Formes héréditaires des cancers du rein et dépistage génétique

Les formes héréditaires de cancers du rein, bien que rares (1 à 2%
des cas), méritent d'être connues du fait de particularités cliniques
et évolutives et en raison de la surveillance voire du conseil géné-
tique à mettre en œuvre chez les apparentés. Pour certaines d'entre
elles, des gènes de prédisposition sont identifiés et permettent le
plus souvent de rechercher l'anomalie génétique chez les apparen-
tés afin de déterminer précisément les individus à risque nécessitant
une surveillance particulière.
L'existence de syndromes héréditaires (maladie de Von Hippel-Lin-
dau, sclérose tubéreuse de Bourneville, syndrome de Birt-Hogg-
Dube) associant aux tumeurs rénales des lésions d'autres organes
doit aussi être connus afin d'établir une prise en charge complète
des patients et de leur famille.
Les formes familiales de cancer du rein peuvent être divisées en dif-
férentes entités selon leur nature histologique (carcinomes à cellu-
les claires, carcinomes tubulo-papillaires) et leur association ou non
à d'autres cancers.
On reconnaît ainsi, d'une part les cancers du rein dans des syndro-
mes tumoraux familiaux (la maladie de Von Hippel Lindau en est la
forme la plus fréquente) et d'autre part les cancers du rein familiaux
à cellules claires ou tubulo-papillaires qui ne s'intègrent dans aucun
syndrome spécifique.
I. CARCINOME RENALACELLULES
CLAIRES
Les formes familiales de cancers du rein à cellules claires repré-
sentent environ 1 à 2% des cancers du rein [1]. On en distingue 2
types chez l'adulte : le cancer du rein dans le cadre de la maladie
de Von Hippel-Lindau (VHL), le plus fréquent, et le cancer du rein
familial “commun” qui n'est rattaché à aucun syndrome particulier.
Maladie de Von Hippel-Lindau
Cette phacomatose héréditaire est très rare: son incidence varie de
1/36000 à 1/45500 naissances. Sa prévalence est de 1/53000 habi-
tants. Elle affecte sans doute près de 1500 patients vivant en Fran-
ce. Il s'agit d'une maladie à transmission autosomique dominante, à
forte pénétrance (95% à 60 ans), pour laquelle un seul gène est en
cause: le gène VHL situé sur le bras court du chromosome 3 (3p25-
p26) [2].
Diagnostic
Elle associe des hémangioblastomes de la rétine et du système ner-
veux central (60 à 80%), des adénocarcinomes et des kystes rénaux
(30 à 60%), des kystes et des tumeurs pancréatiques (30 à 70%), des
phéochromocytomes (10 à 20%), des tumeurs du sac endolympha-
tique (2 à 11%), des cystadénomes de l'épididyme (20-50%) (Figu-
re 1). Chaque type de tumeur a un âge spécifique de début [3]
(Tableau I). Un patient peut présenter successivement plusieurs
localisations.
Progrès en Urologie (2003), 13, 1201-1204
Formes héréditaires des cancers du rein et dépistage génétique
Antoine VALERI, Olivier CUSSENOT
1201
Tableau 1 : Fréquence, âge de survenue et dépistage des principales lésions de la maladie de VHL
L'hémangioblastome rétinien est quasi pathognomonique de l'affec-
tion.
L'absence d'antécédent familial chez des sujets atteints de la mal-
adie de VHL peut être expliquée par l'existence d'une mutation “de
novo”. Ceci se rencontre dans 20% des cas [4].
L'atteinte rénale (30 à 60% des cas) peut se traduire par :
- des cancers : leur forme histologique est exclusivement représen-
tée par l'adénocarcinome à cellules claires. Ils touchent jusqu'à
75% des sujets VHL+ ayant atteint 60 ans et sont responsables
d'environ 50% des décès [2].
- des kystes multiples et bilatéraux altérant rarement la fonction
rénale. Des cancers peuvent se développer à l'intérieur de ces kys-
tes..
Le diagnostic de cancer du rein est effectué dans deux circonstan-
ces :
-·1er cas : La maladie est connue et le cancer du rein, souvent
asymptomatique, est alors découvert par l'imagerie au cours de la
surveillance des membres de la famille.
-·2ème cas : la maladie n'est pas connue, c'est le cancer du rein qui
est au premier plan. Certaines caractéristiques de la tumeur, pro -
pres aux cancers à prédisposition génétique, sont évocatrices :
âge de survenue plus précoce (35 ans en moyenne), lésions fré -
quemment multifocales et bilatérales, synchrones ou différées,
parfois très tardivement (jusqu'à 14 ans après la première loca -
lisation) [1]. L'enquête familiale et la recherche d'autres localisa-
tions de la maladie permettront dans la majorité des cas de recon-
naître la maladie de VHL. En l'absence d'antécédents familiaux,
c'est l'existence d'au moins une localisation supplémentaire de la
maladie chez le patient qui permet le diagnostic.
Classification
La présence ou l'absence de phéochromocytome est à la base de la
distinction des formes cliniques de la maladie de VHL. Dans le type
1, le phéochromocyrome est absent alors que dans le type 2 sa pré-
valence peut atteindre 90%.
Aspects génétiques
Le gène VHL et ses mutations [4]
Le gène VHL (3p25-p26) est le seul à être impliqué dans la maladie
de VHL. Gène suppresseur de tumeur, identifié en 1993, il est
exprimé dans tous les tissus et à tous les stades de développement
examinés. Il code pour la protéine pVHL. Elle a pour principale
fonction la régulation négative de la production du VEGF (Vascu-
lar Endothelial Growth Factor), facteur clé de l'angiogenèse. Les
fonctions de la protéine pVHL ne se limitent pas uniquement au
processus de l'angiogenèse mais interviennent également dans la
différenciation et le contrôle de la prolifération cellulaire.
Les altérations germinales du gène VHL sont à l'origine de la mal-
adie de VHL alors que les altérations somatiques sont responsables
de la majorité des adénocarcinomes à cellules claires sporadiques et
des hémangioblastomes sporadiques.
La mutation causale du gène VHL est identifiable chez presque tous
les patients atteints de cette affection. Il s'agit le plus souvent de
mutations ponctuelles (75% des cas) portant sur la séquence codan-
te, mais des micro-délétions, des micro-insertions ou des délétions
étendues ont également été observées. Plus de 150 mutations diffé-
rentes ont été répertoriées sur l'ensemble des 3 exons (data base
VHL : www :umd.necker.fr).
Corrélations génotype-phénotype [4]
Il existe une corrélation entre le type de mutation germinale du gène
VHL et le type de localisation de la maladie. En revanche cette cor-
rélation n'est pas absolue en ce qui concerne la sévérité des lésions
chez des individus porteurs de la même mutation.
Implications pratiques
Critères de reconnaissance de la maladie
- au moins 2 hémangioblastomes quelle que soit leur localisation
- ou un hémangioblastome et une autre lésion majeure
- ou encore un antécédent familial et au moins une localisation de
la maladie
un angiome rétinien ou un hémangioblastome du SNC à début
précoce
un adénocarcinome rénal à cellules claires, familial ou multiple
(notamment bilatéral) ou à début précoce (avant 40 ans)
un phéochromocytome bilatéral ou familial
une tumeur du sac endolymphatique
une tumeur kystique ou endocrine du pancréas.
Confirmation par un diagnostic génétique
Un typage génétique du ou des sujets atteints puis des membres de
la famille permet la mise en évidence de mutations du gène VHL
et l'identification des sujets prédisposés à cette maladie. En ce qui
concerne les enfants, l'âge de 5 ans peut être proposé pour deman-
der le diagnostic génétique, dans la mesure où les manifestations les
plus précocement observées se situeraient à cet âge.
Enfin, une recherche de mutation constitutionnelle du gène VHL
devrait également être proposée à tout patient porteur d'une tumeur
évoquant une maladie de VHL même en l'absence d'antécédent
familial notamment en ce qui concerne le rein, devant un adénocar-
cinome à cellules claires bilatéral ou multiple ou encore à début
précoce avant 50 ans.
1202
Figure 1
Dépistage des sujets à risque
Des explorations complémentaires sont nécessaires chez tout sujet
atteint de l'affection ou tout apparenté porteur de mutation du gène
VHL (Tableau I) :
- IRM cérébrale et médullaire dès l'âge de 15 ans (hémangioblasto-
me du système nerveux central, tumeur du sac endolymphatique)
- Fond d'œil dès l'âge de 5 ans (hémangioblastome rétinien)
-TDM ou IRM ou Echographie abdominale (phéochromocytomes
(type2), cancers du rein, tumeurs pancréatiques) dès l'âge de 5ans
si type 2 , dès l'âge de 15 ans si type 1.
Particularités thérapeutiques des tumeurs rénales familiales [3]
Les patients atteints de VHLvivent en moyenne jusqu'à 40 à 50 ans.
Le pronostic de la maladie de von Hippel Lindau a été amélioré par
la réduction de la mortalité due aux hémangioblastomes cérebel-
leux. Il est actuellement fonction de l'évolution du cancer du rein
dont la survenue est plus tardive dans l'histoire de la maladie et
représente 30 à 50% des décès en raison de la prise en charge sou-
vent tardive. En ce qui concerne le potentiel métastatique des can-
cers du rein, il semble qu'il soit inférieur à celui des formes spora-
diques : avec une fréquence des cas métastatiques de l'ordre de 8%
contre 50% en général dans les formes sporadiques. Cependant le
traitement chirurgical des tumeurs rénales est encore controversé.
Certains auteurs ont proposé une attitude radicale d'emblée par
binéphrectomie en cas de tumeurs bilatérales [5]. D'autres prônent
une chirurgie conservatrice (néphrectomie partielle ou tumorecto-
mies multiples) avec surveillance étroite du parenchyme rénal res-
tant, en dehors des cas où le caractère diffus et bilatéral des lésions
imposent une néphrectomie bilatérale de nécessité [6 - 9]. Sur le
plan technique, CHRÉTIEN [6] souligne l'intérêt de l'utilisation de
sonde d'échographie haute fréquence (10 Mhz) pour le repérage des
tumeurs de petite taille profondes et non palpables. En ce qui
concerne les tumeurs de petite taille, < 2.5 cm [6] voire < 3 cm [10,
11] certains proposent une surveillance simple en raison du faible
risque métastatique pour les tumeurs de cette taille [12].
Pour les kystes rénaux, plusieurs auteurs proposent en cas de chi-
rurgie conservatrice pour cancer, de profiter de l'intervention pour
réaliser une résection du dôme saillant des kystes et d'en inspecter
le contenu et en cas de kyste atypique de pratiquer une kystectomie
emportant une couche de parenchyme sain.
Cancer du rein commun familial à cellules claires
Différents cas de formes familiales de cancer du rein survenant en
dehors de la maladie de VHL ou de tout autre syndrome héréditai-
re ont été publiés [3].
Particularités cliniques communes aux formes héréditaires de can-
cers du rein
Ces tumeurs ont en commun l'âge de survenue précoce (45 ans en
moyenne), la bilatéralité, la multifocalité et les récidives fréquentes
(apparition de nouvelles tumeurs après chirurgie partielle).
Aspects génétiques
Il existerait une prédisposition génétique à transmission autoso-
mique dominante à pénétrance variable en fonction de l'âge. Dans
certaines familles, des anomalies cytogénétiques constitutionnelles
à type de translocation ont été retrouvées. Elles ont fait supposer
que le gène en cause pouvait se situer aux points de cassure de la
translocation [4].
Traitement
L'attitude thérapeutique vis-à-vis du cancer du rein commun pose
les mêmes problèmes que pour la maladie de VHL (bilatéralité,
multifocalité, récidives).
Implications pratiques
Critères de reconnaissance de la maladie
Au moins 2 cas chez des apparentés du 1er degré avec un âge de
survenue précoce avant 40 ans ou des cancers bilatéraux ou multi-
focaux
Dépistage des sujets à risque
Les signes de la maladie de VHL doivent être systématiquement
recherchés chez les sujets atteints. Si aucun signe de maladie de
VHL n'est retrouvé, le dépistage de cancer par échographie rénale,
tous les 2 ans, chez les apparentés peut être débuté vers 30 ans ou
10 ans avant l'âge correspondant à l'âge de diagnostic du cas le plus
précoce dans la famille.
Confirmation par un diagnostic génétique
Des anomalies cytogénétiques constitutionnelles à type de translo-
cation ont été retrouvées chez les sujets atteints dans certaines de
ces familles. La recherche de mutations du gène VHL et un caryo-
type peuvent être proposés après avis spécialisé (contact : Groupe
d'étude Francophone de la maladie de Von Hippel Lindau)
Toute forme familiale de cancer du rein à cellules claires nécessite
une recherche de mutation du gène VHL.
Les cancers du rein dans les syndromes tumoraux familiaux
hors VHL
Des cancers du rein et d'autres tumeurs rénales peuvent faire partie
du tableau clinique de la sclérose tubéreuse de Bourneville (surtout
angiomyolipomes & hamartomes multiples, retard mental, parfois
adénocarcinomes du rein), du Syndrome de Birt-Hogg-Dube (sur-
tout oncocytomes & tumeurs bénignes cutanées, pneumothorax
spontanés, parfois adénocarcinomes du rein), de la léiomyomatose
cutanée familiale (carcinomes tubulo-papillaires du rein, léiomyo-
mes cutanés et viscéraux, léiomyosarcomes,).
Ces syndromes, une fois reconnus, nécessitent une prise en charge
spécialisée. Un diagnostic génétique est possible pour la sclérose
tubéreuse de Bourneville (mutations des gènes TSC1 et 2) et la léio-
myomatose cutanée familiale (mutation du gène FH : fumarate
hydralase).
II. CARCINOME TUBULO-PAPILLAIRE
Les carcinomes tubulo-papillaires (CTP) sont des cancers dont plus
de 75% est composés d'un contingent tubulo-papillaire. Ils repré-
sentent environ 10% des formes sporadiques de cancers du rein.
Récemment, les CTP ont été subdivisés en 2 sous-groupes : le type
1 correspondant à la forme basophile et le type 2 correspondant à la
forme éosinophile. La forme basophile serait deux fois plus fré-
quente que l'éosinophile.
Aspects cliniques
Les formes familiales des CTP sont rares et leur fréquence de sur-
venue n'est pas connue. Comme pour les autres formes familiales
des cancers du rein, l'âge de survenue est plus précoce que pour les
1203
formes sporadiques et leur localisation volontiers multifocale et
bilatérale [13]. Elles posent les mêmes problèmes thérapeutiques
que les autres formes de cancers du rein familiaux tout en sachant
que la taille des tumeurs (souvent moins de 3 cm) et leurs caracté-
ristiques apparemment moins invasives rendent la chirurgie partiel-
le plus aisée et moins risquée.
Aspects génétiques [4]
Un locus de prédisposition a été identifié en 7q31-q34. Il s'est révé-
lé être le siège du proto-oncogène c-MET (7q31.1-q34) pour lequel
des mutations constitutionnelles ont été observées chez les sujets
atteints dans 80% des familles étudiées.
Dans certaines familles, le gène MET n'est pas muté. Ce qui sug-
gère au moins un autre gène de prédisposition. Le locus 1q21 pour-
rait ainsi être le siège d'un gène encore inconnu impliqué dans les
familles où existent à la fois des carcinomes papillaires de la thy-
roïde et des carcinomes papillaires rénaux.
Implications pratiques
Critères de reconnaissance de la maladie
Cancers habituellement multifocaux et souvent bilatéraux, leur
caractère héréditaire peut être suspecté sur les arguments suivants :
- au moins 2 cas chez des apparentés du 1er degré avec un âge de
survenue précoce avant 40 ans
Dépistage des sujets à risque
La recherche de lésions bilatérales doit être systématique chez les
sujets atteints. Le dépistage de cancer chez les apparentés peut être
débuté 10 ans avant l'âge correspondant à l'âge de diagnostic du cas
le plus précoce dans la famille.
Confirmation par un diagnostic génétique
La recherche de mutations du gène MET peut être proposée après
avis spécialisé.
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