Journal Identification = PNV Article Identification = 0287 Date: August 31, 2011 Time: 12:45pm
La fonction régulatrice du langage sur le comportement
si on lui demande de les enlever alors qu’il est en train de
les placer, il continue à les placer, ce qui montre que l’effet
inhibiteur se développe avec retard.
Le développement des liaisons préliminaires
Vers 18 mois-2 ans, lorsqu’on demande à l’enfant de
presser une balle quand une lumière apparaît, il presse la
balle, mais il continue à la presser même lorsqu’on lui répète
la consigne de ne presser la balle que lorsque la lumière
apparaît. C’est encore un exemple du retard de l’influence
inhibitrice.
Une autre expérience permet de comparer l’influence
des signaux verbaux à celle des signaux visuels. On place un
gobelet et une tasse devant l’enfant, puis on glisse devant
lui une pièce sous le gobelet. Lorsqu’on lui demande de
prendre la pièce, il va la chercher sous le gobelet. Après
plusieurs répétitions, sa main va directement vers le gobe-
let. Si on place la pièce devant lui, mais cette fois-ci dans la
tasse, sa main continue à aller vers le gobelet. Il n’est pas
capable, avant 18 mois, de se dégager de l’instruction préa-
lable. La réponse demeure instable jusque 2 ans et demi :
elle est perturbée lorsqu’on introduit un délai entre la consi-
gne et l‘action ou lorsque la pièce est cachée hors de la
vue de l’enfant qui doit répondre à la seule consigne ver-
bale «la pièce est sous la tasse, prends-la.»La possibilité
d’exécuter une directive verbale de l’adulte après un léger
délai n’est acquise qu’au cours de la 3e-4
eannée.
La séparation de la commande verbale de l’influence des
données visuelles se développe au cours de la 3e-4
eannée,
comme le montrent les épreuves de consigne conflictuelle
(«Si je lève mon doigt, tu lèves ta main »).
Vers 4 ans apparaissent les réponses aux instructions
multiples :
–placer des jetons rouges et blancs. Dans un premier
temps, on demande à l’enfant de compléter des lignes alter-
nant pions rouges et pions blancs. Puis on lui demande
d’effectuer cette opération sur simple commande verbale.
À 4 ans, l’enfant peut exécuter des tâches symétriques (un
pion blanc, un pion rouge), mais les tâches asymétriques
(un pion blanc, deux pions rouges) ne sont réalisées que
vers 4 ans et demi ;
– la réponse est plus tardive encore lorsque l’enfant n’a
plus devant lui le modèle et qu’il doit créer l’action, comme
dessiner un cercle alternant avec une croix.
La mise en évidence du rôle du langage
intérieur
Jusqu’ici, la fonction régulatrice du langage s’effectue
par l’intermédiaire du langage de l’adulte : c’est un pro-
cessus psychique partagé, interpsychique. Dans l’étape
suivante, ce processus va être intériorisé progressivement
par l’enfant et va devenir intrapsychique par l’intermédiaire
du langage intérieur.
Ce passage est illustré dans une série d’expériences.
Lorsqu’on donne à l’enfant une double consigne : «Presse
la balle si la lumière est rouge, ne la presse pas si la lumière
est bleue », on obtient d’abord des mauvaises réponses. On
étudie alors l’influence d’un renforcement verbal donné par
l’expérimentateur qui dit «oui »lorsque la lumière est rouge,
«non »lorsqu’elle est bleue. Puis, dans un deuxième temps,
c’est l’enfant lui-même qui doit effectuer le renforcement
verbal en disant oui ou non selon la couleur de la lumière.
Le langage intérieur a toutefois des propriétés diffé-
rentes de celles du langage social. Lorsqu’on place un
enfant devant une activité qu’il n’arrive pas à maîtriser, il
demande d’abord de l’aide à l’adulte. S’il n’en rec¸oit pas, il se
parle à lui-même en décrivant la tâche à effectuer et la diffi-
culté qu’il rencontre. Son expression verbale se fait d’abord
à voix haute puis chuchotée ; il utilise des phrases longues
puis de plus en plus courtes et de moins en moins structu-
rées. Ce langage a été qualifié d’égocentrique, autistique,
par Piaget. Vygotsky s’est opposé à cette interprétation [13].
Pour lui, il s’agit en réalité du langage social qui est utilisé
pour résoudre une tâche, mais avec deux caractéristiques
particulières : c’est un langage condensé, raccourci et pré-
dicatif car le sujet et le thème du discours sont connus
du locuteur. Le langage intérieur intervient tout particuliè-
rement devant une situation nouvelle à effectuer (bref dans
les tâches qui impliquent ce que nous appelons aujourd’hui
le fonctionnement exécutif). L’acte volontaire apparaît ainsi
comme un acte médiatisé par le langage utilisé, non comme
moyen de communication, mais pour accomplir une tâche
et réguler l’activité. Le langage, dans un premier temps
accompagne l’action, puis la précède et enfin la remplace.
Le langage intérieur s’interpose ainsi entre l‘intention et la
réalisation de l’acte, ce qui introduit une grande souplesse
par rapport aux réactions de type réflexe : du fait de cette
médiation, l’homme peut planifier son activité parmi diffé-
rentes actions possibles et évaluer les conséquences de
son acte avant de les réaliser.
L’importance de cette implication est variable. Dans les
situations simples, lorsque l’activité est déterminée sans
ambiguïté par l’objectif à atteindre ou par le contexte, le
rôle de la composante verbale est limité à la formulation
de la tâche et au déclenchement des schémas moteurs.
Dans les situations complexes ou nouvelles, le langage
intérieur intervient dans le décodage de l’information pour
en dégager les éléments essentiels, inhiber les associa-
tions accessoires qui surgissent sous l’influence du milieu
ou des stéréotypes moteurs. Le chaînon verbal organise
l’action et crée le schéma interne de sa réalisation puis,
Ger Psychol Neuropsychiatr Vieil, vol. 9, n ◦3, septembre 2011 359
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