coûts se révèlent finalement bien plus élevés que si le
traitement avait été instauré immédiatement. De plus, le patient n’a souvent pas la culture
médicale pour juger s’il est urgent ou non de consulter un médecin: certains le font pour un rhume
banal, et d’autres ne le font pas, alors que leur problème est sérieux. Comment éviter cette
incohérence?
Il faudrait, dans le cadre de la LAMal qu’on tente sans cesse de modifier, revoir le système des
franchises, et que celles-ci tiennent compte de la capacité financière des assurés.
Il fut un temps, lointain, où les caisses maladie étaient de vraies mutuelles: les patients payaient
30 francs pour obtenir une «feuille maladie» donnant droit à l’accès aux soins. S’ils n’arrivaient pas
à payer ce montant, il se trouvait toujours une bonne âme familiale ou amicale pour les aider. Ce
montant modeste, dans la plupart des cas supportable, était aussi un garde-fou pour éviter de
consulter pour un rien.
La solidarité n’était pas un simple mot, mais un fait.
Christa Calpini