L'éducation cognitive en maternelle
J'ai eu le plaisir d'assister le mercredi 19 mai 1999 à une conférence de Sylvie Cèbe sur l'éducation
cognitive en maternelle, conférence d'ailleurs assez « poil à gratter ». Sylvie Cèbe est une enseignante
spécialisée travaillant en réseau dans une ZEP des quartiers nords de Marseille. En parallèle, elle mène
une thèse de recherche sur l'élaboration d'instruments d'éducation cognitive pour les élèves de maternelle.
Les points d'ancrage théoriques de sa recherche se situent dans :
la psychologie du développement
la psychologie cognitive
la sociologie
la sociologie de l'éducation
la psychologie clinique (interaction caractéristiques, non cognitives, estime de soi)
>les sciences de l'éducation
La problématique de la recherche qu'elle mène avec Paour à l'Université d'Aix en
Provence est
En quoi ces élèves sont différents ?
De quels types d'interactions précoces bénéficient-ils ?
Comment mieux prévenir les difficultés ?
Or des évaluations ont montré les limites du PEI (Programme d'Enrichissement
Instrumental) dans le domaine du transfert de compétences. Elle se dirige vers une
démarche d'éducation cognitive avant l'échec, en terme de prévention, visant à doter
l'enfant d'outils de pensée.
Ses travaux se sont développés dans le but de concevoir un outil d'éducation cognitive à l'école maternelle.
Historique des programmes d'éducation cognitive et recherches menés à travers le
monde :
Programme Head start aux USA (1960) première entreprise d 'éducation compensatoire qui mêle
l'éducation des enfants et des parents.
PEI de Feuieurstein
Travaux de Bourdieu dans les années 1970 qui ont débouché sur la création des ZEP en 1981
Les travaux de Hunt (1964) sur le type d'environnement (déprivé ou non) montrant que le qualité de
l'environnement de la stimulation l'interaction éducative ont une effet déterminant sur la motivation
de l'élève.
Le bilan décevant des ZEP (montrant en fait une discrimination négative au lieu d'une discrimination
positive)
Le rapport Ferrier ( « l'école maternelle a une part de responsabilité dans la production de l'échec
scolaire »).
Les travaux de Thouroude (1997) qui dans une évaluation des élèves de Petite section, montrent
que les élèves de milieu défavorisé ont déjà un écart avec les autres, écart qui perdure.
les travaux de Karminoff-Smith (1992-1994) sur le type de fonctionnement des élèves et des
enseignants.
Selon Karminoff les élèves réussissent plein de choses sans comprendre comment ils réussissent. De
même, les enseignants ont des savoir faire procéduraux qui marchent et présentent une certaine réussite,
mais ils ne comprennent pas comment il fonctionnent.
Karminnoff distingue :
Savoir faire procéduraux
Ré-explicitation qui entraîne une chute des
performances
Savoir faire explicite, détachés du contexte,
transférables, flexibles
Implicites, encapsulés, non
flexibles, non transférables
Pour Karminoff, les savoir faire sont les cadres conceptuels centraux dans la plupart des tâches. Ce sont :
la comparaison
l'explicitation
la catégorisation
la classification
l'ordre
la sériation
la décentration
la compréhension lecture
On constate également que la réussite n'est jamais un gage de compréhension, contrairement à l'échec.
Analyse des pratiques parentales
Selon le type de mieux socioculturel, on a différents types de pratiques parentales
Défavorisés Favorisés
Contrôle Contrôle externe des
parents, obéissance,
politesse
Autocontrôle sur l'activité,
autonomie
Performance
(faire réussir
ou
comprendre)
Attaché au contexte,
traitement perceptif,
connaissance implicite
Stratégies, connaissance explicitée
On retrouve cela en classe maternelle notamment, avec des enseignants qui implicitement ont l'attitude qui
correspond au milieu des enfants. Souvent on observe une centration sur le résultat (« Dépêche-toi de
finir »), ce qui correspond à une performance attachée au contexte.
De même on remarque des élèves « scotchés » (« C'est ça ? »), qui attendent un contrôle externe.
Élèves en difficulté :
1. constat
Ils ont un potentiel intact mais n'ont pas une mobilisation efficace de ce potentiel.
Ils ont un retard dans le développement des structures conceptuelles générales.
Ils manquent de stratégies cognitives ou métacognitives.
Ils présentent une faiblesse de l'autorégulation (ont besoin d'un contrôle externe : élèves
« scotchés »).
Ils ont une orientation extrinsèque de la motivation (externe à eux).
Le transfert se fait généralement difficilement.
Le langage est généralement utilisé pour répondre au besoin.
Ils ont une mode de fonctionnement de type associatif ou figuratif (attaché au contexte).
2. Fonctionnement pédagogique
Il faut un travail systématique sur les compétences transversales pour développer les structures
conceptuelles générales.
Construction des outils
objectifs
1. induction d'un cadre conceptuel généralement
2. approche stratégique des tâches et apprentissages (attention, anticipation, vérification). Quel type
de guidage ? Déroulement de leçons toujours identiques
3. travail vers une autorégulation cognitive avec une centration sur la tâche
Or les petits sont dans le perceptif. Si dans une tâche, il n'y a pas de modèle qui fait obstacle au perceptif,
l'enfant peut se faire une représentation mentale. Il faut donc systémtiquement enlever le modèle dans un
exerfcie (après evidemment observation et appropriation de la tâche à accomplir, ne pas laisser les
données du problème à résoudre à protée immédiate. Cette représentation mentale nécessite
d'encoder le modèle
de trouver des stratégies (discussion, efficacité)
vérification
métacognition(à quoi ça sert).
Si les matériel qui est donné aux enfants qui travaillent (voir les manuels scolaires super décorés...), on
s'aperçoit que l'enfant en difficulté ne trie pas les infos. Donc celles-ci se perdent.
L'hypothèse est de construire un matériel très épuré zen » selon son expression) pour faciliter la
centration sur la tâche et pas sur l'environnement. De plus, la présentation des tâches est toujours
identique.
Elle utilise la comparaison relative (au modèle) qui permet une autoévaluation, quand on s'arrête ou non,
par rapport au modèle.
L'évaluation se fait en terme d'invention de tâche et permet la ré-appropriation du matériel.
Suit une phase de transfert d'une quinzaine de minutes, consistant en une comparaison entre la tâche
effectuée et la tâches scolaires.
Remises en causes
Il existe des compétences spécifiques et générales (métacognitives)
Une première évaluation du PEI et des ARL (Ateliers de Raisonnement Logiques) a montré une
augmentation du QI, mais pas d'effet sur les tâches scolaires.
L'outil continue à se construire a été évalué dans sa forme actuelle. L'évaluation (avec le test RAVEN) a
montré un effet jusqu'en CE1 (l'apprentissage cognitif a été fait en maternelle, puis arrêté).
Mon point de vue
Certes, les résultats semblent convaincants, ils portent sur une cohorte d'élèves suivis jusqu'en CM, mais il
convient de relativiser la portée de cet outil, dans la mesure, où il est conçu et utilisé par la même personne.
L'évaluation il me semble (cela n'a pas été précisé) ne porte donc que sur cet outil maîtrisé par l'enseignant
qui l'a conçu. Il faudrait voir quels seraient les résultats si d'autres enseignants l'utilisaient. Est-il
transférable ?
De l'avis même de Sylvie Cèbe, ce n'est pas une solution miracle, c'est un moyen de travail, comme une
autre, qu'elle s'est forgée et qu'elle approfondit. Elle refuse d'ailleurs de le diffuser actuellement. Pour elle, il
ne peut être efficace que s'il est utilisé correctement, c'est à dire précédé d'une formation solide (envisage-
t-elle de la concevoir ultérieurement, payante ou non, dans l'éducation nationale ou hors éducation
nationale ?). Sa démarche s'inscrit dans une tendance actuelle de scientifisation de l'enseignement, vers
une approche cognitiviste qu'on peut bien entendu contester.
Est-ce qu'une éducation cognitiviste (instrumentalisme ?) résoudra les problèmes rencontrés, je ne peux en
juger actuellement. Il doit y avoir des pistes intéressantes à explorer. Il ne faudrait pas oublier que nous
travaillons avec des personnes, que les sciences humaines par nature sont inexactes parce que
l'observation induit des changement de paramètres pouvant modifier les comportements et donc les
résultats de ce mêmes observations.
En tout état de cause, ce fut une conférence très intéressante, ouvrant de nouvelles perspectives de
réflexions sur nos pratiques de classes plus ou moins implicites.
Patrick Carpentier
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