Place et évolution du concept d`alexithymie dans les troubles

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Place et évolution du concept d’alexithymie
dans les troubles psychosomatiques
Role and evolution of alexithymia in psychosomatic disorders
 L. Mekaoui*
 rÉsumÉ
Le concept d’alexithymie est né de la recherche de traits pathologiques pouvant induire des maladies psychosomatiques. Il
est défini comme un défaut de traitement des émotions et de
leur verbalisation. Il s’agit d’un désordre non pathognomonique des maladies psychosomatiques. Ce concept, initialement empirique, a été enrichi au fil des années d’hypothèses
des grands courants de pensée : défaut de “holding” dans la
petite enfance pour les psychanalystes, stratégie d’adaptation
négative pour les cognitivistes et dysfonctionnement interhémisphérique pour les neurobiologistes. L’échelle de mesure
la plus communément employée est la Toronto Alexithymia
Scale, TAS. Il n’y a pas de consensus à ce jour concernant la
prise en charge de ce trouble, hormis pour ce qui est du rôle
prépondérant de la verbalisation des émotions.
mots-clés : Alexithymie – Historique de l’alexithymie –
Hypothèses physiopathologiques de l’alexithymie – Échelle
d’évaluation de l’alexithymie.
SUMMARY. Alexithymia is a concept which was discovered by
theoricians who looked for facts that could explain psychosomatic
disorders. The link between alexithymia and psychosomatic disorders is now well known, although it is not exclusive: alexithymia is
not a pathognomonic sign and can be found in several illnesses.
Several models are proposed: lack of “holding” during childhood
for psychoanalysts, negative coping for cognitivists and dysfunction between the two cerebral hemispheres for neurobiologists.
The most common scale is the Toronto Alexithymia Scale (TAS),
proposed by Taylor. There is yet no consensus for the treatment.
Keywords: Alexithymia – History of alexithymia – Hypothesis
of alexithymia – Scale of alexithymia.
L’
alexithymie, terme proposé par le psychiatre américain
P.E. Sifnéos en 1972 (1), est un néologisme s’inspirant des racines grecques “a” (privatif), “lexi” (mot) et
“thymie” (émotion). Ce terme désigne un ensemble de caractéristiques cognitives et affectives qui rendent compte du mode
particulier de gestion de la vie émotionnelle de certains patients.
Il s’agit d’un concept descriptif, non dogmatique, appréhendé
par de multiples théorisations et notions qui se sont enrichies
* Praticien hospitalier, département hospitalo-universitaire de psychiatrie, hôpital AlbertChenevier, Créteil.
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au fur et à mesure des années : psychanalytiques, cognitivocomportementales, neuro-biologiques, etc.
Il est assimilable à une variable pouvant prédisposer aux troubles psychosomatiques : il a suscité de nombreuses hypothèses,
concernant tant les facteurs étiologiques des maladies que les
processus d’adaptation aux situations stressantes.
hisTorique
Préambule
Avant même l’énonciation du concept en 1972, de multiples
hypothèses concernant l’impact de l’expression des émotions sont
formulées au fil des siècles. En effet, les médecins et philosophes
des temps anciens soutiennent déjà l’idée que les émotions, en
particulier si elles sont intenses et non maîtrisées, peuvent avoir
un effet néfaste sur la santé mentale ou physique. Ainsi, Cicéron,
au IIe siècle avant J.-C., distingue quatre “passions” – la peur, le
chagrin, la libido et la joie – susceptibles d’être modulées par la
raison, mais également de provoquer une maladie si elles sont
excessives. Galien, au IIIe siècle après J.-C., classe les “passions”
parmi les causes non naturelles de maladie.
L’importance du rôle joué par les émotions est réactualisée au
début du XXe siècle avec l’émergence de la psychanalyse. Pendant
de nombreuses années, les maladies psychosomatiques sont alors
conceptualisées selon le modèle freudien des psycho-névroses.
Puis, au milieu du XXe siècle, les auteurs suggèrent l’importance des
perturbations du traitement cognitif des émotions dans le déterminisme des maladies psychosomatiques, reléguant au deuxième
plan le rôle des conflits intrapsychiques. Dès les prémices de la
médecine psychosomatique, plusieurs auteurs notaient chez leurs
patients une perturbation dans le traitement cognitif des émotions.
Ainsi, Mac Lean, en 1949, rapportait une incapacité de certains
patients à verbaliser leurs états affectifs. Ruesch, en 1948, observait
une perturbation de l’expression verbale et symbolique, une faible
capacité d’imagination, une difficulté à utiliser les émotions comme
source d’informations et un conformisme social exagéré.
Éclosion du concept
L’éclosion du concept d’alexithymie s’inscrit dans une démarche
psychologique quantitative, à la recherche de traits pathologiques
pouvant conduire à des désordres psychosomatiques. Ainsi, Bruch,
en 1962, avait observé certaines caractéristiques particulières du
fonctionnement émotionnel des patients suivis pour des troubles
du comportement alimentaire. Bruch indiquait une difficulté de
reconnaissance des sensations d’origine viscérale, de la confusion
par rapport aux émotions ressenties et une difficulté importante à les
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exprimer verbalement. Deux psychanalystes français, Marty et De
M’Uzan, en 1963 (2), décrivaient quant à eux, chez les sujets souffrant
d’affections psychosomatiques, un mode de pensée utilitaire et une
absence d’activités fantasmatiques. Ces auteurs utilisaient le terme
de “mode de pensée opératoire” pour décrire ce mode de fonctionnement cognitif particulier dépourvu de tout contenu affectif.
Ces principales descriptions naissent de l’empirisme, et il faut
attendre les années 1970 pour assister à des investigations systématiques des styles affectifs et cognitifs des patients qui souffrent
de maladies dites psychosomatiques. En 1973, c’est Sifnéos,
psychiatre américain, qui propose le terme d’alexithymie, pour
rendre compte du mode particulier de la vie émotionnelle de
certains patients souffrant d’affections psychosomatiques.
Définitions
Définition de l’alexithymie
Il existe actuellement un consensus qui définit un ensemble de
quatre dimensions caractérisant l’alexithymie :
 une difficulté à identifier et à distinguer les états émotionnels ;
 une difficulté à verbaliser les états émotionnels à autrui ;
 une vie fantasmatique réduite, et notamment une limitation
de l’aptitude à la “rêverie diurne” ;
 un mode de pensée tourné vers les aspects concrets de l’existence au détriment de ses aspects affectifs également appelé
“pensée opératoire” (3).
Définition du mode de pensée opératoire
On appelle pensée opératoire une pensée sans liens avec la vie fantasmatique, de tonalité rationnelle et factuelle, doublant et illustrant
l’action, évitant le recours aux digressions personnelles, aux annotations affectives et aux images verbales telles que les métaphores.
L’une des hypothèses expliquant ce mode de fonctionnement
serait le recours plus fréquent à l’action, et ce pour éviter ou
résoudre un conflit.
Discussion
Il est important de noter que l’alexithymie n’est pas conceptualisée comme un phénomène catégoriel, mais comme un concept
dimensionnel, un trait de personnalité, qui a une distribution
normale dans la population générale. Une composante alexithymique peut ainsi être présente chez des sujets sains, en particulier dans des situations de stress. De même, si, historiquement,
elle est liée aux maladies psychosomatiques, elle n’en est pas pour
autant spécifique. Il s’agit d’un concept transnosographique.
Certains auteurs ont proposé d’ajouter la notion de faible réactivité émotionnelle. Celle-ci fait référence à l’absence de réaction en
présence d’une scène qui habituellement en provoque. Il faut considérer cette dimension avant tout comme un corrélat de l’alexithymie.
En effet, il existe un type de déficit précis impliqué dans l’alexithymie.
Les individus qui présentent un score élevé aux échelles d’alexithymie
ne se caractérisent pas par une incapacité à ressentir les émotions
et à les exprimer, mais plutôt par une difficulté à les différencier
et à les verbaliser. Lorsqu’ils parlent d’une situation émotionnelle,
leurs propos se limitent à décrire une impression générale sur le
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fait de se sentir bien ou mal. Même si l’expression émotionnelle est
restreinte, leur faible capacité à réguler les affects peut se traduire par
de brusques explosions, comme des colères très fortes ou des pleurs.
Le lien entre ces manifestations comportementales intenses et des
événements déclencheurs est cependant particulièrement difficile
à établir en raison de leur faible recours à l’introspection (4).
Bien qu’il y ait un consensus sur la définition du concept, il persiste
des débats sur la question de son caractère stable ou transitoire,
et certains auteurs distinguent l’alexithymie – “trait” de l’alexithymie – “état”. En effet, ils associent l’alexithymie à une situation
de détresse et l’assimilent à une stratégie d’ajustement. Ces auteurs
parlent alors d’alexithymie secondaire ; cette dernière aurait pour
objectif de gérer l’angoisse générée par des situations stressantes.
En effet, plusieurs études ont montré que l’alexithymie favorisait
l’acceptation de certains troubles graves : dans des situations traumatisantes, la suppression transitoire de la réponse émotionnelle
aurait des effets bénéfiques qui pourraient être rapprochés de
ceux du coping évitant portant sur les émotions, comme ceux
représentés par la fuite, le déni ou la résignation.
Cependant, dans la plupart des études, l’alexithymie et le coping
positif sont le plus souvent présentés comme contradictoires,
et les sujets alexithymiques auraient de moins bonnes capacités
d’adaptation que les autres.
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Données épidémiologiques
Il existe une surreprésentation de la variable alexithymie chez les
sujets souffrant de pathologies psychosomatiques. La répartition
de l’alexithymie dans la population générale serait de 10 à 20 % en
fonction des études, alors qu’elle serait supérieure à 50 % chez les
sujets souffrant de troubles psychosomatiques. La méta-analyse de
Noël et Rimé (5), en 1998, indique que 80 % des études comparant
sujets “psychosomatiques” et sujets “contrôles” retrouvent des
scores d’alexithymie plus élevés dans la première population.
Par ailleurs, il s’agit d’une variable qui ne semble pas être corrélée à
des données telles que le sexe ou l’éducation, mais elle augmente de
fréquence avec l’âge et avec le faible niveau socio-économique.
La prévalence de l’alexithymie chez les sujets souffrant d’hypertension artérielle atteint plus de 50 % dans deux études, l’une menée
en Italie (6) et l’autre en Finlande (7). Une prévalence de 36 % a
été retrouvée chez les sujets suivis pour un syndrome du côlon
irritable (8). Dans les troubles somatoformes, certains auteurs
mettent en évidence une prévalence de l’alexithymie de 53 %. En
ce qui concerne les troubles du comportement alimentaire, la
prévalence de l’alexithymie varie entre 48 % et 77 % pour l’anorexie
et entre 40 % et 61 % pour la boulimie, selon les études.
Hypothèses physiopathologiques
Bien que née de l’observation clinique, la notion d’alexithymie
s’est vue étayée au fur et à mesure par des hypothèses de paradigmes très différents, principalement psychanalytiques, cognitivistes et neuropsychologiques.
Hypothèses psychanalytiques
L’alexithymie serait, pour la plupart des auteurs, consécutive à des
troubles précoces du développement affectif. Pour H. Krystal (9),
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elle ferait suite à un défaut dans le rôle maternel de liaison des
tensions et de développement de la capacité de rêverie et d’hallu­
cinations du bébé. Pour MacDougall (10), elle serait assimilable
au mode de fonctionnement originel de l’enfant incapable de
se représenter psychiquement ce qu’il éprouve et dont le corps
serait totalement dépendant du corps de la mère. C’est un fonctionnement psychique dans lequel le corps ne serait pas reconnu
comme sien par le sujet. Les émotions représenteraient alors
un danger pour l’équilibre du moi.
Lors des interactions précoces mère-enfant où s’ébauche la différenciation sujet-objet, la mère accomplit “l’accordage” de l’enfant
sur la réalité du monde extérieur, favorisant plus ou moins bien
l’objectalisation et le développement des capacités de mentalisation et de représentation des premières expériences. L’enfant
n’arriverait à saisir sa propre réalité psychique et corporelle que
par l’action médiatrice de la mère. Il s’agirait donc d’un défaut
de holding et de handling maternel confrontant l’enfant à des
sensations et à des expériences qu’il ne pourrait intégrer.
Mac Dougall parle de “forclusion de l’affect” pour désigner cette
non-reconnaissance des affects. L’alexithymie a, pour lui, valeur
de mécanisme de défense, permettant au sujet de se protéger
d’angoisses de perte objectale qui ne peuvent être assimilées du
fait d’un défaut d’intégration du bon objet maternel.
Hypothèses cognitivo-comportementales
Il n’existe pas de consensus sur ce que l’on entend par “émotions”.
Les auteurs cognitivo-comportementalistes proposent une
description de la réponse émotionnelle selon trois dimensions.
En premier lieu, ils évoquent les réactions neuro-physiologiques, constituées principalement par l’activation du système
nerveux autonome et neuroendocrinien (modification de la
fréquence cardiaque, variations de la pression sanguine, changement de la fréquence respiratoire et de la température, etc.).
En second lieu, ils décrivent les réactions comportementales
et expressives, comprenant les modifications de la voix, les
changements de la posture et surtout de l’expression faciale.
Enfin, ils évoquent les réactions cognitives et empiriques, qui
comprennent l’ensemble des processus mentaux en jeu lors
d’une émotion. Ces réactions interagissent entre elles et agissent
comme des systèmes pouvant se réguler. L’alexithymie est pour
certains auteurs une tentative de régulation, le plus souvent
inopérante, d’un déséquilibre de ce système. Ils évoquent alors
le concept d’alexithymie secondaire.
Hypothèses neuropsychologiques
Différents modèles ont été développés pour schématiser le fonctionnement propre aux sujets alexithymiques. Il existe le modèle
dit “vertical”, qui pointe un défaut de transmission d’information
entre le système limbique et le néocortex. Le modèle transversal
fait, lui, l’hypothèse de la spécialisation hémisphérique et d’un
manque de transfert d’information interhémisphérique. À côté de
ces deux modèles, Sifnéos (1) propose la théorie du stress. Face
à des situations qui requièrent une conscience des sentiments,
les sujets alexithymiques développent un stress et un sentiment
d’impuissance entraînant une perte d’espoir. Cet état induirait
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des perturbations biologiques, et notamment une hyperactivité
du système nerveux autonome et du système endocrinien.
Ces modèles sont étayés par les données des recherches en
neuro-anatomie fonctionnelle. Les études de W.D. TenHouten
(11) se sont intéressées à 12 sujets ayant subi une commissurotomie (section du corps calleux et de la commissure antérieure)
après une neurochirurgie pour des épilepsies chimio-résistantes.
Elles montrent un score d’alexithymie très élevé chez la totalité
de ces sujets. De la même façon, des sujets ayant une agénésie
du corps calleux sont décrits comme ayant moins recours à
certains mécanismes de défense : moins de condensation, de
déplacement. Ils présentent un défaut de symbolisation, moins
de créativité, et ont des préoccupations plus utilitaires, peu
imaginatives et tournées plus fréquemment vers la réalité.
Ces anomalies viennent corroborer les hypothèses d’asymétrie de
fonction des deux hémisphères ; l’hémisphère gauche serait ainsi
impliqué dans le langage intérieur et la symbolisation discursive
alors que l’hémisphère droit agirait plutôt dans les processus
d’imagerie mentale et de symbolisation représentative.
Pertinence du concept d’alexithymie
dans le domaine de la santé
Alexithymie comme facteur de risque
des troubles psychosomatiques
L’hypothèse d’un lien entre alexithymie et développement d’affections somatiques est à la base du concept d’alexithymie. Ce dernier
trouvait son origine dans des observations de patients souffrant d’une
ou plusieurs maladies psychosomatiques “classiques” dont l’origine
était encore incertaine au moment de son éclosion : l’ulcère peptique,
l’asthme, l’hypertension artérielle essentielle, la thyréotoxicose, la
colite ulcéreuse ou l’arthrite rhumatoïde. Les sujets alexithymiques présenteraient une vulnérabilité particulière au stress, liée à
une réactivité physiopathologique pouvant conduire à des lésions
organiques. De nombreux psychothérapeutes et psychanalystes font
l’hypothèse que l’aptitude d’un individu à reconnaître en lui-même et
à exprimer les émotions face aux stress de la vie quotidienne et aux
conflits psychiques en général a un effet modulateur sur sa santé.
Depuis plusieurs années, on observe une multiplication des études
concernant l’alexithymie, avec une meilleure circonscription de son
évolution et de ses conséquences chez les sujets qui en souffrent.
La prévalence de caractéristiques alexithymiques est particulièrement élevée dans l’hypertension, dans certains troubles intestinaux
(syndrome du côlon irritable), les troubles somatoformes et les
troubles des conduites alimentaires. Dans les troubles du comportement alimentaire, il existe une association entre alexithymie et
caractéristiques psychologiques liées à la difficulté de réguler les
états émotionnels, au même titre que l’hyperactivité, les périodes de
jeûne ou de gavage, qui seraient également des stratégies inadaptées
tentant de réguler les états émotionnels éprouvants.
Certaines études soulignent également la pertinence du concept
en tant que facteur de vulnérabilité dans une série d’autres affections somatiques, notamment le diabète de type 1 et l’asthme.
Ainsi, l’influence des émotions sur la glycémie et l’évolution du
diabète est suspectée depuis longtemps.
La Lettre du Psychiatre - Vol. III - n° 5-6 - mai-juin 2007
Alexithymie et facteurs associés
L’alexithymie est fréquemment associée à d’autres composantes
psychologiques pouvant jouer un rôle dans les troubles psychosoma­
tiques : un manque d’élaboration psychologique, une introversion,
un manque de “désirabilité sociale” sont fréquemment présents.
L’alexithymie constituerait un facteur de risque de morbidité
accrue de par les comportements de mise en danger : faible
support social du fait de la pauvreté des relations interpersonnelles, conduites à risque (alcool, tabac, drogues, etc.) ou encore
mauvaise compliance thérapeutique.
De nombreux auteurs soulignent une forte corrélation entre
alexithymie et anhédonie. En effet, plus un sujet aura des difficultés à exprimer ses émotions, moindre sera sa capacité à
percevoir un vécu hédonique.
Alexithymie et stress
De nombreuses études proposent des modèles intégratifs
liant facteurs psychologiques et désordres biologiques. Ainsi,
l’alexithymie est présentée comme un facteur de vulnérabilité
au stress. L’incapacité à réguler des affects aurait pour conséquences des troubles physiologiques. Des études ont montré
une augmentation du tonus sympathique de base chez les sujets
alexithymiques, avec un manque de réactivité physiologique
lors des réactions de stress. Certains auteurs suggèrent que
cette modification du tonus du système nerveux autonome
s’accompagne d’une modification de la sécrétion de cortisol,
telle qu’en témoigne la perturbation du test à la dexaméthasone
chez ces sujets. Pour T. Lindholm (12), en 1990, ce maintien
de la stimulation des axes sympathique et corticotrope serait à
l’origine d’une immunosuppression.
Limites du concept d’alexithymie
De nombreuses critiques ont été portées contre ce concept et
en soulignent plusieurs limites.
Il s’agit tout d’abord d’un concept manquant de spécificité,
et retrouvé dans la plupart des maladies psychiatriques. Par
ailleurs, l’alexithymie est rarement un trait isolé : elle n’est pas
une dimension indépendante et est fréquemment associée à
d’autres traits de personnalité. Aussi, son imputabilité dans les
troubles psychosomatiques est difficile à mettre en évidence.
Alexithymie et psychométrie
De nombreux outils visant à mesurer le degré d’alexithymie
ont été développés.
Deux outils de mesure semblent avoir une bonne validité et
ont été traduits en français : le Beth Israel Questionnaire (BIQ),
développé par Sifnéos, et la Toronto Alexithymia Scale (TAS),
par Taylor. Le BIQ est un hétéroquestionnaire constitué d’une
liste de huit critères notés comme présents ou absents. Il est
nécessaire d’avoir un score égal ou supérieur à 6 pour évoquer
le diagnostic d’alexithymie. Le TAS existe en plusieurs versions.
La plus courante est un autoquestionnaire se composant
de 26 assertions à coter de 1 à 5 en fonction de leur caractère
plutôt juste ou non. La note globale se situe donc entre 26 et 130
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et implique un score d’au moins 74 pour le diagnostic d’alexithymie. Une version abrégée à 20 items tend à s’imposer depuis
plusieurs années.
Approche thérapeutique
Il n’y a pas de consensus à ce jour concernant la prise en charge de
ce trait pathologique. Différentes approches thérapeutiques sont
présentées par les auteurs. Il s’agit principalement de la psychothérapie de soutien, qui peut être conduite par le psychothérapeute
et le somaticien. Il convient de favoriser la prise de conscience des
émotions, en mettant l’accent sur leur expression verbale et non
verbale. Des techniques comportementales telles que la relaxation,
le training autogène et le biofeedback peuvent y être associées.
Directement centrées sur les sensations corporelles et psychologiques, elles cherchent à favoriser la prise de conscience des relations
qui existent entre ces sensations et les événements ou stimulations
de l’environnement, et visent ainsi à les gérer. Il paraît cependant
important de prendre en compte les enjeux psychodynamiques
sous-jacents. Les psychothérapies d’orientation analytique, qui
permettent un travail d’interprétation et d’élaboration des dimensions inconscientes, peuvent dès lors être proposées, soit de façon
concomitante soit dans un second temps. Les thérapies de groupe
peuvent, par ailleurs, constituer une alternative, voire un complément aux thérapies individuelles.
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Références bibliographiques
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Pour en savoir plus...
◆Corcos M. Psychopathologie de l’alexithymie. Paris : Dunod, 2003.
◆Pedinielle JL. Le concept d’alexithymie en psychosomatique. EMC, Elsevier, 1988.
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