Raphaëlle Pauthe Sylvia Odie Psychologues cliniciennes Journées scientifiques de la SFM, 12 Mars 2015 On rencontre peu de patients qui refusent la greffe, ou l’inscription sur la liste de greffe On peut imaginer que ces patients ne sont pas envoyés en bilan pré-TP ou bien n’arrivent pas jusqu’à nous On rencontre plus souvent des patients qui évoquent par leurs propos ou leurs actions des obstacles ou des freins à la décision de greffe → source de questionnement pour l’équipe soignante → parfois source d’inquiétude Remaniements identitaires toujours présents en post-greffe immédiat et à degrés divers. Avec parfois l’angoisse d’un vide identitaire post greffe: → « je suis muco »/ « avoir la muco, c’est comme avoir les yeux marrons, ça me caractérise ». La maladie peut représenter une part de l’identité du sujet. En allant à la greffe, le sujet peut craindre de perdre son identité, ce qui le définit. → « Je ne serais plus muco en vrai ? » Crainte de ne plus savoir/ne plus connaître/ne plus maîtriser la maladie (alors qu’ils étaient « experts » avant la greffe), leur corps et au-delà peut être leur vie. C’est une façon de contrecarrer illusoirement la mort. → Transgression du destin. Certains bénéfices secondaires à la maladie peuvent être parfois difficiles à lâcher. Les bénéfices, ce peut être le soutien, l’attention, les prises en charge multiples, une place privilégiée dans la famille… Qu’est-ce que le patient risque de perdre en acceptant la greffe? Recevoir un organe d’un autre/mort → Altérité dangereuse ? → Pensée de « la mort souhaitée» du donneur → Culpabilité parfois trop importante Rejet → être rejeté(e)→ mourir ? Cette réticence diminue avec l’effet de réalité, l’avancée de la maladie et la peur de mourir vont l’emporter sur la culpabilité (qui pourra revenir après la greffe) Recevoir plus difficile que de donner: → reconnaître la vulnérabilité, la maladie, le besoin → accepter l’altérité à venir Déni de l’état de malade avant la greffe/de la différence d’avec les autres. Ce fonctionnement peut continuer au moment de l’annonce de la nécessité de la greffe et cela → ralentit le moment de l’acceptation de la nécessité de la greffe → le sujet peut aller toucher ses limites physiques sans en être totalement conscient Cette attitude a pu être → protectrice pour la construction du sujet (« être/faire comme les autres », ne pas parler de la maladie, vivre comme les autres, investissement dans la vie++…) → peut être dangereuse quand la maladie avance Sentiment de prendre un risque trop important au moment T → contrôle de l’angoisse de mort → si je fais mieux", "si j'essaie....", je peux gagner du temps » Sentiment d'avoir encore le temps ≠ temps médical/temps individuel → mise en danger du patient ? → inquiétude / sentiment d’échec du soignant Gagner du temps sur la vie # mort Renoncements et deuils imposés par la nécessité de la greffe Le travail de deuil peut ralentir l’acceptation de la mise sur liste: → Deuil de soi en meilleure santé, indépendant → Deuil d’une partie de soi, les poumons certes malades mais néanmoins investis par le patient, la famille et les équipes depuis si longtemps → Deuil d’un « statut de muco ». Reconnaissance sociale et/ou identitaire: « Je tousse, donc je suis ». → Deuil réel d’un proche qui peut se voir réactivé et ralentir l’investissement du sujet dans le projet greffe Le patient peut poser un interdit lié au corps (résurrection de la chair, interdits de toucher le corps mort, interdit de la violation du corps humain…). Renvoie à des préoccupations archaïques, des angoisses de morcellement que la perpective de l’intervention vient réveiller Lié en la croyance au miracle Lié en un sentiment de transgression Transgression du temps que la nature donne à chacun (« ai-je droit à ce surplus de temps? ») Transgression de son destin (certains malades, plus âgés, ont fait un long travail pour accepter de mourir de leur maladie un jour) Transgression de l’intégrité du corps humain (angoisses de morcellement) Transgression des limites de la mort ( cela pose des questions bioéthiques) Avoir déjà tant subi/souffert... Se faire « charcuter et subir plein de choses pour quelques années est ce que ça vaut le coup » ? "si mon corps a besoin d'O2 pour respirer, de dialyse pour uriner, d'insuline pour se réguler... à un moment il faut accepter que mon corps n'est plus en mesure de me maintenir en vie... je ne veux pas que petit à petit, prothèse par prothèse on supplée de plus en plus à mon corps. Avec la greffe c'est pareil, on peut changer les organes les uns après les autres, ... ce n'est pas ça la vie... je ne veux pas maintenir ma vie, mon corps à ce prix là» → Recherche de la vie éternelle? → Limites de la mort repoussées → Quid de l’individualité/subjectivité psychique et physique? Cela donne à voir une représentation du corps comme étant la somme d’organes ou de parties interchangeables « à vie ». Ce qui peut être très angoissant. Paradoxal Ne pas pouvoir dire « non », peut freiner l’avancée du projet Pourquoi le patient ne pourrait pas dire non? → Se sent obligé de dire « oui » / famille, proches (ne pas partir comme un frère ou une soeur/ ne pas endeuiller un parent…) → Se sent obligé de dire « oui »/ équipes soignantes (reconnaissance de leur investissement. Deuxième famille) Difficile pour les équipes et les proches d’entendre le non du patient qui peut emmener celui-ci très loin (suicide, refus de soins post greffe, dépression, difficulté à s’investir dans la vie…) Dire le « non » pour le patient, et que l’équipe l’entende, peut permettre un « oui » plus engagé par la suite. Se donner le temps de s’autoriser à recevoir → Va souvent avec la culpabilité: « J'ai fumé toute ma vie. Je suis responsable de ce qui m'arrive. Pourquoi irais je demander un tel sacrifice à une famille alors que c'est de ma faute » ? Se donner le temps d’envisager les bouleversements: internes (identitaires), corporels et sociaux Se donner le temps d’intégrer que c’est un projet qui évolue dans le temps avant et après la greffe Ce temps d’avant greffe un moment qui peut être en mouvement et inconfortable, mais pas définitif Fatigue Représentations personnelles de la greffe (attaque du corps, douleur, mort, taux de réussite…) Exemples douloureux autour d’eux Peur d’être obligé de « tout assumer » après avoir signé un « contrat » Peur de ne plus avoir "d'excuses" après pour ne pas tout réussir... : « qu'est ce que je ferais dans ma vie pour montrer que je l'ai bien mérité » ? Interroge aussi sur nos messages avant greffe Identifier et reconnaitre ces freins et ces obstacles Accepter qu’il existe une temporalité différente chez le patient que celle de son corps Accepter que le sujet refuse la greffe –même momentanément- sans lier ce refus à un échec Connaître nos propres représentations de la greffe qui peuvent être différentes de celle du patient Saisir qui veut la greffe, pour qui et pour quoi? C’est toujours une aventure à plusieurs Cette aventure est la première pour le patient, pas pour les équipes. Important de s’en souvenir pour ne pas banaliser et passer à côté de quelque chose qui nous permettrait d’identifier des obstacles. Singulariser. Merci de votre attention