LE MARCHE DU TRAVAIL: VRAIE EPINE POUR LA CROISSANCE US… (CONVERSATION AVEC UN ECONOMISTE DE LA FED DE BOSTON) Le marché du travail est en train de devenir le clou du débat économique et politique aux USA. Les dernières statistiques montrant dramatiquement la réalité: création d’emplois de 21K, grâce surtout à l’Administration fédérale, et révision importante des créations des deux derniers mois. De plus, le niveau du chômage reste stable, à 5,6%, parce que 392K chômeurs ont abandonné l’espoir de trouver un job et ne figurent plus dans les listes. Ce sont des femmes qui restent à la maison, des étudiants qui retournent à l’école, des chômeurs qui suivent des cours de re-qualification. On avait exprimé la crainte que cette croissance pouvait être sans création d’emplois: les dernières statistiques le confirment et le phénomène de « outsurcing » continue, en s’accélérant. ER E FORTE CROISSANCE AU 1 SEMESTRE, DOUTES POUR LE 2 … L’économiste de la FED de Boston que nous avons contacté est spécialisé dans l’analyse de l’économie américaine; c’est un ancien élève de Princeton et de Bernanke. Selon lui, l’économie er américaine devrait enregistrer une bonne croissance au 1 semestre. L’impact des mesures fiscales décidées par Bush et la «dévaluation» du dollar devraient soutenir la conjoncture, d’une façon importante. Selon les études de la FED de Boston, la politique fiscale-budgétaire de Bush a ajouté environ 2% de croissance au PIB de 2002 et de 2003. Mais les effets de la politique fiscale er s’estompent, à partir du 1 juillet pour les particuliers, tout en restant encore en vigueur pour les entreprises, qui peuvent bénéficier d’avantages fiscaux importants (pour les investissements et les er amortissements). Il faut donc trouver un élément de soutien de la conjoncture, à partir du 1 juillet. Il y en a deux: le marché du travail et le dollar. M ARCHE DU TRAVAIL : TRES DECEVANT La FED est fortement préoccupée par l’évolution du marché du travail, qui ne suit plus les modèles classiques: c’est à dire croissance = création d’emplois. Évidemment, il faut tenir compte du fait que beaucoup d’entreprises US sont en train d’investir, mais à l’étranger, avec un «outsurcing» de la production dans des pays qui ont des salaires et des conditions syndicales plus avantageuses. Ce phénomène s’étend de plus en plus au secteur de services: le transfert de jobs a commencé par des services de qualité moyenne, avec des salaires pas très importants (enregistrement de données comptables, ensuite call centers); ensuite, les entreprises ont transféré à l’étranger des jobs beaucoup plus qualifiés (la recherche économique, la documentation, etc.), qui reçoivent des salaires bien plus élevés. Mais la vitesse du phénomène surprend et les modèles économétriques n’arrivent plus à suivre la réalité. Voilà la difficulté de faire des prévisions sur le marché du travail, d’où les erreurs systématiques des économistes au cours des 6 deniers mois. De plus, les entreprises veulent des profits; mais elles n’arrivent pas à le faire du côté des ventes et doivent donc agir du côté des coûts. La recherche de la productivité est un phénomène extraordinaire, qui influence toute la structure de l’économie américaine. Le volume des investissements est important (grâce aussi à l’aide fiscale de Bush), mais il s’agit surtout d’investissements orientés à la recherche de la productivité et au remplacement des systèmes informatiques mis en place avant 2000 (crainte du bogue du changement du millénaire). Et beaucoup d’investissements informatiques se basent sur l’importation de hardware, avec un impact insignifiant sur le «facteur multiplicateur» des investissements. En d’autres mots, la construction d’une usine et l’achat des machines pour l’équiper (si elles sont produites sur le sol domestique) alimentent la croissance du pays; par contre, le remplacement d’ordinateurs et d’écrans achetés à l’étranger a un impact marginal sur la croissance réelle, même si dans les deux cas les critères de la comptabilité nationale donnent le même poids aux investissements. LA FED VA REGARDER LA QUALITE DES CREATIONS D’EMPLOI Les marchés focalisent leur attention sur les chiffres de la création des emplois, en raisonnant sur le chiffre brut. En réalité, la FED tient compte de l’aspect quantitatif, mais aussi, de plus en plus, de la qualité de ces emplois. Tous les emplois n’ont pas le même effet sur la masse salariale: un livreur de pizza gagne 1/5-1/10 du salaire d’un ingénieur informatique, mais dans les statistiques le premier job équivaut au second. Pour les hommes de la FED, ce n’est pas la même chose, car le pouvoir d’achat n’est pas le même. En ce moment, pour faire des prévisions sur l’évolution de la conjoncture au cours du S2, il faut surtout compter sur le pouvoir d’achat des personnes qui trouvent un nouveau job pour soutenir la conjoncture. Et l’outsurcing en ce moment est en train de transférer de plus en plus de jobs qualifiés à l’étranger, tandis que les nouveaux jobs créés en Amériques sont surtout de baisse qualité: gardien pour la sécurité, livreur, etc. avec des salaires pas importants. Le Sénat a voté vendredi une loi pénalisant les entreprises qui reçoivent des commandes de l’Administration fédérale: elles ne peuvent plus sous-traiter ces commandes à l’étranger, dans des pays non-membre de l’OMC. C’est le premier signe d’un durcissement politique contre l’outsurcing et on peut prévoir le renforcement des guerres commerciales internationales… LE FUTUR DU DOLLAR La «dévaluation» du dollar est essentielle pour corriger le déséquilibre de la balance commerciale du pays. L’Administration Bush a décidé de transférer ce «coût de restructuration» sur les épaules de trois pays/régions essentiellement: Europe, Japon, Chine. La pression sur la Chine pour réévaluer son yuan est très forte, un peu moins forte sur le Japon (qui en réalité finance partiellement le déficit budgétaire des USA: 180 milliards de Treasuries sur 273 milliards de $ achetés par les investisseurs internationaux en 2003). L’Europe semble ne pas réagir avec la BCE, qui est contente et fière de la remontée de l’euro. Les niveaux d’équilibre souhaités par l’Administration sont de 1.30-1.35 contre l’euro et de 95-100 contre le yen. Mais ce sont des niveaux qui peuvent créer des réactions politiques importantes. Donc, ou bien ces niveaux sont atteints et le dollar peut rester «bas» pendant une certaine période, ou bien le dollar va rester plus «haut» , mais pour une période plus longue… INFLATION ET EMPLOI DES RESSOURCES L’inflation semble rester sous contrôle, même si les prix des matières premières importées aux USA sont en train de monter. Mais les prix de beaucoup de produits industriels et de produits finis manufacturés restent très stables, avec une tendance à la baisse à cause de la concurrence internationale et locale: les producteurs et les distributeurs ont perdu leur pouvoir de fixer les prix face aux consommateurs (globalisation, Internet, changement d’attitude du consommateur). Il faut se rappeler que la Chine est en train d’exercer une forte pression à la hausse sur les prix de matières premières, mais qu’elle exerce une forte pression à la baisse sur les produits manufacturés; dernièrement, une étude de la FED de Washington se demandait si la «Chine n’est pas un important facteur de déflation mondiale »…. De plus, les capacités de production et d’offre de services sont très abondantes, surtout après l’avalanche d’investissements réalisés avant l’an 2000. Par exemple, seulement 3% des réseaux de fibres optiques est réellement utilisé aux US: c’est un cas un peu spécial, mais la moyenne des capacités industrielles non-utilisées reste à 24%, sans s’améliorer avec la croissance. Cela signifie que les entrepreneurs n’ont aucune envie d’augmenter leurs capacités de production par des investissements nouveaux (donc création d’emplois). La FED, dans ces conditions, ne peut qu’être « patiente » … peut-être pour longtemps. ALESSANDRO GIRAUDO