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Sociétal
N° 35
1er trimestre
2002
DOSSIER
COMMENT RÉFORMER ?
U
La place financière est un outil
de développement au service
de l'économie et de la société:
cette affirmation peut paraître
paradoxale, au moment où le
sentiment dominant pousse plutôt
à mettre en cause la volatilité
des marchés, le poids excessif
des critères de court terme dans
le comportement des investisseurs,
lomnipotence de lactionnaire etc.
en un mot, à souligner lopposition
entre la «dictature des marchés
financiers » et l’économie réelle.
Certes, ces différents phénomènes
correspondent à une partie de la
réalité, et il faut bien admettre le
caractère absurde de certaines
situations, notamment en ce qui
concerne les fluctuations des
marchés et les variations de la
valorisation des entreprises.
Mais beaucoup didées confuses
sont agitées sur ces questions.
Comme il est impossible de re-
mettre en cause le principe de
lexistence des marchés, mieux
vaut réfléchir aux moyens à mettre
en œuvre pour mieux les réguler,
et pour que les places financières
exercent pleinement leur rôle qui
est avant tout lapport de capitaux
aux entreprises et le développement
dactivités de services à haute valeur
ajoutée, avec un impact important
en termes demplois.
Pour apprécier la position de la
France dans ce domaine, il nest
pas inutile de revenir sur quelques
notions de base : quest-ce quune
place financière aujourdhui, et
quels sont ses acteurs ? Quelles
sont ses fonctions dans l'économie
nationale ? On tentera ensuite
d’évaluer les atouts et les handicaps
de la place financière de Paris, et
les mesures à mettre en œuvre
pour renforcer sa compétitivité
dans le nouveau contexte euro-
péen et international.
DES ACTEURS MULTIPLES
Trop souvent, la place financière
est confondue avec la Bourse,
alors quelle est beaucoup plus
que cela, rassemblant plusieurs
catégories dacteurs :
les émetteurs,cest-à-dire,dabord,
les entreprises qui font appel aux
marchés, mais également lEtat,
émetteur de titres de dette, les
collectivités locales, dont le rôle
saccroît aujourdhui sur les mar-
chés financiers. Ces émetteurs
doivent pouvoir mobiliser rapide-
ment des ressources en dette et
en capital ;
Place financière :
un enjeu vital ARNAUD DE BRESSON*
Une place financière solide est à la fois un
rouage essentiel du financement des
entreprises, une source de création demplois et
de richesse, et un élément de la capacité dun
pays à orienter ses choix économiques. Mais
combien existera-t-il de places financières
dignes de ce nom en Europe dans dix ou vingt
ans ? Dans la rude concurrence qui sannonce,
Paris possède des atouts, surtout depuis la
création dEuronext, mais la partie nest pas
encore gagnée.
LE « SITE FRANCE » EN DANGER
*Délégué général de Paris Europlace .
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les jeunes entreprises, qui font
appel au capital-investissement, en
amont de la cotation ;
les investisseurs, en premier lieu
les investisseurs institutionnels so-
ciétés de gestion, sociétés dassu-
rance, caisses de retraite,mutuelles,
fonds dinvestissement , qui ont
besoin des meilleurs services en
matière de liquidité et dexécution
sur les marchés, dune analyse
financière compétitive, etc. ;
les épargnants particuliers ;
les intermédiaires financiers,
banques et intermédiaires de Bourse,
ainsi que la Bourse elle-même, qui
offrent leurs services aux émetteurs
et aux investisseurs ;
un ensemble de professions qui
apportent aussi leurs services :
auditeurs, informaticiens, sociétés
de conseil, juristes, avocats... ;
enfin, au sommet de l’édifice,
les autorités de tutelle des marchés,
qui jouent un rôle essentiel dans
leur organisation et leur régulation.
Même dans un monde devenu
global, les acteurs économiques ont
besoin dune place financière de
proximité qui les aide à mettre en
œuvre leurs projets et à effectuer
leur développement international :
cela va de soi pour les grands
groupes,mais cest encore plus vrai
pour les entreprises de taille plus
réduite,auxquelles la place offre une
meilleure visibilité internationale.
UNE FONCTION
ÉCONOMIQUE CENTRALE
La place financière fournit à
l'économie les ressources dont
elle a besoin, en particulier en
transformant l'épargne en investis-
sement. Or, on sait que le taux
d’épargne, en France, est lun des
plus élevés du monde : autour de
16 % du revenu disponible des
ménages en 2000, contre 11% en
Allemagne et 7 % au Royaume-Uni.
Le développement des marchés
financiers en France, depuis deux
décennies, a fortement contribué
à améliorer la rémunération de
cette épargne. Aujourdhui, la part
des valeurs mobilières dépasse celle
des actifs non financiers (logements,
terrains, etc.) dans le patrimoine
des ménages français.
Les marchés de capitaux contribuent
également à répondre aux besoins
de financement des entreprises.
En France, en 2000, lindustrie
bancaire et financière a apporté
178 milliards deuros aux entre-
prises ; au sein de cet ensemble,
les capitaux apportés par la place
de Paris (actions, obligations,TCN)
ont dépassé 100 milliards deuros
(contre 54 milliards en 1997), alors
que les nouveaux crédits bancaires
représentaient 78 milliards.
Aujourdhui, le marché français
est le premier dEurope en termes
dencours pour les obligations
émises par les entreprises (plus
de 130 milliards deuros). Paris est
le plus gros marché dEurope
continentale pour les obligations
convertibles. Le marché français du
«papier commercial » est également
le plus important dEurope, avec
un encours de plus de 80 milliards.
Depuis la création de leuro, de
nombreux émetteurs internatio-
naux ont privilégié la place de Paris
comme plate-forme de financement
de leurs activités en Europe (17%
des émetteurs sont non-résidents).
De même, la place de Paris a su ra-
pidement mobiliser des ressources
pour financer les entreprises de
croissance. En 2000, le capital-
investissement a connu une année
record, avec près de 5 milliards
deuros investis (soit une progres-
sion de 65% par rapport à 1999).
Ces ressources collectées ont
permis de financer plus de 4 000
entreprises.
Enfin, ce secteur est en lui-même
une source importante d'emplois
et de création de richesse. Au
plan national, lindustrie financière
emploie 660 000 personnes, soit
3,7 % de la population active. Elle
génère 4,8 % de la valeur ajoutée
du pays, soit bien davantage que
la construction, lindustrie agroali-
mentaire ou encore lindustrie au-
tomobile qui pourtant mobilisent
davantage les hommes politiques.
La place de Paris, au sens strict,
représente environ 150 000 emplois,
à comparer à 300 000 emplois
estimés pour Londres et environ
150 000 pour Francfort. Pour la
région Ile-de-France, le poids du
secteur financier (banque,assurance,
etc.) est estimé à 6,4% de lemploi,
soit 250 000 personnes, et à 12%
du PIB régional.
MIEUX RÉGULER
LES MARCHÉS
Les acteurs de la place financière
se sont regroupés historique-
ment autour d'une Bourse des
valeurs mobilières. Mais ces deux
entités ne peuvent plus être
confondues : la Bourse, désormais
dématérialisée,ne concerne que les
intérêts des opérateurs boursiers.
La place est aussi un pôle de gestion,
la plate-forme des centres décision-
nels des établissements bancaires,
un pôle d’émetteurs industriels.
Ainsi, dans la mesure où elle per-
met la mise en œuvre de stratégies
d'acteurs dont les intérêts sont
parfois différents, et notamment
une régulation des activités finan-
cières, une place financière peut
être un moyen efficace de répondre
de façon opérationnelle à certains
dysfonctionnements des marchés.
A cet égard, il pourrait revenir,
aujourdhui, à la Place de Paris de
lancer des initiatives sur certains
sujets spécifiques, comme lanalyse
des différentes catégories dinves-
tisseurs et leurs comportements
en matière de placements,lemprise
excessive de la performance sur le
comportement des gérants, les
risques liés au «court-termisme »
des marchés et les moyens dy
remédier, lamélioration de la for-
mation des analystes financiers.
Si la place fonctionne bien, si elle
représente une masse critique
LE « SITE FRANCE » EN DANGER
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PLACE FINANCIÈRE : UN ENJEU VITAL
suffisante, elle peut constituer un
contrepoids puissant à laggravation
de la concurrence internationale,
en aidant les acteurs à sarmer face
à leurs compétiteurs. Mais il faut
aller plus loin, car les mécanismes
de financement d'une économie
ne sont pas neutres en termes de
pouvoir. Les modalités de finance-
ment elles-mêmes sont essentielles,
en ce qu'elles affectent la stratégie
et la capacité de décision des
acteurs. En simplifiant
beaucoup, les modes
de financement peu-
vent, suivant les cas,
soit appuyer comme un
simple outil la stratégie
d'une entreprise, soit
réduire durablement la
marge de manœuvre
de ses dirigeants.De ce
point de vue, la ques-
tion est aujourdhui
posée de limportance
prise par des investis-
seurs institutionnels étrangers dans
le capital des principales sociétés
françaises ce qui renvoie au pro-
blème du contrôle de nos centres
de décision et de l’élargissement
souhaitable de notre base dinves-
tisseurs domestiques.
Au total, l'existence à Paris d'une
place financière robuste est donc,
au-delà de son rôle de financement,
un élément essentiel de notre
capacité à effectuer des choix
économiques.
ATOUTS, HANDICAPS
ET RÉFORMES
Quels sont, aujourdhui, les
atouts de la place de Paris ?
Dabord, lexistence dEuronext,
première plate-forme boursière
européenne regroupant les Bourses
de Paris, Amsterdam et Bruxelles.
Aux yeux des étrangers, la mise en
place dEuronext apporte une
dynamique positive à la place de
Paris, en même temps quelle leur
offre des facilités daccès pour leurs
opérations sur valeurs européennes
(accès aux valeurs de lEurostoxx,
bonne liquidité, etc.) ;
le fort développement des
activités «corporate bonds ».Le
marché de Paris est le premier
dEurope en termes dencours. Il
lest également en matière de
«papier commercial »: la région
Ile-de-France, la première collecti-
vité locale dEurope à être active
sur ce marché, y a lancé récem-
ment un programme
d’émission de billets
de trésorerie ;
lexistence dun pôle
de gestion actif le
premier pôle de gestion
collective dEurope,
avec 800 milliards
deuros gérés. Les
étrangers soulignent
le renforcement du
professionnalisme en
France dans ce do-
maine, marqué notamment par
lautonomie des sociétés de
gestion et le développement de
leurs activités internationales ;
lamélioration de la transparence
des marchés, jugée meilleure que
dans beaucoup dautres pays dEu-
rope (notamment lAllemagne), et
la nette amélioration de la pratique
du «corporate governance » par
les entreprises émettrices ;
une activité de « retail banking »
(banque de détail) rentable.
Tout ceci explique lattrait interna-
tional de la place, puisque les
investisseurs étrangers détiennent
plus de 30 % de la dette de lEtat,
et 35 % de la capitalisation bour-
sière actions.
En revanche, un certain nombre de
handicaps restent à surmonter :
la faiblesse des intermédiaires,
notamment dans le domaine de la
banque dinvestissement ;
la faiblesse du pôle dinvestisse-
ment domestique : il manque à la
place de Paris une base d'investis-
seurs domestiques suffisamment
large et orientée sur le long terme
pour permettre le renforcement
des capitaux propres des entre-
prises et équilibrer la part prise par
les investisseurs étrangers. De ce
point de vue, la mise en place des
fonds d’épargne-retraite est une
priorité majeure ;
la persistance dun environnement
réglementaire et fiscal défavorable,
alors que les métiers financiers
sont particulièrement exposés à la
concurrence internationale et aux
risques de délocalisation.
Pour tenter de résoudre ces difficul-
tés, la place elle-même a des efforts
à faire : accroître les capacités de
financement des entreprises de
croissance, renforcer ses systèmes
électroniques,accélérer les dévelop-
pements dEuronext, créer un pôle
de formation-recherche en finance
Mais il revient aux pouvoirs publics
daméliorer lenvironnement régle-
mentaire et fiscal. Les mesures
prioritaires sont faciles à identifier :
allègement de la sur-fiscalité des
activités financières (entre autres,
suppression du taux supérieur de la
taxe sur les salaires) ;
mesures visant à favoriser laccueil
de cadres impatriés ;
élimination des mesures préjudi-
ciables à limplantation de sièges
dentreprises (suppression de la
taxation des plus-values de cessions).
Ces mesures sont dautant plus
urgentes que la place de Paris est
soumise à la rude concurrence des
autres grandes places européennes,
au premier rang desquelles Londres
et Francfort. Or, pour un pays de la
taille de la France, une telle place
remplit quatre fonctions : c'est à la
fois un rouage essentiel du finance-
ment des entreprises, un secteur
économique créateur demplois et
de richesse, un régulateur des
turbulences et des errances des
marchés, enfin un facteur essentiel
de notre capacité nationale à
déterminer lorientation de notre
économie. Lenjeu vaut bien
quelques réformes.
Il manque à Paris
une base
d’investisseurs
domestiques
suffisamment large
pour équilibrer
la part prise par
les investisseurs
étrangers.
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