La vie comme force alternative au malaise contemporain
fêté. Du moins dun certain dieu, celui des trois monothéismes, un dieu sans vie, car Nietzsche a toujours voulu que
la vie aspire à labondance des cultes grecs. Nietzsche ne veut pas dun monde sans divin, i.e dun monde où sest
absenté le sacré et le sens du jeu. Cest alors que « la danse transmue le lourd en léger, le rire la souffrance en joie
(&) La danse affirme le devenir, le rire affirme le multiple. » [17] Il faut en finir avec la dialectique hégélienne qui
reconnaît lexistence dun pouvoir du négatif, et admet lidée dune valeur de la souffrance. Il est temps dabroger la
conscience malheureuse que lidéal ascétique induit. La dialectique est lidéologie chrétienne par excellence, elle est
la pensée de lesclave, ouvrier du ressentiment alors que la volonté de puissance est la vertu qui donne sans
mesurer ce quelle fait. Elle est lactivité auto produite qui ne se raisonne pas quand il sagit de vivre. Mais « lhomme
nhabite que le côté désolé de la terre, il en comprend seulement le devenir-réactif qui le traverse et le constitue.
Cest pourquoi lhistoire de lhomme est celle du nihilisme, négation et réaction. » [ 18] Je souffre parce que je suis
coupable nous dit le christianisme pour mieux nous soumettre alors même que la souffrance a des causes plus
rationnelles. Dionysos nous libère de lintériorisation de la faute et de la culpabilité que le Christ a valorisé.
« Il aime la vie, comme loiseau de proie lagneau : tendre, mutilée, mourante. » [ 19] Le bonheur du christianisme est
de soigner cette douleur par la crucifixion du Fils qui porte sur lui tout le poids des péchés des hommes. Et comme
nous devons lui être redevable et nous plier à sa doctrine nihiliste, nous voici devenus ses esclaves. Le sens de
lexistence devient la soumission à Dieu, cest-à-dire à la négation de lindividualité belle et entière de la vie. Nous
nions lexistence, nous lévaluons à partir dune dépréciation qui la condamne à végéter. Nous sommes à la fois
responsable et coupable alors même que nous sommes innocent. Or il faut faire de la morale une force et non une
cause dépréciative de la vie. Mais « un homme qui naccuserait pas lexistence, serait-ce encore un homme,
penserait-il comme un homme ? » [20] Le but de Nietzsche, cest libérer la pensée du nihilisme, c'est-à-dire du
ressentiment qui accuse la vie de ne pas être bonne. Pour cela, il faut dépasser la culpabilité que lon nous inculque,
croire à linnocence de lavenir, transcender lexistence liée au christ. Vouloir, cest vouloir créer son existence à
partir dune pensée affirmative et joyeuse. Dans cette optique, il faut défendre les forts contre les faibles, contre ceux
qui demeurent prisonniers du ressentiment, se plaignant que la vie est cruelle et tragique. Il faut que le triomphe de
la réaction sur laction soit vaincu pour que lhomme accède à sa réelle nature daventurier de son existence. Aussi
est-il nécessaire de redonner à la notion de hiérarchie ses lettres de noblesse et toute sa valeur, pour pouvoir
différencier ce qui est faible de ce qui est fort.
Par cette action, « Nietzsche appelle esclave celui qui est séparé de ce quil peut. » [ 21]
Dun côté, il y a les forces réactives qui correspondent à lobéissance au Christ, de lautre il y a les forces actives
dont la puissance est dagir et de commander. La force active va jusquau bout de son action quand les forces
réactives déclarent forfait à la moindre difficulté.
Le nihilisme dont elles font preuve est la source de conservation dune vie faible et diminuée. Les forces actives
agissent pour quadviennent le règne des forts qui ne rejettent rien de la vie. Accepter plutôt que renier la condition
tragique de lexistence, cest à cela que lon reconnaît les forts. Affirmer la vie cest admettre pour les forts que tout
doit leur être subordonné.
Que ce soit la souffrance ou la réjouissance. Il ne faut rien retirer de la vie, il faut laccepter telle quelle est. Je
souffre, jexpie, je suis racheté : cette logique, la vie la rejette parce quelle nattend aucune résurrection. Vivre ce
nest ne pas ni espérer ni désespérer, cest appréhender lexistence dans tout ce quelle nous offre. Cest conjuguer
le verbe avec laction et agir dans le sens de laffirmation de ce qui grandit lhomme. Il faut abolir le
désenchantement dans lequel lindividu moderne se complaît car la vie offre à qui lui demande une multitude de
forces régénératrices. La vie comme le don a été oublié au profit du calcul du moindre coût. Lhomme sest abêti
dans le confort facile alors quil est une corde qui monte jusquau ciel.
Il a annulé une partie de sa liberté au profit de choses qui le rassurent. Il est vrai que la vie est dangereuse parce
quelle nous conduit vers lavenir incertain que craint tant lhomme moderne. Elle nest pas récréative mais créatrice
de sens qui plonge dans le travail de linconscient. Pourtant, il nous faut laccueillir et la chérir car cest delle seule
que lhomme peut trouver son salut, sa voie et ses forces. Du tréfonds de la terre se ressource larbre vivant ; du
tréfonds de la vie se développe la belle individualité qui assume pleinement sa finitude et sourit sans réserve aux
atermoiements de lexistence.
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