Fractures de l`extrémité distale du fémur. Techniques opératoires à

Fractures de l’extrémité distale du fémur.
Techniques opératoires à foyer ouvert
M.-H. Fessy, L. Béguin et F. Chalençon
Les fractures de l’extrémité distale du fémur sont rares (10 % des fractures
du fémur) mais graves, car il s’agit d’une lésion articulaire sur un membre
portant. De ce fait, elles nécessitent une réduction anatomique de l’articula-
tion et la restauration des axes du membre inférieur. Elles nécessitent par
ailleurs une fixation solide pour permettre une mobilisation précoce et ainsi
prévenir la raideur articulaire. Elles sont enfin exposées au risque de non-
consolidation, du fait de la vascularisation précaire de la région. Cette frac-
ture met en jeu non seulement le pronostic fonctionnel chez l’adulte jeune,
mais aussi le pronostic vital chez le sujet plus âgé.
En pratique, il faut distinguer deux entités anatomopathologiques qui néces-
sitent une prise en charge différente :
– les fractures sus- et intercondyliennes (type A et type C de la classifica-
tion AO),
– les fractures unicondyliennes (type B).
Nous exclurons de cet exposé les fractures de l’enfant qui posent des pro-
blèmes spécifiques liés aux cartilages de conjugaison de l’extrémité distale du
fémur. Ces aspects sont traités dans un autre chapitre de cet ouvrage.
Fractures sus- et intercondyliennes (type A et type C)
Implants
Il existe trois grands groupes de matériel d’ostéosynthèse.
Lame-plaque AO à 95°
C’est une plaque prémoulée monobloc qui assure la stabilité de l’épiphyse
distale par une lame quadrangulaire rigide introduite et fixée dans le massif
des condyles ; la plaque se fixe sur la diaphyse par des vis bicorticales. La lame-
plaque de l’AO est une lame-plaque à 95°, son introduction se fait à l’aide
d’un couteau introduit parallèlement à la surface portante des condyles et per-
pendiculairement à l’axe de la diaphyse fémorale. La lame est introduite un
centimètre au-dessus de l’interligne articulaire à travers les condyles. Parce que
la diaphyse du fémur va en s’évasant, lorsque le plan du genou et la lame sont
parallèles, la plaque est dessinée pour s’adapter automatiquement à la diaphyse
fémorale et autorise donc, en principe, la réduction sur la plaque. La lame
doit être introduite parallèlement à la surface articulaire distale du fémur.
L’angle entre l’axe anatomique du fémur et le genou mesure en moyenne 81°
sur le condyle latéral et 99° sur le condyle médial ; l’angle de la plaque est de
95° ; lorsque l’on tend la plaque, cet angle de 95° tend à s’ouvrir jusqu’à 100°
permettant ainsi de retrouver l’angle physiologique de 99° entre l’axe anato-
mique du fémur et le plan articulaire du genou. Son caractère monobloc lui
confère une très grande stabilité au montage. En revanche, l’impaction de la
lame dans une épiphyse souvent fracturée peut être dangereuse et pourrait
entraîner un démontage de la reconstruction épiphysaire. Le caractère mono-
bloc de cette lame-plaque impose enfin d’avoir en stock un nombre impor-
tant de modèles (longueur de la lame, longueur de la plaque).
Vis-plaques de Judet, de Letournel et de Chiron
Elles ont subi de multiples évolutions.
La vis-plaque de Judet est une plaque conçue initialement pour l’ostéosyn-
thèse de l’extrémité proximale du fémur ; elle peut être utilisée pour les frac-
tures condyliennes de l’extrémité distale du fémur à condition de mettre une
plaque D à gauche et une plaque G à droite. Cette plaque, peu coudée à son
extrémité distale, épouse mal le relief du condyle latéral. Elle présente un ren-
forcement à son extrémité distale sous forme d’une palette et trois trous
coniques pour mettre en place des vis de 7,4 mm de diamètre dont la lon-
gueur va de 60 à 110 mm. Ces trois vis assurent un montage en triangula-
tion qui confère une grande solidité au montage grâce à une prise excellente
dans les condyles. Les deux vis distales sont parallèles et orientées à 105° par
rapport à l’axe de la plaque. Elles peuvent être mises parallèlement à l’inter-
ligne articulaire. La troisième vis de 7,4 mm, plus proximale, est antéversée
par rapport aux deux autres et les croise par devant. La plaque comprend 4 à
21 trous ; elle est cintrée pour s’adapter à la courbure fémorale sagittale. Le
modèle original présente, à la partie supérieure, une encoche entre les deux
derniers trous permettant de réaliser la compression du foyer à l’aide d’un
davier spécial.
La plaque de Letournel fut quelque peu modifiée par rapport à la plaque
de Judet afin d’avoir un caractère plus anatomique sur l’épiphyse fémorale
distale. Elle présente notamment une convexité dans sa partie distale pour
épouser parfaitement la forme du condyle latéral. La palette est galbée pour
s’adapter à l’encoche métaphysaire entre la diaphyse et le condyle latéral et
est orientée de 10° vers l’arrière. Les deux vis distales sont positionnées à 105°
par rapport à l’axe de la plaque, parallèlement à l’interligne articulaire mais
orientées de 10° en avant : il existe donc 20° entre elles et la vis de la palette.
Celle-ci forme un angle de 135° par rapport à la plaque et croise les deux vis
distales en arrière.
Dans la plaque de Chiron, la partie distale conserve son caractère anato-
mique pour s’appliquer sur la face latérale du condyle latéral. L’extrémité distale
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de la plaque a perdu sa palette. Les vis distales sont orientées à 92° par rapport
à l’axe de la plaque et sont positionnées parallèlement à l’interligne. L’absence
de recul des vis est assurée par un système de tronc de cône des vis sur la
plaque. Les vis épiphysaires distales sont rétroversées alors que la vis proxi-
male, orientée toujours à 135°, croise les deux vis distales par devant. La partie
proximale de la plaque conserve son caractère anatomique pour reproduire la
courbure sagittale du fémur. Les vis de 7,4 mm de diamètre sont disponibles
de 55 à 120 mm de longueur. Les plaques droites et gauches sont disponibles
de 7 à 21 trous. Il existe enfin des vis épiphysaires à compression stable avec
une partie filetée de 35 mm ; ces vis sont disponibles en longueur de 75 à
90 mm.
Système AO Dynamic Condylar Screw (DCS)
Il reprend le principe de la DHS à la hanche. La prise épiphysaire est assurée
par une vis unique dont le filetage volumineux assure la compression. La vis
fait un angle de 95° par rapport à la plaque et doit être parallèle à l’interligne
articulaire. La mise en place de la vis impose le recours à l’amplificateur de
brillance.
Installation
L’utilisation du garrot n’est possible que pour les fractures très distales. Dès
l’anesthésie réalisée, le premier temps consiste en un bilan radiographique en
traction de face et de profil pour préciser l’analyse du foyer de fracture et classer
la lésion. Ce bilan radiographique va conditionner le choix du matériel et celui
de l’installation qui peut se faire sur table ordinaire ou orthopédique. Nous
préférons la table ordinaire et l’installation en décubitus dorsal : la jambe
opérée pend en bout de table afin de pouvoir manipuler le genou en flexion-
extension et obtenir une réduction plus facile. Le décubitus latéral sur table
ordinaire permet également les mouvements de flexion-extension ; toutefois
cette traction dans l’axe du membre entraîne souvent un recurvatum du frag-
ment distal du fémur par la mise en tension du muscle gastrocnémien et favo-
rise le valgus du foyer de fracture. Quelle que soit l’installation retenue, la
crête iliaque doit être incluse dans le champ stérile. Il faut également pouvoir
réaliser les radiographies et contrôles en scopie. Il s’agit d’une opération tou-
jours hémorragique, et dans la mesure du possible, il faut privilégier les
méthodes de récupération sanguine.
Voies d’abord
Plusieurs voies d’abord peuvent être utilisées, mais pour nous, la voie de choix
est latérale. Dès lors qu’une fracture articulaire est suspectée, l’arthrotomie est
pour nous systématique, c’est la seule façon de faire un bilan articulaire précis.
On peut discuter d’une éventuelle voie médiale associée, voire une voie anté-
rieure médiane en relevant la tubérosité du tibia.
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Voie latérale
Il s’agit de la voie habituelle. L’incision se fait sur une ligne tendue entre le
bord postérieur du grand trochanter et la tubérosité du tibia. Le fascia lata
est incisé de haut en bas de la cicatrice jusqu’à son insertion distale. Le muscle
vaste latéral est libéré de haut en bas du septum intermusculaire latéral et
récliné en avant. Un écarteur contre-coudé est placé sous le vaste, sur le fémur
sain et au-dessus de la fracture. Les rameaux perforants de l’artère profonde
de la cuisse sont liés de proche en proche. L’os est exposé de manière sous-
périostée. En bas, l’arthrotomie est réalisée par abord parapatellaire latéral.
Voie médiale
La peau puis le fascia sont incisés en avant du muscle sartorius. Le muscle
vaste médial est décollé du septum intermusculaire médial et relevé en avant,
l’artère descendante du genou (grande anastomotique) est liée. Un écarteur
contre-coudé expose alors la partie distale de la diaphyse. Cette voie peut être
prolongée en bas pour réaliser une arthrotomie médiale. Le danger n’est pas
représenté par les vaisseaux fémoraux qui ont déjà pénétré dans la fosse poplitée
à la face postérieure du genou, au niveau de l’anneau du grand adducteur,
mais celui de la ligature de l’artère descendante du genou. Cette artère irrigue
la peau de la face antérieure du genou, mais surtout le condyle médial.
Voie médiane
Cette voie médiane antérieure permet de relever en bloc la tubérosité du tibia
et l’appareil extenseur. Elle met en évidence l’ensemble de l’articulation, la
métaphyse et la partie basse de la diaphyse fémorale. Elle est une voie utilisée
de façon exceptionnelle dans ce type de chirurgie et pose le problème de la
fixation de la tubérosité du tibia et ceux inhérents de la mobilisation précoce
du genou.
Bilan lésionnel
L’arthrotomie doit permettre le bilan lésionnel de la fracture intercondylienne,
de la patella et de la trochlée car, dans les syndromes du tableau de bord, des
lésions cartilagineuses peuvent y être rencontrées. Il faut rechercher les frac-
tures ostéochondrales et explorer à titre systématique le pivot central et les
ménisques.
Réduction
Réduction épiphysaire
Elle se fait genou en flexion. La fracture articulaire impose une réduction aussi
parfaite que possible. Les repères de réduction sont représentés bien sûr par
les surfaces articulaires elles-mêmes, mais aussi par la courbure de l’incisure
intercondylaire (échancrure intercondylienne). Le foyer réduit doit être sta-
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bilisé par des broches temporaires, puis par un vissage en compression des
fragments à l’aide de vis à os spongieux à filetage partiel.
Réduction métaphyso-diaphysaire
Elle se fait sur la plaque, genou en extension, car cette position permet de
détendre l’appareil extenseur et facilite la réduction. Le premier temps consiste
à poser le matériel d’ostéosynthèse sur l’épiphyse réduite et fixée. Quel que
soit le matériel choisi, l’implant épiphysaire (lame de la lame-plaque, vis spon-
gieuse de la DCS, vis distale de la plaque de Chiron) doit toujours être paral-
lèle à l’interligne articulaire. Ce temps est fondamental pour espérer restaurer
les axes. La radiographie peropératoire permet d’assurer une bonne position
épiphysaire du matériel. Le point d’entrée condylien et l’orientation du maté-
riel est spécifique à chaque implant et doivent être scrupuleusement respectés.
Le matériel ayant une prise épiphysaire dans le massif des condyles, la frac-
ture est, selon l’expression, « réduite sur la plaque ». Une fois la longueur res-
taurée, la plaque est fixée sur la diaphyse saine par un davier, puis les défauts
d’axe (notamment en rotation) sont corrigés par appréciation clinique, genou
fléchi. Une éventuelle bascule postérieure des condyles est réduite par un davier
appuyé entre la face postérieure des condyles et la face antérieure de la plaque.
La longueur de la plaque doit permettre de poser quatre vis bicorticales au-
dessus du foyer de fracture, voire six, en cas de grande perte de substance.
Si exceptionnellement il s’agit d’une fracture simple, la réduction est faite
selon les principes habituels de l’ostéosynthèse et stabilisée par une plaque de
neutralisation de Chiron, DCS ou lame-plaque.
Problème de la greffe
La pseudarthrose reste une complication habituelle des fractures complexes
de l’extrémité distale du fémur et peut atteindre un taux de 14 %. Elle est
favorisée par la comminution, la fréquente ouverture cutanée et la vasculari-
sation précaire de cette partie du fémur. Ce risque élevé de complications peut
faire discuter la nécessité d’une greffe cortico-spongieuse systématique. Elle
doit être envisagée devant chaque cas particulier en cas de perte de substance,
car elle permet de tout régler en un temps.
Suites
Habituellement, l’appui ne sera pas repris avant la consolidation (trois mois)
mais insistons surtout sur la nécessité d’une mobilisation précoce du genou.
Elle est entamée le jour même de l’intervention sur arthromoteur ou par réédu-
cation manuelle, et facilitée par les nouvelles méthodes d’analgésie postopé-
ratoire. Il faut insister aussi sur le réveil musculaire.
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