Le nodule de Soeur Marie Josèphe (SMJ) et ses diagnostics Patrick Larochelle Grégoire Bernèche Myriam Irislimane Valérie Bérard Gérard Schmutz Université de Sherbrooke, QC, Canada Objectifs • Connaître les signes radiologiques du nodule de Soeur Marie Josèphe (SMJ). • Connaître les présentations radiologiques simulant un nodule de SMJ. • Connaître les principales étiologies du nodule de SMJ. Cas mystère #1 34 ans, hyperthermie, douleur hypogastrique, dysurie. Diagnostic? Cas mystère #2 50 ans, cirrhose hépatique. Diagnostic? Cas mystère #3 42 ans, douleur épigastrique depuis quelques jours. Diagnostic? Cas mystère #4 Douleur pelvienne, perte pondérale. Diagnostic? Cas mystère #5 Nodule ombilical décoloré. Diagnostic? Historique • La métastase ombilicale est décrite en 1928 par le chirurgien gastrointestinal William James Mayo (co-fondateur de la réputée clinique Mayo). Il en compare l’apparence à un “ombilic en bouton de pantalon”(pants-button umbilicus). • C’est en fait à Soeur Marie Josèphe, infirmière super-intendante et première assistante du Dr Mayo, que revient l’honneur de la découverte. En effectuant la préparation cutanée pré-opératoire, elle fait l’association entre nodules ombilicaux et cancers viscéraux avancés. • L’éponyme “nodule de Soeur Marie Josèphe” (SMJ), désignant une métastase ombilicale, lui est consacré par le Dr Hamilton Bailay en 1949 dans son livre “Physical Signs in Clinical Surgery”. Présentation clinique • Nodule généralement ferme, induré, parfois fissuré ou ulcéré. • Souvent douloureux. • Taille variable, de 0,5 à 2 cm en général. Quelques cas spectaculaires jusqu’à 10 cm. • Selon l’origine histologique, possibilité d’écoulement séreux, sanguin, mucoïde ou purulent. Présentation • Survient dans 1-3% des néoplasies abdo-pelviennes métastatiques. • 30% des nodules de SMJ sont le mode de présentation initial - voire le seul signe - d’une néoplasie. • Dans la moitié de ces présentations initiales par nodule de SMJ, la lésion primaire demeurera occulte. • Peut également représenter un signe de récidive ou de progression néoplasique, souvent vers la carcinose péritonéale. Épidémiologie • Incidence supérieure chez la femme (cancers gynécologiques fréquents surajoutés aux cancers gastro-intestinaux). • Associé à un cancer avancé au pronostic sombre. Survie moyenne de 10 mois. • Pronostic légèrement meilleur pour les tumeurs ovariennes. • Traitements limités. Survie moyenne portée à 17-21 mois par la prise en charge chirurgicale (surtout en cas de métastase ombilicale unique). Nodule de SMJ • Type histologique à l’origine des nodules de SMJ: – Adénocarcinome (75-93%) – Tumeur à cellules squameuses (occasionnel) – Tumeur maligne indifférenciée (rare) – Tumeur carcinoïde (rare) – Mésothéliome (rare) – Sarcome (rare) – etc. Nodule de SMJ • Origine des tumeurs primaires associées aux nodules de SMJ: – Estomac (21%) – Ovaire (18%) – Colon (12%) – Pancréas (8%) – Primaire occulte (15-30%) – Néoplasies hématologiques – Autres: voies biliaires, endomètre, poumon, prostate, sein, GIST malin, etc. Rôle de l’imagerie • Même lorsque révélé à l’examen physique, un nodule ombilical reste peu spécifique, surtout en l’absence d’antécédent néoplasique. • Les nodules ombilicaux ne sont pas tous des métastases, et ne doivent pas tous faire l’objet d’une biopsie! • L’imagerie - particulièrement la TDM - permet de préciser le besoin d’une investigation plus invasive. • La biopsie à l’aiguille permet d’établir le diagnostic étiologique dans les cas néoplasiques. Nodule de SMJ: imagerie • Échographie – Nodule solide ou kystique non-spécifique. – Graisse hyperéchogène infiltrée au pourtour. – Vascularisation parfois visible à l’étude doppler. • TDM – Masse tissulaire ou kystique rehaussante, ou encore épaississement tissulaire rehaussant. – La localisation est soit cutanée, sous-cutanée ou péritonéale. • IRM – Permet de mieux définir les rapports anatomiques. – Artéfacts de susceptibilité magnétique (débris métalliques) possibles sur un ancien trajet de chirurgie par laparoscopie. Nodule de SMJ: imagerie • Les caractéristiques en imagerie du nodule de SMJ restent donc nonspécifiques. • L’analyse de l’ensemble du tableau abdominal permet d’orienter - voire de poser le diagnostic. • La connaissance de l’anatomie complexe de la région ombilicale permet de comprendre les différentes routes d’ensemencement néoplasique de l’ombilic, et du même coup d’établir le diagnostic différentiel du nodule ombilical. Anatomie: péritoine & paroi • L’ombilic, ou anneau ombilical, est un tissu cicatriciel sur la ligne blanche, au site d’insertion du cordon ombilical dans la vie foetale. • Un épaississement du fascia transversalis constitue le plancher de l’ombilic. • Le péritoine antérieur est en étroite proximité, postérieurement. Figure de droite 1) Plan aponévrotique de la ligne blanche 2) Tissu cellulaire sous-cutané 3) Peloton adipeux 4) Tubercule ombilical 5) Sillon ombilical 6) Peau 7) Ligne blanche 8) Aponévrose ombilico-prévésicale 9) Ouraque 9’) Tissu cellulaire sous-péritonéal et péritoine 10) Fascia ombilicalis 11) Ligament rond Pathophysiologie: péritoine & paroi • Étant donné l’étroite proximité avec le péritoine, l’extension directe de lésions péritonéales reste le mécanisme pathophysiologique le plus fréquent des métastases ombilicales. • Le cancer gastrique, première cause des nodules de SMJ, peut par exemple atteindre l’ombilic par contiguité. • D’autres tumeurs (ex: cancers gynécologiques, du colon, du pancréas, etc.) s’étendent sous forme de carcinose péritonéale, avec ascite, implants épiploïques, mésentériques et péritonéaux, ces derniers pouvant atteindre l’ombilic (nodule de SMJ). • D’autres processus pathologiques (inflammatoires, infectieux, etc.) peuvent s’étendre à l’ombilic via la cavité intra-péritonéale. La coexistence d’une hernie ombilicale facilite cette extension. Pathophysiologie: péritoine & paroi Cancer ovarien et nodule de SMJ (cas mystère #4). Pathophysiologie: péritoine & paroi Adénocarcinome séreux de l’ovaire: carcinose péritonéale & nodule de SMJ. Pathophysiologie: péritoine & paroi Extension directe d’une tumeur primaire à la paroi/ombilic: GIST Pathophysiologie: péritoine & paroi Pancréatite aiguë (cas mystère #3). Pathophysiologie: péritoine & paroi • Hernie ombilicale (4% des hernies) – Atteint typiquement la portion supérieure de l’ombilic. – Contenu: tissu épiploïque fibro-adipeux et/ou structures digestives normales ou en souffrance – Hernie congénitale: secondaire à la fermeture incomplète de l’anneau ombilical • Fermeture spontanée chez 80% avant 4-6 ans. • Incarcération très rare. Hernie ombilicale, ascite, cirrhose. – Hernie acquise: secondaire à une paroi lâche et/ou une pression intra-abdominale augmentée (ex: obésité, ascite). • En cas d’incarcération, progression rapide vers l’ischémie vue l’inélasticité de l’anneau ombilical. Pathophysiologie: péritoine & paroi Hernie étranglée avec souffrance digestive. Pathophysiologie: péritoine & paroi Hernie ombilicale, anse grêle dans le sac herniaire. Pathophysiologie: péritoine & paroi Hernie ombilicale, graisse inflammatoire. Pathophysiologie: péritoine & paroi Perforation colique: air libre disséquant vers l’ombilic. Pathophysiologie: péritoine & paroi Obstruction intestinale sur hernie ombilicale. Pathophysiologie: péritoine & paroi Hernie ombilicale & ascite (cas mystère #2). Pathophysiologie: péritoine & paroi Hernie ombilicale & ascite (même patient) Pathophysiologie: péritoine & paroi • Dissémination néoplasique iatrogène (rare) – Via insertion de matériel chirurgical par l’ombilic en laparoscopie. – Ex: post-cholécystectomie laparoscopique, alors que l’existence d’un adénocarcinome vésiculaire n’est découvert fortuitement qu’en pathologie. Anatomie: ombilic & ligaments • L’involution de structures foetales laisse place à des ligaments, ou replis péritonéaux Figure de gauche 1) Foie 2) Veine ombilicale (futur ligament rond) 3) Canal vitellin 4) Artères ombilicales 5) Canal allantoïdien (futur ouraque) 6) Paroi abdominale Figure de droite 1) Ligament rond 2) Anneau ombilical 3) Réseau filamenteux de l’ombilic 4) Artère ombilicale 5) Ouraque Vue latérale de l’ombilic. Vue postérieure de l’ombilic. Anatomie: ombilic & ligaments Évolution des pédicules vitellin et allantoïde dans l’embryogénèse Anatomie: l’ouraque • L’ouraque – Aussi appelé ligament ombilical médian. – Vestige de l’allantoïs, une communication foetale entre la vessie et l’ombilic, dont l’involution survient au 5e mois de gestation. – Persistance possible d’un cordon fibreux dans la graisse extra-péritonéale péri-vésicale. Fibres de l’ouraque Pathophysiologie: l’ouraque • Différentes malformations surviennent selon le site et l’étendue de la perméabilité de l’ouraque. • La perméabilité de l’ouraque permet par ailleurs dissémination d’une néoplasie vésicale vers l’ombilic. De quelle pathologie s’agit-il? Malformations de l’ouraque • • Sinus de l’ouraque (perméabilité au versant ombilical) – Avec ou sans écoulement. – Tubulure borgne, au contenu liquidien, et aux parois parfois inflammatoire/épaissies. – Régulièrement associé à un kyste de l’ouraque. Fistule omphalo-vésicale (perméabilité complète) – S’accompagne ou non d’écoulement urinaire. – Démontrée par fistulographie ou cystographie. En haut: Sinus de l’ouraque En bas: Fistule omphalo-vésicale Malformations de l’ouraque • • Diverticule vésical (perméabilité au versant vésical) – Structure tubulaire borgne, en communication avec la vessie. – Un cancer vésical peut survenir ou s’étendre en son sein. Kyste de l’ouraque (perméabilité centrale) – Sans répercussion sur l’ombilic. – Absence de drainage. Kyste de l’ouraque Malformations de l’ouraque Kyste de l’ouraque. Sinus de l’ouraque. Diverticule de l’ouraque. Fistule omphalo-vésicale. Malformations de l’ouraque Kyste de l’ouraque surinfecté (cas mystère #1). Malformations de l’ouraque Diverticule de l’ouraque. Malformations de l’ouraque Cancer de l’ouraque. Malformations de l’ouraque Diverticule de l’ouraque. Anatomie: canal vitellin • Canal vitellin: – Aussi appelé canal omphalo-mésentérique. – Entre le versant anti-mésentérique de l’intestin primitif et l’ombilic. – S’oblitère normalement entre la 5e et 9e semaine de gestation. Pathophysiologie: canal vitellin • Canal vitellin: – Spectre d’anomalies congénitales selon le site et l’étendue de la perméabilité. – La plupart des malformations sont rares, à l’exception du diverticule de Meckel, sans répercussion sur l’ombilic. – La perméabilité complète représente une voie d’extension privilégiée pour les tumeurs intestinales. Pathophysiologie: canal vitellin • Diverticule de Meckel (2% population) – Perméabilité au versant grêle seulement. – Présentation: découverte fortuite, diverticulite, perforation. • Fistule omphalo-mésentérique (rare) – Perméabilité complète. Permet l’extension de tumeurs de l’intestin. • Sinus omphalo-mésentérique (rare) – Perméabilité au versant ombilical seulement. • Kyste omphalo-mésentérique (rare) – Perméabilité centrale, aucune communication grêle ou ombilicale. Malformations du canal vitellin Fistule omphalo-mésentérique. Kyste omphalo-mésentérique. Sinus fibreux omphalo-mésentérique. Diverticule de Meckel. Malformations du canal vitellin Diverticule de Meckel non-compliqué. Anatomie: veines • Après la naissance, l’oblitération de la veine ombilicale gauche laisse place au ligament rond, en continuité avec le ligament falciforme. • Le drainage veineux normal de l’ombilic s’effectue: – En supérieur via les veines mammaires internes vers les veines axillaires, – En inférieur par les veines épigastriques vers les veines fémorales. • De petites communications porto-systémiques normales peuvent persister entre les réseaux porte et systémique. Anatomie: veines Communications veineuses porto-systémiques profondes. Drainage veineux superficiel de l’ombilic. 2) Veine thoracique longue 3) Veine médiane xiphoïdienne 4) Veine sous-cutanée abdominale 5) Veine circonflexe iliaque 6) Veine saphène antérieure 7) Veine saphène interne Pathophysiologie: veines • Dans l’hypertension portale, la reperméabilisation des veines péri-ombilicales ouvre une voie de dérivation porto-systémique. • Ces varices superficielles peuvent prendre une configuration en “tête de méduse” autour de l’ombilic. • La reperméabilisation des veines para-ombilicales, ou la présence de collatérales normales entre les réseaux portal et péri-ombilical, systémique et/ou portal, constitue une route d’extension tumorale métastatique. • Association fréquente entre métastases hépatiques et ombilicales. Hypertension portale & “tête de méduse”. Pathophysiologie: veines Hypertension portale. Varices péri-ombilicales. “Tête de méduse”. Pathophysiologie: veines Hypertension portale; varices péri-ombilicales. Anatomie et pathophysiologie • Multiples anastomoses entre le réseau artériel ombilical et le reste du réseau systémique: – Inférieurement, avec des branches épigastriques inférieures et iliaques circonflexes profondes de l’iliaque externe – Supérieurement avec des branches épigastriques supérieures des artères mammaires internes. • Ces anastomoses (artérielles et veineuses) permettent la dissémination hématogène à l’ombilic d’une panoplie de tumeurs distantes. Circulation artérielle péri-ombilicale Pathophysiologie: artères/veines Nodule de SMJ: cancer vésicule biliaire, métastase ombilicale Anatomie: lymphatiques • Drainage lymphatique ombilical superficiel: – Supérieurement, vers les ganglions axillaires – Inférieurement, vers les ganglions inguinaux. • Drainage lymphatique ombilical profond: – Ganglions thoraciques internes – Ganglions iliaques externes – Ganglions abdominaux ara-aortiques. Drainage lymphatique ombilical. Pathophysiologie: lymphatiques • Flux rétrograde: voie d’extension ombilicale de tumeurs distante – Typiquement, cancer du pancréas – Autres: sein, poumon, etc. Autres diagnostics différentiels • Néoplasie primaire ombilicale – Relativement rares, les néoplasies primaires ombilicales sont environ 8 fois moins fréquentes que les métastases ombilicales. – Le mélanome est de loin la lésion la plus fréquente. – L’apport de l’imagerie concerne surtout le bilan d’extension. Autres diagnostics différentiels Mélanome ombilical (métastatique dans ce cas). Autres diagnostics différentiels • Endométriose – Aussi nommé nodule de Villar (1886). – Présentation rare (0,5 à 1% des cas) de l’endométriose. – Nodule rouge-brun à bleuté, douloureux, pouvant saigner (parfois cyclique). – L’implant endométriotique ombilical est parfois secondaire à une dissémination opératoire lors d’une laparoscopie4. – L’IRM peut préciser le diagnostic en pré-opératoire (hypersignal T1 classique). – Au moins un cas rapporté de tumeur à cellule claire ombilicale associée à un implant d’endométriose. Autres diagnostics différentiels Nodule endométriotique ombilical. Autres diagnostics différentiels • De multiples autres lésions peuvent entrer dans le différentiel des masses ou épaississements ombilicaux. On trouve notamment: - Corps étranger - Granulome de talc - Granulome pyégénique - Sinus pylonidal - Kyste épidermoïde - Kératose séborrhéique - Mycoses - Lésions cutanées (eczéma, psoriasis inversa) - Angiome - Maladie de Paget (adénocarcinome intra-épidermique) - Cicatrice hypertrophique • L’imagerie est insuffisante pour distinguer ces lésions les unes des autres. La biopsie, souvent facile à réaliser sans ou avec guidance échographique, est alors l’investigation de choix. À retenir • Tout nodule ombilical n’est pas une lésion cancéreuse. • L’ombilic est un site d’accès facile pour une biopsie. • Une simple infiltration de la graisse ombilicale peut correspondre à une carcinose péritonéale débutante. Bibliographie • 1. Metastatic vs primary malignant neoplasm affecting the umbilicus: clinicopathologic features of 77 tumors, Papalas & al., Annals of Diagnostic Pathology; 2011; 15; 237-242. • 2. 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