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Communication non verbale avec des personnes
polyhandicapées ou autistes
Marie-Jeanne Mattlinger, membre du Bureau national PPH, phoniatre puis psychiatre, a surtout
travaillé auprès de personnes porteuses de handicaps divers, en particulier polyhandicap et autisme.
I- Introduction
Nous connaissons tous le grand malaise que nous pouvons éprouver lorsque nous
nous trouvons en présence d’une personne qui ne peut pas communiquer
verbalement. Même si, comme nous le démontre bien l’exposé d’Anne Herbinet, la
communication verbale ce n’est pas si clair et simple qu’il y paraît, le langage tout de
même cela aide à se comprendre !
Alors, comment communiquer avec une personne sans langage et comment lui
permettre de communiquer avec nous ?
Lorsque le handicap mental est profond ou lorsque la communication verbale est
rendue impossible ou extrêmement limitée du fait du polyhandicap ou de troubles
autistiques - la personne se trouve dans des difficultés majeures pour comprendre le
langage et se faire comprendre. Mais ce n’est pas une raison pour renoncer à tout
échange !
La première question qui se pose alors c’est bien : de quels moyens dispose cette
personne pour communiquer ?
D’abord qu’est-ce qu’elle comprend de mes mots, de mes phrases ; mais aussi de
mon regard, des expressions de mon visage, de mes intonations, de mes gestes ;
mais encore de ce qu’elle peut percevoir et qui constitue un indice (ex : j’ai apporté
son manteau et je lui propose de sortir).
Ensuite quels moyens a-t-elle pour pouvoir d’abord attirer mon attention, puis pour
me demander quelque chose, mais aussi pour refuser ; pour me poser une question
ou me donner une information ; pour manifester une douleur (douleurs si facilement
méconnues !) ou ce qu’elle ressent, pour faire ses commentaires, pour exprimer ses
sentiments à mon égard ou à l’égard d’autres personnes ; enfin pour me faire
comprendre ce qu’elle pense, me donner son point de vue. Bref pour tout ce qui fait
que nous avons besoin et que nous aimons communiquer. L’être humain n’est-il pas
avant tout un être de relation ?
Ces « outils » pour communiquer, aussi cela peut être : son regard, ses mimiques,
ses gestes ou encore quelque chose qu’elle va montrer ou donner, selon ses
possibilités (objet, photo, dessin, voire même mot écrit…).
Dans un premier temps ce matin nous essayons de poser quelques repères pour
comprendre les difficultés, les fonctionnements et les possibilités de ces personnes.
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Mais c’est cet après-midi que Christiane Cirasse et Edouard Catrice nous parleront
de façon beaucoup plus concrète du « comment communiquer autrement ».
Et c’est par le plus difficile et le plus déroutant que nous commençons : le
polyhandicap et l’autisme.
En sachant que quand on a appris à mieux communiquer avec ces personnes, on
sait mieux le faire avec toutes les autres personnes en difficulté de communication.
II- Autisme et autres « T.E.D. »
Comment communiquer avec des personnes autistes, c’est-à-dire aussi comment
peuvent-elles communiquer ? Lorsqu’il y a troubles autistiques, c’est sans doute la
situation la plus complexe et la plus déroutante.
A-Définition
L’autisme est donc le principal des « troubles envahissants du développement »
(T.E.D.). Il s’agit en effet d’un trouble du développement neuropsychologique et ce
trouble est envahissant au sens il affecte de nombreux domaines, mais
principalement, selon les critères de diagnostic internationaux :
La relation avec l’autre, avec de grandes difficultés à entrer dans toute
relation, des interactions sociales « anormales » c’est-à-dire pauvres mais
surtout particulières, déroutantes ; dès la petite enfance l’échange par le
regard est très limité, l’enfant ne montre pas et ne regarde pas ce qui lui est
montré, il joue seul de façon pétitive, surtout avec son corps ou des objets
qui ne sont pas des jouets (une queue de casserole, une ficelle…), il ne joue
pas à faire semblant, il aligne les personnages au lieu de leur donner vie ; plus
tard ce sont les difficultés à se faire des amis, à se mettre à la place de l’autre,
à se trouver bien dans un groupe, et toute cette « indifférence » qui n’est
qu’apparente.
La communication sous tous ses aspects, qu’elle soit verbale ou non verbale,
qu’il s’agisse de compréhension ou d’expression ; ces difficultés majeures à
comprendre et se faire comprendre entraînent une grande souffrance, qui peut
se traduire par des comportements agressifs, auto-agressifs ou violents dont
nous avons toujours à chercher à comprendre ce qu’ils manifestent.
La capacité à s’adapter aux changements, avec des « intérêts et activités
restreints et répétitifs » des stéréotypies (balancements, jeux de doigts devant
les yeux), des comportements bizarres qui déroutent et perturbent, des rituels
(ex : ne pas pouvoir sortir sans avoir touché le mur et léché la porte).
B- Difficultés et fonctionnements
Voyons les difficultés qui affectent la communication et ses aspects particuliers
1- Les troubles spécifiques de la communication sont au premier plan. Il s’agit de
troubles « qualitatifs » c’est-à-dire que ce n’est pas seulement un déficit de
communication. Et ces troubles n’affectent pas seulement le langage mais aussi à
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un degré moindre la communication non verbale. Le premier problème de ces
personnes est d’accéder au « sens de la communication », de percevoir à quoi elle
sert. Ainsi Jim Sinclair
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, autiste de haut niveau, ayant accédé au langage, explique à
l’âge adulte « Je n’ai pas employé le langage afin de communiquer avant l’âge de
douze ans…Ce n’est pas parce que je n’en étais pas capable, mais simplement je ne
savais pas à quoi il servait. Pour apprendre à parler, il faut au préalable savoir
pourquoi on parle».
1a- La communication non verbale est donc altérée, et elle l’est sous ses deux
« versants ».
La compréhension de tout ce qui est non verbal est habituellement limitée. Déjà le
contact par le regard se fait très difficilement mais la personne autiste comprend
aussi très peu le sens du regard, celui du sourire et des expressions du visage, des
larmes (un enfant rit parce que c’est drôle de voir de l’eau couler sur les joues) ; mais
elle comprend difficilement aussi les gestes et seulement si ils sont très concrets
(c’est pourquoi la « langue des signes » des sourds, très complexe et pour une
grande part abstraite, ne peut être utilisée). Les repères visuels (objets, photos,
images) et le contexte peuvent être une aide précieuse dans la mesure ils sont
visuels, concrets et stables. Les aspects non verbaux du langage, l’intonation et tous
ces signaux auxquels nous ne prêtons pas attention mais qui règlent l’échange ne
sont pas bien perçus non plus. Sean Baron
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évoque ses difficultés : « « Je me suis
rendu compte que les gens utilisaient la langue pour communiquer les uns avec les
autres. Mais je ne savais pas comment ils faisaient… Je ne comprenais pas les
signaux qui réglaient les discussions des gens…Je me sentais étranger aux autres,
tel un extraterrestre : je ne comprenais pas plus la communication entre les hommes
qu’une créature d’une autre planète… ».
Mais par ailleurs on s’aperçoit chez ces personnes que grâce à leur sensibilité
habituelle à tout ce qui est musical, la compréhension du langage peut être meilleure
lorsque l’intonation est accentuée, voire « chantée »
L’utilisation du non verbal est également altérée, mais elle peut en partie suppléer
à l’absence de langage, qu’il s’agisse du regard, de la mimique, des gestes, de sons
vocaux, ou plus facilement d’objets, images, etc. Mais bien souvent c’est le
comportement qui reste le seul moyen de se faire comprendre, avec tous les
malentendus que peuvent entraîner les gestes violents, les cris...
1b- La communication par le langage
Elle est encore plus touchée que le non verbal et cela sur ses deux « versants ».
La compréhension du langage oral est toujours altérée, mais de façon variable. Au
maximum il peut y avoir « surdité verbale » c’est-à-dire que le cerveau en raison
d’anomalies touchant les régions et circuits concernés ne reconnaît pas parmi tous
les sons perçus ceux qui appartiennent au langage. Au mieux une certaine
compréhension est préservée, mais elle reste toujours littérale (comme dans le stade
de « pensée concrète » évoqué par Anne), au « premier degré ». C’est l’enfant à qui
on demande « d’ essuyer ses pieds » sur le paillasson et qui retire donc ses
chaussures ; ou celui qui entend « la nuit va tomber » et se précipite pour ranger son
1
Jim Sinclair « Don’t mourn for us » The Edmonds Institute 1993
2
Judy Baron et Sean Baron « Moi l’Enfant Autiste » Ed. Plon 1993
4
vélo de peur qu’elle ne tombe dessus. Ou cet ado pour qui le « sommet de chefs
d’état » se passe forcément sur une montagne. Des problèmes donc avec tout ce qui
est expressions figurées, métaphores, mots abstraits, mots à double sens, nuances,
humour…
Mais ces personnes sont également en difficulté pour accéder à une signification
générale (un « verre » c’est seulement ce gobelet bleu que je connais) ; pour
percevoir l’intention sous-entendue dans un message (« tu peux me passer le sel ?
Oui ! » Ou au téléphone « Pierre est là ? Oui ! » Ou encore dans Rain Man cet
autiste qui reçoit un baiser de la fiancée de son frère C’était comment ? Mouillé !).
Difficulté aussi pour intégrer une série d’informations, comme l’évoque Temple
Grandin
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, spécialiste de haut niveau dans le domaine des centres d’élevage.
« Encore maintenant, j’ai des difficultés à appréhender de longues séries
d’informations verbales. S’il y a plus de trois opérations consécutives à exécuter,
comme par exemple dans une station service, je suis obligée de les écrire. Beaucoup
de personnes atteintes d’autisme éprouvent des difficultés à se souvenir de l’ordre
d’une série d’instructions. »
La compréhension du langage écrit
De façon inattendue elle peut être meilleure que celle du langage oral, notamment
grâce aux capacités de mémorisation visuelle qui permettent à certains de
« photographier » et mémoriser globalement des mots même en l’absence d’accès
au langage oral et de les associer à leur signification. Le langage écrit est moins
difficile d’accès dans la mesure où il fait appel à la perception visuelle et constitue un
support permanent auquel on peut se référer (et non une donnée fugitive comme la
parole). Therese Joliffe
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cite aussi un autiste qui explique « Il a fallu longtemps avant
que je ne sois conscient que les personnes qui me parlaient réclamaient mon
attention… Le langage parlé me frustrait. Je comprenais mieux les mots quand ils se
trouvaient couchés sur du papier que lorsqu’ils étaient prononcés… Les premiers
mots que j’ai compris étaient ceux que j’ai vus imprimés sur du papier. » et Temple
Grandin le confirme « Les enfants atteints d’autisme arrivent à mieux exécuter des
tâches lorsqu’ils peuvent employer des instructions écrites, à la place d’instructions
orales »…
L’utilisation du langage oral est l’aspect le plus difficile de la communication
lorsqu’il y a autisme. A l’âge adulte 50 % des autistes sont sans langage (on dit
« non verbaux »). Mais lorsqu’il existe un langage, son utilisation est toujours altérée,
là aussi de façon variable.
Les mots et phrases sont utilisés de façon inappropriée ; ce sont ces enfants
qui disent « bravo » ou « au revoir » pour manifester que c’est fini et qu’ils
veulent partir, ou cet enfant qui disait « géode » lorsqu’il voulait monter à l’avant
de la voiture (où il pourrait bien voir partout comme au cinéma sphérique « La
Géode »), ou cet autre qui lorsque sa mère était en colère s’écriait « ne jette
pas le chien du balcon » parce qu’il associait cette colère à une situation en
effet il avait provoqué la colère de sa mère.
3
Temple Grandin « Penser en images » Ed. Odile Jacob 1997.
4
Therese Joliffe « Autism : A personal account » Année 1990.
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Les pronoms sont difficiles à utiliser correctement, le TU remplace souvent le
JE, toujours par association : on m’a dit « tu veux un bonbon » et j’en ai eu un,
donc ces mots sont « la clef » pour obtenir un bonbon.
Problèmes aussi avec tous les termes relatifs ( ex : plus grand, meilleur) les
notions d’espace et de temps (ex : devant, derrière, hier, demain) les contraires
(ex : donner, prendre).
Stéréotypies verbales parfois liées à des intérêts obsessionnels et qui peuvent
devenir envahissantes ; ainsi je me rappelle un enfant qui répétait
inlassablement derrière moi à son père alors que j’arrivais en consultation
« on s’est trompés de chemin » parce qu’ils n’avaient pas pris le chemin
habituel et alors que son père lui avait bien r- donné toutes les explications
utiles.
Ou encore l’écholalie : la personne répète les derniers mots ou la phrase
qu’elle vient d’entendre, comme pour se rassurer et mieux comprendre, comme
le font les enfants ordinaires dans les débuts du langage.
L’utilisation du langage écrit
aussi elle peut pour certains être moins difficile que la parole, au moins sous
forme d’étiquettes – mots.
2- Le développement mental constitue la deuxième cause de restriction de la
communication.
En effet on estime que dans 70 % des cas les troubles autistiques sont
accompagnés d’une déficience mentale qui va nuire aux capacités de
communication. Cette déficience peut être de degré variable. Pour donner des
repères approximatifs on parlera de déficience légère (l’accès au langage oral et écrit
est préservé) ou moyenne (accès au langage oral) ou vère (langage limité) ou
profonde (aucun langage ou extrêmement réduit).
Mais cette déficience est toujours « hétérogène » en cas de troubles autistiques. Les
domaines faisant appel à l’abstraction et au langage sont les plus touchés,
l’intelligence pratique est la mieux préservée.
Mais il existe aussi de nombreux troubles cognitifs très spécifiques à l’autisme et qui
nuisent à la communication, en particulier des difficultés majeures à comprendre les
manifestations émotionnelles et les règles sociales, à comprendre la complexité des
êtres humains.
Donc les personnes autistes ne sont pas seulement ces personnes très performantes
qui nous sont souvent montrées « mais qui nous aident à comprendre ceux –
beaucoup plus nombreux –qui ont une déficience mentale est plus ou moins sévère.
3- Les troubles sensoriels jouent aussi leur le dans les difficultés de
communication.
Il ne s’agit pas de déficiences (l’association par exemple d’une surdité est possible
mais rare): mais de perceptions perturbées, souvent pénibles. Et cela concerne
d’abord l’audition avec toutes les conséquences que l’on imagine sur la
communication verbale : ainsi Temple Grandin explique « Parfois, je comprenais et
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