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Regards croisés sur l’autonomie
l’œil oblique
numéro 7
Sommaire
Avant-propos. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3
Vanessa Bourgeois
Aucun homme n’est une île
Sous la supervision de Paul Turcotte. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5
Sandrine Lambin
Autorité, obéissance et démocratie
Sous la supervision de Xavier Brouillette
et Sophie Tremblay. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
Jordan Metz
L’obéissance est-elle compatible avec la liberté ?
Sous la supervision de Tony Patoine. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13
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De l’autorité à l’autonomie
Les textes de ce septième recueil de L’oeil oblique ont été écrits
dans le cadre du premier cours de philosophie au Cégep intitulé
Philosophie et rationalité. Donné sous forme de team teaching,
ce cours vise un double objectif : explorer la naissance de la
philosophie dans l’Antiquité classique et fournir aux étudiantes
et aux étudiants des outils méthodologiques en vue de la rédaction d’un texte philosophique. Ce double objectif, nous avons
cru pouvoir le réaliser à l’aide d’un thème essentiel proposé à
nos élèves : l’autonomie individuelle face aux diverses formes
d’autorité. Les courts essais présentés ici sont le fruit d’une
rencontre spéciale de trois étudiants avec la philosophie et
l’écriture philosophique. Chacun d’entre eux a travaillé de façon
plus soutenue avec son professeur dans le but de publier son
texte à la fin de la session.
S’étonner, disait Platon dans le Théétète, est le point de départ
de la philosophie. Cet étonnement donna naissance à ces textes
qui, n’en doutons point, sauront à leur tour nous étonner.
Xavier Brouillette
Victor Drouin-Trempe
Stéphanie Kemp
Tony Patoine
Sophie Tremblay
Paul Turcotte
3
4
Vanessa Bourgeois
Histoire et civilisation
Aucun homme n’est une île
Tant de gestes, nobles ou abjects, furent commis au nom de la
liberté et, malgré l’importance qu’on lui attribue de toute part,
personne ne s’accorde pour en donner la même définition. Dans
une société parfaite, tous seraient également libres et personne
n’aurait besoin de la protection des lois. Pourtant, dans celle où
l’on vit, il est facile d’empiéter sur la liberté de notre voisin, et
notre système judiciaire agit pour nous protéger les uns contre
les autres. Il y a toutefois tellement de lois qui compriment et
restreignent notre liberté que nous sommes en droit de nous
demander si l’obéissance à ces lois est compatible avec la liberté
de tous.
L’humanité est une grande communauté où chaque geste que
nous posons a un impact sur chaque être vivant de cette planète.
Nous sommes tous reliés les uns aux autres, comme le dit John
Donne, poète et prédicateur anglais :
No man is an island, entire of itself ; every man is a
piece of the continent, a part of the main […], any
man’s death diminishes me, because I am involved in
mankind, and therefore never send to know for whom
the bells tolls ; it tolls for thee.
(Aucun homme n’est une île, un tout, complet en soi ;
tout homme est un fragment du continent, une partie de
l’ensemble ; […] la mort de tout homme me diminue,
parce que j’appartiens au genre humain ; aussi n’envoie
jamais demander pour qui sonne le glas : c’est pour
toi qu’il sonne). 1
1 John Donne, Devotions Upon Emergent Occasions and Death’s Duel, Ann Harbour,
University of Michigan Books, 1959
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On développe alors l’idée que l’humanité est un grand tout dont
chaque être humain représente un organe, et la santé de chacun
d’eux affecte celle des autres ; dans le cas des hommes, ce n’est
pas de leur santé, mais bien de leurs actions qu’il s’agit. Chaque
évènement a ses répercussions. Ainsi, on peut facilement évaluer
l’influence qu’eut le discours de Martin Luther King, I have a
dream, sur la population américaine ou celle qu’eurent les attentats
du 11 septembre 2001 à l’échelle mondiale. La vie de chacun est
influencée par le moindre geste de chaque personne sur cette
Terre, et nous sommes donc tous connectés les uns aux autres.
Nelson Mandela a un jour dit qu’« un homme qui prive un autre
homme de sa liberté est prisonnier de la haine, des préjugés et
de l’étroitesse d’esprit » 2. Ainsi, privez un homme de sa liberté
et vous vous privez de la vôtre. Il faut que chaque homme soit
libre pour que les autres le soient, autrement, malgré leur liberté
physique, ils seront prisonniers d’un mal insidieux, invisible à
l’œil nu, un mal mental.
Le sujet de la liberté nous mène automatiquement à celui des lois.
Il faut toutefois établir une différence entre deux types de lois qui
régissent notre planète : les lois naturelles et les lois civiles. Les
premières sont un ensemble de contraintes qui sont commandées
par la raison pour assurer à l’homme sa bonne conservation,
comme nous l’indique Thomas Hobbes, philosophe anglais, dans
son œuvre Léviathan. Quant aux deuxièmes, ce sont les lois que
les hommes s’imposent pour garantir la sécurité de chaque homme
et permettre la gestion harmonieuse de la société. Sophocle, un
grand dramaturge de la Grèce antique, a représenté la différence
entre ces deux lois avec le personnage d’Antigone qui tient à inhumer son frère alors que l’État refuse qu’il le soit. Ce faisant, elle
oppose les lois naturelles (le respect aux morts) aux lois civiles
(punitions du « traître ») en rappelant que les lois des hommes
vont et viennent et ne sont pas des lois incontestables que l’homme
se doit de respecter sous peine de renier son humanité.
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2 Nelson Mandela, Un long chemin vers la liberté, Paris, Fayard, 1995
« Ce devoir [d’inhumation], dit-elle, ne date pas d’aujourd’hui ni
d’hier, mais il est en vigueur de toute éternité, et personne ne sait
d’où il vient. » Avec Antigone, on découvre aussi la désobéissance
civile, chemin que Hobbes suggère si le gouvernement en place
excède les limites de son rôle et outrepasse ses droits. En effet,
de grands hommes, tels que Gandhi et Martin L. King, ont montré
qu’une forme de désobéissance peut être au service de la liberté
et des droits des individus. On peut conclure de cela que les lois,
si elles briment injustement la liberté des hommes, doivent être
combattues et qu’il faut que les citoyens développent une capacité
de réflexion détachée de celle du gouvernement afin d’être capable
d’administrer leur propre liberté.
On en vient donc à l’idée d’une liberté individuelle, menant au
bien de tous, dont nous sommes les seuls responsables. Pourtant,
cette liberté ne sera jamais complète puisqu’elle est restreinte par
des lois physiques. Il n’y a donc de ce fait qu’une seule liberté
possible dans l’absolu pour l’homme : celle de l’esprit. Ce dernier
n’a d’autres limites que celles que l’homme s’impose lui-même.
Celles-ci sont engendrées par ses émotions, car elles lui retirent
toute objectivité face à une situation ou un évènement et l’empêchent alors de trouver le geste juste à poser, et de ce fait même,
la liberté. À l’inverse, le raisonnement logique permet à l’homme
de prendre des décisions éclairées et dénudées de subjectivité. Il
peut alors s’aider lui-même et aider sa collectivité à partir de cette
liberté d’esprit. Lorsqu’un homme se distancie émotivement d’une
situation, il est plus à même de la régler de manière adéquate.
Ainsi, en se libérant lui-même d’émotions néfastes à la raison,
l’homme est plus à même d’aider la collectivité.
En conséquence, on peut conclure qu’obéir aux lois dépend de
la justesse de celles-ci. Si elles sont bonnes, il faut les suivre,
tandis que si elles ne le sont pas, il nous faut leur désobéir et
les changer. Pour déterminer la légitimité de ces lois, l’homme
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doit d’abord passer par un détachement émotionnel pour suivre
la voie de la raison. Si les lois sont justes, elles sont compatibles
avec la liberté puisqu’elles préservent celle-ci. Pour ce qui est
des lois injustes, un problème se pose quant à la façon de leur
désobéir, car c’est cela qui doit être fait. Les opinions divergent.
Selon certains, la force brute doit être utilisée, tandis que, pour
les pacifistes, la parole est la meilleure des armes. L’expérience
humaine prouve le fondement de ces deux types d’agissements.
L’histoire laisse pourtant l’impression qu’il est dans la nature de
l’homme d’imposer ses convictions au travers d’actes violents. Il
n’en tient qu’à nous de changer cette pratique millénaire ou de la
perpétuer, aussi injuste qu’elle puisse paraître.
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Sandrine Lambin
Action sociale et médias
Autorité, obéissance et démocratie
On entend souvent dire que la notion d’autorité est centrale dans
nos sociétés. Pourtant, il y a de cela quelques années, dans son
essai sur l’autorité publié dans le recueil La crise de la culture,
Hannah Arendt a expliqué qu’à l’arrivée des systèmes démocratiques, l’être humain a perdu, pour la première fois depuis
le début de l’humanité, ses figures d’autorité. Pour qu’il y ait
autorité, il faut qu’il y ait hiérarchie. Or, le caractère égalitaire de
la démocratie contredit l’aspect inégalitaire de l’autorité. Arendt
juge bien sévèrement la disparition des figures d’autorité. Pourtant, l’avènement de la démocratie marque un pas important dans
l’histoire de l’humanité. Afin de mieux comprendre les rapports
entre autorité et démocratie, il faut tout d’abord comprendre la
définition que nous propose Arendt de l’autorité. Par la suite, nous
pourrons regarder s’il est possible de concilier les deux.
À cet effet, on aura recours à la perspective d’Hannah Arendt
qui la définit en la comparant à deux autres façons d’exercer un
contrôle : la force et le pouvoir. Lorsqu’un individu emploie la
force pour contrôler la population, nous dirons que cette personne
a mis en place un système tyrannique. Le tyran a, en effet, besoin
d’utiliser des moyens extérieurs (par exemple, l’armée ou la
police) pour assurer son contrôle sur les autres. La force exerce
alors son contrôle par la violence. Le pouvoir s’associe quant à
lui à la démocratie. Les citoyens ont le pouvoir de choisir qui les
représentera, ce qui signifie que la personne au pouvoir ne choisit
pas elle-même d’y être, du moins sa volonté est insuffisante si
une majorité ne lui accorde pas ce privilège. Ce pouvoir s’exerce
donc par la persuasion, car, lorsque tous les hommes sont égaux
dans une société, c’est en les convainquant et en les persuadant
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de voter pour lui, qu’un politicien obtiendra son pouvoir. On ne
parlera donc pas d’obéissance au sens strict en démocratie.
Contrairement à la force, qui use de violence, ou au pouvoir, qui
se fonde sur la persuasion, l’autorité se construit sur la base d’une
hiérarchie voulue et acceptée par tous. Comme le dit Arendt : « La
relation autoritaire entre celui qui commande et celui qui obéit
ne repose ni sur une raison commune ni sur le pouvoir de celui
qui commande ; ce qu’ils ont en commun, c’est la hiérarchie ellemême, dont chacun reconnaît la justesse et la légitimité, et où tous
deux ont d’avance leur place fixée » 1. L’autorité exerce ainsi son
contrôle par l’obéissance, et celui qui obéit reconnaît à l’autorité
une valeur importante.
La distinction qu’opère Hannah Arendt entre ces trois types de
contrôle nous permet de mieux comprendre pourquoi la démocratie empêche d’avoir de réel rapport autoritaire entre les citoyens.
Son fonctionnement ne se fonde ni sur une hiérarchie, ni sur
l’obéissance à une autorité, mais sur la persuasion des égaux et
le partage du pouvoir.
Cela est problématique puisque sans autorité, ni l’obéissance ni
la désobéissance ne sont possibles. En effet, l’autorité constitue la
référence par rapport à laquelle nous agissons. L’action aura justement comme point de départ la légitimité ou non de cette autorité.
On pourra ainsi donner une valeur positive à la désobéissance.
En fait, comme l’a affirmé Erich Fromm : « L’homme a continué
d’évoluer grâce à des actes de désobéissance »2. Il suffit de penser
à la Révolution française de 1789 pour saisir l’importance de la
désobéissance. Mais alors, si la démocratie ne repose sur aucune
forme d’autorité, comme le prétend Arendt, comment alors penser
la désobéissance ? Est-il possible de désobéir là où il n’y a pas
d’autorité ? Paradoxalement, la démocratie qui valorise la liberté
et l’initiative encouragerait-elle plutôt la stagnation ?
1 Hannah Arendt, « Qu’est-ce que l’autorité ? », dans La crise de la culture, Paris, Folio,
1989, p. 123.
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2 Erich Fromm, « La désobéissance, problème psychologique et moral », dans De la
désobéissance et autres essais, Paris, Robert Laffont, 1983, pp. 14 et 12.
La réponse à ce paradoxe se trouve justement dans l’autorité. Toutefois, il n’a pas été précisé qu’il existe deux types d’autorité soit,
l’autorité extérieure et l’autorité intérieure. L’autorité extérieure,
c’est celle que nous avons tentée de définir plus tôt, que nous
reconnaissons souvent comme un type de contrôle ou de coercition. Par contre, il existe une autre forme d’autorité, à laquelle il est
possible de désobéir ou d’obéir, et c’est l’autorité intérieure. Cette
autorité psychique est plus communément appelée conscience. En
effet, cette conscience nous suit en permanence et nous demande
toujours de nous positionner par rapport à celle-ci. Comme en
témoignent les expressions avoir la conscience tranquille ou avoir
quelque chose sur la conscience.
Ainsi, si la démocratie peut faire l’économie d’une autorité extérieure, c’est qu’elle valorise plutôt l’autorité intérieure. Le régime
démocratique verra ainsi à apprendre aux citoyens comment
obéir ou désobéir à cette conscience. Cette faculté porte un
nom, il s’agit de l’autonomie. Toutefois, l’autonomie est longue
à acquérir. L’éducation joue donc un rôle central dans la démocratie. Grâce à elle, nous tenons pour acquise l’autonomie des
citoyens ; nous comprenons qu’ils peuvent remettre en question
la « justesse et la légitimité » d’un modèle d’organisation au nom
de leur conscience. Autrement dit, la démocratie repose certes
sur l’égalité de tous, mais cette égalité n’est possible que si tous
les citoyens sont autonomes.
Cette conclusion pose toutefois un problème important : peut-on
dire aujourd’hui que la communauté encourage le développement
de cette autonomie ? Si la stagnation des sociétés passe par
l’absence d’autorité intérieure et extérieure, la démocratie contient
un danger important : en abandonnant le développement de
l’autonomie, elle pourrait devenir la pire des tyrannies, celle où
les citoyens ignorent l’existence même de leurs chaînes.
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Jordan Mertz
Histoire et civilisation
L’obéissance est-elle compatible
avec la liberté ?
La liberté absolue consiste à agir selon ses désirs sans rencontrer
d’obstacle. En ce sens, elle s’oppose à toute forme de contrainte,
qu’il s’agisse d’interdiction ou de commandement. Mais, soyons
réalistes : voilà bien une définition utopique, qui est peu représentative de ce qu’est la liberté « réelle », la liberté mise en
situation. Tôt ou tard, l’être humain sera confronté à des choix et
aux conséquences qui en découlent. La liberté pourrait alors se
traduire par le libre arbitre, l’ami bien particulier de cette forme
de contrainte interne qu’est le choix. Néanmoins, même le libre
arbitre semble rester en opposition avec le concept d’obéissance,
qui consiste, généralement, à se soumettre à la volonté d’une
personne, à des règles ou des lois. Obéir, c’est être opprimé, non ?
Il appert ici que liberté et obéissance sont incompatibles en tout
point. Mais la réflexion saura-t-elle encore nous enseigner une
autre voie ? L’obéissance constitue-t-elle toujours une contrainte
ou, au contraire, ne peut-elle pas coexister avec la liberté, voire
même la favoriser ? Autrement dit, l’obéissance est-elle compatible avec la liberté ? Ces deux termes supposément inalliables
me semblent pourtant compatibles. Les stoïciens et Emmanuel
Kant n’en ont-ils pas fait la preuve ?
Si l’on définit la liberté comme n’admettant aucune limite, l’obéissance, quelle qu’elle soit, amène inévitablement l’abolition de la
liberté. Dès lors, la seule façon de conserver sa liberté consisterait
à désobéir de manière systématique. Or, cette vision de la liberté
comme désobéissance conduit inévitablement à un cul-de-sac,
puisque celui qui désobéit systématiquement sera tôt ou tard
confronté à un ordre ou à une interdiction avec lesquels il sera
d’accord. Imaginons une seconde qu’un adolescent contestataire
et révolté souhaite élire comme conseillère de classe, Jeunette.
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Si, alors, il se faisait fortement encourager dans ce sens par
l’enseignant, voterait-il pour Précoce dans l’unique but d’être en
opposition avec la personne influente ? Si ceci devait être le cas,
en refusant d’obéir à l’autorité aux dépens de ses propres choix,
l’adolescent en question serait alors en contradiction avec luimême. La désobéissance n’est donc plus ici synonyme de liberté,
mais bien de stupidité !
Obéissance et liberté peuvent être compatibles, mais uniquement
quand celui qui obéit donne son accord librement aux règles
auxquelles il se soumet ; c’est le concept d’obéissance autonome.
En d’autres termes, l’adolescent acceptera de voter pour Jeunette,
car, même après avoir été encouragé par quelqu’un en autorité, sa
raison lui dicte encore d’agir en ce sens. Toutefois, même dans
le cas où l’on est en désaccord avec les règles qui nous sont
imposées et où l’on subit l’obéissance comme une contrainte, ne
serait-il pas possible de concevoir une certaine coexistence entre
obéissance et liberté ?
Pour les stoïciens, la notion de liberté doit s’harmoniser avec le
destin, le grand ordre naturel des choses. L’homme n’a pas le
pouvoir de changer le cours des évènements, mais il peut adopter
différentes attitudes devant ceux-ci : il peut se laisser affecter,
perturber, ou même refuser le destin ; mais pour les stoïciens il
devrait davantage faire preuve d’acceptation, voire d’indifférence,
vis-à-vis du rôle que la Nature lui a donné. Pourquoi deviendrait-il une victime de ce qui ne dépend pas de lui, quand il peut
simplement s’en soustraire par sa vertu, par la force de son âme ?
En vue de libérer son âme, il devrait alors harmoniser sa volonté
avec l’ordre du monde et l’accepter afin d’atteindre l’ataraxie, la
sérénité complète. Dans ce cas, liberté de pensée et obéissance
peuvent coexister sans que l’une mette l’autre en danger.
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Cependant, si l’obéissance ne vient pas à l’encontre de notre liberté de pensée, elle reste toujours conçue comme une contrainte
qui pourrait éventuellement limiter notre liberté d’action. Il faut
alors se demander s’il n’y aurait pas une forme d’obéissance qui
loin de constituer une menace pour la liberté en permettrait le
développement. Pour Kant, la liberté n’est nullement synonyme d’indépendance,
mais bien d’autonomie et de rationalité. Le concept d’autonomie
se définit comme la capacité à se donner à soi-même (auto-) ses
propres lois (nomos). Conséquemment, la liberté consisterait-elle
simplement à s’obéir à soi-même ? Dans ce cas, n’y aurait-il pas
un danger pour la liberté d’autrui si les lois différaient en fonction
des individus ? Sans doute. Toutefois, Kant propose de résoudre
le problème en considérant que l’origine des lois se situe dans
la raison, la raison étant la même, quelle que soit l’époque et
quels que soient les individus. Ceci nous conduit à l’impératif
catégorique. Selon Kant, la loi que chacun se donne, grâce à sa
raison, est universelle : « Agis de telle sorte que la maxime de la
volonté puisse toujours valoir en même temps comme principe
d’une législation universelle. »
De même, Kant affirme aussi, dans un autre volet de son impératif catégorique, que personne ne peut revendiquer la dignité
sans l’accorder pareillement à tous : « Agis de façon telle que
tu traites l’humanité, aussi bien dans ta personne que dans la
personne de tout autre, toujours en même temps comme une
fin, jamais simplement comme moyen. » Pièce maîtresse de la
dignité, la liberté de chacun s’arrête ainsi là où commence celle
des autres. De cette façon, je ne brimerai pas la liberté d’autrui
et je ne l’utiliserai pas à mes propres fins, car je considère l’autre
comme mon égal. Dans ce cas, l’obéissance à la loi morale est
la garantie de la liberté de tous.
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À la réflexion, il apparaît donc plausible, et même souhaitable
que liberté et obéissance soient conciliables. Il semble même
que l’obéissance, particulièrement lorsqu’elle s’appuie sur des
principes rationnels qui nous permettent de mieux vivre avec
nous-mêmes et avec les autres, puisse largement favoriser la
liberté de tout un chacun.
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