Le devoir de désobéissance

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CONFÉRENCE PHILOSOPHIQUE
“Plus l’être humain sera éclairé, plus il sera libre.”
Voltaire
LE DEVOIR DE DÉSOBÉISSANCE
La désacralisation des lois
comme nécessité démocratique
CONFÉRENCE PAR ÉRIC LOWEN
Association ALDÉRAN Toulouse
pour la promotion de la Philosophie
MAISON DE LA PHILOSOPHIE
29 rue de la digue, 31300 Toulouse
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conférence N°1600-120
LE DEVOIR DE DÉSOBÉISSANCE
La désacralisation des lois
conférence d’Éric Lowen donnée le 23/06/2010
à la Maison de la philosophie à Toulouse
Nos sociétés ont sacralisé l’obéissance. Des siècles de pensée et d’éducation ont fait de
l’obéissance une vertu, une sorte de valeur en soi, où il faut obéir parce que l’obéissance est
la règle. Mais que vaut une obéissance sans réflexion éthique ? Si parfois il est légitime
d’obéir, la désobéissance est aussi un devoir, parfois plus important que l’obéissance.
Comment s’entend cette notion de désobéissance ? À quel moment finit l’obéissance et
commence le devoir de désobéissance ? En vertu de quelle éthique ?
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LE DEVOIR DE DÉSOBÉISSANCE
La désacralisation des lois comme nécessité démocratique
PLAN DE LA CONFÉRENCE PAR ÉRIC LOWEN
Je crois que nous devrions êtres hommes d’abord et sujets ensuite. Il n’est
pas souhaitable de cultiver le même respect pour la loi et pour le bien.
Henry David Thoreau (1817-1862)
Du devoir de la désobéissance civile, 1848
I
PRÉSENTATION
1 - Une question éthique fondamentale dans toute société, l’obéissance à la loi
2 - Mais prudence dans le traitement de cette question
II
L’IMPORTANCE CULTURELLE DE L’OBÉISSANCE
1 - La sacralisation de l’obéissance, la diabolisation de la désobéissance
2 - L’obéissance élevée au rang de vertu
3 - Les principales expressions de cet ordre d’obéissance
4 - Ce devoir d’obéissance est d’autant plus fort dans les sociétés traditionnelles
III
LES FONDEMENTS DU DEVOIR D’OBÉISSANCE ET SES LIMITES
1 - Différentes catégories d’obéissance : compréhension, contrainte, intérêt, mécanicité
2 - La notion d’obéissance en société, l’obéissance aux lois comme obligation sociale
3 - Une obéissance par le poids de l’autorité, et non en vertu du bien fondé de l’action demandée
4 - Qui tourne vite au maintien de l’ordre pour l’ordre, au respect de la loi parce qu’elle est la loi
5 - Les obéissances problématiques sont minoritaires mais éthiquement majoritaires
6 - La contextualisation de l’obéissance : elle est légitime ou illégitime en fonction des cas
7 - La volonté de l’autorité ne se confonde pas automatiquement avec l’intérêt général
8 - La subordination et infériorisation de l’individu - réduit au rang de rouage
9 - La logique de l’obéissance, “sous peine de...” et “en récompense...”
10 - Ce qui mène à l’obéissance aveugle et au sadisme en toute bonne conscience
IV
LES PRINCIPES DU DEVOIR DE DÉSOBÉISSANCE
1 - La lente remise en cause de cette sacralisation de l’obéissance, vers le refus de soumission
2 - Distinguer la désobéissance égotique de la désobéissance éthique
3 - La désobéissance n’est pas ni l’anarchie ni le désordre
4 - Une désobéissance qui n’est plus motivée par l’intérêt personnel
5 - Une raison éthique comme cause et finalité de la désobéissance
6 - La remise en cause d’un ordre problématique au profit d’un ordre plus équitable
7 - Une obéissance à une éthique humaniste supérieure, relevant du droit naturel
8 - L’autorité de la conscience remplace celle de la force et de l’inertie
9 - Le devoir de désobéissance est toujours un acte d’obéissance libre à notre conscience
10 - Le rétablissement de l’individu comme sujet autonome, conscient, responsable et libre
11 - Le devoir de désobéissance, une liberté intérieure aboutissant à une liberté extérieure
V
LES DIFFÉRENTES EXPRESSIONS DE CE DEVOIR DE DÉSOBÉISSANCE
1 - Désobéissance divine ou destinale
2 - Désobéissance naturelle
3 - Désobéissance familiale
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4 - Désobéissance sociologique, contre la norme sociale
5 - Désobéissance politique, dont un exemple est la désobéissance politique
6 - Désobéissance militaire, contre les ordres militaristes
7 - Désobéissance mercantile (consumérisme, monopoles...)
8 - Désobéissance économique
9 - Désobéissance culturelle
10 - Désobéissance intellectuelle
11 - Désobéissance insurrectionnelle, stade ultime de la désobéissance
VI
CONCLUSION
1 - La résistance à l'oppression est un droit naturel, un droit humain élémentaire
2 - Le devoir de désobéissance est un devoir philosophique
3 - Autant qu’un devoir démocratique
4 - Un des éléments moteurs de la libération de l’Humanité et de son progrès
ORA ET LABORA
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Document 1 : Dans les traditions judéochrétiennes, les logiques d’obéissance et de désobéissance
s’inscrivent dans les mythes cosmogoniques fondateurs de la genèse avec l’épisode d’Adam et Eve qui
désobéissent au premier commandement de Dieu leur ordonnant de ne pas manger de l’arbre du fruit de la
connaissance. Ce premier rapport sera ensuite renouvelé par d’autres désobéissances des hommes aux
commandements divins : déluge, tour de Babel, le veau d’or de Moïse, etc. Dans ces idéologies, la
désobéissance est assimilée au mal, l’obéissance au bien.
Document 2 : Si l’obéissance est si facile, c’est aussi parce qu’elle possède ses joies.
L'obéissance a ses peines. Peine du libre arbitre individuel limité ou contrarié ; peine de
l'effort, de l'anonymat dans l'effort, de l'effort méconnu, et tenu pour allant de soi ; peine
des reproches mérités ou non, des sanctions ; peine de se savoir l'artisan ignoré des
succès, et le coupable des échecs et des revers. - Mais l'obéissance a ses joies. Joie de
l'éloge et de la récompense. Joie de l'insouciance enfantine, et joie de la retrouver
adulte ; joie de la confiance, de la sécurité plénière procurée par le père ou par le chef.
Joie de s'identifier à lui, et par là d'être puissant en lui, de triompher avec lui, d'être fier de
soi parce que fier de lui. Joie d'être nous, grâce à lui. Joie paisible de la soumission à la
règle et du conformisme collectif. «Peu de gens croient avec Xénophon au bonheur de
Sparte. Quelle triste occupation, disent-ils, que des exercices militaires, que le perpétuel
exercice des armes ! Sparte, ajoutent-ils, n'était qu'un couvent ; tout s'y réglait par le
coup de la cloche. Mais, répondrai-je, le coup de la récréation ne plaît-il pas à l'écolier ?
Est-ce la cloche qui rend le moine malheureux ? Lorsqu'on est bien nourri, bien vêtu, à
l'abri de l'ennui, toute occupation est également bonne, et les plus périlleuses ne sont pas
les moins agréables» (Helvétius). Joie de marcher du même pas que le voisin, et que
tous les autres, joie d'être une des pattes d'un mille-pattes énorme et terrifiant, joie d'être
figurant dans un ballet ou un drame bien réglé promis à la gloire.
Maurice Marsal
L'autorité, 1982
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Document 3 : L’obéissance a aussi ses penseurs et ses théoriciens. Il ne faut pas les sous-estimer.
Ce qui compte, c'est la continuité de l'État. Une nation n'est pas un Léviathan - une sorte
d'animal collectif comme une, ruche ou une termitière. C'est un assemblage politique plus
ou moins artificiel et fragile ; celui-ci ne subsiste que tant qu'il est habité par une volonté
unanime -, et cette volonté, à travers les divergences sans nombre des citoyens et des
partis, ne peut se rassembler que sur un pouvoir légitime, c'est-à-dire un pouvoir reconnu
par tous. Brisez cette légitimité, vous brisez du même coup la colonne vertébrale de
l'État : vous lui substituez les factions ; et tout pouvoir qui lui succédera étant illégitime
représentera seulement la faction qui l'aura soutenu : le pays sera disloqué. C'est le plus
grand crime qui se puisse commettre contre la patrie ; une guerre perdue est peu de
chose auprès de ce crime-là.
Vercors (1902-1991)
La puissance du jour
propos du personnage Broussard, ancien préfet de Vichy et collaborateur
Document 4 : Un exemple classique de désobéissance, celui d’Antigone face au tyran Cléon dans la pièce
de Sophocle.
CRÉON (au garde). - File où tu voudras la conscience légère - tu es libre. (À Antigone,)
Réponds en peu de mots. Connaissais-tu mon édit ?
ANTIGONE. - Comment ne l'aurais-je pas connu ? Il était public.
CRÉON. - Et tu as osé passer outre à mon ordonnance ?
ANTIGONE. - Oui, car ce n'est pas Zeus qui l'a promulguée, et la justice qui siège auprès
des dieux de sous terre (4) n'en a point tracé de telles parmi les hommes. Je ne croyais
pas, certes, que tes édits eussent tant de pouvoir qu'ils permissent à un mortel de violer
les lois divines : lois non écrites, celles-là (5) mais intangibles . Ce n'est pas d'aujourd'hui
ni d'hier, c'est depuis l'origine qu'elles sont en vigueur, et personne ne les a vues naître.
Leur désobéir, n'était-ce point, par un lâche respect pour l'autorité d'un homme, encourir
a rigueur des dieux ? je savais bien que je mourrais ; c'était inévitable - et même sans ton
édit! Si je péris avant le temps, je regarde la mort comme un bienfait. Quand on vit au
milieu des maux, comment n'aurait-on pas avantage à mourir ? Non, le sort qui m'attend
n'a rien qui me tourmente. Si j'avais dû (6) laisser sans sépulture un corps que ma mère
a mis au monde, le ne m'en serais jamais consolée ; maintenant, je ne me tourmente
plus de rien. Si tu estimes que je me conduis comme une folle, peut-être n'as-tu rien à
m'envier sur l'article de la folie !
LE CORYPHÉE. - Comme on retrouve dans la fille le caractère intraitable du père ! Elle
ne sait pas fléchir devant l'adversité.
CRÉON. - Apprends que c'est le manque de souplesse, le plus souvent, qui nous fait
trébucher. Le fer massif, si tu le durcis au feu, tu le vois presque toujours éclater et se
rompre. Mais je sais aussi qu'un léger frein a bientôt raison des chevaux rétifs. Oui,
l'orgueil sied mal à qui dépend du bon plaisir d'autrui. Celle-ci savait parfaitement ce
qu'elle faisait quand elle s'est mise au-dessus de la loi. Son forfait accompli, elle pèche
une seconde fois par outrecuidance lorsqu'elle s'en fait gloire et sourit à son œuvre. En
vérité, de nous deux, c'est elle qui serait l'homme, si je la laissais triompher impunément.
Elle est ma nièce, mais me touchât-elle par le sang de plus près que tous les miens, ni
elle ni sa sœur n'échapperont au châtiment capital. Car j'accuse également Ismène
d'avoir comploté avec elle cette inhumation. Qu'on l'appelle : je l'ai rencontrée tout à
l'heure dans le palais, l'air égaré, hors d'elle, Or ceux qui trament dans l'ombre quelque
mauvais dessein se trahissent toujours par leur agitation... Mais ce que je déteste, c'est
qu'un coupable, quand il se voit pris sur le fait, cherche à peindre son crime en beau.
ANTIGONE. - je suis ta prisonnière ; tu vas me mettre à mort : que te faut-il de plus ?
CRÉON. - Rien. Ce châtiment me satisfait.
ANTIGONE. - Alors, pourquoi tardes-tu ? Tout ce que tu dis m'est odieux - je m'en
voudrais du contraire - et il n'est rien en moi qui ne te blesse. En vérité, pouvais-je
m'acquérir plus d'honneur qu'en mettant mon frère au tombeau ? Tous ceux qui
m'entendent oseraient m'approuver, si la crainte ne leur fermait la bouche. Car la
tyrannie, entre autres privilèges, peut faire et dire ce qu'il lui plaît.
CRÉON. - Tu es seule, à Thèbes, à professer de pareilles opinions.
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ANTIGONE, désignant le chœur. - Ils pensent comme moi, mais ils se mordent les lèvres.
CRÉON. - Ne rougis-tu pas de t'écarter du sentiment commun ?
ANTIGONE. - Il n'y a point de honte à honorer ceux de notre sang.
CRÉON. - Mais l'autre, son adversaire, n'était-il pas ton frère aussi ?
ANTIGONE. - Par son père et par sa mère, oui, il était mon frère.
CRÉON. - N'est-ce pas l'outrager que d'honorer l'autre ?
ANTIGONE. - Tu n'en jugera pas ainsi, maintenant qu'il repose dans la mort.
CRÉON. - Cependant ta piété le ravale au rang du criminel.
ANTIGONE. - Ce n'est pas un esclave qui tombait sous ses coups ; c'était son frère.
CRÉON. - L'un ravageait sa patrie ; l'autre en était le rempart.
ANTIGONE. - Hadès n'a pas deux poids et deux mesures.
CRÉON. - Le méchant n'a pas droit à la part du juste.
ANTIGONE. - Qui sait si nos maximes restent pures aux yeux des morts ?
CRÉON. - Un ennemi mort est toujours un ennemi.
ANTIGONE. - Je suis faite pour partager l'amour, non la haine.
CRÉON. - Descends donc là-bas, et, s'il te faut aimer à tout prix, aime les morts. Moi
vivant, ce n'est pas une femme qui fera la loi.
Sophocle (-495,-406 av. J.C.)
Antigone, vers 384 à 515
Traduction de R. Pignarre (éd. Garnier-Flammarion)
4. La justice qui siège auprès des dieux de sous terre : la justice (diké) infernale, distincte de celle qui est assise
près du trône de Zeus. Souvent assimilée aux Érynies, divinités infernales qui pourchassent les criminels.
5. Intangibles : à quoi on ne doit pas porter atteinte; inviolables, sacrées.
6. Un corps que ma mère a mis au monde : Antigone se réfère à son devoir familial, mais aussi à la famille
maudite des Labdacides. Voir plus loin : «dans la fille, le caractère intraitable du père».
Document 5 : Un autre grand texte classique d’appel à la désobéissance est le livre de La Boétie, écrit lors
de la Renaissance française dans le cadre des guerres de religion.
De la domination, le soutien et fondement de la tyrannie ; qui pense que les hallebardes
des gardes, l'assiette du guêt, gardent le tyran, à mon jugement se trompe fort ; ils s'en
aident, comme je crois, plus pour la formalité et épouvantail, que pour force qu'ils y aient
[...]. Ce ne sont pas les bandes de gens à cheval, ce ne sont pas les compagnies de
gens à pied, ce ne sont pas les armes, qui défendent le tyran. Mais on ne le croira pas du
premier coup ; toutefois il est vrai. Ce sont toujours quatre ou cinq qui maintiennent le
tyran, quatre ou cinq qui lui tiennent le pays tout en servage. Toujours il a été, que cinq
ou six ont eu l'oreille du tyran, et s'y sont approchés d'eux-mêmes, ou bien ont été
appelés par lui, pour être les complices de ses cruautés, les compagnons de ses plaisirs,
maquereaux de ses voluptés, et communs aux biens de ses pilleries.
Ces six adressent si bien leur chef, qu'il faut pour la société, qu'il soit méchant, non pas
seulement de ses méchancetés, mais encore des leurs. Ces six ont six cents, qui
profitent sous eux, et font de leurs six cents ce que les six font au tyran. Ces six cents
tiennent sous eux six mille, qu'ils ont élevé en état, auxquels ils ont fait donner ou le
gouvernement des Provinces, ou le maniement des deniers, afin qu'ils tiennent la main à
leur avarice, et cruauté, et qu'ils l'exécutent quand il sera temps, et fassent tant de mal
d'ailleurs, qu'ils ne puissent durer que sous leur ombre, ni s'exempter que par leur moyen
des lois et de la peine. Grande est la suite qui vient après de cela. Et qui voudra s'amuser
à dévider ce filet, il verra, que non pas les six mille, mais les cent mille, les millions, par
cette corde, se tiennent au tyran, s'aidant d'icelle, comme en Homère Jupiter qui se vante
s'il tire la chaîne d'amener vers soi tous les Dieux.
La Boétie (1530-1563)
Discours de la servitude volontaire, 1576
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Document 6 : Henry David Thoreau, fondateur de la désobéissance civile non-violente a passé sa vie à
refuser de se soumettre aux modèles économiques et sociaux de la société puritaine du Massachusetts du
19ème siècle.
La marche vers le respect de l’Individu
L'évolution de la monarchie absolue à la monarchie
parlementaire, de la monarchie parlementaire à la
démocratie est une évolution vers un respect véritable de
l'individu. La démocratie, telle que nous la connaissons,
est-elle l'ultime progrès en fait de gouvernement ? N'est-il
pas possible de faire un pas de plus vers la
reconnaissance et l'établissement des droits de
l'homme ? Jamais il n’y aura un État vraiment libre et
éclairé tant que l'État n'en viendra pas à reconnaître à
l’individu un pouvoir supérieur et indépendant, d'où
proviendrait tout le pouvoir et l’autorité du gouvernement
qui traiterait l’individu en conséquence. Je me plais à
imaginer un État, enfin, qui puisse être juste envers tous
les hommes et traiter l'individu avec respect, comme un
voisin ; qui même ne jugerait pas incompatible avec son
propre repos que quelques hommes vivent à l'écart de lui, sans se mêler de ses affaires
ou être encerclés par lui, du moment qu’ils rempliraient tous leurs devoirs envers leurs
voisins et leurs semblables. Un État qui porterait ce genre de fruit et accepterait qu’il
tombât sitôt mûr, préparerait la voie pour un État encore plus parfait, plus splendide, tel
que je l’ai imaginé mais encore jamais vu nulle part.
Henry David Thoreau (1817-1862)
Du devoir de la Désobéissance civile, 1849
Document 7 : Simone de Beauvoir, en publiant “Le deuxième Sexe” a inauguré la phase moderne de la
désobéissance des femmes envers la condition que leur imposait (et impose encore) les modèles
sociologiques de la civilisation occidentale (photo Doisneau/Rapho).
Les femmes d'aujourd'hui sont en train de détrôner le mythe de la féminité; elles
commencent à affirmer concrètement leur indépendance ; mais ce n'est pas sans peine
qu'elles réussissent à vivre intégralement leur condition d'être humain. Élevées par des
femmes, au sein d'un monde féminin, leur destinée normale est le mariage qui les
subordonne encore pratiquement à l'homme ; le prestige viril est encore loin d'être
effacé : il repose encore sur de solides bases économiques et sociales. Il est donc
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nécessaire d'étudier avec soin le destin traditionnel de la femme. Comment la femme
fait-elle l'apprentissage de sa condition, comment l'éprouve-t-elle, dans quel univers se
trouve-t-elle entérinée, quelles évasions lui sont permises, voilà ce que je chercherai à
décrire. Alors seulement nous pourrons comprendre quels problèmes se posent aux
femmes qui, héritant d'un lourd passé, s'efforcent de forger un avenir nouveau. Quand
j'emploie les mots «femmes» ou «féminin», je ne me réfère évidemment à aucun
archétype, a aucune immuable essence ; après la plupart de mes affirmations il faut
sous-entendre «dans l'état actuel de l'éducation et des mœurs». Il ne s'agit pas ici
d'énoncer des vérités éternelles mais de décrire le fond commun sur lequel s'enlève
toute existence féminine singulière.
On ne naît pas femme on le devient. Aucun destin biologique, psychique, économique ne
définit la figure que revêt au sein de la société la femelle humaine. C'est l'ensemble de la
civilisation qui élabore ce produit intermédiaire entre le mâle et le castrat qu'on qualifie de
féminin.
Simone de Beauvoir (1908-1986)
Le Deuxième Sexe, t. II, L'Expérience vécue, Gallimard, 1949, p. 9-13
Document 8 : D’autres femmes avant elle avaient commencé ce lent travail de refus d’obéissance menant à
la révolte et à la libération.
Ce que nous voulons, c’est la science et la liberté
Elles sont dégoûtées, les femmes ! Les vilenies leur font lever le cœur. Un peu
moqueuses aussi, elles saisissent vite ce qu'il y a d'épatant à voir des gommeux, des
fleurs de gratin, des pschutteux, des petits-crevés enfin, jeunes ou vieux, drôles,
crétinisés par un tas de choses malpropres, et dont la race est finie, soupeser dans leurs
pattes sales les cerveaux des femmes, comme s'ils sentaient monter la marée de ces
affamées de savoir, qui ne demandent que cela au vieux monde : le peu qu'il sait. Ils sont
jaloux, ces êtres qui ne veulent rien faire, de toutes les ardeurs nouvelles qui ravissent le
dernier miel à l'automne du vieux monde. ( ... )
L'homme tient à ce que la femme reste ainsi, pour être sûr qu'elle n'empiétera ni sur ses
«fonctions», ni sur ses «titres».
Rassurez-vous encore, messieurs, nous n'avons pas besoin du titre pour prendre vos
fonctions quand il nous plaît !
Vos titres ? Ah ! bah ! Nous n'aimons pas les guenilles ; faites en ce que vous voudrez :
c'est trop rapiécé, trop étriqué pour nous.
Ce que nous voulons, c'est la science et la liberté.
Vos titres ? Le temps n'est pas loin où vous viendrez nous les offrir, pour essayer par ce
partage de les retaper un peu.
Gardez ces défroques, nous n'en voulons pas.
Louise Michel (1830-1905)
Mémoires, 1886
Document 9 : Un exemple de désobéissance sociologique.
Tout vagabondage déplaît au bourgeois, et il existe aussi des vagabonds de l’esprit, qui,
étouffant sous le toit qui abritait leurs Peres, s’en vont chercher au loin plus d’air et plus
d’espace. Au lieu de restes au coin de l’âtre familial à remuer les cendres d’une opinion
modérée, au lieu de tenir pour des vérités indiscutables ce qui a consolé et apaisé tant
de générations avant eux, ils franchissent la Barrière qui clôt le champ paternel, et s’en
vont par les chemins audacieux de la critique, où les mène leur insatiable curiosité de
douter...
Max Stirner (1806-1856)
L’unique et sa propriété, 1845
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Association ALDÉRAN © - Conférence 1600-120 : “Le devoir de désobéissance” - 21/03/2001 - page 11
- Vercors, à la recherche de la dignité humaine
- Saint-Exupéry et l’engagement pour l’Humanité
- L'engagement politique de Camus, par Jean-Louis Saint-Ygnan
1000-113
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Quelques livres sur le sujet
- Les résistants, L’histoire de ceux qui refusèrent, Robert Belot, Larousse, 2003
- La rébellion française, mouvements populaires et conscience sociale, (1661-1789), Jean Nicolas, Seuil,
2002
- Éloge de la désobéissance, Rony Brauman et Eyal Siva, Le Pommier, 2001
- La révolte des citoyens, Jean-François Soulet, Privat, 2001
- Des hommes ordinaires, le 101ème bataillon de réserve de la police allemande et la Solution finale en
Pologne, Christopher Robert Browning (1984), Tallandier, 2007
- L’objecteur de conscience, Jean-Pierre Cattelain, coll. Que sais-je ?, PUF, 1982
- La soumission à l'autorité : Un point de vue expérimental, Stanley Milgram (1974), Calmann-Lévy, 1994
- Théorie de la justice, John Rawls (1971), Seuil, 1987
- L’autorité, Maurice Marsal, PUF, 1961
- La mort est mon métier, Robert Merle (1952), Gallimard, 1990
- L’impérialisme, les origines du totalitarisme, Hannah Arendt (1951), Fayard, 1982
- L’homme révolté, Albert Camus (1951), Éditions Gallimard, 1988
- 1984, George Orwell (1947), Gallimard, 1988
- Le silence de la mer (1942), Le silence de la mer et autres œuvres, Vercors, Omnibus, 2002
- Le meilleur des mondes, Aldous Huxley (1932), Presses Pocket
- Babbit, Sinclair Lewis (1922), Éditions Rombaldi, 1970
- Du devoir de la désobéissance civile, Henry David Thoreau (1848), ALDÉRAN Éditions, 1998
- Traité du gouvernement civil, John Locke (1680), Flammarion, 1992
- Le citoyen ou les fondements de la politique, Thomas Hobbes (1642), GF Flammarion, 1982
- Discours de la servitude volontaire, Étienne de La Boétie (1548), Flammarion, 1997
- Éthique de Nicomaque, Aristote, Flammarion, 1992
Association ALDÉRAN © - Conférence 1600-120 : “Le devoir de désobéissance” - 21/03/2001 - page 12
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