CHÂTEAUVALLON
THEÂTRE
GROS-CÂLIN
DE ROMAIN GARY (EMILE AJAR)
Avec Jean-Quentin Châtelain
Mise en scène : Bérangère Bonvoisin
Adaptation : Thierry Fortineau
Lumière : Ricardo Fortineau
Scénographie : Arnaud de Segonzac
Vendredi 23 et samedi 24 janvier à 20h30
Théâtre couvert
Durée : 1h15
Production : Théâtre de l’Œuvre
www.chateauvallon.com
GROS-CÂLIN
Gros-Câlin, récit tragi-comique flamboyant sur la métamorphose et le besoin d'aimer, sur la perte
d'identité et de repères, fut le premier texte de Romain Gary écrit sous le nom d'Emile Ajar.
« Lorsqu’on a besoin d’étreinte pour être comblé dans ses lacunes, autour des épaules surtout, et dans
le creux des reins, et que vous prenez conscience des deux bras qui vous manquent,
un python de deux mètres vingt fait merveille »
Romain Gary (Emile Ajar), Gros-Câlin
Paris, Mercure de France, 1974
Gros Câlin est le premier livre de Gary écrit sous le nom d'Ajar et ce qui est bouleversant, c'est l'énergie
extraordinaire que Gary a déployée pour accomplir cette métamorphose. C'est-à-dire pour changer de
style d'écriture. J'ai envie que notre spectacle ne raconte pas seulement l'histoire d'un monsieur qui
cherche « quelqu'un à aimer » et qui vit avec son python, mais que ce soit l'écrivain Gary qui fasse sa
mue sous nos yeux en inventant de façon assez folle, il faut bien le dire, cette façon de penser et de
parler, en même temps comique et désespérée. Gary/Ajar appelle son narrateur Cousin… C'est un très
beau mot car il a tous les sens. Ce n'est pas un frère, ce n'est pas un double, c'est peut-être personne
Il me fallait un espace plus silencieux, plus calme, plus métaphysique qui laisse cette parole inventée se
déployer. Le scénographe Arnaud de Segonzac m'a fait une proposition qui me plaît parce que quand on
regarde l'espace, on ne sait pas si c'est un deux-pièces, la salle de bain de l'appartement, un zoo …
Pour la lumière, j'ai demandé Ricardo Aronovich, qui est un grand chef opérateur de cinéma, un poète.
Ce qu'il me propose pour la lumière devrait provoquer un trouble sur ce qui est imaginé ou réel. On a
choisi d'essayer une lumière assez radicale, comme il y en a dans certains zoos, d'ailleurs, où les
animaux viennent se chauffer sous les lampes. Au fond, quoi que fasse l'acteur, il sera toujours cet
animal qui décide d'aller dans la lumière ou dans l'ombre, d'être caché ou visible.
Romain Gary dit avoir été influencé par Borges, Pirandello, Kafka…Et je retrouve ces univers on se
perd dans des dédales cauchemardesques et tragi-comiques. Dans plusieurs interviews il parle de
l'humour du désespoir, cite aussi W. C. Fields ... Gros-Câlin est une fable humoristique ; Romain Gary,
lui, s'est suicidé. Il existe deux fins différentes à Gros Câlin, le dernier chapitre a été coupé. Dans Vie &
Mort d'Émile Ajar, Gary dit qu'on peut connaître la fin initiale mais qu'il ne faut pas l'utiliser, qu' il faut
laisser le roman tel quel. Dans ce dernier chapitre, comme dans son autre livre, Pseudo, il est question
d'hôpital psychiatrique. Mais M. Cousin ne se suicide pas et l'acteur n'a pas à raconter la mort de
l'auteur. En revanche, si cet espace et cette lumière font par moments penser aussi à un hôpital
psychiatrique, pourquoi pas ? Tant mieux !
L'acteur ici pour moi est un animal dans un zoo et la cage de scène du théâtre est la cage du
zoo. Puisque tout se passe dans la tête non seulement de Gary mais de M. Cousin, tout est possible.
Que Cousin se mette à manger des souris vivantes, que le python soit passé par les toilettes pour entrer
dans le sexe de la femme de l'appartement du dessus. Car c'est aussi un livre "pornographique" qu’Ajar
s’amuse à écrire. Ajar se moque, il cite aussi bien Charles Trenet que Dostoïevski ou Queneau, il fait
référence à quantité de choses disparates, qu'il fond pour les distinguer et où il glisse son humanisme et
sa haine du racisme.
Jean-Quentin est un acteur extraordinaire. Ici il y a un texte et un acteur. Ce dont l'acteur a besoin, c'est
d'un œil extérieur. Il n'y aura pas que la douceur à la Sempé du personnage de M. Cousin ou son
innocence ou sa détresse. Jean-Quentin amène son propre univers, les répétitions servent aux essais,
aux choix, on ne sait pas tout à l'avance heureusement ! Gary a écrit son roman comme s'il était lui-
même le python se mouvant de façon sinueuse, se mettant en boule, s'enroulant sur lui-même, faisant
des nœuds … Pour moi, le python c'est Jean-Quentin.
Bérangère Bonvoisin
ROMAIN GARY (EMILE AJAR)
1914 : Naissance de Roman Kacew le 8 mai à Vilnius en Lituanie. Il est élevé par sa mère à Sweciany
puis à Varsovie et ne connaîtra jamais son père.
1927 : Arrive en France, études au lycée de Nice.
1936 : Suit des études de droit à Paris.
1938 : Naturalisé français, il est incorporé dans l'aviation.
1940 : Il rejoint la France libre il sert dans les Forces aériennes françaises libres. C'est durant cette
période que Romain Kacew choisit le nom de guerre de Gary (signifiant « brûle ! » en russe), qui
deviendra son pseudonyme. Il termine la guerre comme capitaine de réserve et est nommé Compagnon
de la Libération.
1945 : Il entame une carrière fulgurante dans la diplomatie. À ce titre, il séjourne en Bulgarie, en Suisse,
en Bolivie, à New-York.
1956 : Obtient le Prix Goncourt pour Les racines du ciel.
1957-61 : Réside en qualité de Consul Général de France à Los Angeles.
1975 : La vie devant soi d’Emile Ajar reçoit le Prix Goncourt.
1980 : Se donne la mort le 2 décembre à Paris.
Après sa disparition, on apprit que, sous le pseudonyme d'Émile Ajar, il était également l'auteur de
quatre romans dont la paternité avait été attribuée à un proche parent, Paul Pavlovitch, lequel avait
assuré le rôle d'Ajar auprès de la presse et de l'opinion publique.
Ajoutons qu'Ajar et Gary ne furent pas ses seuls pseudonymes, puisqu'il est aussi l'auteur d'un polar
politique sous le nom de Shatan Bogat et d'une allégorie satirique signée Fosco Sinibaldi.
Romain Gary est ainsi le seul écrivain à avoir jamais été récompensé deux fois par le Prix Goncourt, la
première fois sous son pseudonyme courant et la seconde fois sous le pseudonyme d'Émile Ajar.
Romain Gary a également écrit et réalisé deux films : Les oiseaux vont mourir au Pérou et Kill.
« Après avoir signé plusieurs centaines de fois, si bien que la moquette de ma piaule était recouverte de
feuilles blanches avec mon pseudo qui rampait partout, je fus pris d’une peur atroce : la signature
devenait de plus en plus ferme, de plus en plus elle-même, pareille, identique, telle quelle, de plus en
plus fixe. Il était là. Quelqu’un, une identité, un piège à vie, une présence d’absence, une infinité, une
difformité, une mutilation, qui prenait possession, qui devenait moi. Émile Ajar.
Je m’étais incarné. »
« Je me scinde en deux, schizo, à la fois exterminé et exterminateur, Pliouchtch et Pinochet et je suis
alors saisi de tendances humanitaires morbides « messianiques et réformatrices » aiguës, avec
psychiatre et camisole de force chimique en proie à la conviction parano que tous les hommes sont mes
frères et toutes les femmes mes sœurs, ce qui me fait souvent bander. »
« Je suis Emile Ajar ! hurlais-je, en me frappant la poitrine. Je suis le fils de mes œuvres et le père des
mêmes ! Je suis mon propre fils et mon propre père ! Je ne dois rien à personne ! Je suis mon propre
auteur et j’en suis fier ! Je suis authentique ! Je ne suis pas un canular ! Je ne suis pas pseudo-
pseudo : je suis un homme qui souffre et qui écrit pour souffrir davantage et pour donner ensuite encore
plus à mon œuvre, au monde, à l’humanité. »
Extraits de Pseudo, Émile Ajar, Mercure de France, 1976
EXTRAITS DE PRESSE
Jean-Quentin Châtelain avec sa voix si particulière, une musique, un lointain accent suisse, une
originalité puissante de tout l'être. La voix le dit, mais tout le corps, la manière d'être, de bouger, de
s'asseoir, de se coucher un moment sur la banquette de mosaïque, tout dit l'originalité et l'ultra
sensibilité. Bérangère Bonvoisin est très fine et elle a très bien conduit ce travail. Il y a un équilibre très
délicat entre la solitude et Cousin/Châtelain et le fait qu'il s'adresse à un auditoire : dans l'ouvrage il se
« livre » littéralement, sur scène, on ne peut pas faire abstraction de la présence du public.
Le comédien, fugitivement, s'adresse à nous. Il nous prend implicitement à témoin. C'est très subtil et
cela nous implique d'une manière très tendre. Jamais on a si bien entendu l'écriture même de Romain
Gary. Ce n'est pas la moindre vertu de ce spectacle. Parce que Jean-Quentin Châtelain est un comédien
exceptionnel, il nous dévoile le style même, on entend comme jamais les curiosités de la langue, les
emplois étranges que fait parfois Gary/Cousin de certains mots. Il danse avec les mots. Les phrases sont
comme d'invisibles partenaires de ce jongleur spirituel.
On rit, on sourit, on pleure, on s'esclaffe, on a les larmes aux yeux, on rit aux larmes et on est admiratif
de la performance magnifique : la sincérité formidable du « personnage » et l'engagement de
l'interprète, si grand artiste, qui de toutes ses fibres est, une heure quinze durant, Monsieur Cousin et
qui nous fait comprendre tout...
Armelle Héliot – LE FIGARO
Gros-Câlin est le nom du python qu'a adopté M. Cousin, l'homme solitaire et abandonné qui cherche
chaleur et affection dans l'enlacement de son reptile de 2,20 mètres. C'est aussi le titre du premier
roman de Romain Gary signé Emile Ajar. Une histoire loufoque et cocasse qui parle de solitude, de mal-
être, du besoin d'être aimé. Jean-Quentin Châtelain, en longue djellaba noire, est seul en scène. De sa
voix terrienne et chantante, il pénètre l'écriture de Romain Gary et touche l'âme du texte. Bouleversant
de vérité. On entend au plus près la détresse, la tendresse du personnage, dans la belle mise en scène,
délicate et sobre, de Bérangère Bonvoisin.
Sylviane Bernard-Gresh –TELERAMA
Quel est le sujet? Le python, certes. Mais surtout les anneaux que le texte déploie autour de lui et en
lui, comme s'il fabriquait et digérait, de digression en digression, sa propre matière, L'anneau de
solitude. L'anneau de tendresse. L'anneau d'amour. L'anneau du manque d'amour. L'anneau du
fantasme. Et, après et avant tout, l'anneau de littérature, souris avalée vivante, cœur battant du sujet.
Ce que donnent à vivre et à entendre pendant une heure quinze la voix suisse et le corps lourd de Jean-
Quentin Châtelain, c'est l'agilité et la sensibilité de ces anneaux. Debout, l'acteur est un éléphant aux
pieds fragiles et au cœur de porcelaine, à équidistance entre ciel, savane et cimetière. Il a une
maladresse délicate, une bonhomie blessée. Il porte une djellaba, comme Romain Gary. Un banc et une
colonne au carrelage multicolore, qui pourraient être de douche, fixent le décor (…) Est-ce une salle de
bain? Une cuisine? Les sanitaires d'un hôpital? Bérangère Bonvoisin et son scénographe ont voulu qu'on
ne puisse identifier le lieu, puisque s'y déroule une métamorphose, beaucoup plus tendre, mais non
moins désespérée, que celle de Kafka. Ce qui est certain, c'est que le corps de Châtelain s'y déplace et
transforme avec une lenteur magique, tout un émoi de la chair, caressée par ce texte daté tel un grand
cru, et le révélant comme une peau sculpte la main qui l'effleure. Lorsqu'il s'allonge sur le banc, de dos,
l'éléphant Châtelain devient lamantin: le python évoque d'autres animaux. Et il n'est plus besoin de la
mer ni du ciel pour rappeler au public que notre besoin de consolation est impossible à rassasier.
Philippe Lançon - LIBERATION
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