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Agranulocytose
I. Définition :
Correspond théoriquement à l’absence totale de granulocytes neutrophiles circulants, mais on
groupe sous ce terme les neutropénies sévères < 0.3 G/L.
Les agranulocytoses aiguës sont le plus souvent d’origine médicamenteuse, et représentent un
accident hématologique iatrogénique fréquent (2,4% des accidents iatrogéniques) avec un
mauvais pronostic (5% de décès). Elles nécessitent une démarche rapide (< quelques heures).
Le diagnostic repose sur l’hémogramme et l’enquête étiologique. Devant une agranulocytose
on doit en première intention penser à incriminer un médicament, mais il faudra cependant
avoir à l’esprit que toutes les agranulocytoses ne sont pas médicamenteuses, et qu’un
minimum d’études complémentaires est souvent nécessaire, notamment pour le diagnostic des
situations correspondant aux formes extrêmes de neutropénies d’installation progressive ou
chroniques.
II. Aspects cliniques :
Les manifestations cliniques qui doivent faire suspecter une agranulocytose sont :
Dans plus de 90% des cas, survenue brutale d’un tableau infectieux sévère : fièvre élevée avec
frissons, plus ou moins accompagnée de lésions buccopharyngées ulcéro-nécrotiques ou
d’autres signes infectieux sévères (ORL, cutanés, pulmonaires, digestifs) avec signes de
mauvaise tolérance hémodynamique, et/ou résistant à une antibiothérapie de première
intention bien conduite.
Il n’y a habituellement pas d’organomégalie (ganglions, rate et foie sont de volume normal)
En ville : la gravité de la situation exige l’hospitalisation immédiate en milieu spécialisé,
l’isolement protecteur du patient et la mise en place d’une antibiothérapie d’urgence à large
spectre en IV, à doses adaptées, après prélèvements systématiques pour hémocultures (pas
toujours positives), de gorge, coproculture, ECBU. L’utilisation de facteurs de croissance
spécifiques est possible.
Délais d’apparition : 8-15j après début du traitement, ou immédiatement si médicament déjà
administré au préalable ; parfois plusieurs semaines ou mois.
Interrogatoire :
Chaque fois que possible, rechercher la prise d’un médicament ainsi que la chronologie
d’administration par rapport à l’épisode d’agranulocytose.
Les signes cliniques sont assez superposables, aussi bien quand il s’agit d’agranulocytoses
d’origine médicamenteuse, infectieuse (septicémies bactériennes graves, infections virales
sévères, parasitaires : l’agranulocytose est plutôt une conséquence de l’infection) que dans les
étiologies centrales (dysmyélopoïèses, hémopathies malignes). Dans les circonstances de
dysmyélopoïèse (carentielles, primitives) le déficit quantitatif en neutrophiles peut s’associer
au déficit qualitatif pour diminuer encore la protection antiinfectieuse.
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III. Hémogramme :
1. Leucocytes :
Dans l’agranulocytose médicamenteuse, le nombre de leucocytes est nombre normal bas ou
diminué, en relation avec le nombre de poly neutro qui doit être chiffré : < 0.3 jusqu’à
absence totale de granulocytes neutrophiles sur frottis.
2. Une vérification sur frottis sanguin est indispensable :
* Pour éliminer les artéfacts techniques : fausse neutropénie de certains
automates analysant les granulocytes en fonction de leur contenu en peroxydase (rares pts
avec déficit constitutionnel voire acquis en myéloperoxydase), ou leucoagglutination des poly
neutro (souvent infections)
* Pour étudier la morphologie des granulocytes résiduels le cas échéant, et
celle des autres leucocytes : dans les formes médicamenteuses les rares poly neutro
observables ont une morphologie normale, parfois un excès de granulations ; les signes
inflammatoires peuvent se traduire par une lymphopénie, une petite hyperéosinophilie et une
monocytose.
* On recherchera des signes de dysplasie (noyau hypersegmenté ou
hyposegmenté, absence de granulations cytoplasmiques) ainsi que d’éventuelles
cellules anormales (myélémie, érythroblastes) ou tumorales (blastes, tricholeucocytes,
grands lymphocytes granuleux)
Dans les formes médicamenteuses on peut observer parfois une anémie modérée
(normochrome normocytaire, dans 1 cas sur 2) et une thrombopénie dans 10% des cas.
NB : les admissions survenant à toute heure du jour et de la nuit, toute agranulocytose en
situation de garde doit être controlée pour parer à une éventuelle erreur de diagnostic
(notamment hémopathie avec petit nombre de cellules anormales)
L’hémogramme est indispensable pour suivre la phase de récupération granuleuse (voir plus
loin).
IV. Myélogramme.
En théorie inutile, il est souvent conseillé et réalisé, notamment pour éliminer une
hémopathie ; il apporte cependant peu d’éléments diagnostiques positifs ou étiologiques. Il est
utile pour le pronostic.
Aplasie élective de la lignée granulocytaire neutrophile, avec moelle de richesse
légèrement diminuée : pas de diminution du nombre des mégacaryocytes, augmentation
relative du % d’érythroblastes (pas d’anomalie morphologique) voire du nombre de
lymphocytes, plasmocytes, et histiocytes macrophages (parfois hémophagocytants, pouvant
faire évoquer un début de syndrome d’activation macrophagique)
En fonction de l’état de la granulopoïèse, deux aspects principaux à caractère
pronostique :
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* Absence totale de granulocytes immatures et matures : il faudra alors au moins 10-15 jours
pour que la granulopoïèse reprenne normalement ;
* Excès de granulocytes immatures (myéloblastes et promyélocytes) correspondant soit à une
destruction des formes plus matures soit à un début de reprise de la granulopoïèse ; ceci est
appelé parfois « aspect de blocage de maturation » ; la reconstitution granuleuse est alors
souvent plus rapide (5-8 jours)
La biopsie ostéomédullaire est inutile (en plus du risque chez les patients septiques)
V. Les examens biologiques pour aider au diagnostic et comprendre le mécanisme
Hémocultures : à réaliser mais pas toujours informatives ; n’aident pas pour le
diagnostic étiologique.
Pour préciser le mécanisme de survenue de l’agranulocytose médicamenteuse, deux
mécanismes sont possibles :
Mécanisme immunoallergique : le plus fréquemment trouvé (prouvé pour les
antithyroïdiens de synthèse, amidopyrine, pénicillines, antipaludéens, chlorpropamide,
lévamizole). Toxicité indépendante de la dose administrée mais qui nécessite un contact
préalable avec le médicament (même lointain, de plusieurs années) : la réintroduction du
médicament provoque la baisse des PNN en quelques heures. Trois phénomènes peuvent
conduire à la production d’Ac :
- l’haptène médicament se combine à une protéine de membrane et le complexe formé
induit la formation d’Ac ;
- l’haptène médicament se combine à une protéine plasmatique : induction d’Ac et les
complexes haptène / protéine plasmatique / Ac s’adsorbent à la surface des PNN, ce qui
entraine l’activation du complément et la lyse cellulaire ;
- plus rare : le médicament altère la membrane ce qui induit la formation d’auto-Ac
(procaïnamide, hydralazine).
Mécanisme toxique : (phénothiazines, phénylbutazone, carbamazépine, sels d’or,
cimétidine, quinine, chimiothérapies cytotoxiques). Toxicité dose dépendante qui apparaît en
cours de traitement ; des doses plus faibles sont parfois bien tolérées. Forte notion de
susceptibilité individuelle (idiosyncrasie) liée au polymorphisme des systèmes de
détoxification; les autres lignées peuvent être atteintes. Ici l’action directe sur les progéniteurs
myéloïdes est responsable de l’agranulocytose (souvent c’est une neutropénie sévère)
VI. Les tests biologiques permettant de préciser l’étiologie ne sont que très rarement
réalisés.
- recherche d’Ac sériques antigranulocytes par immunofluorescence
- techniques immunoenzymatiques : MAIGA = monoclonal antibody immobilisation of
granulocytic antigen (proche du test MAIPA pour les plaquettes dans le PTAI)
- leucoagglutination ou leucotoxicité
- culture de progéniteurs granuleux in vitro : CFU-GM du patient en contact du sérum
du patient (à la phase aiguë) et du ou des divers médicaments incriminés, mais également
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seulement en présence du médicament (sans sérum) ; refaire le test après que le patient
soit sorti d’agranulocytose. Une inhibition de croissance en présence du médicament et de
sérum et en faveur d’un mécanisme immunoallergique, tandis qu’avec médicament mais
indépendamment de la présence de sérum on évoquera plutôt un mécanisme toxique.
VII. Diagnostic différentiel des agranulocytoses médicamenteuses.
En pratique les autres étiologies sont associées à un ou plusieurs autres signes cliniques, ou à
des anomalies plus complètes de l’hémogramme, ou les 2.
- Les étiologies infectieuses : septicémies bactériennes graves, infections virales : MNI,
HIV, hépatite virale, parfois parvovirus B19), infections parasitaires (leishmaniose
viscérale) : un bilan d’hémostase (recherche de CIVD) ou des sérologies virales seront
réalisées
- Les leucémies aiguës, notamment la leucémie à promyélocytes
- leucémie à grands lymphocytes granuleux : numération des LGL
- tricholeucocytose : rechercher les tricholeucocytes, et la myélofibrose (splénomégalie
notable le plus souvent)
- arthrite rhumatoïde, splénomégalie et agranulocytose correspondent au syndrome de
Felty : il est évoqué chez des patients avec PR connue
- Agranulocytose constitutionnelle (maladie de Kostmann) : rarissime
Sur l’aspect du myélogramme, quand on retrouve un grand excès de promyélocytes (souvent
très riches en granulations) l’aspect peut évoquer une leucémie aiguë à promyélocytes : mais
l’absence de pancytopénie, de corps d’Auer en fagots, de CIVD, permettent le diagnostic
différentiel. Dans des neutropénies bactériennes sévères un aspect médullaire proche peut
s’observer (lié à une déplétion brutale du pool de réserve médullaire autant qu’à une
régénération excessive)
Dans les formes où l’on observe au myélogramme un excès de plasmocytes et de
lymphoplasmocytes peut faire discuter un myélome ou une maladie de Waldenström
VIII. Pronostic, évolution et traitement :
Le pronostic est lié à l’état infectieux et la durée de l’agranulocytose, de la précocité de mise
en place du ttt anti-infectieux instauré, de l’arrêt rapide du médicament en cause.
Contacter le centre de Pharmacovigilance chaque fois que nécessaire.
Bien expliquer au patient les risques si reprise du même médicament (si mécanisme
immunoallergique certain ou seulement évoqué), et la surveillance étroite si cause toxique
avec médicament dont le patient ne peut se dispenser. Donner une liste des médicaments à
proscrire ou suspects (même famille de substances)
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IX. En conclusion,
Toute neutropénie profonde n'est pas forcément une agranulocytose, le contexte clinique et les
résultats du myélogramme demandé en urgence sont déterminants. Dès lors, chaque heure
compte.
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