La fonction régulatrice du langage sur le comportement : l`œuvre de

Journal Identification = PNV Article Identification = 0287 Date: August 31, 2011 Time: 12:45 pm
Synthèse
Ger Psychol Neuropsychiatr Vieil 2011 ; 9 (3) : 355-62
La fonction régulatrice du langage
sur le comportement :
l’œuvre de LS Vygotsky et AR Luria
Speech and regulation of behavior:
the works of LS Vygosty and AR Luria
Christian DerouesnÉ
Université Paris VI, CHU
Pitié-Salpêtrière, Paris
Tir´
es `
a part :
C. Derouesné
Résumé. La notion de fonction régulatrice du langage sur le comportement a été déve-
loppée chez l’enfant dans les années 20 par LS Vygotsky et AR Luria, et étendue à la
neuropsychologie par Luria après la 2eguerre mondiale. Selon Vygotsky, l’homme a créé
des «outils psychologiques »sur le modèle des outils matériels qui étendent ses capacités
d’action sur le monde. Ces outils psychologiques, au premier rang desquels se situe le
langage, sont des systèmes symboliques d’origine sociale qui transforment les capacités
naturelles de l’homme en «fonctions mentales supérieures ». Ils jouent un rôle déterminant
dans le développement de l’enfant en l’inscrivant dans des relations sociales particulières.
Le langage, d’abord communicationnel puis intérieur, est ainsi un élément essentiel de
la régulation de l’activité : il accompagne l’action, puis la précède et enfin la remplace.
Les propriétés du langage intérieur sont toutefois distinctes de celles du langage commu-
nicationnel. Il joue un rôle déterminant dans le contrôle des activités volontaires, tout
particulièrement dans les situations nouvelles et complexes. L’étude de la fonction régu-
latrice du langage fait partie de l’exploration des fonctions des lobes frontaux. Elle permet
également d’évaluer la capacité des patients à participer aux techniques de réhabilitation
cognitive.
Mots clés : langage intérieur, régulation de l’action, fonctions supérieures, lobe frontal,
développement de l’enfant, réhabilitation, Luria, Vygotsky
Abstract. The role of speech in the regulation of behavior was described in child psycho-
logy by LS Vygotsky and AR Luria in the Soviet Union during the twenties, and extended
to neuropsychology by Luria after the World War II. According to Vygotsky, man built up
«psychological tools »on the model of material tools to extend his natural capacities. Psy-
chological tools, such as language, are symbolic systems from social origin, which control
activity and behavior, and convert natural cognitive processes into higher cortical functions.
Therefore child’s development is embedded into particular social relationships. First com-
municational speech then inner speech plays a major role in the regulation of behavior in
man: at first it goes with action, then precedes it, and finally replaces it. A willful action is
thus an action largely controlled by inner speech, especially in novel and complex tasks,
but the properties of inner speech differ from those of communicational speech. Assess-
ment of the role of speech on the regulation of action and behavior should be part of the
neuropsychological examination of frontal lobe functions. It also could be useful to assess
the ability of patients to participate in cognitive rehabilitation, particularly in Alzheimer’s
disease.
Key words: inner speech, action regulation, higher cortical functions, frontal lobe, child’s
development, rehabilitation, Luria, Vygotsky
doi:10.1684/pnv.2011.0287
Pour citer cet article : Derouesné C. La fonction régulatrice du langage sur le comportement : l’œuvre de LS Vygotsky et AR Luria. Ger Psychol
Neuropsychiatr Vieil 2011; 9(3) :355-62 doi:10.1684/pnv.2011.0287 355
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C. Derouesné
Aucune science ne saurait vraiment être comprise sans
sa propre histoire, toujours inséparable de l’histoire
générale de l’humanité.
Auguste Comte
Système de politique positive
La culture est présente dès les premiers moments de la
vie relationnelle et dans tous les détails de la vie. Elle est
présente dans tous les aspects du rapport au corps, du
maternage et dans tous les moments importants de la
structuration psychique... Mais les données culturelles
et sociales n’agissent pas «directement »; elles sont
médiatisées par le rapport que les parents entretiennent
avec ces données, conscient ou inconscient.
René Roussillon
Manuel de psychologie
et de psychopathologie clinique générale
Si le langage est avant tout considéré comme
un moyen de communication, il possède d’autres
fonctions. C’est un moyen d’expression (des inter-
jections à la poésie) et un élément essentiel de la
conceptualisation par la fonction généralisatrice du mot.
Le langage intérieur sous-tend notre pensée consciente
réflexive [1]. Il possède également une fonction non moins
essentielle, bien que peu prise en compte dans la lit-
térature : son rôle dans le contrôle de l’activité et du
comportement.
Naissance du concept :
le développement de la
psychologie historico-culturelle
La notion de fonction régulatrice du langage a été déve-
loppée dans les années 20 en Union Soviétique par Lev
Semionovitch Vygotsky1(1896-1934) et Alexander Roma-
novitch Luria (1902-1977) à partir d’une série d’études
expérimentales sur le développement de l’enfant [2, 3]. Elle
a été ensuite étendue à la neuropsychologie par Luria après
la deuxième guerre mondiale [4, 5].
Au début des années 20, les premières années de la
révolution sont associées à une grande effervescence dans
les milieux scientifiques et artistiques russes. Vygotsky
(figure 1), né à Gomel près de Minsk, a une formation lit-
téraire. D’abord enseignant, il présente une thèse sur la
psychologie de l’art [6] et rejoint l’Institut de psychologie de
1Le nom de ЛeвCeмëHович ВыгоTcкий est également transcrit
en franc¸ais avec l’orthographe: Vygotski
Moscou en 1924 à l’instigation de Luria. Luria (figures 2 et 3),
né à Kazan, a une formation en sciences sociales et en psy-
chologie. Tous deux sont issus de milieux intellectuels juifs
provinciaux : polyglottes, ils sont parfaitement au fait de la
littérature étrangère. Deux préoccupations les unissent [7-
9] : trouver une solution à ce qu’ils définissent comme la
crise de la psychologie et développer une psychologie nou-
velle fondée sur des bases objectives qui rendent compte
des phénomènes psychiques dans la vie réelle et qui soit
en accord avec les thèses philosophiques développées par
Karl Marx (1818-1863) et Friedrich Engels (1820-1895).
La crise de la psychologie
Plusieurs courants dominent la psychologie du début
du siècle. Le premier, d’origine philosophique, est illus-
tré aux États-Unis par William James (1842-1910) et, en
France, par Théodule Ribot (1839-1916) et Henri Bergson
(1859-1941). Basé sur l’introspection, il ne prend en compte
que l’étude des phénomènes conscients, ce qui introduit
une coupure radicale entre le fonctionnement psychique
de l’homme et celui de l’animal. Cette psychologie n’est
pas satisfaisante car elle est purement descriptive et ses
positions dualistes sur la conscience, considérée comme
irréductible au fonctionnement cérébral, s’inscrivent dans
le courant de l’idéalisme philosophique. Un second cou-
rant, né en Allemagne avec Gustav Fechner (1801-1887),
Wilhelm Wundt (1832-1920) et Hermann Ebbinghaus (1850-
1909) introduit la psychologie scientifique en réduisant les
phénomènes psychologiques complexes de l’homme à des
mécanismes élémentaires susceptibles d’être soumis à
Figure 1. Photographie de Lev Semionovitch Vygotsky.
Figure 1. Lev Semionovitch Vygotsky’s picture.
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La fonction régulatrice du langage sur le comportement
l’expérimentation. Cette psychologie est toutefois trop frag-
mentée pour rendre compte des phénomènes psychiques
de la vie réelle. Une autre approche de la psychologie scienti-
fique est développée à partir de l’étude du conditionnement
animal en Russie, à la suite d’Ivan Michailovitch Sechenov
(1829-1905) et Ivan Petrovitch Pavlov (1867-1927) et, aux
Etats-Unis, par Edward Lee Thorndyke (1874-1949) et John
Broadus Watson (1878-1958). Dans cette perspective, les
phénomènes psychiques comme la conscience ne sont pas
observables : l’activité psychique de l’homme ne peut être
abordée scientifiquement qu’en termes d’observation (le
comportement) et de réflexes conditionnés. Philosophique-
ment, ce courant se rattache à un matérialisme mécaniciste
tout aussi inacceptable que l’idéalisme pour la pensée
marxiste.
À ces divers courants de la psychologie vient s’ajouter le
développement de la psychanalyse. Celle-ci trouve d’abord
un écho favorable en Union Soviétique, notamment chez
Luria qui, à la suite d’une correspondance avec Freud,
fonde le Cercle psychanalytique de Kazan en 1922, puis
devient secrétaire de la Société psychanalytique de Moscou
jusqu’au début des années 30 [10, 11]. Psychanalyse
et marxisme peuvent, en effet, être considérés comme
complémentaires car ils développent des explications du
monde à des niveaux différents. L’idée, particulièrement
développée par Wilhelm Reich (1897-1957) [12], est que le
principe de réalité et le développement du Surmoi comme
de la censure exercée sur l’Inconscient sont fonction des
demandes imposées par une société donnée, à un moment
donné de son histoire, donc, in fine, déterminées par sa
structure économique. L’adhésion à la psychanalyse et
au Freudo-marxisme disparaît toutefois de la psychologie
soviétique dans les années 30 sous deux influences : une
critique de l’intérieur, venue en particulier de Vygotsky
qui considère que le rapprochement entre psychanalyse et
marxisme représente une distorsion des deux pensées et,
de l’extérieur, du fait du développement dogmatique du
régime qui s’oppose au pluriculturalisme et condamne la
psychanalyse comme relevant d’un idéalisme bourgeois.
La recherche d’une psychologie nouvelle
Pour sortir de cette crise, la psychologie que cherchent
à développer Vygotsky et Luria doit rendre compte des
phénomènes psychiques dans la vie réelle et sur des
bases physiologiques tout en étant compatible avec la
philosophie marxiste. Les activités psychiques sont alors
décrites comme des processus dynamiques complexes qui
ne peuvent être compris qu’en prenant en compte leur
histoire, c’est-à-dire leur origine et leur développement.
Les données de la psychologie animale doivent donc être
prises en compte, mais sans pour autant réduire la spé-
cificité humaine. Dans cette conception, le passage du
psychisme de l’homme à celui de l’animal constitue une
rupture qualitative liée au développement social ; celui-ci
résulte de la création d’outils et du développement des
moyens de production qui entraînent une diversification du
Figure 2. Photographie d’ Alexandre Romanovitch Luria.
Figure 2. Alexandre Romanovitch Luria’picture.
Figure 3. Écriture de AR Luria.
Figure 3. AR Luria’s handwriting.
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C. Derouesné
travail entre les hommes et rendent nécessaire le dévelop-
pement des moyens de communication, donc du langage.
Si le cerveau est le fondement de la vie psychique de
l’homme, celle-ci ne se réalise ainsi que dans un contexte
social qui modifie en retour le fonctionnement du cerveau
dans un rapport dialectique. Pour Vygotsky, les outils maté-
riels qui permettent d’élargir les capacités d’action et de
contrôle de l’homme sur les processus de la nature se
développent à partir des résultats du travail social [13, 14].
De la même fac¸on, il propose que l’homme développe
des outils psychologiques, également d’origine sociale,
qui transforment les capacités psychiques naturelles de
l’homme en «fonctions mentales supérieures », spéci-
fiquement humaines. L’activité, le comportement et les
processus cognitifs subissent ainsi une véritable transfor-
mation des processus psychiques du fait de leur médiation
par des systèmes symboliques d’origine sociale. Ces sys-
tèmes symboliques, au premier rang desquels figure le
langage (mais aussi la technologie), se construisent pro-
gressivement au cours du développement de l’enfant en
l’inscrivant dans des relations sociales particulières, liées à
une société donnée, à un moment donné de son histoire,
d’où le qualificatif d’historico-culturelle donné à cette nou-
velle psychologie. Dans cette optique, le développement de
l’activité psychique de l’enfant n’est pas considéré comme
le résultat d’une simple interaction entre l’enfant et son
entourage : elle représente l’actualisation, dans un compor-
tement individuel, de la culture à laquelle il appartient et qui
est incarnée dans la fonction symbolique des gestes, des
jeux et du langage. Pour illustrer l’influence de l’organisation
sociale sur le fonctionnement des processus cognitifs, Luria
effectue, dans les années 30, des travaux en Asie centrale
qui montrent que les techniques de classement des objets
varient en fonction de la structure sociale [8, 15].
En résumé, trois niveaux peuvent ainsi être distingués
dans le développement psychique de l’homme :
les comportements innés qui sont le résultat du dévelop-
pement des processus naturels et qui sont régis par les lois
de l’évolution et les lois de la biologie ;
l’adaptation des comportements individuels au milieu qui
relève des lois du conditionnement ;
les activités psychiques propres à l’homme qui reposent
sur la médiation d’outils psychologiques d’origine sociale
dont le plus important est le langage.
Les processus psychiques propres à l’homme (les fonc-
tions supérieures) ne sont donc pas des attributs ou
des propriétés d’un fonctionnement mental individuel : ils
découlent de la maîtrise progressive et de l’internalisation
dynamique de processus sociaux. Cette conception s’inscrit
ainsi radicalement en opposition avec la conception de la
littérature occidentale, essentiellement biologisante et égo-
centrée, mais aussi avec le néo-pavlovisme dogmatique qui,
à partir des années 30, devient l’idéologie dominante en
URSS.
Le développement de la fonction
régulatrice du langage
sur le comportement
de l’enfant selon Luria
Le langage est utilisé par la mère pour réguler l’activité
de l’enfant jusqu’à ce qu’il soit capable, dans un pre-
mier temps, de partager avec elle l’analyse et l’objectif de
la situation (étape intersubjective), puis, dans un second
temps, d’assurer lui-même cette activité par un proces-
sus d’intériorisation qui repose sur le développement du
langage intérieur (étape intrasubjective).
Cette fonction régulatrice du langage sur l’activité et le
comportement est un processus dynamique qui s’élabore
progressivement chez l’enfant comme le montre une série
d’expériences réalisées par Luria [16, 17]. Le rôle régulateur
du mot apparaît en premier : il constitue, à la fois, un signe
et un outil. Au cours de la 3eannée et d’une partie de la 4e,
le rôle du langage sur l’activité s’étend en assurant les liai-
sons préliminaires qui vont déboucher sur les programmes
d’action.
Le rôle régulateur du mot
Très tôt, le nourrisson réagit à la parole de la mère,
mais la fonction régulatrice du langage ne commence que
lorsque la mère adresse un ordre à l’enfant et que la réponse
de l’enfant présente un caractère spécifique, comme de
tourner le regard vers l’objet désigné par la mère.
Dès 12 à 14 mois, une réaction d’orientation spécifique
apparaît à la suite d’un ordre comme «Donne-moi la balle »,
«Où est la tasse ? »Mais, dans un premier temps, il est
nécessaire que l’ordre verbal soit renforcé par un stimu-
lus visuel, l’adulte pointant sur l’objet ou le manipulant.
Puis l’enfant tourne la tête ou attrape l’objet simplement en
entendant le mot. Les choses se compliquent néanmoins
lorsqu’on présente à l’enfant plusieurs objets. Lorsqu’on lui
dit de saisir le canard parmi plusieurs objets, il doit inhi-
ber les caractères physiques (taille, couleur) et la proximité
des autres objets. En outre, lorsqu’elle s’établit, la réponse
demeure peu stable, car si on demande à l’enfant d’attraper
un objet différent, il continue à chercher le premier objet ou
saisit l’objet le plus proche de lui.
Vers 14-16 mois, lorsqu’on demande à un enfant de pla-
cer des anneaux sur un support, il les place aisément, mais
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La fonction régulatrice du langage sur le comportement
si on lui demande de les enlever alors qu’il est en train de
les placer, il continue à les placer, ce qui montre que l’effet
inhibiteur se développe avec retard.
Le développement des liaisons préliminaires
Vers 18 mois-2 ans, lorsqu’on demande à l’enfant de
presser une balle quand une lumière apparaît, il presse la
balle, mais il continue à la presser même lorsqu’on lui répète
la consigne de ne presser la balle que lorsque la lumière
apparaît. C’est encore un exemple du retard de l’influence
inhibitrice.
Une autre expérience permet de comparer l’influence
des signaux verbaux à celle des signaux visuels. On place un
gobelet et une tasse devant l’enfant, puis on glisse devant
lui une pièce sous le gobelet. Lorsqu’on lui demande de
prendre la pièce, il va la chercher sous le gobelet. Après
plusieurs répétitions, sa main va directement vers le gobe-
let. Si on place la pièce devant lui, mais cette fois-ci dans la
tasse, sa main continue à aller vers le gobelet. Il n’est pas
capable, avant 18 mois, de se dégager de l’instruction préa-
lable. La réponse demeure instable jusque 2 ans et demi :
elle est perturbée lorsqu’on introduit un délai entre la consi-
gne et l‘action ou lorsque la pièce est cachée hors de la
vue de l’enfant qui doit répondre à la seule consigne ver-
bale «la pièce est sous la tasse, prends-la.»La possibilité
d’exécuter une directive verbale de l’adulte après un léger
délai n’est acquise qu’au cours de la 3e-4
eannée.
La séparation de la commande verbale de l’influence des
données visuelles se développe au cours de la 3e-4
eannée,
comme le montrent les épreuves de consigne conflictuelle
(«Si je lève mon doigt, tu lèves ta main »).
Vers 4 ans apparaissent les réponses aux instructions
multiples :
placer des jetons rouges et blancs. Dans un premier
temps, on demande à l’enfant de compléter des lignes alter-
nant pions rouges et pions blancs. Puis on lui demande
d’effectuer cette opération sur simple commande verbale.
À 4 ans, l’enfant peut exécuter des tâches symétriques (un
pion blanc, un pion rouge), mais les tâches asymétriques
(un pion blanc, deux pions rouges) ne sont réalisées que
vers 4 ans et demi ;
la réponse est plus tardive encore lorsque l’enfant n’a
plus devant lui le modèle et qu’il doit créer l’action, comme
dessiner un cercle alternant avec une croix.
La mise en évidence du rôle du langage
intérieur
Jusqu’ici, la fonction régulatrice du langage s’effectue
par l’intermédiaire du langage de l’adulte : c’est un pro-
cessus psychique partagé, interpsychique. Dans l’étape
suivante, ce processus va être intériorisé progressivement
par l’enfant et va devenir intrapsychique par l’intermédiaire
du langage intérieur.
Ce passage est illustré dans une série d’expériences.
Lorsqu’on donne à l’enfant une double consigne : «Presse
la balle si la lumière est rouge, ne la presse pas si la lumière
est bleue », on obtient d’abord des mauvaises réponses. On
étudie alors l’influence d’un renforcement verbal donné par
l’expérimentateur qui dit «oui »lorsque la lumière est rouge,
«non »lorsqu’elle est bleue. Puis, dans un deuxième temps,
c’est l’enfant lui-même qui doit effectuer le renforcement
verbal en disant oui ou non selon la couleur de la lumière.
Le langage intérieur a toutefois des propriétés diffé-
rentes de celles du langage social. Lorsqu’on place un
enfant devant une activité qu’il n’arrive pas à maîtriser, il
demande d’abord de l’aide à l’adulte. S’il n’en rec¸oit pas, il se
parle à lui-même en décrivant la tâche à effectuer et la diffi-
culté qu’il rencontre. Son expression verbale se fait d’abord
à voix haute puis chuchotée ; il utilise des phrases longues
puis de plus en plus courtes et de moins en moins structu-
rées. Ce langage a été qualifié d’égocentrique, autistique,
par Piaget. Vygotsky s’est opposé à cette interprétation [13].
Pour lui, il s’agit en réalité du langage social qui est utilisé
pour résoudre une tâche, mais avec deux caractéristiques
particulières : c’est un langage condensé, raccourci et pré-
dicatif car le sujet et le thème du discours sont connus
du locuteur. Le langage intérieur intervient tout particuliè-
rement devant une situation nouvelle à effectuer (bref dans
les tâches qui impliquent ce que nous appelons aujourd’hui
le fonctionnement exécutif). L’acte volontaire apparaît ainsi
comme un acte médiatisé par le langage utilisé, non comme
moyen de communication, mais pour accomplir une tâche
et réguler l’activité. Le langage, dans un premier temps
accompagne l’action, puis la précède et enfin la remplace.
Le langage intérieur s’interpose ainsi entre l‘intention et la
réalisation de l’acte, ce qui introduit une grande souplesse
par rapport aux réactions de type réflexe : du fait de cette
médiation, l’homme peut planifier son activité parmi diffé-
rentes actions possibles et évaluer les conséquences de
son acte avant de les réaliser.
L’importance de cette implication est variable. Dans les
situations simples, lorsque l’activité est déterminée sans
ambiguïté par l’objectif à atteindre ou par le contexte, le
rôle de la composante verbale est limité à la formulation
de la tâche et au déclenchement des schémas moteurs.
Dans les situations complexes ou nouvelles, le langage
intérieur intervient dans le décodage de l’information pour
en dégager les éléments essentiels, inhiber les associa-
tions accessoires qui surgissent sous l’influence du milieu
ou des stéréotypes moteurs. Le chaînon verbal organise
l’action et crée le schéma interne de sa réalisation puis,
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