Jean-Quentin Châtelain, vrai Gros-Câlin
Publié le 9 décembre 2013
Premier texte de Gary écrit sous le nom d’Emile Ajar, Gros-Câlin a été adapté pour
le théâtre, et joué il y a quelques années, par Thierry Fortineau, disparu depuis.
Cette nouvelle mise en scène de Bérangère Bonvoisin lui est dédiée. Vêtu d’une
djellaba, Jean-Quentin Châtelain se coule dans la peau de M. Cousin qui recueille et
se met à aimer un python. En habitué des textes de grands auteurs et des
monologues, il goûte les mots, savoure les situations dont il révèle l’incongruité ou
l’humour. Sa voix mue, se module comme le python déroule ses anneaux, l’accent
traine, chante ou se fait plus neutre. Il est cet homme solitaire qui a du mal avec la
société, en manque de tendresse, à la fois trivial et rêveur, traversant la vie avec un
œil amusé et distrait. Le comédien magnifique manie la distance, laisse entrevoir le
désespoir, la solitude, sans cesse contrebalancés par l’ironie. La scénographie très
stylisée (Arnaud de Segonzac) qui suggère intérieur et extérieur, les éléments de
décor rappelant les écailles du python, les lumières (Ricardo Aronovich), la mise en
scène de Bérangère Bonvoisin et l’interprétation fascinante font de ce court
spectacle un formidable moment de théâtre, drôle, vivant, chaleureux, humain.
Théâtre de l’œuvre / De Romain Gary / Mise en scène Bérangère Bonvoisin
GROS-CÂLIN
Publié le 13 décembre 2013 - N° 215
Jean-Quentin Châtelain porte avec tendresse et finesse la drôlerie
poignante du premier roman d’Emile Ajar, alias Romain Gary. Un
pur plaisir.
Jean-Quentin Châtelain, acteur de haute sensibilité Crédit photo :
DR
Il vit à petits feux, furtivement enfoui au milieu infini de l’agglomérat du Grand Paris. Serré
dans son deux-pièces immensément vide, il aime à se lover dans le moelleux de Gros-Câlin
quand le cœur a le pleur gros et l’esprit la grise mine. Gros-Câlin s’allonge sur deux mètres
vingt tout en tendresse, sans compter quand il s’enroule amoureusement. C’est un python bien
sûr. Monsieur Cousin l’a ramené d’un voyage en Afrique, bouleversé soudain au sortir de
l’hôtel par la solitude du reptile. Modeste employé de bureau, il habite seul avec lui, sort
prudemment, se fond dans l’anonymat, se révolte de temps à autre en toute discrétion,
généralement dans l’abstention, et prend ses rêves pour des réalités, sans préméditation mais
avec désarmante gentillesse. Il songe beaucoup à sa collègue de travail, Mademoiselle
Dreyfus, et ses minijupes colorées… « Je suis un faible, je le dis sans me vanter. Je n’ai
aucun mérite à ça, je le constate, c’est tout. On ne sait pas assez que la faiblesse est une force
extraordinaire et qu’il est très difficile de lui résister. » remarque-t-il. Il a aussi le sens de
l’observation et de la clandestinité.
Personnage paradoxal
Dans le monde de Cousin, les choses bizarrement sont reliées selon d’improbables « à cause
de », et souvent même se refusent tout bonnement à suivre la logique commune, pourtant déjà
passablement absurde. Les mots d’ailleurs s’en trouvent tout chamboulés et se collent en
lignes perplexes. Dans son premier roman publié sous le pseudonyme d’Emile Ajar, en 1974,
Romain Gary fait sécession avec « la gueule qu’on [lui] avait faite », celle d’un paisible
Goncourt, mais aussi avec le bon ordre du langage. Il en retourne l’impeccable marqueterie à
coups d’humour pour dévoiler, dans les écarts et décalages, une société de plus en plus
individualiste et technocrate, la solitude de l’homme enseveli sous le manque d’amour.
Reprenant l’adaptation réalisée par feu Thierry Fortineau, Jean-Quentin Châtelain est ici
guidé par Bérangère Voisin, qui signe une mise en scène d’une subtile délicatesse. Excellant
dans l’exercice du monologue, le comédien délivre toutes les teintes de ce texte drôle et
poignant, philosophique et désespéré. Sa voix si singulière s’attarde parfois pour caresser les
voyelles, s’étrangle dans un sursaut d’angoisse, enchaîne les pataquès avec innocente aisance
et s’évade en escapades où les sons étincellent. Tout son corps aussi parle, raconte la
sensibilité extrême d’un être en mal de tendresse. « Elle me serra très fort dans ses bras et me
caressa dans ce silence au goutte-à-goutte qui fait bien les choses. La tendresse a des
secondes qui battent plus lentement que les autres. » L’émotion aussi.
Gwénola David
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