Georges Sagnac to H. Poincaré

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Georges Sagnac to H. Poincaré
[Ca. 06–07.1899] 1 a
Sigriswyl s/ Gunten (lac de Thun), canton de Berne
Monsieur,
Je m’empresse de répondre à la lettre où vous voulez bien m’indiquer l’explication du
phénomène étudié par M. de Nicolaieve. 2
Je ne pense pas que M. de Nicolaieve ait d’objection à faire au sujet de la réunion de ses
deux premières notes en une seule.
Pour les figures, j’écris par ce courrier à Mr Montreuil de vouloir bien les faire tirer comme
il le fait pour moi ; de cette manière la note de M. de Nicolaieve déposée le lundi pourra
paraître le samedi suivant avec ses figures.
Je ne sais si vous avez remarqué une particularité qui me paraît très intéressante.
Fig. 1
Le cylindre C C parcouru par un courant dans les sens des génératrices tourne lorsqu’on y
enfonce un pôle N (à l’exclusion du pôle opposé S ). Si le cylindre est lié mécaniquement
à l’aimant NS il tourne encore en entraînant l’aimant. Mais si l’aimant NS est mécaniquement indépendant du cylindre C C , il ne tourne pas d’après ce que m’a dit M. de
Nicolaieve dans une de ses lettres. C’est là il me semble un bel exemple d’exception à la
loi d’action et de réaction : l’aimant agit par l’intermédiaire du champ magnétique ambiant pour faire tourner le cylindre C C ; mais le cylindre C C n’agit pas sur NS , il peut
seulement entraîner NS lorsque les deux pièces sont invariablement reliées. Je regrette
1. Ce brouillon correspond à § 51.3.
2. W. de Nicolaïève ; voir Sagnac à Poincaré, § 2-51-2.
a. Le manuscrit porte une annotation au crayon de main inconnue : “3 lettres successives de Henri Poincaré,
mort hélas en 1912, le plus grand analyste de mécanique céleste de son siècle et une lettre de Nicolaieve”.
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que M de Nicolaieve n’ait pas voulu se placer à ce point de vue. Il me semble que son
expérience de la 3e note où il y a deux cylindres C , C 0 l’un dans l’autre, s’expliquerait
ainsi :
Fig. 2
Le cylindre C tourne sous l’influence de NS . b Le cylindre C 0 tourne en sens inverse
sous la même influence parce qu’il est parcouru par un courant de sens inverse de celui
de C . Quant au mouvement de NS , il ne serait dû ni à l’action électromagnétique de C ,
ni à l’action électromagnétique de C 0 , mais uniquement à l’entraînement mécanique de
NS par le cylindre C qui lui est invariablement relié. En d’autres termes le cylindre C 0
pourrait être supprimé sans que NS cesse de tourner avec C . Inversement NS cesserait
de tourner (même en présence de C 0 ) s’il n’était pas mécaniquement lié avec le cylindre
C qui l’entraîne avec lui.
Finalement tout se réduirait à ceci (fig. 1) :
l’aimant NS provoque la rotation électromagnétique d’un cylindre C (enfermant l’un de
ses pôles) même quand ce cylindre est mécaniquement lié à l’aimant. Dans ce cas l’aimant
est entraîné avec le cylindre C . Ce résultat pourrait s’énoncer ainsi :
1° quand un cylindre métallique parcouru suivant ses génératrices par un courant électrique tourne autour de son axe, il ne faut pas considérer les filets de courant comme fixes
dans l’espace ; ils sont entraînés dans le mouvement de rotation du cylindre ; inversement,
si un couple magnétique s’exerce sur ces filets de courant (c’est le cas de l’expérience de
la fig. 1) les filets de courant entraînent la matière du cylindre dans leur mouvement de rotation ; tout se passe comme si au lieu d’un cylindre continu on avait une cage cylindrique
b. Variante : Le cylindre C tourne sous l’influence de NS suivant le mécanisme que vous avez bien voulu
m’indiquer.
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formée de fils métalliques parallèles isolés les uns des autres
fig. 3
2° quand un aimant NS tourne sur lui-même autour de son axe, il ne faut pas considérer
les lignes de force magnétique qui en émanent comme entraînées dans le mouvement de
rotation de l’aimant ; elles sont fixes dans l’espace comme si l’aimant ne tournait pas : et
quand le cylindre C tourne autour du pôle N , les filets de courant du cylindre C coupent
réellement les lignes de force [1 mot illisible] issues de N ; c’est pour cela qu’il y aurait
un couple de rotation agissant sur le cyl. C issu quand l’aimant tourne avec lui.
Fig. 4
Peut-être y a-t-il d’autres phénomènes en même temps que les précédents. Toutefois dans
ma correspondance avec M. de Nicolaiev j’ai insisté plus d’une fois sur l’intérêt qu’il y
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aurait de constater un cas de rotation de l’aimant NS supposé libre ; mais M. de Nicolaieve ne l’a pas observé ; dans ses expériences l’aimant NS ne tourne que s’il est lié au
cylindre.
Je regrette que M. de Nicolaiev n’ait pas voulu se placer à ce point de vue. Il me semble
que son expérience de la 3e note, où il y a deux cylindres C , C 0 (fig. 4) s’expliquerait
ainsi :
Le cylindre et le cylindre C 0 tournant sous l’influence du pôle N , chacun en sens inverse
de l’autre parce qu’ils sont parcourus
Peut-être y a t-il encore d’autres phén. en partic. le mode d’action que vous avez bien
voulu me signaler. Toutefois dans mes cosp. avec M. de Nicolaieve j’ai insisté plus d’une
fois sur l’intérêt qu’il y avait de montrer que NS entre en rotation sous l’influence du
cyl. C et M. de N. n’a jamais rép. qu’il avait obs. ce phèn sauf le cas où l’aimant NS est
mécaniquement lié au cylindre. c
Pardonnez moi de vous importuner par une aussi longue lettre et veuillez croire, Monsieur,
à mes sentiments les plus respectueux et les plus dévoués.
G. Sagnac
ADftS 7p. AB XIX 3534, Fonds Sagnac, Archives nationales françaises.
Cite this as : Scott A. Walter et al., eds., Henri Poincaré Papers, http://henripoincarepapers.univ- nantes.fr/chp/pdf/sagnac05.pdf.
c. Variante : Peut-être n’en serait-il pas de même si le cylindre C était en fer. Il y a là des questions
auxquelles je n’ai jamais eu le temps de réfléchir suffisamment. Je crois me souvenir que M. Potier et M.
Marcel Desprez ont soutenu dans les Comptes Rendus une discussion qui touche à cet ordre d’idées.
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