Réduction de Jordan
Table des matières
1 Blocs de Jordan 2
2 Réduction de Jordan des matrices nilpotentes 3
2.1 Noyauxitérés.................................. 3
2.2 Construction d’une base de Jordan . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4
3 Cas général 6
4 Applications 7
4.1 Commutant................................... 7
4.2 Carrés...................................... 8
L’objectif principal de ce texte est l’étude de l’ensemble des matrices nilpotentes de
Mn(K)(où Kest un corps commutatif quelconque), que nous appellerons le cône nil-
potent, du point de vue de la similitude des matrices. Bien sûr, toute matrice semblable
à une matrice nilpotente est elle-même nilpotente. De ce fait, le cône nilpotent est une
réunion de classes de similitude. Les questions qui vont nous intéresser, parmi d’autres,
sont les suivantes :
1. Le cône nilpotent est-il réunion d’un nombre fini de classes de similitude ?
2. Y a-t-il un algorithme permettant de détecter si deux matrices nilpotentes données
sont semblables ?
La réduction de Jordan, dans le cadre des matrices ou des endomorphismes nilpotents,
apporte une réponse simple et complète à ces deux questions, sans aucune restriction sur
le corps de base.
La situation est un peu plus compliquée lorsqu’on cherche à résoudre le problème géné-
ral de la classification des matrices à similitude près, sans se limiter au cône nilpotent.
Lorsque le corps Kest algébriquement clos, nous verrons néanmoins comment déduire
du cas nilpotent un théorème de classification, mais l’aspect algorithmique sera perdu, à
cause du fait que le spectre d’une matrice est en général inaccessible.
1
Nous terminerons par deux applications significatives de la réduction de Jordan : le calcul
de la dimension du commutant et la recherche de racines carrées.
Le meilleur livre existant actuellement sur la réduction de Jordan est à notre avis [3]. Dans
cet ouvrage, la réduction de Jordan est ramenée de façon lumineuse à la combinatoire
des tableaux de Young, que nous n’abordons pas ici. Le lecteur y trouvera également
d’innombrables approfondissements et exercices inédits.
1 Blocs de Jordan
Étant donné un entier n2, on note Jnla matrice de Mn(K)dont tous les coefficients
sont nuls, sauf ceux d’indice (i, i + 1) (1in1), tous égaux à 1:
Jn=
0 1 0 ··· 0
.
.
...........
.
.
.
.
.......0
.
.
....1
0··· ··· ··· 0
.
On pose également J1= [0] M1(K). La matrice Jns’appelle le bloc de Jordan standard
d’ordre n. Le calcul des puissances de Jnest facile : si 1kn1, tous les coefficients
de la matrice Jk
nsont nuls, sauf ceux d’indices (i, i +k)(1ink) qui valent 1. De
plus, Jn
n= 0. La matrice Jnest donc nilpotente, d’indice de nilpotence n.
À présent, si on se donne une suite finie et croissante d’entiers naturels non nuls
k1k2. . . kr,
on note Jk1Jk2. . . Jkrla matrice diagonale par blocs d’ordre k1+. . . +krdont les
blocs diagonaux sont les Jki:
Jk10··· 0
0Jk2
....
.
.
.
.
.......0
0··· 0Jkr
.
Dans la suite, nous appellerons une telle matrice une matrice de Jordan.
Considérons une matrice de Jordan AMn(K). En particulier, Aest nilpotente. Notons
pson indice de nilpotence, et posons dk= dim ker Akpour k0. Nous noterons en
outre nk, pour chaque k[[1, p]], le nombre de blocs de Jordan d’ordre kconstituant la
2
matrice A. En utilisant la remarque faite plus haut à propos des puissances d’un bloc de
Jordan, on obtient immédiatement les égalités suivantes :
d1=n1+n2+n3+. . . +np1+np,
d2=n1+ 2n2+ 2n3+. . . + 2np1+ 2np,
.
.
.
dk1=n1+ 2n2+ 3n3+. . . + (k1)nk1+ (k1)nk+. . . + (k1)np1+ (k1)np,
dk=n1+ 2n2+ 3n3+. . . + (k1)nk1+knk+. . . +knp1+knp,
.
.
.
dp1=n1+ 2n2+ 3n3+. . . + (p1)np1+ (p1)np,
dp=n1+ 2n2+ 3n3+. . . + (p1)np1+pnp.
En soustrayant à chacune de ces égalités la précédente, nous en déduisons que
dkdk1=nk+nk+1 +. . . +np
puis que
nk= (dkdk1)(dk+1 dk)
soit finalement
nk=2dk,(1)
en notant 2l’opérateur de « dérivation seconde discrète »
2:KNKN,(uk)k17→ (uk+1 2uk+uk1)k1,
avec la convention uk= 0. Ainsi, si Aest une matrice de Jordan, le nombre de blocs de
Jordan d’une taille donnée constitutifs de la matrice Aest parfaitement déterminé par
les dimensions des noyaux itérés de A. Une conséquence de cela est le fait non trivial
suivant, qui constitue la partie « unicité » du théorème que nous avons en vue : une
matrice nilpotente quelconque est semblable à au plus une matrice de Jordan.
2 Réduction de Jordan des matrices nilpotentes
Dans ce paragraphe, nous allons montrer que toute matrice nilpotente est semblable à
une matrice de Jordan. Nous en déduirons le
Théorème 1 (Jordan).Si AMn(K)est une matrice nilpotente, il existe une unique
suite finie et croissante k1. . . krd’entiers naturels non nuls tels que Asoit semblable
àJk1. . . Jkr. La matrice Jk1. . . Jkrest parfois appelée la réduite de Jordan de A.
2.1 Noyaux itérés
Commençons par observer l’égalité (1) ; elle traduit la concavité de la suite (dk)k0des
dimensions des noyaux itérés d’une matrice de Jordan, c’est-à-dire le fait que cette suite
3
est « de moins en moins croissante ». Nous allons commencer par montrer que ce fait est
tout à fait général, grâce à un argument qui sera crucial dans la suite.
Soit Eun K-espace vectoriel de dimension finie n1, et uL(E). Fixons un entier
k1, et supposons que l’on dispose d’un supplémentaire Sde ker ukdans ker uk+1 :
ker uk+1 =Sker uk.
Alors,
la somme u(S) + ker uk1est directe, et contenue dans ker uk. (2)
En effet, si x=u(s)est élément de ker uk1, avec sS, alors sSker uk={0}, d’où
x= 0. On a donc
u(S)ker uk1ker uk.
Comme la restriction de uàSest injective, on en déduit immédiatement, en posant à
nouveau dk= dim ker uk, que
dkdk1dim u(S) = dim S=dk+1 dk,
soit
2dk0.
La concavité annoncée est donc établie.
2.2 Construction d’une base de Jordan
Supposons désormais l’endomorphisme unilpotent d’indice p. Commençons par fixer un
sous-espace Spde Etel que
E= ker up=Spker up1.
D’après (2), u(Sp)ker up2ker up1, d’où l’existence d’un sous-espace Sp1de Etel
que
ker up1=u(Sp)Sp1ker up2.(3)
On a alors
E=Spu(Sp)Sp1ker up2.
Dans le cas où p3, en réappliquant l’argument (2) à (3), on obtient 1
u2(Sp)u(Sp1)ker up3ker up2,
d’où l’existence d’un sous-espace Sp2de Etel que
ker up2=u2(Sp)u(Sp1)Sp2ker up3,
1. Noter que l’égalité
u(u(Sp)Sp1) = u2(Sp)u(Sp1)
provient de l’injectivité de la restriction de uà n’importe quel supplémentaire de ker udans E.
4
donc
E=Spu(Sp)u2(Sp)Sp1u(Sp1)Sp2ker up3.
En poursuivant ainsi, on construit des sous-espaces Sp, Sp1, . . . , S1de Evérifiant
ker uj=upj(Sp)upj1(Sp1). . . u(Sj+1)Sjker uj1pour 1jp.
À ce stade, il faut remarquer un fait important : si 1kpet jk2, la somme
uj(Sk) + ker uest directe, ce qui implique que
uinduit un isomorphisme de uj(Sk)sur uj+1(Sk).(4)
Finalement, on obtient la décomposition suivante :
E=Spu(Sp). . . up1(Sp)
Sp1u(Sp1). . . up2(Sp1)
.
.
.
S2u(S2)
S1.(5)
Une fois que l’on dispose de (4) et de (5), la construction d’une base agréable de Eest
alors facile : il suffit de remarquer que si l’on fixe k[[1, p]] et xSknon nul, le sous-
espace V=Vect (uk1(x), . . . , u(x), x)est de dimension ket stable par u. De plus, la
matrice dans la base (uk1(x), . . . , u(x), x)de u|Vest exactement le bloc de Jordan Jk.
Grâce à ce fait, on peut construire alors une base de Erelativement à laquelle la matrice
de uest une matrice de Jordan, ce qui termine la preuve du théorème 1.
Corollaire 1. Deux matrices nilpotentes Aet Bde Mn(K)sont semblables si et seule-
ment si
rg Ak=rg Bkpour tout kN.
Démonstration. Le sens direct est clair. Inversement, si la condition sur les rangs est
réalisée, on a dim ker Ak= dim ker Bkpour tout k1, de sorte que les réduites de
Jordan de Aet Bsont identiques d’après (1).
Le théorème de Jordan élucide le problème de la classification des matrices nilpotentes
à similitude près. De façon précise, il montre que le cône nilpotent de Mn(K)est union
disjointe d’un nombre fini de classes de similitude. Ce nombre, souvent noté p(n), n’est
autre que le nombre de partitions de l’entier n, c’est-à-dire le nombre de façons d’écrire n
comme somme d’entiers naturels non nuls, l’ordre n’intervenant pas. Par exemple, comme
3 = 2 + 1 = 1 + 1 + 1,
on a p(3) = 3, de sorte qu’à similitude près, il y a exactement 3matrices nilpotentes
d’ordre 3; ce sont :
J1J1J1=
000
000
000
,J1J2=
0 0 0
0 0 1
0 0 0
et J3=
010
001
000
.
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