le risque lie aux agents transmissibles non conventionnels ou prions

Sécurité en anesthésie 49
LE RISQUE LIE AUX AGENTS TRANSMISSIBLES NON
CONVENTIONNELS OU PRIONS
D. Dormont. Service de Neurovirologie DRM/DSV, Commissariat à l’Energie Atomi-
que, Centre de Recherches du Service de Santé des Armées, Ecole Pratique des Hautes
Etudes, B.P. 6, 92265 Fontenay aux Roses.
INTRODUCTION
Les encéphalopathies subaiguës spongiformes transmissibles (ESST) sont des
maladies neurodégénératives mortelles qui touchent aussi bien l’homme que l’animal,
et qui se caractérisent par une période d’incubation longue et cliniquement silencieuse
dont la durée peut atteindre plusieurs dizaines d’années chez l’homme. Elles se tradui-
sent cliniquement par une atteinte exclusive du système nerveux central, associée au
plan neuropathologique par une spongiose, une perte neuronale et une gliose majoritai-
rement hyperastrocytaire.
Les ESST humaines sont des maladies très rares qui regroupent le Kuru, la maladie
de Creutzfeldt-Jakob (MCJ), le syndrome de Gerstmann-Sträussler-Scheinker (SGSS),
et l’Insomnie Fatale Familiale (IFF). Leur incidence est environ d’1,5 nouveau cas par
million d’habitants et par an, et elles peuvent se présenter sous trois formes, sporadique
(formes majoritaires) familiale, et iatrogène, qui sont toutes trois transmissibles expéri-
mentalement. Les ESST sont induites par des agents infectieux dont la nature n’est pas
encore déterminée, les agents transmissibles non conventionnels (ATNC), dont des
pro
priétés biologiques et physico-chimiques sont très atypiques dans le règne micro
-
biologique ; leur résistance aux procédés de désinfection utilisés en pratique
courante pose des problèmes difficiles à résoudre, en particulier dans le domaine de la
stérilisation hospitalière. A ce jour, aucune réponse immune spécifique de l’infection
n’a pu être mise en évidence, ce qui explique l’absence de test non invasif permettant de
diagnostiquer les sujets infectés. Enfin, l’apparition du nouveau variant de la maladie
de Creutzfeldt-Jakob en Grande Bretagne et en France, et la démonstration de son lien
très probable avec l’encéphalopathie bovine spongiforme impose l’analyse des
propriétés biologiques de l’agent causal afin de vérifier que les mesures réglementaires
prises à ce jour sont en adéquation avec un risque de diffusion au travers des actes
médicaux tolérable par la société.
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1. CARACTERISTIQUES ET PROPRIETES DES ATNC
1.1. COMPOSITION CHIMIQUE DES FRACTIONS INFECTIEUSES SEMI-
PURIFIEES
Les propriétés physico-chimiques des ATNC sont telles qu’elles rendent toute puri-
fication de l’agent infectieux quasi-impossible à ce jour, quel que soit le protocole de
purification mis en jeu. Seules des préparations très impures ont pu être obtenues, et
leur analyse a montré que l’agent est associé aux structures lipidiques ; ces expériences
ont néanmoins permis de montrer que l’infectiosité est associée majoritairement à une
glycoprotéine de l’hôte de 27 à 30 kD partiellement résistante à la protéinase K : la
protéine du prion ou PrP [1], sans qu’aucun acide nucléique spécifique de l’infection
n’ait pu être isolé. La protéine PrP est donc le constituant majeur et spécifique des
fractions infectieuses. Ce résultat, ainsi que le spectre d’inactivation des ATNC ont
suggéré que l’ATNC pouvait être d’origine exclusivement protéique : S.B. Prusiner, en
1982, a proposé le concept de «prion» pour «proteinaceous infectious particle», pour
lequel la pathogénicité est exclusivement lié à la structure tridimensionnelle de la pro-
téine PrP [1, 2]. Chez le sujet non infecté, la protéine PrP (PrPc) est sensible à la
protéinase K [3, 4], alors que, chez le sujet infecté, la protéine acquiert une résistance
partielle à la protéinase K (PrPsc ou PrPres) et s’accumule proportionnellement au titre
infectieux. La PrPres est capable, dans certaines conditions physico-chimiques, de
polymériser sous forme de fibrilles dont l’aspect en microscopie électronique est
pathognomonique des ESST : les scrapie associated fibrils (SAF) [5, 6].
La séquence en acides aminés de la PrP est maintenant déterminée : elle possède 253
résidus chez l’homme, et le degré d’homologie entre les espèces est le plus souvent supé-
rieur à 85 % [7]. La protéine contient deux sites de N-glycosylation et, à son extrémité
C-terminale, possède une séquence qui permet la fixation d’un glycosyl phosphatidyl
inositol (GPI) [8], qui assure l’ancrage aux structures membranaires de la protéine matu-
re. La différence entre PrP-c et PrP-res ne réside pas dans des différences de structure
primaire, puisque leurs séquences en acides aminés sont rigoureusement identiques, mais
fort probablement dans des modifications conformationnelles. Il existe des différences
dans la teneur en hélices alpha et en feuillets ß entre PrPc et PrPres : la PrPc contient
3 hélices alpha et deux petits feuillets bêta plissés anti-parallèles, délimitant un core
hydrophobe C terminal (acides aminés 121-231) avec une longue queue N-terminale
flexible, sans structure pré-définie identifiable [9, 10], alors que la PrPres présenterait
un excès notable de structures en feuillets bêta plissés [11, 12], attribuable, pour cer-
tains, à une transconformation de la protéine mature initialement repliée correctement,
et, pour d’autres, à l’acquisition par la portion flexible de la protéine d’une structure en
feuillet bêta.
Deux problèmes majeurs restent aujourd’hui à régler dans le domaine des ESST :
1. L’agent infectieux est-il bien composé uniquement de PrP sous une conformation
anormale ? De nombreux faits expérimentaux soutiennent l’hypothèse séduisante
du prion ; toutefois, la démonstration formelle n’est pas encore apportée.
2. Dans l’hypothèse du prion, la PrP pathologique résistante à la protéinase K est-elle
la forme infectieuse ? En effet, des cas exceptionnels d’ESST en absence de PrP-res
ont été rapportés dans la littérature [13-15], ce qui suggère que soit les méthodes de
détection de la PrPres ne sont pas suffisamment sensibles pour mettre
en évidence les
petites quantités de PrPres présentes dans ces situations expérimentales, soit que la
PrP pathologique associée à l’infectiosité est une forme anormale distincte de la
PrPres, la résistance à la protéinase K dérivant alors de l’oligomérisation donc de
l’agrégabilité intrinsèque de la protéine anormale.
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La réponse à ces deux questions conditionne la mise au point d’un test diagnostique
applicable en dépistage systématique chez l’homme.
1.2. PROPRIETES PHYSICO-CHIMIQUES
Les ATNC sont particulièrement résistants aux procédés physico-chimiques d’inac-
tivation. Leur thermostabilité est impressionnante : seule la chaleur humide possède
une efficacité compatible avec les critères de protection des individus en santé publi-
que : 134 à 136°C pendant 18 min sont recommandés par l’Organisation Mondiale de
la Santé [16]. Il faut cependant noter qu’il existe des variations parfois importantes
dans la sensibilité à l’autoclavage en fonction des souches d’agent [17-19], ce qui com-
plique la mise en place des normes de sécurité. Les rayonnements ionisants sont peu
efficaces sur les ATNC [20, 21]. L’inactivation chimique se réduit à l’utilisation des
agents chaotropes, de la soude et l’eau de Javel : l’exposition à la soude 1 N pendant
1 heure à 20°C et à l’hypochlorite de sodium pendant 1 heure à tempéra-ture ambiante
sont les seules procédures de désinfection chimique recommandées par l’O.M.S. [16].
Le formol n’a aucun effet sur les ATNC, et il est même capable de «protéger» les ATNC
de l’inactivation par l’autoclavage [22].
2. PHYSIOPATHOLOGIE DES ENCEPHALOPATHIES SUBAIGUES
SPONGIFORMES TRANSMISSIBLES
Les ESST sont des maladies neurodégénératives subaiguës évoluant d’un seul
tenant, qui se déclarent après une très longue période d’incubation asymptomatique
pouvant atteindre plusieurs dizaines d’années chez l’homme. L’infection expérimentale
peut s’effectuer par toutes les voies possibles : voie intracérébrale, voie intraveineuse,
voie intrapéritonéale, voie sous cutanée, voie orale. La voie la plus efficace est la voie
intracérébrale [23-25]. Lorsque l’infection est périphérique, les formations lymphoïdes
digestives pour la voie orale et la rate pour la voie intrapéri-tonéale sont les premiers
organes infectés, la réplication de l’agent persistant tout au
long de la maladie expéri-
mentale dans la rate. L’infectiosité gagne alors la quasi-totalité
des formations lymphoïdes
associées ou non au tube digestif, et réalise sa neuro-invasion centrale au niveau
médullaire, probablement via les filets nerveux splanchniques, puis se propage vers
l’encéphale et vers la partie basse de la moelle épinière [26-32]. Le processus de neuro-
invasion n’est détectable qu’au début de la seconde moitié de la période d’incubation,
ce qui montre que, pendant la première moitié, l’agent infectieux est uniquement en
périphérie, dans les formations du système immunitaire.
La nature des cellules cibles des ATNC en périphérie est critique dans l’analyse des
risques associés à la transfusion et aux produits dérivés du sang. Les données actuelles
de la littérature indiquent que les lymphocytes, et probablement les lymphocytes B [33],
ainsi que les cellules dendritiques [34], sont impliqués dans le transport de l’ATNC
depuis le site primaire de réplication jusqu’aux formations lymphoïdes secondaires à
partir desquelles va s’effectuer la neuro-invasion ; les cellules folliculaires dendriti-
ques sont les cellules synthétisant la PrPres dans les formations lymphoïdes, et semblent
requises pour une neuro-invasion efficace. Le schéma qui peut être raisonnablement
proposé est le suivant : une faible quantité de l’agent inoculé va se répliquer dans les
sites primaires (plaques de Peyer pour la voie orale, rate pour la voie intrapéritonéale),
la majeure partie de l’inoculum étant l’objet d’une clairance par les macrophages ; à
partir des cellules immunocompétentes capables de circuler, et probablement, mais non
exclusivement, des lymphocytes B, l’agent va gagner les formations lymphoïdes asso-
ciées au tube digestif et non associées au tube digestif, via les voies lymphatiques et le
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torrent circulatoire, où sa réplication au niveau des cellules folliculaires dendritiques
va permettre la neuro-invasion.
Ces faits indiquent clairement que l’agent est, au moins transitoirement, dans le
sang périphérique au cours de la phase d’incubation de la maladie, ce qui pose, au plan
théorique, le problème du risque transfusionnel.
Le gène codant la PrP (PRNP) est situé sur le chromosome 20 chez l’homme, il
comprend 2 ou 3 exons et un intron de 10 kb [35]. Il constitue le facteur principal de
susceptibilité génétique aux ESST, tant chez l’homme que chez l’animal. Le gène
PRNP possède un polymorphisme naturel au niveau du codon 129, qui peut coder soit
une méthionine, soit une valine. Cinquante pour cent de la population saine est homo-
zygote (Met/Met ou Val/Val), et 50 % hétérozygote (Met/Val) [36]. En revanche, les
patients atteints de maladie de Creutzfeldt-Jakob sporadique ou iatrogène sont très
majoritairement homozygotes. De plus, les patients présentant une forme familiale (MCJ,
SGSS, IFF) ont une mutation dans leur gène PRNP ; il n’existe donc pas de forme
familiale sans mutation du gène codant la PrP [37].
3. RISQUE ESST EN PRATIQUE CHIRURGICALE COURANTE
L’évaluation du risque chirurgical lié aux ATNC dépend :
De la prévalence de l’infection et de la maladie dans la population générale.
De la nature des cellules cibles périphériques des ATNC.
Du niveau d’infectiosité potentiellement présent dans le sang durant la phase asymp-
tomatique.
De la dose infectante l’homme par voie intraveineuse ou par voie intra-cérébrale s’il
s’agit d’actes neurochirurgicaux, ophtalmologiques ou ORL.
Du caractère unique ou répété de l’exposition du receveur.
De la sélection des donneurs pour ce qui est du risque théorique associé à la transfusion.
Des procédures de stérilisation en place dans l’unité de soins.
3.1. LES DONNEES DE L’EPIDEMIOLOGIE DES ESST
A ce jour, les études les plus importantes ne mettent en évidence aucun lien entre les
antécédents médicaux ou chirurgicaux des patients (en dehors peut-être d’un antécédent
neurochirurgical) et l’émergence d’une maladie de Creutzfeldt-Jakob sporadique, en
dehors des cas très particuliers des formes iatrogènes et des formes familiales ; aucun
facteur de risque professionnel ou transfusionnel n’a été mis en évidence [38-40].
Plusieurs études «cas-contrôle» ont été effectuées au cours de ces dernières années
au cours desquelles les antécédents de transfusion sanguine ont été recherchés : dans
aucune de ces études, il n’a été possible de relier l’apparition de la MCJ avec un antécé-
dent transfusionnel [39, 41-44]. Aucun excès de sujets transfusés n’est détectable dans
la population des patients qui développent une MCJ (14 % versus 19 % dans la popula-
tion générale), et il n’a pas été possible de retrouver un excès de MCJ dans les zones
géographiques où résident les donneurs réguliers.
L’analyse neuropathologique des patients ayant des antécédents de transfusion et
qui ont présenté ultérieurement une MCJ indique que les caractéristiques histopatho-
logiques retrouvées sont superposables à celles observées dans les formes sporadiques
de la maladie, et ne présentent aucun caractère particulier pouvant faire supposer une
infection par voie périphérique, comme c’est le cas dans la MCJ iatrogène liée à l’hor-
mone de croissance ou dans le nouveau variant de la MCJ [45, 46].
Par ailleurs, dans certains cas particuliers, les receveurs de fractions sanguines
provenant de donneurs ayant par la suite développé une MCJ ont pu être suivis pendant
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une durée compatible avec l’analyse du risque «MCJ». A cet égard, l’étude la plus
importante provient de la Croix Rouge Américaine qui a ainsi pu tracer 178 receveurs
de sang provenant de patients MCJ : aucun d’entre eux n’a développé de MCJ ou de
maladie pouvant s’y apparenter. Il convient de noter que la publication australienne
faisant état de 5 MCJ post-transfusionnelles en 1993 doit être considérée avec beaucoup
de prudence compte tenu des failles méthodologiques qu’elle contient [47]. Enfin, un
cas de MCJ a été rapporté chez une patiente greffée du foie et qui avait reçu, durant son
intervention chirurgicale, un dérivé plasmatique provenant d’un lot contenant le don
d’un sujet ayant développé par la suite une MCJ [48] ; le délai entre l’exposition poten-
tielle et le développement de la MCJ est peu compatible avec une infection iatrogène par
voie périphérique (2 ans) ; le développement des outils moléculaires de typage des sou-
ches naturelles de l’agent de la MCJ pourra permettre, dans l’avenir, de trancher quant à
l’implication du produit dérivé du sang dans l’émergence de la MCJ chez cette patiente.
Le dernier paramètre à prendre en compte dans l’estimation du risque «prions» lié
aux actes transfusionnels et/ou aux produits sanguins stables est l’analyse de la patho-
logie rencontrée chez les sujets multi-exposés comme les hémophiles. Il faut toutefois
garder en mémoire que l’infection de cette population par le VIH a dramatiquement
réduit son espérance de vie globale et que, en conséquence, le temps nécessaire à l’in-
cubation de la MCJ n’a pas pu être atteint dans la majorité des cas potentiellement
exposés. Deux études importantes sont à prendre en considération : l’une a suivi
101 hémophiles, dont 76 sur une période allant de 11 à 17 ans, sans mettre en évidence
de signes évocateurs de MCJ [49], et l’autre a réalisé l’analyse neuropathologique de
30 patients hémophiles décédés avec des symptômes neurologiques, sans pouvoir
détecter le moindre stigmate rappelant une maladie à prions.
3.3. LES ACCIDENTS IA TROGENES OBSERVES EN P ATHOLOGIE HUMAINE
Plusieurs cas de contamination iatrogène ont été rapportés au cours de ces dernières
années [50]. Elles ont pour caractéristique commune d’avoir toujours impliqué le
système nerveux central comme source d’infectiosité, et parfois aussi comme lieu
d’inoculation.
•4 MCJ ont été décrites après utilisation d’instruments de neurochirurgie ayant servi à
opérer un patient infecté et qui avaient été insuffisamment décontaminés.
•2 cas ont été rapportés en 1977 chez des patients chez qui des électrodes profondes
avaient été utilisées pour traiter un syndrome épileptique.
•3 cas de MCJ liés à une greffe de cornée et 1 cas consécutif à une greffe de tympan
ont aussi été documentés.
Plus de 120 cas de MCJ consécutifs à l’utilisation de dure mère (produite avant 1987)
ont été observés ; depuis 1987, les greffons de dure mère sont habituellement traités
par l’hydroxyde de sodium dans des conditions conformes aux recommandations de
l’O.M.S.
Plus de 120 cas de MCJ iatrogène ont été induits par le traitement à l’hormone de
croissance d’origine extractive aux États Unis, au Royaume Uni et en France. Enfin,
5 MCJ ont été observées chez des patientes australiennes ou néo-zélandaises traitées
par des gonadotrophines hypophysaires extractives.
L’analyse de ces différents cas de MCJ iatrogène appelle un certain nombre de
remarques :
1. La période d’incubation varie en fonction de la voie d’introduction de l’agent dans
l’organisme : lorsqu’il s’agit d’inoculation par voie intra-cérébrale comme dans le
cas de contamination neurochirurgicale ou de greffe de cornée ou de dure-mère, la
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