seraient plus ou moins bienveillants et désireux, dans tous les cas, de faire prévaloir
leur volonté. Lorsque ces derniers se demandent si la vie des personnes
polyhandicapées vaut la peine d’être vécue, on pourrait presque dire qu’ils se posent
cette question sans méchanceté et même en toute humanité : est-ce que finalement il
ne s’agit pas là d’une vie de souffrance et est-ce que, précisément, on ne porte pas
préjudice aux personnes se trouvant dans cette situation lorsqu’on fait tout pour les
maintenir en vie ?
Ce qu’on observe plutôt ce sont, en premier lieu, les conséquences de l’asymétrie de la
relation qui d’une certaine manière oblige les aidants, c’est-à-dire les contraints à
l’engagement dans un processus d’aide auquel ils ne peuvent se dérober même s’ils le
souhaitent. Il y a donc comme un effet de violence qui se produit dans l’institution de
la relation et cet effet peut être décuplé par la méconnaissance du polyhandicap et la
difficulté à accepter une altérité qui semble ne renvoyer rien d’autre que son désaide et
qui, d’une certaine manière, laisse son interlocuteur seul avec ses interrogations, ses
doutes, ses peurs, son impuissance. La crainte aussi bien de faire mal que de mal faire
taraude les aidants car un doute subsiste toujours par rapport aux éprouvés de la
personne polyhandicapée, par rapport à ses désirs, à sa volonté et ces derniers se
demandent souvent ce qu’elle dirait de l’accompagnement si elle pouvait s’exprimer.
J’ai évoqué la méconnaissance du polyhandicap et c’est un facteur auquel il faut porter
une attention particulière dans la mesure où il favorise l’adoption de postures
souveraine et cela d’autant plus que la temporalité que requiert la socialisation au
polyhandicap est importante. Les acteurs qui interviennent dans le champ de la prise
en compte du polyhandicap attirent tous l’attention sur le fait qu’il est impératif de
« prendre le temps » sous peine de quoi « on ne voit rien », « on ne comprend rien » et
les décisions prises, ne peuvent l’être que de manière souveraine, ce qui nuit bien
souvent à la prise en compte des personnes. Autres facteurs important, le coût de la
solidarité sociale qui, dans les temps de pénurie, tend à justifier les postures
souveraines au nom notamment de la compression du temps et de la raréfaction des
ressources aussi bien financières qu’humaines. Ce facteur se combine avec la
pénibilité du travail et l’usure des aidants qui accroissent aussi les risques d’adoption
de telles postures. Enfin, il faut compter parmi les fondements de la tentation
souveraine, l’absence bien souvent d’espaces de réflexion et d’élaboration dédiés à
l’analyse des formes qu’elle revêt, l’isolement des aidants dans leurs pratiques rendant
difficile l’identification aussi bien des espaces que des postures de souveraineté : on
pourrait dire qu’il y a un impensé de la tentation souveraine qui ne peut donc jamais
être identifiée comme telle.
Les formes plurielles de la tentation souveraine
Si on regarde maintenant du côté des formes qu’elle adopte, ce sont des formes
plurielles et on les retrouve à de multiples niveaux : politique, institutionnel, mais
aussi organisationnel et interindividuel. Je limiterai mes remarques ici aux modalités
de prise en soins et Frédéric complètera sur les dimensions politiques et
institutionnelles. La posture souveraine, au niveau interindividuel, prend la forme
d’une attitude discrétionnaire qui peut se solder par un refus pur et simple d’accès au
soin, au motif soit de l’incompétence du soignant sollicité, soit de l’inadaptation des
locaux, soit au motif de l’inutilité supposée des soins. Le caractère inégalitaire du
traitement et la suspension de la norme sont, dans ce cas, référés à des variables