aucun mérite à ça, je le constate, c’est tout. On ne sait pas assez que la faiblesse est une force
extraordinaire et qu’il est très difficile de lui résister. » remarque-t-il. Il a aussi le sens de
l’observation et de la clandestinité.
Personnage paradoxal
Dans le monde de Cousin, les choses bizarrement sont reliées selon d’improbables « à cause
de », et souvent même se refusent tout bonnement à suivre la logique commune, pourtant déjà
passablement absurde. Les mots d’ailleurs s’en trouvent tout chamboulés et se collent en
lignes perplexes. Dans son premier roman publié sous le pseudonyme d’Emile Ajar, en 1974,
Romain Gary fait sécession avec « la gueule qu’on [lui] avait faite », celle d’un paisible
Goncourt, mais aussi avec le bon ordre du langage. Il en retourne l’impeccable marqueterie à
coups d’humour pour dévoiler, dans les écarts et décalages, une société de plus en plus
individualiste et technocrate, la solitude de l’homme enseveli sous le manque d’amour.
Reprenant l’adaptation réalisée par feu Thierry Fortineau, Jean-Quentin Châtelain est ici
guidé par Bérangère Voisin, qui signe une mise en scène d’une subtile délicatesse. Excellant
dans l’exercice du monologue, le comédien délivre toutes les teintes de ce texte drôle et
poignant, philosophique et désespéré. Sa voix si singulière s’attarde parfois pour caresser les
voyelles, s’étrangle dans un sursaut d’angoisse, enchaîne les pataquès avec innocente aisance
et s’évade en escapades où les sons étincellent. Tout son corps aussi parle, raconte la
sensibilité extrême d’un être en mal de tendresse. « Elle me serra très fort dans ses bras et me
caressa dans ce silence au goutte-à-goutte qui fait bien les choses. La tendresse a des
secondes qui battent plus lentement que les autres. » L’émotion aussi.
Gwénola David