Place financière : un enjeu vital

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DOSSIER
LE «COMMENT
SITE FRANCE
RÉFORMER
» EN DANGER
?
Place financière :
un enjeu vital A
RNAUD DE
U
Une place financière solide est à la fois un
rouage essentiel du financement des
entreprises, une source de création d’emplois et
de richesse, et un élément de la capacité d’un
pays à orienter ses choix économiques. Mais
combien existera-t-il de places financières
dignes de ce nom en Europe dans dix ou vingt
ans ? Dans la rude concurrence qui s’annonce,
Paris possède des atouts, surtout depuis la
création d‘Euronext, mais la partie n’est pas
encore gagnée.
a place financière est un outil
de développement au service
de l'économie et de la société :
cette affirmation peut paraître
paradoxale, au moment où le
sentiment dominant pousse plutôt
à mettre en cause la volatilité
des marchés, le poids excessif
des critères de court terme dans
le comportement des investisseurs,
l’omnipotence de l’actionnaire etc.–
en un mot, à souligner l’opposition
entre la « dictature des marchés
financiers » et l’économie réelle.
L
Certes, ces différents phénomènes
correspondent à une partie de la
* Délégué général de Paris Europlace .
réalité, et il faut bien admettre le
caractère absurde de certaines
situations, notamment en ce qui
concerne les fluctuations des
marchés et les variations de la
valorisation des entreprises.
Mais beaucoup d’idées confuses
sont agitées sur ces questions.
Comme il est impossible de remettre en cause le principe de
l’existence des marchés, mieux
vaut réfléchir aux moyens à mettre
en œuvre pour mieux les réguler,
et pour que les places financières
exercent pleinement leur rôle – qui
est avant tout l’apport de capitaux
BRESSON*
aux entreprises et le développement
d’activités de services à haute valeur
ajoutée, avec un impact important
en termes d’emplois.
Pour apprécier la position de la
France dans ce domaine, il n’est
pas inutile de revenir sur quelques
notions de base : qu’est-ce qu’une
place financière aujourd’hui, et
quels sont ses acteurs ? Quelles
sont ses fonctions dans l'économie
nationale ? On tentera ensuite
d’évaluer les atouts et les handicaps
de la place financière de Paris, et
les mesures à mettre en œuvre
pour renforcer sa compétitivité
dans le nouveau contexte européen et international.
DES ACTEURS MULTIPLES
rop souvent, la place financière
est confondue avec la Bourse,
alors qu’elle est beaucoup plus
que cela, rassemblant plusieurs
catégories d’acteurs :
T
– les émetteurs,c’est-à-dire,d’abord,
les entreprises qui font appel aux
marchés, mais également l’Etat,
émetteur de titres de dette, les
collectivités locales, dont le rôle
s’accroît aujourd’hui sur les marchés financiers. Ces émetteurs
doivent pouvoir mobiliser rapidement des ressources en dette et
en capital ;
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– les jeunes entreprises, qui font
appel au capital-investissement, en
amont de la cotation ;
– les investisseurs, en premier lieu
les investisseurs institutionnels – sociétés de gestion, sociétés d’assurance, caisses de retraite, mutuelles,
fonds d’investissement… –, qui ont
besoin des meilleurs services en
matière de liquidité et d’exécution
sur les marchés, d’une analyse
financière compétitive, etc. ;
– les épargnants particuliers ;
– les intermédiaires financiers,
banques et intermédiaires de Bourse,
ainsi que la Bourse elle-même, qui
offrent leurs services aux émetteurs
et aux investisseurs ;
– un ensemble de professions qui
apportent aussi leurs services :
auditeurs, informaticiens, sociétés
de conseil, juristes, avocats... ;
– enfin, au sommet de l’édifice,
les autorités de tutelle des marchés,
qui jouent un rôle essentiel dans
leur organisation et leur régulation.
Même dans un monde devenu
global, les acteurs économiques ont
besoin d’une place financière de
proximité qui les aide à mettre en
œuvre leurs projets et à effectuer
leur développement international :
cela va de soi pour les grands
groupes, mais c’est encore plus vrai
pour les entreprises de taille plus
réduite,auxquelles la place offre une
meilleure visibilité internationale.
UNE FONCTION
ÉCONOMIQUE CENTRALE
a place financière fournit à
l'économie les ressources dont
elle a besoin, en particulier en
transformant l'épargne en investissement. Or, on sait que le taux
d’épargne, en France, est l’un des
plus élevés du monde : autour de
16 % du revenu disponible des
ménages en 2000, contre 11% en
Allemagne et 7 % au Royaume-Uni.
Le développement des marchés
financiers en France, depuis deux
décennies, a fortement contribué
à améliorer la rémunération de
cette épargne. Aujourd’hui, la part
L
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des valeurs mobilières dépasse celle
des actifs non financiers (logements,
terrains, etc.) dans le patrimoine
des ménages français.
Les marchés de capitaux contribuent
également à répondre aux besoins
de financement des entreprises.
En France, en 2000, l’industrie
bancaire et financière a apporté
178 milliards d’euros aux entreprises ; au sein de cet ensemble,
les capitaux apportés par la place
de Paris (actions, obligations,TCN)
ont dépassé 100 milliards d’euros
(contre 54 milliards en 1997), alors
que les nouveaux crédits bancaires
représentaient 78 milliards.
Aujourd’hui, le marché français
est le premier d’Europe en termes
d’encours pour les obligations
émises par les entreprises (plus
de 130 milliards d’euros). Paris est
le plus gros marché d’Europe
continentale pour les obligations
convertibles. Le marché français du
« papier commercial » est également
le plus important d’Europe, avec
un encours de plus de 80 milliards.
Depuis la création de l’euro, de
nombreux émetteurs internationaux ont privilégié la place de Paris
comme plate-forme de financement
de leurs activités en Europe (17%
des émetteurs sont non-résidents).
De même, la place de Paris a su rapidement mobiliser des ressources
pour financer les entreprises de
croissance. En 2000, le capitalinvestissement a connu une année
record, avec près de 5 milliards
d’euros investis (soit une progression de 65% par rapport à 1999).
Ces ressources collectées ont
permis de financer plus de 4 000
entreprises.
Enfin, ce secteur est en lui-même
une source importante d'emplois
et de création de richesse. Au
plan national, l’industrie financière
emploie 660 000 personnes, soit
3,7 % de la population active. Elle
génère 4,8 % de la valeur ajoutée
du pays, soit bien davantage que
la construction, l’industrie agroalimentaire ou encore l’industrie automobile – qui pourtant mobilisent
davantage les hommes politiques.
La place de Paris, au sens strict,
représente environ 150 000 emplois,
à comparer à 300 000 emplois
estimés pour Londres et environ
150 000 pour Francfort. Pour la
région Ile-de-France, le poids du
secteur financier (banque,assurance,
etc.) est estimé à 6,4% de l’emploi,
soit 250 000 personnes, et à 12%
du PIB régional.
MIEUX RÉGULER
LES MARCHÉS
es acteurs de la place financière
se sont regroupés historiquement autour d'une Bourse des
valeurs mobilières. Mais ces deux
entités ne peuvent plus être
confondues : la Bourse, désormais
dématérialisée, ne concerne que les
intérêts des opérateurs boursiers.
La place est aussi un pôle de gestion,
la plate-forme des centres décisionnels des établissements bancaires,
un pôle d’émetteurs industriels.
L
Ainsi, dans la mesure où elle permet la mise en œuvre de stratégies
d'acteurs dont les intérêts sont
parfois différents, et notamment
une régulation des activités financières, une place financière peut
être un moyen efficace de répondre
de façon opérationnelle à certains
dysfonctionnements des marchés.
A cet égard, il pourrait revenir,
aujourd’hui, à la Place de Paris de
lancer des initiatives sur certains
sujets spécifiques, comme l’analyse
des différentes catégories d’investisseurs et leurs comportements
en matière de placements,l’emprise
excessive de la performance sur le
comportement des gérants, les
risques liés au « court-termisme »
des marchés et les moyens d’y
remédier, l’amélioration de la formation des analystes financiers.
Si la place fonctionne bien, si elle
représente une masse critique
PLACE FINANCIÈRE : UN ENJEU VITAL
suffisante, elle peut constituer un
(accès aux valeurs de l’Eurostoxx,
contrepoids puissant à l’aggravation
bonne liquidité, etc.) ;
de la concurrence internationale,
en aidant les acteurs à s’armer face
– le fort développement des
à leurs compétiteurs. Mais il faut
activités « corporate bonds ». Le
aller plus loin, car les mécanismes
marché de Paris est le premier
de financement d'une économie
d’Europe en termes d’encours. Il
ne sont pas neutres en termes de
l’est également en matière de
pouvoir. Les modalités de finance« papier commercial » : la région
ment elles-mêmes sont essentielles,
Ile-de-France, la première collectien ce qu'elles affectent la stratégie
vité locale d’Europe à être active
et la capacité de décision des
sur ce marché, y a lancé récemacteurs. En simplifiant
ment un programme
beaucoup, les modes Il manque à Paris
d’émission de billets
de financement peude trésorerie ;
une base
vent, suivant les cas,
soit appuyer comme un d’investisseurs
– l’existence d’un pôle
simple outil la stratégie domestiques
de gestion actif – le
d'une entreprise, soit
premier pôle de gestion
suffisamment large
réduire durablement la
collective d’Europe,
marge de manœuvre pour équilibrer
avec 800 milliards
de ses dirigeants.De ce la part prise par
d’euros gérés. Les
point de vue, la quesétrangers soulignent
les investisseurs
tion est aujourd’hui
le renforcement du
posée de l’importance étrangers.
professionnalisme en
prise par des investisFrance dans ce doseurs institutionnels étrangers dans
maine, marqué notamment par
le capital des principales sociétés
l’autonomie des sociétés de
françaises – ce qui renvoie au progestion et le développement de
blème du contrôle de nos centres
leurs activités internationales ;
de décision et de l’élargissement
– l’amélioration de la transparence
souhaitable de notre base d’invesdes marchés, jugée meilleure que
tisseurs domestiques.
dans beaucoup d’autres pays d’Europe (notamment l’Allemagne), et
Au total, l'existence à Paris d'une
la nette amélioration de la pratique
place financière robuste est donc,
du « corporate governance » par
au-delà de son rôle de financement,
les entreprises émettrices ;
un élément essentiel de notre
– une activité de « retail banking »
capacité à effectuer des choix
(banque de détail) rentable.
économiques.
Tout ceci explique l’attrait international
de la place, puisque les
ATOUTS, HANDICAPS
investisseurs
étrangers détiennent
ET RÉFORMES
plus de 30 % de la dette de l’Etat,
uels sont, aujourd’hui, les
et 35 % de la capitalisation bouratouts de la place de Paris ?
sière actions.
Q
– D’abord, l’existence d’Euronext,
première plate-forme boursière
européenne regroupant les Bourses
de Paris, Amsterdam et Bruxelles.
Aux yeux des étrangers, la mise en
place d’Euronext apporte une
dynamique positive à la place de
Paris, en même temps qu’elle leur
offre des facilités d’accès pour leurs
opérations sur valeurs européennes
En revanche, un certain nombre de
handicaps restent à surmonter :
– la faiblesse des intermédiaires,
notamment dans le domaine de la
banque d’investissement ;
– la faiblesse du pôle d’investissement domestique : il manque à la
place de Paris une base d'investisseurs domestiques suffisamment
large et orientée sur le long terme
pour permettre le renforcement
des capitaux propres des entreprises et équilibrer la part prise par
les investisseurs étrangers. De ce
point de vue, la mise en place des
fonds d’épargne-retraite est une
priorité majeure ;
– la persistance d’un environnement
réglementaire et fiscal défavorable,
alors que les métiers financiers
sont particulièrement exposés à la
concurrence internationale et aux
risques de délocalisation.
Pour tenter de résoudre ces difficultés, la place elle-même a des efforts
à faire : accroître les capacités de
financement des entreprises de
croissance, renforcer ses systèmes
électroniques, accélérer les développements d’Euronext, créer un pôle
de formation-recherche en finance…
Mais il revient aux pouvoirs publics
d’améliorer l’environnement réglementaire et fiscal. Les mesures
prioritaires sont faciles à identifier :
– allègement de la sur-fiscalité des
activités financières (entre autres,
suppression du taux supérieur de la
taxe sur les salaires) ;
– mesures visant à favoriser l’accueil
de cadres impatriés ;
– élimination des mesures préjudiciables à l’implantation de sièges
d’entreprises (suppression de la
taxation des plus-values de cessions).
Ces mesures sont d’autant plus
urgentes que la place de Paris est
soumise à la rude concurrence des
autres grandes places européennes,
au premier rang desquelles Londres
et Francfort. Or, pour un pays de la
taille de la France, une telle place
remplit quatre fonctions : c'est à la
fois un rouage essentiel du financement des entreprises, un secteur
économique créateur d’emplois et
de richesse, un régulateur des
turbulences et des errances des
marchés, enfin un facteur essentiel
de notre capacité nationale à
déterminer l’orientation de notre
économie. L’enjeu vaut bien
quelques réformes.●
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