Comment la promesse d`une médecine personnalisée pourra-t

Comment la promesse d’une médecine
personnalisée pourra-t-elle tenir compte
de l’aspect sociétal de la personne ?
Patrice Marvanne
Participant au programme SIRIC Institut Curie
et CARPEM de l’HEGP-Cochin,
Vice-président SFFEM en charge de la relation patient-soignant,
Directeur de PLM Conseil
Et il ré échissait…
Ce qui est inintelligible, se dit-il, c’est la disproportion
qui existe entre les promesses que Jésus lui  t et
les résultats qu’elles obtinrent.
Joris-KarlH, 1848-1907. LaCathédrale.
Écrivain et critique français.
I.MÉDECINE PERSONNALISÉE:
UN CHANGEMENT DE PARADIGME !
C’est une véritable révolution qui se joue aujourd’hui dans la lutte contre le can-
cer ; l’accès à la connaissance approfondie du génome humain, les immenses pro-
grès inimaginables voilà encore un demi-siècle de la biologie moléculaire font
émerger ce qui est traduit de l’anglais Personalized medicine ou PM par médecine
personnalisée.
Apparue en 2004 aux États-Unis, cette expression proviendrait d’une séance
de travail réunissant 18médecins, et fut associée à l’appellation de médecine dite
des « 4P »: Prédictive, Préventive, Personnalisée et Participative.
84 Les systèmes informatisés complexes en santé
Le terme « médecine personnalisée », consacré maintenant dans l’univers de
la santé et plus particulièrement dans celui de la cancérologie, fait aujourd’hui son
apparition auprès du grand public[1].
C’est une médecine qui se veut autre dans la prise en charge de la maladie et
plus précisément du cancer, et par conséquent différente de la médecine classique
et universelle.
Elle passe de la médecine symptomatique à une médecine causale, s’appuyant
sur la compréhension fine des mécanismes du processus tumoral.
Ce nouveau concept de la médecine cherche à proposer à chaque patient
un traitement spécifique au vu des caractéristiques distinctes et complètes de sa
tumeur. C’est une médecine devenue de précision, grâce à l’apport de l’informa-
tique.
Informatisée, elle devient au fil des années une nouvelle discipline scienti-
fique et elle se donne un triple objectif, celui d’affiner le diagnostic, de rationa-
liser la prise en charge thérapeutique du patient et d’engager ce dernier dans une
démarche préventive et participative.
II.UNE MÉDECINE PILOTÉE PAR LES DONNÉES
C’est grâce au développement de puissants outils d’analyse de données agrégées:
la bio-informatique et la biostatistique, le séquençage à haut débit maintenant acces-
sible en routine: automatisation du screening génétique, d’où la connaissance précise
du génome tumoral ainsi qu’aux avancées majeures de la recherche en cancérolo-
gie, qu’on peut accepter maintenant l’idée que chaque individu soit unique et que
chaque tumeur ait des particularités dont il faut tenir compte.
En conséquence de quoi, cette « personnalisation » va consister, non plus à
traiter tous les patients atteints d’une maladie donnée, cancer du sein, poumons,
sang… par un traitement/drogue standard qui parfois les met dans une impasse thé-
rapeutique (actuellement, 48 % des malades atteints d’un cancer sont dans cette
situation…[2]), mais à prendre en compte les spécificités moléculaires et biolo-
giques du patient et de sa tumeur, qui vont influencer l’évolution de sa maladie, le
choix et l’efficacité du traitement proposé, et à rechercher, via le séquençage des
cellules cancéreuses, les mutations responsables de la tumeur afin d’appliquer un
« traitement ciblé ». On parlera alors de pharmacogénétique.
Il ne s’agit pas de créer un médicament différent pour chaque patient, mais
bien d’identifier des sous-groupes de personnes qui possèdent des susceptibilités
physiologiques semblables à certaines maladies ou à certaines molécules chimiques
présentes dans les médicaments.
Chaque personne recevrait ainsi des traitements taillés sur mesure pour son
groupe d’appartenance présentant des biomarqueurs communs.
85 Comment la promesse d’une médecine personnalisée pourra-t-elle tenir compte… ?
The right treatment to the right patient at the right
dose and the right time,
but also impact on health economics by delivery
bene t at the right price[3].
Eddie B, Médecin et chercheur écossais.
III.PEUT-ON DIRE ALORS…
…que la médecine personnalisée consiste à traiter chaque patient de façon indivi-
dualisée en fonction des spécificités génétiques et biologiques de sa tumeur, mais
en tenant compte de l’environnement du patient et de son mode de vie[4] ?
Ce nouveau contexte fait donc apparaître un nouvel d’espoir de guérison, très
prometteur pour les malades atteints de maladies chroniques ou non.
IV.LA PERSONNE, QUI EST-ELLE ?
On parle donc de médecine personnalisée, mais en fait qu’est-ce qu’une « per-
sonne » ? Une personne se réduit-elle à la caractérisation biologique de la tumeur
dont elle est atteinte ? Ou bien encore, une personne se réduit-elle aussi à ses para-
mètres biologiques, même constitutionnels, prédictifs d’efficacité ou de toxicité
d’un traitement que l’on prévoit de lui prescrire[5] ?
Le mot personne, du latin persona, provient du théâtre antique puisqu’il dési-
gnait le masque porté par les acteurs.
C.G.Jung présente la persona comme un système d’adaptation à la société qui
nous entoure, une manière particulière de communiquer avec le monde où l’on
évolue, selon sa profession et ses origines socioculturelles.
Emmanuel Mounier (1905-1950 : philosophe français) fonde un courant
d’idées appelé le « personnalisme » et qui devient une philosophie éthique dont la
valeur fondamentale est le respect de la personne.
« Une action est bonne dans la mesure où elle respecte la personne humaine
et contribue à son épanouissement ; dans le cas contraire, elle est mauvaise[6]. »
Revisitons Paul Ricœur (1913-2005) qui, nous renvoyant à sa visée de
l’éthique: « C’est la vie bonne, avec et pour les autres », aborde « la problématique
centrale de la personne sous deux identités », « deux séries de prédicats pour une
même entité. Mêmeté et ipséité sont deux problématiques qui s’occultent mutuel-
lement[7] ».
86 Les systèmes informatisés complexes en santé
La première: « la mêmeté », qui nous renvoie à la question « que suis-je »:
c’est-à-dire quel être biologique suis-je, idem à quels autres, quelles sont les pro-
priétés spécifiques qui me renvoient une carte d’identité ?
Nous sommes bien là dans une thérapie ciblée, où l’individu fait partie d’un
sous-groupe de patients qui partagent des caractéristiques génétiques particulières
et dont la tumeur présente des anomalies moléculaires identiques.
La seconde: « l’ipséité », qui renvoie à cette question « qui suis-je »: c’est-
à-dire exister à soi-même, renvoyant aux subjectivités singulières, être soi avec une
autonomie singulière. Je suis, et je reste moi-même, indépendamment du temps et
de l’histoire.
C’est sur cette seconde identité que notre question se pose: « Comment la
promesse d’une médecine personnalisée peut-elle tenir compte des aspects socio-
culturels et professionnels de la personne ? »
ASPECTS SOCIAUX CULTURELS ET PROFESSIONNELS DE LA PERSONNE
Ce nouveau paradigme de traitement du patient, « piloté par les données », néces-
site une nouvelle approche dans l’organisation de cette médecine avec notamment
l’exploitation à grande échelle d’un important volume de données génétiques, envi-
ronnementales, sociétales conservées dans des biobanques: Big Data.
Le patient est en droit d’avancer l’hypothèse que malgré un cadre contrac-
tuel, les employeurs, les banques, les assureurs et tous autres organismes cherche-
ront probablement à s’enquérir d’informations confidentielles ; par conséquent, si
cette médecine personnalisée est un espoir immense, que peut-on en déduire sur
les retombées sociétales ?
Pour considérer la question, il est important d’observer l’évolution de la mala-
die et plus précisément le cancer.
Alors que l’incidence du cancer progresse constamment (sources INVS &
INCA 2011):
–entre 1980 et 2005, augmentation de +93 % chez l’homme et 84 % chez la
femme ;
–en 2005, ce sont 180 000nouveaux cas chez l’homme et 140 000 chez la
femme ;
–pour la période 2004-2008, le cancer est la première cause de mortalité chez
l’homme (33 % de l’ensemble des décès) et la deuxième chez la femme (24 % de
l’ensemble des décès) ;
–en 2010, ce sont 320 000patients diagnostiqués de cancer chaque année ;
– en 2011, c’est 365 500 nouveaux cas estimés, 207 000 chez l’homme et
158 500 chez la femme ;
–147 500décès par cancer estimés en 2011, 84 500 chez l’homme et 63 000
chez la femme.
87 Comment la promesse d’une médecine personnalisée pourra-t-elle tenir compte… ?
Grâce aux nouveaux apports de cette médecine personnalisée (affiner le
diagnostic, rationaliser la prise en charge thérapeutique, engager le patient dans une
démarche préventive et participative) et bien que le profil de l’incidence et de la
mortalité (une personne sur quatre décède encore du cancer en France) soit très
variable selon les pathologies de cancers, que le taux de mortalité décroît selon
une courbe notable, les études les plus récentes démontrent que ce phénomène
s’accélère.
Observée aussi bien chez les hommes (–22 %) que chez les femmes (– 14 %),
cette tendance générale s’est particulièrement accélérée pendant la dernière décade
(–16 % chez les hommes et– 8 % chez les femmes).
D’autre part, sur la période la plus récente, la mortalité par cancer se situe
majoritairement chez les personnes les plus âgées (70 % des décès par cancers sur-
viennent après 65ans, dont 50 % après 75ans et 20 % après 85ans).
Selon un rapport de l’INCA (avril2010), plus de 50 % des personnes atteintes
d’un cancer seront vivantes après cinq ans et au moins 120 000 seront guéries de
leur maladie.
Soulignons ici une récente enquête montrant que 63 % des Français attendent
de l’innovation thérapeutique qu’elle soit mieux adaptée à la vie quotidienne[8].
« Ces résultats traduisent une vision large de l’innovation qui renvoie non seule-
ment à un plan médical, c’est-à-dire une avancée de la recherche, mais aussi à un
plan sociétal, où l’innovation permet une adaptation des thérapies à la vie quoti-
dienne[9]. »
V.LA MÉDECINE PERSONNALISÉE LES GUÉRIT…
MAIS LA SOCIÉTÉ LES LÂCHE
LE RETOUR À LEMPLOI
Ces personnes vont être confrontées à des effets secondaires et à des séquelles de
traitements qui, bien que ciblés, vont avoir un impact très fort sur le retour au tra-
vail. Ce qui nous permet de dire qu’en raison du recul de l’âge de la retraite et de
l’augmentation des cas de cancers, un nombre croissant de malades auront recom-
mencé à travailler après leur maladie.
En 2004, l’enquête de la Drees (Direction de la recherche, des études, de
l’évaluation et des statistiques) a montré que 20 % des personnes actives au
moment du diagnostic de leur cancer avaient perdu ou quitté leur emploi deux
ans plus tard.
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