Colloque sur l`enfant et les troubles des apprentissages du langage

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Colloque sur l’enfant et les troubles
des apprentissages du langage oral
ou écrit.
Conférences, table ronde, ateliers
Samedi 24 mars 2007 de 13h45 à 18h45
Campus de Beaulieu – Université de Rennes 1
Amphi Louis Antoine - Bâtiment 2A
263 av général Leclerc 35000 RENNES
Pourquoi ce colloque ?
•
Aider et informer les familles et les enfants, et toute personne concernée,
•
Pointer l'importance des troubles spécifiques du langage oral et écrit dans
les troubles des apprentissages: origines, manifestations, conséquences
mais aussi rééducations, compensations, adaptations pédagogiques,
•
Echanger et réfléchir à des partenariats pour accompagner ces enfants en
situation de handicap vers la réussite.
http://www.avenir-dysphasie.asso.fr
http://www.apedys.org/
Dyslexie
Apédys35
http://www.dyspraxie.info/
Dyspraxique Mais Fantastique
Programme
Conférences
14 h 00 Pr Jean-Emile Gombert (Université de Rennes 2). L’enfant et l’apprentissage
du langage oral et écrit : aspects cognitifs. Situation en France.
14 h 40 Dr Michel Habib (Neurologue CHU Marseille). Les syndromes « dys » et leurs
causes cérébrales. Prise en charge des enfants par un réseau de santé pluridisciplinaire :
l'exemple de Marseille.
15 h 20 Dr Olivier Revol (Pédopsychiatre à l'hôpital Neurologique de Lyon). Troubles
des apprentissages et leurs manifestations comportementales chez l’enfant à l’école et
dans la vie quotidienne : précocité, hyperactivité, angoisse, dépression.
16 h 00 Table ronde et questions de la salle – Débat animé par Anne Chevrel
16 h 55 Dr Catherine Allaire – Mr Dominique Mélo (Centre du Langage de Rennes).
Dépistage, le bilan, la prise en charge, un état de lieux en Ille et Vilaine : Les soignants Le rôle des différents acteurs de la rééducation en relation avec l’Ecole.
17 h 05 Dr Maitrot (Médecin Conseil auprès du Recteur). Education Nationale et
troubles du langage : Le Plan Action Langage – Les outils - Les médecins scolaires de
l’Académie – les aménagements aux examens.
17 h 15 Mme Hanry (Inspecteur d’Académie ASH : Adaptation et Scolarisation des
élèves Handicapés). Scolarisation : quelles organisations possibles ? : L’enseignant
référent - Les écoles primaires et les établissements secondaires - L’équipe éducative et
l’intégration des enfants - Le rôle de l'Auxiliaire de Vie Scolaire.
17 h 25 Mr Claude Delahousse (Maison Départementale des Personnes
Handicapées). MDPH son rôle et ses nouvelles attributions : La loi du 11 février 2005
(scolarisation des élèves handicapés) Les démarches administratives : L’équipe technique
- L’Allocation d’Education de l’Enfant Handicapé (AEEH) - Articulation avec
l’Education Nationale. Les classes langage et le SSEFIS.
18 h 45 Clôture et pot de l’amitié – Echanges avec les intervenants et les acteurs de la vie
local
Table des matières
L'acquisition du langage oral et écrit Professeur Jean-Émile Gombert ....................................... 4
"Dyslexie et syndrome apparentés : Où en est la recherche neuroscientifique ?" L'exemple
du réseau Dys à Marseille Docteur Michel Habib ............................................................................. 11
Petits arrangements avec les apprentissages Manifestations comportementales chez
l'enfant à l'école et dans la vie quotidienne Docteur Olivier Revol.............................................28
Table ronde avec : Michel Habib, Olivier Revol, Jean-Émile Gombert .......................................49
Dépistage, bilan, prise en charge des enfants dys État des lieux des pratiques en Ille-etVilaine Docteur Catherine Allaire, neuropédiatre, M. Dominique Mélo, psychologue clinicien
.....................................................................................................................................................................63
L'approche des troubles du langage dans l'Éducation nationale Dysfficultés et réussite
scolaire : la rencontre possible ? Docteur Claire Maitrot .............................................................72
Différents types d'organisation possible pour scolariser les enfants "dys" Mme Laurence
Hanry, inspecteur d'académie ASH ....................................................................................................78
Démarches administratives nécessaires pour l'accompagnement des enfants "dys" M. Claude
Delahousse (MDPH 35)...........................................................................................................................84
Conclusion ................................................................................................................................................ 101
Présentation
Mme Anne Chevrel, journaliste coordinatrice
Introduction à la journée.
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L'acquisition du langage oral et écrit
Professeur Jean-Émile Gombert, directeur du centre de recherches en psychologie
cognition et communication (CRPCC), responsable de la sphère de psychologie du
développement cognitif (Rennes 2) 1
J'ai choisi d'utiliser une technique presque pédagogique, qui a été initiée par une collègue de
Londres, Uta Frith, technique reprise notamment en France assez souvent par notre collègue
Franck Ramus, qui consiste à essayer de distinguer, dans l'ensemble des fonctionnements
normaux, différentes instances.
- il en est certaines qui relèvent de la biologie ;
- il en est une autre, celle de la cognition ; ce terme un petit peu barbare désigne tout le
fonctionnement du système de traitement de l'information humain ;
- il y a, bien entendu, ce que l'on constate, ce que l'on voit, chez l'individu : c'est ce qui relève de
son comportement ; et enfin,
- il y a un rôle important : c'est celui de l'environnement qui joue sur ces différentes instances.
Si je remonte dans la hiérarchie, il existe une instance vraiment importante dans la
détermination des fonctionnements : c'est le fonctionnement cérébral. Comment fonctionne le
système nerveux central ?
Ce fonctionnement cérébral est notamment déterminé par des facteurs présents dès la
naissance. C'est tout le poids du patrimoine génétique et également du congénital qui
correspondent à tout ce qui est déjà installé, en quelque sorte, au moment de la naissance. Mais
1. Analyse des tests de la Journée appel pour la défense (JAPD).
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le fonctionnement cérébral ne dépend pas uniquement de ce type de facteurs : il subit
également l'influence de l'environnement.
Si le système nerveux central ne reçoit pas de stimulations, cela entraîne bien entendu des
dysfonctionnements. Le cerveau se comporte comme les autres organes, en quelque sorte : si
on ne le fait pas fonctionner, il ne suit pas un développement optimal. Je dirais donc que
l'environnement joue un rôle dès l'amont, dès la compréhension du substrat neurobiologique.
Il existe d'autres instances qui relèvent de la biologie : ce sont les organes sensoriels.
Lorsqu'on s'intéresse à la dimension du langage, on pense tout de suite à l'audition, bien sûr,
elle qui va jouer un rôle tout à fait fondamental, mais on pense également à la vision (dont je
pourrais démontrer l'importance pour le langage oral mais ce n'est pas l'objet ici) qui va jouer
évidemment un rôle important dans l'installation du langage écrit.
On pourrait évoquer aussi d'autres dimensions sensorielles, telles que la kinesthésie, qui est
à l'oeuvre dans l'articulation, donc dans la production de la parole. Il existe donc une dimension
qui s'avère tout à fait fondamentale.
Ces instances biologiques vont avoir une influence déterminante sur la mise en marche et le
fonctionnement de ce qui relève du traitement de l'information, des processus de la cognition. Je
voudrais quand même signaler, dans ce domaine de la cognition, quelques dimensions qui
semblent importantes ; il s'agit, notamment de :
- la perception car, bien entendu, lorsque je traite une information, il faut que je puisse
correctement la percevoir ;
- l'attention : la capacité que l'on a à sélectionner dans l'environnement les éléments que l'on
doit traiter et prendre en charge ;
- c'est également la capacité à négliger, à inhiber la perception de tout ce qui n'est pas important
pour le fonctionnement. Imaginez l'écoute de la parole dans le bruit : c'est un environnement
dans lequel il me faut pouvoir sélectionner dans un ensemble de bruits, ce qui est de l'ordre de
la parole, celle à laquelle je prête attention, et simultanément négliger tout ce qui constitue
l'environnement sonore non pertinent. Il y a donc toujours cette dimension de capacité à
sélectionner dans l'environnement, l'information pertinente ;
- la mémoire également, bien entendu ; ainsi, tout traitement de l'information réclame que l'on
maintienne en mémoire des éléments déjà perçus, soit que je viens de percevoir, soit que j'ai
perçus auparavant, il y a plusieurs jours, plusieurs semaine sou plusieurs années. Ces éléments
doivent être remobilisés dans le système pour être efficaces dans le comportement.
Dans ce champ général de la cognition, je voudrais mettre en évidence deux types de
processus qui me semblent particulièrement déterminants pour la mise en place des
traitements langagiers :
- la catégorisation, tout d'abord, qui est cette capacité à différencier correctement les objets que
je perçois. C'est pouvoir regrouper dans la même catégorie tous les objets qui en sont des
représentants. Par exemple, si je vois cent chiens différents, chacun d'eux est un chien ; c'est la
catégorie Chiens. Si je veux pouvoir correctement classer les informations que je vois, il me faut
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pouvoir différencier le chien du chat, de la vache... J'établis des classifications. C'est vrai
également dans le domaine du langage : le même mot prononcé par des personnes différentes
donne des configurations sonores, des bruits, qui sont différents. Pourtant c'est le même mot, un
mot que je dois différencier d'autres mots qui lui ressemblent. Cette problématique, qui consiste
à rassembler ce qui appartient à la même catégorie et à le différencier d'une autre catégorie, se
situe tout à fait au coeur des processus de traitement de l'information.
En ce qui concerne notre sujet, la fonction du langage, particulièrement le langage oral mais
aussi le langage dans sa globalité, va occuper une place tout à fait centrale. Ce langage est en
partie déterminé par des préprogrammations, des dispositifs inscrits dans la biologie. Si je nais
humain, je dispose de tout l'équipement nécessaire pour installer le langage, tandis que, si je
nais ver de terre, j'aurai beaucoup plus de difficulté : je ne suis pas pourvu des mêmes
préprogrammations pour installer le langage. Il existe donc une préprogrammation biologique et
celle-ci s'avère évidente ; mais je n'apprends pas à parler si je ne vis pas dans un
environnement linguistique. On voit donc également que l'environnement joue un rôle tout à fait
déterminant. Les caractéristiques de mon environnement linguistique, celles du langage que je
perçois et celles des échanges langagiers que j'ai avec mon environnement vont en grande
partie déterminer les caractéristiques de mon langage, de celui que je suis capable de maîtriser.
Dans cet ensemble langage, je voudrais différencier deux types d'instances :
- d'une part, celle qui relève des connaissances linguistiques que je relie directement à
l'environnement. J'entends par là ce que j'ai installé directement sous l'influence de mon
environnement, du langage qui m'entoure. On peut notamment citer le lexique, le vocabulaire :
ainsi, les mots que je maîtrise, ceux que je connais sont ceux qui ont été utilisés dans mon
environnement. Plus généralement, c'est tout ce qui concerne la langue que je maîtrise, plus
particulièrement "ma" langue, c'est-à-dire ma langue maternelle, celle de mes parents, celle que
j'entends parler autour de moi.
- c'est, d'autre part, celle qui relève des compétences. Peut-être que certains linguistes
parleraient
de
l'incompétence"
linguistique,
qui
elle
est
prédéterminée
par
les
préprogrammations biologiques, même si celles-ci sont, bien entendu, nourries par
l'environnement. Parmi ces compétences, on trouve : la syntaxe, ce terme quelque peu barbare
qui désigne les habiletés que j'ai installées à traiter les phrases, à les comprendre et à les
produire, en quelque sorte à construire du langage à partir d'un ensemble de mots. C'est tout ce
système de règles qu'on installe, sans s'en apercevoir, lorsque l'on apprend à parler ou à
comprendre.
Je voudrais également signaler ce qui relève de la morphologie, pour les linguistes cette
capacité dont on dispose à construire le sens des mots, à comprendre que chaton désigne un
petit chat, que certains mots sont construits à partir d'autres pour dessiner des champs
sémantiques.
Il est une instance très importante lorsque l'on s'occupe des apprentissages, des
fonctionnements et des dysfonctionnements : c'est la phonologie. Il s'agit de ce système qui
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permet de construire des mots à partir de briques sonores dépourvues de sens, de segments
qui ne veulent rien dire s'ils restent isolés. Cette dimension phonologique semble tout à fait
difficile à percevoir par certains individus.
Je voudrais vous proposer un exercice que je fais assez souvent subir à mon auditoire. Je
vais prononcer devant vous, en un seul souffle, des suites de consonnes, des sortes de syllabes
sans voyelles. L'exercice n'est pas facile. Votre rôle va consister à essayer d'analyser ces
suites-là, à trouver quelles lettres vous ajouteriez pour écrire ces suites de consonnes :
- la première suite que je vous demande d'analyser, c'est tsp. Je la répète : tsp. On entend une
sorte de i résiduel, mais c'est pour sonoriser les consonnes ; n'en tenez pas compte ! Seules les
consonnes m'intéressent ;
- la deuxième est différente : c'est ptsp ; vous entendez que ce n'est pas le même. Si vous
trouvez que c'est la même, c'est que vous avez faux. Donc, c'est ptsp.
Pourquoi se livrer à cet exercice-là ? C'est pour vous confronter à des suites prononcées que
vous n'avez pas l'habitude de manipuler, auxquelles vous n'avez pas l'habitude de réfléchir.
Lorsqu'il s'agit d'en analyser les segments, vous vous rendez compte de la difficulté :
- la première s'écrit tsp. Vous avez faux !
- la seconde c'est pst. Là, vous avez bon ;
C'est normal. En effet,
- la première séquence viole des règles linguistiques liées à des profils de sonorité dans les
mots : on ne la trouve pas dans les mots prononcés dans les langues ; alors que
- la seconde constitue une suite possible, légale ; elle s'avère donc plus facile à analyser.
Ce petit exercice veut vous montrer l'intervention d'une dimension qui a trait au langage :
c'est la construction des mots. C'est avec ces briques-là que l'on construit des mots. Dans des
perspectives d'apprentissage, on se dit : "Mais bon sang ! C'est bien sûr. Quand je vais
apprendre à lire et à écrire, il va falloir que je sois capable de faire correspondre à ces éléments,
des lettres ou des groupes de lettres. Or, si je ne suis pas capable de le faire à l'oral, comment
vais-je pouvoir faire des transpositions de l'écrit à l'oral ?". C'est de façon très brève, cette
problématique de la conscience phonologique du lien entre la phonologie et l'écrit.
Tous ces éléments, qui relèvent du traitement de l'information, dépendent fortement de ce
que j'ai appelé ici : l'exercice. Je répète que certaines préprogrammations interviennent, bien
sûr, qui sont liées à la biologie ; mais certains instruments ou traitements se construisent aussi à
travers la répétition de ces comportements.
Ces exercices, constitutifs en quelque sorte de la construction du système de traitement de
l'information, vont également avoir une influence importante sur l'*habileté* à se comporter. A
cette dernière ligne Comportement, je vais m'intéresser volontairement davantage au langage
écrit, sur ce qu'on doit installer dans les apprentissages scolaires, qui dépend non seulement de
la biologie ou du traitement de l'information, mais beaucoup de la pédagogie, des interventions
extérieures. Car celles-ci vont, en quelque sorte, permettre à l'enfant de construire des
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compétences nouvelles que soit il a du mal à construire soit il ne peut pas construire seul sans
un accompagnement.
Dans cet ensemble environnement, la dimension pédagogique représente évidemment un
élément essentiel, à la fois comme fondateur et éventuellement comme déconstructeur. Si la
pédagogie apporter une aide, elle peut de temps à autre produire des effets négatifs si le
matériel qu'elle présente à l'enfant ne correspond pas au fonctionnement du système de
traitement de l'information.
Les compétences à construire sont multiples : ainsi
- pour lire, je dois être capable non seulement de traiter les lettres mais également,
notamment, de les catégoriser correctement et de considérer, par exemple, que des lettres qui
se présentent visuellement différemment sont une même lettre (en majuscule, en script, en
minuscule, en différentes polices de caractère). En revanche, deux lettres qui se ressemblent,
se distinguant seulement par l'orientation peuvent représenter des lettres différentes, par
exemple comme le d et le b minuscules en script. C'est bien un problème de catégorisation pour
arriver à correctement traiter les lettres.
- S'agissant du traitement des phonèmes, on a vu dans l'exercice précédent d'analyse de
traitement des séquences bizarres, la nécessité d'être capable à la fois d'analyser les mots
prononcés en segments et de les reconnaître. Un r prononcé par différentes personnes, placé
en début de mot, placé en fin de mot ou dans un groupe de consonnes, fait des bruits différents.
Or, c'est pourtant la même unité phonologique, le même phonème. En revanche, be, pe sont
deux phonèmes très proches dont les bruits se ressemblent. Pourtant je dois être capable de les
catégoriser comme étant différents.
Ce n'est pas facile ; cela ne devient facile que lorsque je sais lire et écrire. Au départ, ce n'est
pas facile et il va falloir faire les catégorisations adaptées.
Bien entendu, au cours de l'apprentissage, il va falloir mettre en correspondance lettres et
phonèmes. C'est cette problématique de la maîtrise des correspondances appelées
graphophonologiques :
- d'une part, ce qui est du côté de ce que je perçois visuellement, les lettres, et
- d'autre part, ce qui est du côté de ce que j'entends, c'est-à-dire les phonèmes.
La maîtrise des correspondances graphophonologiques va s'avérer plus ou moins facile
suivant la langue dans laquelle on apprend à lire. Ainsi,
- si j'apprends à lire en italien, je ne vais pas rencontrer trop de problèmes. Pourquoi cela ?
C'est parce que lettre ou groupe de lettres ne se prononce que d'une façon et que chaque unité
de l'oral ne s'écrit que d'une façon ;
- si c'est en anglais, en revanche, ça va être un peu "galère" ! En effet, chaque phonème,
chaque unité minimale de prononciation s'écrit en moyenne d'une trentaine de façons
différentes. Quant au français, la situation est en quelque sorte intermédiaire : cette langue
compte en moyenne quatre écritures différentes pour un seul phonème.
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C'est donc une charge d'apprentissage qui va dépendre grandement des caractéristiques de
la langue (là, je réduis la case correspondante graphophonologique pour nous dégager un peu
de place à côté). Bien entendu, ce n'est pas pour le plaisir que l'on maîtrise les correspondances
graphophonologiques, mais c'est parce qu'elles sous-tendent la problématique de la
reconnaissance des mots écrits. Quand je perçois un mot écrit, je dois y reconnaître un mot oral
que
je
connaissais
préalablement.
Donc
j'établis
un
lien
entre
correspondance
graphophonologique et reconnaissance des mots. Cette reconnaissance va dépendre aussi de
mon vocabulaire oral (la flèche qui vient du lexique) : si je ne connais pas un mot en l'entendant,
je ne le reconnaîtrai pas à l'écrit. C'est, bien sûr, une évidence.
Je fais aussi un lien avec cette catégorie de "morphologie" que j'ai évoquée en citant
l'exemple de chat et de chaton. Il s'agit de mots apparentés sémantiquement. La maîtrise du
vocabulaire, c'est aussi cette maîtrise de la construction des mots, de la dérivation d'un mot à
partir d'un autre mot.
La reconnaissance des mots écrits doit se mettre au service de la compréhension : si je lis,
c'est pour comprendre. Personne, notamment aucun chercheur, n'a jamais prétendu que la
vérité de la lecture résidait ailleurs que dans la compréhension. Celle-ci suppose la
reconnaissance des mots : en effet, si je reste incapable d'identifier les mots isolés, je ne suis
pas capable de comprendre les textes écrits avec ces mots. On doit affirmer cela très fortement
parce que, une période, on a prétendu qu'il suffisait de comprendre globalement les textes pour
pouvoir deviner les mots écrits. Non ; cela ne marche pas ainsi et si je ne suis pas capable de
lire un mot isolé, je ne comprends pas les textes fabriqués avec ces mots. C'est tout à fait
définitif.
Cela dit, ma compréhension ne dépend pas que de la reconnaissance du mot écrit : il me faut
aussi maîtriser ma langue, bien entendu ; ma langue orale doit être en correspondance avec la
langue qu'on me fait manipuler à l'écrit. Il me faut aussi maîtriser la syntaxe ; il faut que je
comprenne que, lorsque je change l'ordre des mots constituant une phrase, je change la phrase.
La fille pousse le garçon et Le garçon pousse la fille sont deux phrases constituées des mêmes
mots, mais leur sens est différents. J'entends et je comprends ces phrases différentes parce que
je leur applique des traitements syntaxiques. Donc, la compréhension ne dépend pas que de la
reconnaissance des mots écrits ; elle dépend aussi de ma maîtrise linguistique et j'ai construit
celle-ci à l'oral.
Je vais terminer sur ce point-là en rajoutant sur cette mécanique, un petit peu comme un
placard et non pas sans lien particulier, la catégorie motivation. C'est une catégorie tout à fait
essentielle qui échappe un peu à ma mécanique. Mais il est clair que, lorsqu'il s'agit d'installer
des capacités à faire des choses complexes (or lire et écrire constituent des activités
complexes), cela va demander des efforts, des efforts cognitifs, toute la dimension affective qui
sous-tend cette motivation ; mais également son rapport aux apprentissages. Cette motivation
que l'enfant a à l'initial de l'apprentissage intervient.
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Généralement, l'enfant a envie d'apprendre. Dans la plupart des cas, cette motivation initiale
est forte ; mais, bien entendu, si mes efforts débouchent sur des désagréments, des échecs,
une image négative, je perds cette motivation. Sur mes échecs initiaux s'inscrivent des attitudes
de "refus des apprentissages" qui à terme risquent de "bloquer" le système, en quelque sorte.
Même lorsque l'origine du problème se situe ailleurs, la démotivation dans ce cas va constituer
le premier obstacle à lever pour pouvoir réenclencher le processus.
Voilà un petit peu ce que je souhaitais vous exposer pour cadrer le discours sur les troubles,
sans parler de ces troubles.
Mme Anne Chevrel, journaliste coordinatrice
l'apprentissage des enfants * pluridisciplinaire, avec l'exemple de Marseille.
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"Dyslexie et syndrome apparentés :
Où en est la recherche neuroscientifique ?"
L'exemple du réseau Dys à Marseille
Docteur Michel Habib, neurologue praticien, CHU de Marseille 2
Tout d'abord merci aux organisateurs pour cette invitation. Ma première casquette est celle
de professeur à l'université Paris-VI ; j'ai également dirigé la publication d'une revue de
neurologie ; ma deuxième casquette est celle de clinicien. Je vais donc vous parler d'aspects
plus pratiques qui résonneront aux oreilles des cliniciens ici présents, qu'il s'agisse
d'orthophonistes, de psychologues, de psychomotriciens ou de pédagogues. Je pense que tous
ces professionnels qui se voient confrontés quotidiennement à la difficulté d'apprendre seront
intéressés par le discours un plus pratique que la première partie plus théorique. Je m'excuse
par avance de l'aspect un peu plus technique de cette première partie. Ma troisième casquette
m'amènera à évoquer, si j'en ai le temps, les aspects organisationnels qu'on a mis en place
dans notre région à la suite des plans d'actions qui remontent à 2002 déjà - on a donc un certain
recul - et en particulier le choix que nous avons fait d'une structure de réseau régional dont je
vous dirai quelques mots.
Le cerveau du dyslexique
Nous allons parler du dyslexique, mais vous verrez que l'on peut extrapoler ensuite ces
notions à d'autres entités. Le cerveau du dyslexique souffre d'une dysfonction des aires
2. Auteur de : Échecs en lecture - l'éclairage des neurosciences.
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corticales du langage. Nous allons voir à quoi correspond le terme "dysfonction". Je ne vous
parle pas là de maladie, même si je suis médecin, mais bien de dysfonction.
* Premièrement, les aires du langage sont une partie du cerveau qui est spécialisée dans le
langage. On les connaît très bien (depuis plus d'un siècle). On sait que le langage s'élabore
dans l'hémisphère gauche du cerveau. Ainsi, la grande majorité des individus, environ 90 %
d'entre nous, ne font fonctionner pratiquement que leur hémisphère gauche quand ils parlent ou
écoutent parler.
* Deuxièmement, l'environnement joue un rôle majeur sur l'apparition des anomalies
constatées. Cela s'inscrit dans le droit-fil de ce que le professeur Jean-Émile Gombert vient de
vous exposer. On va voir qu'il existe une intrication très importante entre les facteurs
biologiques, d'une part, et environnementaux, d'autre part. A l'heure actuelle, aucun chercheur
ne peut prétendre s'occuper de l'un sans s'occuper de l'autre.
* Troisièmement, la dyslexie et les autres troubles de l'apprentissage entretiennent des
relations étroites mais complexes. Une des conséquences de ce dernier message, c'est la
nécessité de pratiquer une approche pluridisciplinaire. C'est à ce propos que j'évoquerai mon
exemple : celui d'un réseau de santé, qui, par définition, fait intervenir un certain nombre de
praticiens issus d'horizons différents ; ceux-ci vont travailler ensemble pour gérer au mieux la
prise en charge de ces enfants.
Je voudrais partir de ce petit schéma avec deux constats.
Le premier est maintenant bien admis : 5 à 7 % des enfants d'âge scolaire n'arrivent pas à
apprendre à lire. On les appelle dyslexiques. Quand on dit qu'ils n'arrivent pas à lire, c'est qu'ils
n'arrivent pas, malgré une intelligence normale, malgré un environnement pédagogique et
familial normal, malgré l'absence de tout facteur psychologique capable de les empêcher
d'apprendre à lire et à écrire, malgré tout cela, ils n'arrivent pas à assembler sons et lettres,
comme l'a dit le professeur Gombert. Ils n'arrivent pas à établir cette conversion graphophonémique. Il leur manque un outil (c'est probablement dans le cerveau qu'il leur manque) pour
réaliser cette action qui paraît si simple : mettre ensemble des lettres et des sons.
En revanche, un deuxième élément assez problématique apparaît ici : c'est que 30 % des
enfants (à 10 % près, ce sont les chiffres de l'Éducation nationale) arrivent au collège sans
savoir lire (on pourra se poser la question de savoir ce que cela signifie) ; ils ne maîtrisent pas la
lecture à leur arrivée en 6e.
Entre ces deux éléments, on trouve une sorte de pont qu'il est difficile de franchir. On se
demande si tous les enfants qui arrivent en 6e sans savoir lire seraient des dyslexiques (ce qui
est impossible à imaginer) ou si ce sont deux entités totalement différentes ?
Evidemment, cette question cela soulève un débat majeur car on mettrait en avant :
- pour les premiers surtout les facteurs neurobiologiques,
- pour les seconds surtout des facteurs d'environnement.
12
De même, le traitement du problème est différent :
- les premiers mériteraient une réponse médicale alors que
- les seconds ne mériteraient "qu'"une réponse pédagogique.
J'aimerais montrer que cette zone de chevauchement réunissant les deux catégories n'est
peut-être pas si étroite que l'on dit et certains chevauchements plus importants pourraient
éventuellement rendre caduque une présentation dichotomique des deux entités : une approche
très neurobiologique et une approche très environnementale.
En tant que neurologue, je vais vous parler essentiellement du cerveau du dyslexique. On
verra ensuite comment on peut l'extrapoler à autre chose. Le cerveau du dyslexique présente un
certain nombre de caractéristiques qui sont désormais bien connues des scientifiques : il
possède une organisation atypique, déficiente, de cette aire du langage. Tout laisse à penser
qu'il s'agit d'une prédisposition génétique qui se manifeste de la sorte. Les généticiens
s'occupent beaucoup de dyslexie actuellement, menant beaucoup de travaux dans ce domaine
de la génétique pure (qui m'échappe totalement).
Le cerveau du dyslexique ne distingue pas parfaitement les phonèmes contenus dans la
parole. Je vous montrerai un exemple de travaux scientifiques qui tendent à montrer cela. Les
individus dyslexiques (en tout cas certains d'entre eux) n'arrivent pas à établir cette distinction
entre les phonèmes proches comme le pe, be ou le te, de. Leur cerveau ne peut pas manipuler
volontairement le son de la parole, de la langue orale : c'est la phonologie dont on vient de
parler. En l'occurrence, la conscience phonologique, cette capacité à concevoir que la parole
qu'on entend, celle qu'on utilise depuis tout petit, est constituée de sons séparés les uns des
autres. On verra que les dyslexiques sont en grande difficulté face à ces tâches phonologiques,
et même une fois devenus adultes, après avoir pratiquement "guéri" de leur dyslexie et réappris
à lire. Cela dénote l'importance de cette problématique.
Le fondement de leur difficulté, de leur incapacité à apprendre, c'est ce problème qu'ils
rencontrent (et qui paraît insurmontable dans les premiers mois, voire dans les premières
années de leur apprentissage) lorsqu'il s'agit de mettre ensemble, d'associer, d'assembler les
sons (phonèmes) et les images visuelles (graphèmes), réalisant la conversion graphophonémique sans laquelle on ne peut pas aller plus loin dans l'apprentissage de la lecture.
En conséquence de cette difficulté rencontrée dans l'apprentissage des conversions graphophonémiques, le dyslexique ne va pas développer de procédure de reconnaissance globale des
mots, cette aptitude que présente en revanche le lecteur expert (dont je vais donner un
exemple) s'avère capable de reconnaître les mots de façon très brève. Ainsi, il lui suffit de les
"flasher" pendant quelques millisecondes. Le dyslexique, lui, n'arrive pas à faire cela ; même s'il
a réappris à lire, ce qui est heureusement le cas de la majorité d'entre eux, il reste néanmoins
en difficulté dans cette procédure de reconnaissance des mots.
M. Gombert vous présentait tout à l'heure ce schéma constitué de trois niveaux, qui illustre
la théorie classique actuelle la plus généralement admise comme étant à l'origine des difficultés
du dyslexique.
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Elle distingue :
- un niveau neurobiologique (en haut), celui d'une déficience des aires du langage ;
- un niveau cognitif intermédiaire avec, comme base de la difficulté, une incapacité qu'aurait le
petit enfant à se constituer des représentations solides des phonèmes ; et puis
- un niveau comportemental où se situe la conséquence, la difficulté à entrer dans la conversion
grapho-phonémique, à pratiquer les tâches de conscience phonologique et à entrer dans la
lecture elle-même.
Il existe par ailleurs une verticalité de l'environnement qui agit à chacun de ces trois niveaux.
Représentation dans le cerveau
Voyons comment cela se situe dans le cerveau : c'est dans l'hémisphère gauche, qui est
spécialisé dans le langage, que se situent les aires du langage.
* Une première anomalie a été mise en évidence qui se situe dans les aires auditives de
l'hémisphère gauche. Si les aires auditives sont présentes dans les deux hémisphères, celle de
l'hémisphère gauche est spécialisée dans la perception des unités du langage. On a pu prouver
que, chez des adultes dyslexiques (probablement aussi chez des enfants), ces aires auditives
n'étaient pas capables de recruter des groupes de neurones de façon synchrone à la
succession d'éléments acoustiques caractérisant les phonèmes.
Qu'est que cela veut dire ? Cela signifie que les phonèmes, les sons constituant la parole,
sont en fait une série d'éléments très brefs qui se succèdent. Par exemple les phonèmes ba et
pa, pratiquement identiques à une vibration près de la corde vocale (qui se manifeste ici par
cette petite zone qui précède ba mais qui n'est pas présente dans le pa), correspondent dans
l'activité des aires du langage, en particulier de l'aire auditive du langage, à une succession
d'évènements électriques que l'on peut enregistrer en faisant un électroencéphalogramme.
Cette succession est parfaitement synchrone des différents éléments acoustiques : le cerveau
gère le contenu sonore de la parole sous la forme d'une succession d'éléments électriques qu'il
produit. Or, chez les sujets dyslexiques, cette succession est totalement perturbée. On dirait que
son cerveau ne peut plus produire des évènements électriques synchrones des évènements
acoustiques qu'il entend.
* Le cerveau du dyslexique présente un deuxième élément de déficit : la phonologie ; on l'a
évoquée tout à l'heure. On passe là du niveau de la perception à celui de la conscience des
sons. Par exemple, une tâche toute simple de phonologie consisterait à dire si deux mots riment
ou ne riment pas ? Si je prononce "bateau" puis "chapeau", vous me répondez que ça rime,
c'est simple. Si je prononce "lapin" puis "moyen", c'est un peu plus difficile parce que cela ne
s'écrit pas pareil, mais cela rime aussi. Si je prononce "mille" puis "bille", cela ne rime pas,
pourtant cela s'écrit pareil. Vous voyez que c'est le genre d'exercice très difficile pour un
dyslexique.
14
Une autre tâche de ce genre consiste à montrer des lettres, par exemple g et h ou b et d,
puis à demander si cela rime. Est-ce que ces paires de lettres riment ? Les lettres b et d riment,
tandis que g et h ne riment pas. On le voit écrit mais on doit le transformer en un son, ce qui
constitue un exercice de conscience phonologique. On observe ce qui se passe dans le cerveau
d'enfants ou d'adultes qui accomplissent ces tâches-là. On les met dans une IRM, devant un
écran sur lequel on projette des paires de lettres. Ils doivent appuyer sur une touche si cela rime
et sur une autre touche si cela ne rime pas. Voilà ce qu'ils activent dans leur cerveau : ces trois
zones, qui sont un peu les mêmes que précédemment :
- celle de l'audition ;
- celle de la mémoire de travail auditive, qui se situerait dans le lobe pariétal. Les sons entendus
y seraient stockés pendant quelques secondes. On la considère comme une zone de la
mémoire immédiate des sons. Si vous entendez deux sons : b puis d, il vous faut les garder
tous deux en mémoire, juste pendant quelques secondes, pour pouvoir accomplir la tâche car si
le premier est déjà effacé lors de l'arrivée du second, vous ne pouvez jamais faire l'exercice ;
- une dernière zone, enfin, dite zone de l'aphasie est connue des neurologues sous le terme
d'"aire de Broca". C'est cette région qui sert à articuler le langage dans le cerveau. Ainsi, les
sujets adultes qui ont subi une destruction de cette zone-là ne peuvent plus parler et deviennent
aphasiques. Lorsqu'on lit et que l'on accomplit des tâches phonologiques de ce type-là, on
active fortement cette aire de Broca. Lors de tâches phonologiques, les aires du langage du
sujet dyslexique ne s'activent pas aussi bien.
15
Voici ce que cela donne : les lettres riment-elles ? Oui, non ? Voici ce qui se passe chez un
enfant dyslexique à qui on pose la même question : il s'opère une activation beaucoup moins
importante, un petit peu dans l'aire de Broca mais un peu déplacée et toutes les autres zones ne
se mettent pas en route. C'est une absence d'activation des régions normalement impliquées.
Ces auteurs ont fait passer le même test aux mêmes enfants, mais après cinq semaines d'un
entraînement quotidien à ce type de test. Voilà ce qu'on nous apprend : après un entraînement
de cinq semaines, les zones réapparaissent - en partie du moins - mais surtout, ce qui était
absolument inattendu, on voit réapparaître dans d'autres parties du cerveau des zones d'activité
qui n'étaient pas présentes auparavant et qui ne sont pas non plus présentes chez un sujet non
dyslexique. Ce qui veut dire que les cinq semaines d'entraînement quotidien ont reconstitué
l'activation normale dans leur hémisphère gauche mais également ont recruté d'autres zones qui
n'étaient pas a priori impliquées dans la tâche normale.
S'agirait-il d'un mécanisme de compensation ? Probablement. Est-ce une sorte de
réorganisation ? On ne sait pas. En tout cas, il est assez intéressant de noter qu'on peut
maintenant visualiser sur le cerveau humain l'effet d'une thérapeutique, d'un entraînement,
d'une rééducation.
16
La première conclusion, c'est que :
Les aires du langage sont insuffisamment activées chez le dyslexique lors d'exercices
phonologiques. Un entraînement intensif de quelques semaines, focalisé sur le système
déficient, non seulement réactive les zones affaiblies, mais sollicite des zones "muettes" des
deux hémisphères.
Donc l'entraînement, une intervention extérieure (cela, c'est très important à noter), a modifié
l'organisation cérébrale dans le sens d'une probable meilleure connectivité entre des zones
habituellement inutilisées.
Tel est donc le message : en intervenant de façon efficace, ponctuelle et focalisée sur un
processus qu'on sait être déficitaire, on fait évoluer quelque chose dans le cerveau et il y a des
raisons de penser que les modifications sont durables.
Maintenant, j'aimerais que vous regardiez cet écran ; je vais vous y présenter des mots,
assez brièvement. Vous allez constater que vous allez pouvoir très vite les reconnaître. Tout le
monde a lu ce mot ? Maintenant voici un autre mot. Vous avez donc reconnu, pour la plupart
d'entre vous, deux mots : l'un était bol, l'autre confortablement. Je vous les ai présentés pendant
environ 300 ms, mais vous auriez pu les reconnaître en 100 ms. Le point important, c'est que
vous avez pu reconnaître ces deux mots aussi vite l'un que l'autre. Or, si un processus était
intervenu qui permette de les reconnaître en lisant de gauche à droite, il aurait fallu beaucoup
plus de temps pour lire le mot de 15 lettres que celui de 3 lettres. Cela prouve bien l'intervention
d'un processus spécifique qui vous permet de reconnaître aussi vite l'un et l'autre de ces deux
mots. Pour comprendre la nature de ce processus, je vous montre un troisième mot :
tambenefoneclor. Ce mot n'existe pas. Cependant, il est constitué des 15 mêmes lettres que le
précédent, placées dans un autre ordre. N'étant pas un mot existant, vous ne l'avez jamais vu et
donc vous ne vous en êtes pas fait une trace en mémoire, ce qui vous empêche de le
reconnaître de la même façon que les mots qui existent.
Cela nous explique vraiment la nature de ce processus qui est photographique, immédiat,
flash ; comme on reconnaît un visage en fait. On l'a déjà vu ; alors tout de suite, en le revoyant,
on va pouvoir l'évoquer immédiatement sans avoir besoin de l'analyser. Or, les enfants
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dyslexiques n'ont pas ce processus-là, ou alors il ne fonctionne pas bien chez eux, en tout cas
pas pour tous les mots ; seulement pour les plus fréquents.
Observez les enfants dyslexiques de près, vous allez voir qu'ils utilisent en fait la procédure
que vous, vous avez utilisée pour lire le dernier mot, celui qui est illisible. C'est-à-dire qu'ils vont
partir de la gauche pour aller petit à petit vers la droite et ils n'ont pas le temps de lire la fin sauf
à ralentir le débit de lecture, ce qui va s'avérer préjudiciable à l'efficacité de la lecture.
Certains, qui ne veulent pas se ralentir, vont inventer la fin du mot. Vous en voyez, vous en
connaissez, qui procèdent systématiquement ainsi. Ou même, pour aller plus vite, ils sautent ou
changent les petits mots sur lesquels ils n'arrivent pas à se focaliser : le de va devenir et, ou le a
va devenir en, sans que l'on sache pourquoi. C'est parce que cela paraît plus facile. Voilà les
deux caractéristiques de ces enfants dyslexiques lorsqu'ils sont face à des mots à lire.
Voilà le schéma classique, pour expliquer les deux systèmes. Vous le trouverez dans tous
les traités :
- le premier système, dit orthographique, est celui de la lecture par adressage que je viens de
vous montrer ; il permet de reconnaître les mots très rapidement ;
- le second, beaucoup plus lent, est celui de lecture par assemblage.
Or, les enfants dyslexiques doivent d'abord maîtriser la lecture par assemblage pour pouvoir
se constituer un système de lecture par adressage. Comme, par définition, le système de lecture
par assemblage leur fait défaut, puisqu'ils n'arrivent pas à associer sons et lettres, ils ne mettent
jamais en place un système par adressage très efficient. Telle est la théorie actuellement
admise pour expliquer les difficultés en lecture du dyslexique.
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On a localisé ce système de reconnaissance des mots dans le cerveau : il ne se situe pas du
tout localisé au même endroit que la phonologie (qui est quand même l'élément le plus
caractéristique chez le dyslexique). Avec de la pratique, on reconnaît une petite zone située
sous l'oreille gauche, dans la région temporale inférieure du cerveau, là où ce dernier repose sur
la base du crâne. On appelle cette zone l'"aire de la forme visuelle des mots". On sait que cette
aire s'active face à des suites de lettres qui présentent des caractéristiques particulières. Ainsi,
- si vous alignez des consonnes les unes à la suite des autres, produisant comme le mot illisible
que je vous ai montré, cela n'active pas la zone ;
- si le mot est lisible et familier, et même s'il existe une familiarité dans la suite de ces lettres
(des consonnes alternant avec des voyelles, par exemple) cela active cette zone. Elle peut donc
être considérée comme la partie du cerveau qui reconnaît les mots dans leur globalité.
Or, on peut pratiquer, comme nos collègues de Toulouse, une analyse en IRM de sujets
dyslexiques et la comparer à celle de sujets non dyslexiques : on soustrait l'activité cérébrale
des dyslexiques et celle des non-dyslexiques en introduisant, par exemple, la représentation de
30 cerveaux de dyslexiques dans l'ordinateur et celle de 30 cerveaux de non-dyslexiques ; puis
on demande à l'ordinateur d'extraire la différence entre les deux groupes. Voilà ce qui sort : juste
cette petite zone-là. C'est la partie la plus différente du cerveau entre les dyslexiques et les non
dyslexiques.
Je souhaitais vous présenter un dernier travail montrant des images un peu techniques. Il me
semble intéressant parce qu'il soulève la question du rôle de l'environnement. J'indique, pour
la petite histoire, que ses auteurs sont regroupés en une équipe mixte de pédagogues et de
neuroscientifiques ; aux États-Unis les pédagogues utilisent les neurosciences de façon
beaucoup plus importante que nous le faisons en France. L'équipe a proposé à des sujets
adultes qui avaient été dyslexiques et dont on connaissait toute la trajectoire disons
"académique" depuis l'enfance, une tâche toute simple : dire si deux mots qu'ils lisaient, rimaient
ou pas, des non-mots, "leat" [li:t] qui en anglais n'existe pas et "jete" [dji:t] qui n'existe pas non
plus. Il s'agit d'homophones, c'est-à-dire deux mots qui s'écrivent différemment mais se
prononcent de façon identique.
Pendant qu'ils faisaient cette petite tâche, on observait ce qui s'activait dans leur cerveau. On
distingue les sujets d'expérience en trois populations pour les comparer :
- une population d'adultes non dyslexiques (la population témoin ici à gauche),
- une intermédiaire de dyslexiques qui ont bien récupéré de leur dyslexie (une fois adultes, ils
lisent de façon convenable) et
- une "PPR", des adultes qui n'ont pas récupéré de leur dyslexie (qui restent encore très gênés,
très en difficulté face à la lecture tout en étant devenus adultes).
Les auteurs se sont posés la question de savoir ce qui différenciait ceux qui, au bout du
compte, avaient bien récupéré de ceux qui n'avaient pas récupéré. Sans entrer dans les détails,
on constate que :
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- premièrement, les sujets ayant récupéré activent globalement plus de zones dans leur cerveau
que ceux qui n'ont pas récupéré. Cela renvoie à la notion de compensation dont je parlais tout à
l'heure ;
- deuxièmement, tant ceux qui ont récupéré que les autres présentent une non-activité dans la
zone visuelle de reconnaissance des mots. Cela veut dire finalement qu'indépendamment
d'avoir récupéré ou pas, cela laisse comme séquelle cette non-mise en activité de la zone
visuelle des mots. Cela va dans le sens que je vous disais : à partir du moment où on a connu
cette difficulté au départ à assembler lettres et sons, on ne développe jamais une véritable
capacité - et cela se manifeste dans le cerveau - de reconnaître globalement les mots ou, en
tout cas, d'activer la zone qui sert à cela ;
- troisièmement, cette étude fait ressortir un autre élément encore plus intéressant : les auteurs
ont regardé a posteriori certaines caractéristiques de leurs deux groupes de dyslexiques et
montré que ceux qui n'avaient pas récupéré étaient issus de milieux socio-économiques moins
aisés que ceux du groupe qui avaient récupéré. D'où l'idée d'une implication probablement très
forte des facteurs d'environnement dans l'apparition de la différence, observable dans le
cerveau, d'activation en question.
Ainsi,
- les dyslexiques compensés activent des zones non en jeu chez les normolecteurs ;
- les dyslexiques persistants comme les compensés n'activent pas l'aire de la forme visuelle des
mots ;
- les dyslexiques persistants proviennent plus souvent de milieux défavorisés.
On en tire la troisième partie de la deuxième conclusion :
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L'absence de mise en jeu de l'aire de la forme visuelle des mots est la conséquence
commune à terme, quel que soit le degré de récupération du trouble et quelle que soit la
raison du défaut d'apprentissage de la lecture.
On pourrait penser que le troisième groupe, celui des personnes sévèrement dyslexiques,
supposait une plus forte participation de facteurs d'environnement dans la genèse du trouble
que le deuxième groupe.
Dans cette dernière partie, je voudrais vous présenter ce qu'on appelle la constellation
dyslexie, pour vous montrer qu'en fait la dyslexie n'est pas un trouble isolé. Certes, elle existe
(représentée au milieu) : elle est fréquente et on la connaît beaucoup mieux scientifiquement ;
on la prend souvent comme modèle de compréhension de toutes les autres entités.
Certains troubles peuvent accompagner la dyslexie :
- la dysorthographie lui est toujours associée ;
- elle est liée étroitement au langage oral ; en particulier, les enfants qu'on appelle dysphasiques
vont très souvent devenir dyslexiques. Chez les enfants dyslexiques, on retrouve très souvent
des problèmes de langage oral ;
- les sujets sont fréquemment en difficulté dans tout ce qui a trait au temps (la dyschronie), en
particulier cette difficulté à avoir conscience du temps qui passe, à pouvoir évaluer la durée des
évènements, ce sont des processus qui s'avèrent assez difficiles pour eux en général ;
- la dyscalculie, on en parle peu parce qu'on la connaît moins ; mais c'est très fréquent. Ces
liens entre dyslexie et dyscalculie restent très mal connus ;
- la dysgraphie et la dyspraxie qui sont assez surprenantes à voir associées dans ce groupe-là.
Tandis que la dyslexie reste un problème finalement très linguistique, la dyspraxie et la
dysgraphie constituent des problèmes moteurs. Pourtant elles sont associées entre elles très
21
fréquemment. A peu près 30 à 35 % des dyslexiques sont aussi dysgraphiques, un peu moins
souvent dyspraxiques ; mais on est dans le domaine de la motricité.
Ce qui intéresse les chercheurs, c'est de se poser la question suivante : Comment se fait-il
que deux troubles en apparence si différents tels que ne pas pouvoir apprendre à lire et
présenter des troubles moteurs, soient associés aussi fréquemment ? Cela fournit des pistes
aux chercheurs pour essayer de trouver une cause commune qui servirait à expliquer les deux
troubles.
Sans entrer dans les détails, je cite l'hypothèse cérébelleuse. Elle fait du cervelet, cette petite
structure nerveuse, située en dérivation sur le névraxe, à la partie postérieure du cerveau, un
organe clef pour expliquer une partie de l'ensemble de ces troubles, la partie commune en tout
cas, celle qui traite des aspects temporels, moteurs et d'automatisation.
En effet, vous savez que les dyslexiques rencontrent des difficultés à automatiser : c'est une
caractéristique que présentent tous ces enfants-là. Rendre automatique, transformer
l'acquisition en une procédure, grâce à ce qu'on appelle la mémoire procédurale. Comme
apprendre à conduire : au début, c'est très difficile : il faut penser à tout ; par la suite, cela
devient automatique. Il semble que tous les sujets dont il est question ici, tous les enfants qui
présentent cette difficulté dys, éprouvent des difficultés à passer dans ce mode automatique.
Cela, tous les thérapeutes le savent et en particulier les orthophonistes, qui ont à traiter ces
enfants : on leur apprend quelque chose et on a l'impression que c'est acquis et puis la fois
suivante, on constate que cela ne l'est pas et qu'il faut recommencer l'apprentissage, etc. Il faut
beaucoup plus de temps à ces enfants pour automatiser les apprentissages. C'est un élément
commun à beaucoup de ces troubles.
Nous avons procédé à un petit inventaire des diagnostics de 209 patients de notre centre de
référence. Ce qui apparaît, c'est que la dyslexie constitue le motif de consultation de loin le plus
fréquent (en pourcentage) pour troubles de l'apprentissage dans un centre ; elle passe devant
les autres qui arrivent à peu près à égalité :
- dyscalculie ;
- dyschronie (qui n'est pas un motif de consultation mais un trouble associée ) ;
- dysphasie et troubles du langage oral sont fréquents également ;
- dyspraxie et dysgraphie ;
- également le Trouble déficit de l'attention avec hyperactivité (TDAH) dont va vous parler Olivier
Revol ; et
- assez étonnamment, la précocité intellectuelle.
On la retrouve chez 21 enfants dans une consultation de troubles de l'apprentissage. C'est
un domaine qui est très mal connu. On constate aussi une association, dont la fréquence
dépasse celle du simple hasard, entre troubles de l'apprentissage et précocité intellectuelle.
Beaucoup d'enfants, considérés comme des enfants en difficulté, méritent qu'on mesure leur
quotient intellectuel. Dans ce cas-là, on peut parfois avoir des surprises. Vous voyez : 21 sur les
22
200 là, ce qui dépasse largement l'incidence de la précocité dont le taux reste de l'ordre de 2 %.
Dans ce groupe d'enfants, il atteint 10 %.
Il existe certainement des raisons pour que les deux caractéristiques soient associés. Ces
raisons sont probablement multiples ; mais il faut savoir que la pratique du quotient intellectuel
- je pense qu'Olivier Revol va en parler abondamment - est actuellement indispensable pour
tous ces enfants. On ne peut pas se passer du quotient intellectuel pour faire le diagnostic de
ces troubles. C'est absolument impossible ; ou alors on passe à côté du diagnostic une fois sur
deux.
C'est ce qu'on appelle les comorbidités : ici sur 177 enfants dyslexiques, on en trouvait
- 63 (donc 35 %) qui présentaient aussi des troubles du langage oral,
- 42 (donc 23 %) qui présentaient une dyscalculie,
- 26 qui étaient dysgraphiques,
- etc.
Il en ressort donc cette notion d'une association entre les différents syndromes plus fréquente
que ne le voudrait le hasard. C'est un des messages clefs que donne cette étude :
- le premier, c'est qu'intellectuellement, c'est intéressant de remarquer cela parce que cela pose
des questions sur les mécanismes, sur la façon dont tout cela s'articule ;
- le deuxième c'est qu'en pratique, l'intérêt majeur consiste à montrer la nécessité d'une prise en
charge de ces enfants par une équipe pluridisciplinaire. En effet, finalement, plus on avance
dans la connaissance et dans la compréhension de leurs difficultés, plus on dissèque des
domaines de déficit très différents les uns des autres et pourtant associés chez un même
individu. Au bout du compte, c'est plus fréquent d'avoir un dyslexique qui présente aussi
23
d'autres syndromes associés qu'un dyslexique qui n'aurait que de la difficulté à apprendre à lire.
Dans l'absolu, je crois même que la dyslexie pure n'existe pas.
Le réseau
Dans la région PACA, à Marseille et dans ses environs, nous sommes partis de cette triple
constatation :
- la dyslexie constitue une atteinte multimodulaire, qui nécessite donc l'intervention de plusieurs
professionnels, donc d'une équipe ;
- l'analyse du déficit se fait de plus en plus précise. Au fur et à mesure qu'on progresse dans la
connaissance du trouble, on développe des outils de plus en plus fins et qui deviennent de plus
en plus spécialisés. Chaque profession va devoir maîtriser des outils de plus en plus
complexes ; d'où l'élément central que constitue l'étape de l'évaluation. Il devient de plus en plus
inconcevable d'entrer dans la thérapeutique sans avoir préalablement procédé à une bonne
évaluation. Il faut donc passer par une étape préalable d'évaluation très précise de chacune des
fonctions potentiellement dysfonctionnelles.
C'est ce qui nous a amenés à faire le choix de mettre en place un système qu'on appelle des
"unités de bilan" ; celles-ci sont réparties dans la région PACA, en relation avec le centre de
référence de Marseille, localisé dans le service de neuropédiatrie du CHU ;
- l'autre élément était la notion d'un continuum de sévérité qui, évidemment, nous oblige à
penser qu'il faut graduer la mise en jeu des moyens.
Ainsi, on peut représenter, sous la forme d'un entonnoir
* une forme habituelle, qui regrouperait 80 % des troubles, en particulier les dyslexiques, pour
lesquels la prise en charge orthophonique en cabinet suffit ; c'est la grande majorité des enfants,
heureusement. Ce sont des formes relativement bénignes qui, après un an ou deux de
rééducation, vont rentrer dans l'ordre et permettre une continuation de leur progression
académique ;
* une forme très sévère, correspondant à moins de 1 % des cas. En général, ces enfants
présentent justement l'association de tous ces troubles, qui s'ajoutent les uns aux autres et
caractérisent la sévérité.
Très souvent, ce sont des enfants qui ont présenté une dyslexie au départ dont on ne pouvait
pas tout à fait présumer de la gravité, mais qui résiste de façon importante à une thérapeutique
pourtant bien conduite. Ainsi, au bout d'un an, à la fin du CP, au milieu du CE 1, voire même
plus tard, on ne constate toujours pas d'entrée dans la lecture. On peut qualifier ces formes-là
de vraiment plus sévères ; on rencontre des formes encore plus sévères). Ces enfants doivent
faire l'objet de bilans en CHU et on va éventuellement leur faire intégrer des établissements
spécialisés.
24
Dans le sud de la France, par exemple, il existe une maison d'enfants à caractère sanitaire,
"Les Lavandes". C'est un des rares établissements en France à offrir à la fois la rééducation et
l'école regroupées dans un même établissement ; c'est un internat. Il en existe également un
dans la région de Strasbourg. Peut-être en avez-vous ici en Bretagne ? ;
* des formes intermédiaires pour lesquelles on a proposé une solution, une réponse de type
réseau ; on a développé des équipes multidisciplinaires, à plusieurs localisations dans la région
du Sud-Est. Chacune d'elles est constituée sur un même modèle et réunit le même type de
professionnels : à savoir des orthophonistes, des psychomotriciens ou des ergothérapeutes, un
neuropsychologue (sans neuropsychologue on peut difficilement fonctionner dans ce domainelà. On sait à quel point ils constituent une ressource assez rare parce que cette profession reste
mal connue) ; et puis, quand c'est possible, des médecins scolaires et des équipes éducatives
participent à ces groupes.
On voit les 6 pôles qui travaillent sous cette forme-là, avec 6 équipes pluridisciplinaires. A
Marseille, une coordination centrale associée au fonctionnement du centre de référence. En plus
de cette mission de coordination, le réseau exerce
. une mission de formation par convention avec le rectorat et
. une mission de recherche par convention avec une équipe du CNRS.
Nous avons mis au point un diplôme d'université dont l'enseignement a commencé en 2002,
au moment de la création du réseau. Ce diplôme nous a servi à former les adhérents au réseau.
Nous avons compté :
. 80 personnes formées chacune des 2 premières années,
. 60 la troisième et
. 40 la quatrième.
25
Cela nous a permis de faire passer un message, un message également théorique, parce
qu'il fallait transmettre de nombreuses nouveautés scientifiques.
Nous avons obtenu un financement sous la forme de la Dotation régionale de développement
des réseaux (DRDR) pour créer ces unités de bilans avec : un certain nombre d'objectifs à
atteindre, la prise en charge d'actes de psychomotricité et de psychologues et la rémunération
du temps passé en réunion de synthèse. Le système de fonctionnement s'appuie sur le dossier
du patient et est systématiquement le même pour chaque enfant.
Je dirai pour conclure, que la nécessité de raccrocher ces activités à la recherche me paraît
importante dans ce domaine-là. En effet, les connaissances évoluent très vite dans ce domaine.
D'une année sur l'autre, de nouveaux concepts apparaissent, de nouvelles conceptions se font
jour, ne serait-ce que sous la forme de ces intrications entre l'environnement et le biologique. On
rencontre de plus en plus ces aspects dans la littérature scientifique.
En ce qui nous concerne, nous nous sommes justement un peu concentrés sur ce schéma
en essayant de préciser les frontières séparant les différents "dys". Par exemple, nous menons
une recherche sur les difficultés de calcul chez les dyslexiques, sans parler de véritable
dyscalculie. Nous faisons passer systématiquement aux enfants dyslexiques de petits tests
spécifiques de calcul ; c'est ainsi que nous avons été surpris de constater que, beaucoup plus
souvent qu'on s'y attendait, les dyslexiques rencontraient des difficultés (même lorsqu'ils étaient
bons en maths) à concevoir certains raisonnements arithmétiques, en particulier tout ceux qui
concernent la représentation abstraite des quantités.
De la même manière, on mène un travail de recherche actuellement sur l'incidence de la
dysgraphie chez les dyslexiques. Vous savez certainement par pratique qu'un enfant dyslexique
qui écrit bien (c'est un cas de figure qui existe heureusement), va s'en sortir toujours mieux
qu'un enfant dyslexique qui écrit comme un chat. En effet, l'enfant dyslexique qui écrit mal va
donner une image de lui-même très négative à l'enseignant, pendant sa scolarité ; cette image
lui revient souvent comme une vague en pleine figure. Ce sont des enfants qui souffrent
beaucoup, en général. Le dyslexique dysgraphique est en plus grande souffrance psychologique
que celui qui n'est pas dysgraphique. C'est donc une raison de plus pour s'intéresser à
l'association de ces deux troubles.
On rencontre également l'association de la dyslexie, ou du trouble de l'apprentissage en
général à la précocité intellectuelle. Elle constitue un cas très intéressant ; on a en effet
l'impression que de nombreux diagnostics ne sont pas posés, actuellement. Or, ils s'avèrent
pourtant importants à faire parce d'assez nombreux enfants, dont on n'apprécie pas vraiment la
véritable intelligence, sont considérés comme des enfants "juste dans la moyenne" alors que
leurs compétences sont largement au-dessus de la moyenne. Cependant, étant donné qu'ils
présentent aussi un déficit dans un autre domaine, ils ne manifestent pas du tout leur véritable
intelligence. D'ailleurs eux-mêmes ne se croient pas intelligents. Il faut vraiment arriver avec les
chiffres en main en disant "Regarde ! Tu as 135 de QI !". Ils sont persuadés d'être nuls. C'est
une population en perte d'estime de soi, ce qui est aussi paradoxal que néfaste.
26
Je vous remercie de votre attention.
Mme Anne Chevrel
Merci beaucoup pour cet exposé très clair et pour l'exemple que vous nous avez donné de
Marseille. Il nous servira dans la deuxième partie de l'exposé. Olivier Revol, vous allez nous
parler des troubles des apprentissages et surtout de leurs manifestations comportementales
chez l'enfant à l'école et dans la vie quotidienne.
27
Petits arrangements avec les apprentissages
Manifestations comportementales chez l'enfant
à l'école et dans la vie quotidienne
Docteur Olivier Revol, neuropsychiatre, pédopsychiatre, chef du Centre des troubles des
apprentissages, hôpital neurologique de Lyon, spécialisé dans l'hyperactivité et la
précocité 3
Je ne traiterai pas tout à fait ce sujet-là. J'essaierai d'élargir un peu le débat à la place des
troubles dys (qui ont été largement abordés et avec brio) dans les troubles d'apprentissage
globalement ; Comment les abordons-nous dans notre service ?
Je porte également deux casquettes : je dirige un centre de référence pour troubles
d'apprentissage, je suis psychiatre. L'hôpital neurologique de Lyon comprend donc un service
de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent. Nous y avons 12 lits qui sont dédiés aux troubles de
l'apprentissage. Ma deuxième casquette est celle d'un trouble d'attention ; et je suis
dyspraxique. Il a bien fallu que je compose avec cette affaire.
Bien entendu, j'adhère tout à fait à ce qui a été dit. La conclusion du docteur Michel Habib me
semble très importante :
- d'une part, l'intérêt de la recherche et
- d'autre part, l'intérêt de la recherche scientifique pour avancer dans ce domaine que l'on
appelle les "comorbidités", la coexistence chez certains enfants, de différentes causes d'échec
scolaire.
3. Auteur de : Petits arrangements avec les apprentissages et de L'Échec scolaire : même pas grave, cela se soigne.
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Pourquoi vous ai-je représenté Victor Hugo ? C'est parce que, pour prolonger le propos de
Michel, j'indique qu'il faut faire très attention à ce qu'on dit et, bien entendu, appuyer sur l'aspect
de la recherche. Cela fait 20 ans que Michel et moi travaillons, que je l'entends parler, qu'il
m'entend parler : on affirme de nos jours des choses dont on disait l'inverse il y a 10 ans. La
médecine avance avec ses contradictions.
A ceux de ma génération, vous vous en souvenez, on disait qu'il fallait absolument coucher le
bébé sur le ventre ; or, dix ans plus tard, on nous met en garde : "Surtout pas !"
On nous disait également, vous vous en souvenez, et aussi toi Michel qui habitais au bord de
la mer : quand on était petit, qu'on gardait l'oeil rivé sur la montre et qu'on attendait trois heures
entre la fin de la banane et le moment de mettre le pied dans l'eau sinon notre coeur allait
s'arrêter ; et maintenant, on sait que c'est une ânerie !
On est allé au ski récemment. Tous, nous avons appris étant petits, qu'il fallait 1, fléchir, 2,
planter le bâton. Maintenant si vous faites cela, vous êtes "archiringard". D'abord vous ne
pouvez plus, parce que les spatules sont plus larges. Il vaut mieux skier skis un petit peu
écartés, maintenant, certainement pas "skis serrés" et surtout pas planter le bâton.
Je pense donc que, certes, il faut avoir des convictions - et vous avez constaté que tous les
trois nous en avions. Cependant, il ne faut pas avoir de certitudes. La différence entre
convictions et certitudes, c'est l'humilité. C'est ce que Victor Hugo rappelle en disant que la
science se rature elle-même. C'est justement en poursuivant les travaux de recherche comme le
présentait Michel, qu'on peut se permettre aussi d'éviter toute certitude et de finalement
respecter un peu l'enfant et son avenir.
Ce que nous disait Michel sur la dyslexie et l'hypothèse actuelle consistant à postuler
l'existence,
- d'une part, d'un terrain, d'une vulnérabilité génétique certainement, et
- d'autre part, d'un environnement,
je peux vous dire que, nous psychiatres, à l'hôpital neurologique, nous savons bien que cela
s'applique à tout.
L'enfant anxieux, l'enfant déprimé, l'enfant instable, malheureusement l'enfant schizophrène,
c'est la rencontre d'un terrain (on est sûr qu'il existe un terrain), une vulnérabilité génétique et
d'un environnement. Et, si l'on n'aborde pas, dans la prise en charge, bien sûr le terrain avec
une observation, une compréhension éventuellement une prise en charge médicamenteuse
mais aussi l'environnement, on passe à côté de l'évolution de l'enfant.
En ce qui me concerne, je vais vous présenter la place des troubles de l'apprentissage
dans la globalité de l'enfant.
A l'hôpital neurologique, dans notre centre de référence, nous recevons des enfants qui
entrent le lundi et restent jusqu'au vendredi. Pendant une semaine, nous déroulons un arbre
décisionnel, face aux formes sévères, bien sûr ; d'où l'importance des réseaux dont parlait
Michel. Tous les enfants ne méritent pas d'aller dans un centre de référence. Les spécialistes de
ville : les orthophonistes, les psychomotriciens sont tout à fait compétents pour le faire.
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C'est à eux qu'il appartient de filtrer les cas (c'est cela le rôle du réseau), avec :
- d'un côté, ceux qui méritent d'aller dans un centre de référence pour qu'on ne soit plus
"embolisé" et qu'on puisse recevoir des enfants qui en ont vraiment besoin et dans un délai
raisonnable, et
- de l'autre, ceux qui peuvent très bien être pris en charge, comme ils le sont actuellement, par
des spécialistes (du langage que sont les orthophonistes ou du geste que sont les
psychomotriciens).
Ce qui est intéressant dans notre service, c'est que nous sommes des psychiatres et que
nous avons pris un tournant en 1995. Moi j'ai fait un DEA de neuropsychologie, c'est à ce
moment-là que j'ai rencontré toute l'équipe des neuropsychologues de langue française dont le
docteur Michel Habib et je suis parti 6 mois à Montréal.
Et là, je peux vous dire j'ai halluciné. En effet, j'y ai entendu prononcer des mots que je
n'avais jamais entendus pendant toutes mes études françaises. En 8 ans de médecine, 4 ans de
psychiatrie et 2 ans de pédiatrie de l'enfant, je n'avais jamais entendu les mots de dyslexie, de
dysorthographie, déficit de l'attention, précocité.
La relecture de toute la pédopsychiatrie des troubles de l'apprentissage à la lumière de la
neuropsychologie m'a permis de comprendre l'existence d'un très large spectre. Face à un
enfant qui entre dans mon service ou face à un enfant que je reçois en consultation, qu'il ait 3
ans et ne parle pas, qu'il ait 8 ans et ne sache pas lire, qu'il ait 15 ans et ne "foute" rien, je n'ai
pas d'a priori théorique et je m'interdis d'en avoir tel que : C'est un fainéant ; c'est ses parents
qui ne veulent pas le laisser grandir ; c'est tout autre chose, tant que je n'applique pas une
démarche médicale qui soit la plus rigoureuse possible.
Je termine sur une remarque : je ne crois pas à la fainéantise. Cela n'existe pas. J'ai encore
reçu au début de la semaine des parents. Ils arrivaient en urgence, des amis d'amis, à 21 h le
soir. Le père laisse son gamin de 17 ans et me confie ne pas savoir pourquoi il me l'amène. Je
lui demande pour quelle raison il me l'amène, de quoi il pense que son fils souffre. Il me répond
que c'est d'une "infinie paresse". Je lui ai dit que je ne le croyais pas et lui expliqué pourquoi.
Surtout pas à l'adolescence et surtout pas quand ils viennent et qu'ils sont en échec scolaire
parce qu'ils sont scotchés sur MSN toute la journée (vous les connaissez aussi bien que moi).
Je crois toujours, écoutez bien cela car c'est fondamental (cela fait plus de 20 ans que je les
suis ces gamins et je me rends compte de ce qui se passe à l'adolescence) : je crois qu'un
adolescent qui souffre d'un trouble au départ, un trouble dys quel qu'il soit (dyspraxie,
dyscalculie, dysphasie, déficit d'attention ou précocité, on va en dire quelques mots) et qui est
en échec à cause de cela, à une époque où au collège il faut être comme les autres (vous êtes
bien d'accord avec moi, il faut faire style comme ils disent), il lui est insupportable d'imaginer
d'être en échec à cause d'un handicap.
A leur insu, inconsciemment, ces enfants dys ont trouvé comme stratégie d'arrêter de
travailler ce qui leur permet d'attribuer leur échec non pas au handicap, mais au manque de
travail. Donc la paresse, cela n'existe pas ; il faut aller gratter derrière ; on y trouve toujours une
30
cause. Parce que, comme Jean-Émile le disait, tous les adolescents et tous les enfants
aimeraient bien réussir.
Quand je demande, en fin de consultation, au "pire des branleurs" comme disent les parents
qu'ils m'ont amené, ce qu'il voudrait s'il possédait une baguette magique et pouvait changer
quelque chose dans sa vie, à ce moment là il me répond que ce serait d'avoir de bonnes notes.
Tous ont envie de réussir et c'est cela le problème. Tant qu'on n'a pas compris vraiment cette
origine du problème, on rate réellement son approche médicale.
Pourquoi un transparent sur l'"intelligence troublée autour de l'intelligence" ? A propos de la
réussite scolaire. On sait que, pour réussir, comme Jean-Émile l'a dit tout à l'heure, il faut aligner
des compétences. Si la plupart des enfants les possèdent, un certain nombre d'entre eux,
disons 25 %, ne les ont pas ; ce sont les enfants dys. On va les aider à contourner, à les
acquérir, à les rattraper par la rééducation. Cependant, ce n'est pas suffisant : on a vu qu'il fallait
s'appuyer sur une motivation.
Quand on part de cette histoire-là, de ce principe-là, on peut relire totalement la démarche
diagnostique :
- face à cet enfant en échec en primaire, au collège ou au lycée, je ne sais pas s'il a un
problème instrumental, s'il souffre d'un manque de moyens, il n'a pas toutes les compétences, il
est "dys" quelque chose, c'est ce que j'appelle un trouble de l'intelligence ; ou
- au contraire, il a tous ses moyens, mais encore faut-il qu'on les ait expertisés.
Michel évoquait la mesure du QI. Celle-ci s'avère fondamentale. On ne peut pas avancer
sans avoir mesuré le QI, au-delà du bilan orthophonique qui est très important pour les troubles
du langage. Un QI dont la valeur du chiffre global ne nous intéresse absolument pas, car celle-ci
ne sert à rien. Ce qui va nous intéresser - je vous montrerai des exemples - c'est la façon dont le
QI s'est construit, quels sont ses points forts et ses points faibles.
Certains enfants sont très bien équipés, ont tous les équipements pour réussir mais ne
réussissent pourtant pas. C'est la deuxième branche de mon arbre décisionnel. Ce n'est pas
qu'ils manquent de moyens, c'est qu'ils n'arrivent pas à les utiliser. C'est ce qu'on appelle
l'intelligence troublée ; on verra par quoi elle peut l'être . Il faut bien sûr expertiser tout cela.
Concernant la partie instrumentale des troubles de l'intelligence, qui est expertisée pendant la
première partie de la semaine, dans le service : il est des enfants dont on va dire, à la fin de la
semaine, à leurs parents qu'ils n'ont pas le niveau, présente une baisse globale de leur
intelligence, une baisse homogène, et qu'ils seront bien mieux en classe d'intégration scolaire.
Mais les parents répondent que c'est terrible ce que nous leur expliquons là. Cependant, quinze
jours ou un mois plus tard, ils nous confient que l'enfant a retrouvé le sourire depuis qu'il est en
CLIS. C'est-à-dire qu'on a arrêté de lui demander des performances trop élevées pour son
niveau.
Ensuite, la précocité ; et surtout tous ces fameux troubles spécifiques des apprentissages,
les enfants inattentifs, les enfants dys, qui eux présentent un fonctionnement cortical global
correct, sont intelligents, mais dont une région du cortex dysfonctionne, ce qui va les gêner pour
31
la lecture, pour certaines formes de lecture comme l'évoquait Michel, pour le calcul ; ou encore
les enfants inattentifs dont on sait qu'ils présentent un dysfonctionnement du cortex préfrontal.
Quant aux causes psychologiques, l'intelligence est là (tous les moyens sont là), mais elle
n'est pas utilisable parce qu'elle est troublée par des préoccupations. C'est-à-dire que l'espace
psychique de l'enfant est occupé, voire préoccupé par autre chose.
Par quoi est-il préoccupé ? Il l'est par des troubles anxieux ; ceux-ci peuvent s'organiser en
véritables troubles obsessionnels compulsifs. L'enfant a des pensées obsédantes touchant à la
mort, à la maladie. A cause de ses rituels (par exemple, il est obligé d'aligner tous ses crayons
sur sa table avant de commencer "sinon je vais me faire interroger" ou "sinon il va arriver un
drame à la maison"), il perd du temps et ne peut pas travailler. L'enfant dont l'esprit est
totalement occupé par la tristesse, par la dépression, n'est pas disponible pour travailler. Bien
entendu, on ne l'explore pas de la même façon, et on ne le prend pas en charge de la même
façon qu'un enfant dys.
Cela paraît bien beau comme cela, si ce n'est que c'est souvent intriqué. L'origine même de
ma communication, c'est cela : éviter à ces enfants qui, du fait d'un trouble spécifique des
apprentissages (dyslexie, dyspraxie, dyscalculie, déficit d'attention, précocité) qu'on ne repère
pas, passent en échec scolaire.
Or, un échec scolaire chez un enfant intelligent, mais qui est juste pénalisé dans un certain
domaine de son apprentissage, c'est insupportable et cela conduit nécessairement à des
moments dépressifs. On l'évoquait tout à l'heure : il en vient à douter de lui-même, il a une
baisse de l'estime de soi.
Nos travaux de recherche portent actuellement sur les thèmes de "Précocité et estime de soi"
et de "Dyslexie et estime de soi". Cet enfant peut bouger en cours ; on peut dire qu'il est
hyperactif mais c'est simplement dû à son mal-être. Bien entendu, ces troubles du
comportement aggravent l'échec scolaire et surtout sont responsables d'une démotivation qui
va secondairement aggraver le trouble du comportement, l'échec scolaire et surtout les troubles
des apprentissages.
On sait bien que tous nos petits enfants dys, ont besoin d'une motivation exceptionnelle pour
arriver à compenser leur déficit initial ; ils ont besoin de capacités motivationnelles et
attentionnelles terribles. On les a démotivés, l'école les a démotivés comme c'était le cas jusqu'à
maintenant.
Cependant, j'avouerais percevoir le frémissement qui s'amorce. Depuis septembre dernier, je
trouve qu'il s'opère un changement : on met à la disposition des enseignants pas mal d'éléments
qui vont permettre d'éviter cette démotivation. Une journée comme aujourd'hui en apporte un
peu la preuve.
En tout cas, quand nous les recevons, ils sont pris au milieu de cette spirale infernale et c'est
à nous de les en faire sortir. Parce que cela, c'est d'autant plus dommage que, si l'école
constitue ce fantastique lieu d'apprentissage - qui sert à cela, qui sert d'observatoire aussi, qui
repère (parce qu'on doit les repérer à temps) - elle ne se limite pas à cela.
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Tous, nous savons que l'école, c'est aussi un lieu extraordinaire pour la médiation. C'est la
première fois que l'enfant rencontre d'autres modèles éducatifs que ceux de ses parents, qu'il
noue ses premiers contacts avec des enfants. Or, des enfants dys qui sont en difficulté, en
délicatesse avec l'école comme lieu d'apprentissage, risquent de rater leur rencontre avec
l'école comme lieu de médiation. Et cela, c'est un peu regrettable.
C'est d'autant plus idiot qu'il y a un petit problème avec l'école en France, si vous voyez ce
que je veux dire. Je suis désolé pour les enseignants (ce n'est pas de leur faute ! On ne peut
pas leur jeter la pierre parce qu'ils n'ont pas reçu plus de cours sur la dyslexie que nous. On
navigue à vue. En plus, c'est la fonction des associations. Je pense que cette fédération des
trois associations est très importante ; elles peuvent travailler ensemble et diffuser l'information
parce que ni les pédagogues, ni les médecins ne l'avons reçue pendant nos études.
Toujours est-il qu'il y a un petit problème quand même avec l'école en France. Regardez vos
enfants : tous les enfants, en fin de maternelle, n'ont qu'une envie : celle aller rapidement à la
grande école. Tous. Ils sont contents : ils montrent le cartable qu'ils vont emporter et ils veulent
y aller ; il y a leur grand frère et tout.
Vous prenez le même un mois plus tard ; il est dégoûté. Il s'est quand même passé quelque
chose entre-temps. Il s'est passé que le rythme scolaire, à la française, n'est pas cohérent. Nous
savons bien, nous les scientifiques, que le rythme français ne respecte pas la chronobiologie
des enfants ; qu'il est des moments dans la journée où c'est une escroquerie que de leur
apprendre des notions nouvelles (en particulier si l'enfant est dys et qu'il aurait besoin de
beaucoup plus d'attention que les autres parce que la lecture n'est pas encore automatique chez
lui, comme pour les autres etc.). Donc il y a un problème de rythme.
Il existe également un problème d'ambiance. Faites venir les correspondants anglais ou
allemands de vos enfants au collège : ils hallucinent. A l'inverse, quand vos gamins vont en
Allemagne, ils trouvent que c'est bien, là. On peut manger, grignoter pendant le cours, se lever,
interpeller le professeur, etc. Donc, il y a un vrai problème.
Cette remarque m'est venue récemment. A Lyon, il y a Interpol (Interpolice, la police
internationale). De petits Américains arrivent, venant chercher chez nous leur Ritaline. Ils ne
comprennent pas pourquoi nous ne leur délivrons pas ce fameux médicament dont on parlera
tout à l'heure.
Une mère me confie que cela ne va pas son fils à l'école. Je lui demande ce qu'il se passe.
Elle me répond que c'est quand même bizarre l'école avec nous, que les enfants n'ont pas l'air
contents. Je lui demande s'ils ont l'air contents chez elle. Elle m'explique : "Savez-vous ce qui se
passe en Amérique ? Quand on dépose son gamin tous les jours à l'école, qu'il fréquente la
maternelle, le primaire, le collège ou le lycée, même à l'université, les parents les conduisent
dans leur grosse voiture et les déposent à l'école et tous les parents disent tous la même chose
à leur gamin en partant : Have fun !
Et la mère me demande si, nous, nous ne leur souhaitons pas cela. Je lui réponds que je vais
y réfléchir. Le lendemain, lorsque j'emmenai en voiture mes enfants à l'école, dont mes deux
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adolescents qui "font la gueule", surtout parce que la radio ne leur convient pas (c'est vrai que
ce n'était pas une bonne idée que de leur mettre Nostalgie). Au moment de les déposer (à
100 m de l'école, sinon cela fait pitié), j'ai tenté le coup de la brave américaine et leur ai dit
"Régalez-vous !". Je ne vous le conseille pas : je n'ai jamais eu si peur pour mon pare-brise.
Entrons un peu plus dans les détails pour aborder quand même quelques éléments, puisque
Michel a lancé l'idée, de ces causes instrumentales, sans revenir sur la déficience.
J'aimerais dire quelques mots, parce que c'est la spécialité de mon service depuis une
quinzaine d'années (d'ailleurs à Rennes, une unité remarquable s'est ouverte avec Sylvie
Tordjman qui se penche sur la précocité et l'enfant précoce en grande difficulté scolaire, bien
sûr, et comportementale). La précocité, c'est un peu un paradoxe : pourquoi ces enfants
finalement suréquipés, rencontreraient-ils des difficultés scolaires ?
Je ne reviens pas sur les définitions : QI supérieur à 130 (mais vous savez ce que je pense
du QI : le QI global ne veut rien dire, il faut surtout regarder comment ce QI s'est construit). En
France, on utilise le terme d'"enfant intellectuellement précoce" ; or, ce n'est pas un bon terme
parce qu'il voudrait dire que, comme l'avance de taille et de poids, à un moment donné il
rattrape, ou les autres le rattrapent, alors qu'on reste précoce toute sa vie comme on reste dys
toute sa vie. Simplement, on apprend à vivre avec et on apprend à contourner cette affaire.
Beaucoup d'enfants précoces vont bien ; il ne faut pas imaginer que tous les enfants
précoces sont en difficulté. Cependant, il en est quand même beaucoup qui présentent des
problèmes de comportement.
Ce qui justifie que j'en parle ici, c'est que
- la moitié des enfants précoces rencontrent des difficultés scolaires sévères ; et
- le dernier chiffre s'avère quand même édifiant : un tiers des enfants précoces n'arriveront pas
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au lycée, non pas qu'ils ne veulent pas y arriver, mais parce qu'ils vont être exclus avant le
lycée. Pourtant, leur équipement au départ était censé être tout à fait satisfaisant.
Pourquoi arrivent-ils en échec scolaire ? C'est le résultat du cumul de nombreux facteurs ;
nous allons les décliner les uns après les autres.
- Le décalage : Certains enfants se trouvent d'emblée en décalage avec leurs parents, avec
les adultes en général. La moitié de ma consultation est consacrée à des enfants précoces.
C'est un décalage que l'on voit aussi lors des consultations. Voilà des enfants qui, avec les
enseignants, avec les médecins, avec les adultes en général, ont une façon de faire sauter les
barrières qui les séparent, qui n'est pas nécessairement bien comprise par l'environnement.
L'exemple typique que je reprends souvent, c'est celui d'une gamine de six ans. Je suis en
retard et je lui mets la main sur la tête. Je ne sais pas qu'elle est précoce (elle est venue pour
cause d'échec scolaire) et je l'ai compris à ce moment-là. Je lui ai dit "Émilie, je suis un retard.
Je viens te voir dans cinq minutes". Elle dégage sa tête, lève les yeux au ciel et soupire comme
une ado (à six ans) et elle dit "Pfut, le geste con de tous les médecins". Vous imaginez avec la
maîtresse quand elle fait cela ! Et elle le faisait.
Voilà des enfants qui présentent un décalage avec les adultes. Très tôt ils mettent les parents
en difficulté et leurs parents ont alors du mal avec ces enfants qui raisonnent, argumentent
parce qu'ils ne savent pas nécessairement comment faire. La meilleure façon de répondre, c'est
de rester le plus ferme et le plus rassurant possible, en expliquant aux enseignants et aux
parents qu'un enfant précoce, c'est un enfant pas tout à fait comme les autres mais comme les
autres, c'est un enfant. Et, plus que les autres, il a besoin de sérénité autour de lui, il a besoin
d'un cadre. Cela le rassure. Sinon la précocité fait fabriquer de l'anxiété. Dès qu'ils ne sont pas
rassurés par l'environnement, ils se mettent à penser. Parce que l'intelligence, cela leur fait
penser à la mort. Ils savent déjà très tôt que la mort ce n'est pas quelque chose qui va
disparaître et puis revenir comme on le pense vers trois-quatre ans, mais c'est définitif.
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Ce décalage se fait par rapport aux autres, mais ils présentent une dyssynchronie interne.
C'est cela qui les gêne à l'école. Ils ne sont pas très bons partout. Leurs QI s'avèrent
extrêmement hétérogènes, avec des points très forts dans le raisonnement verbal, dans la
compréhension (qui est fulgurante) et des points beaucoup plus faibles, voire même déficitaires
dans le domaine du geste graphique. Donc cela, c'est très compliqué. Comme l'évoquait Michel,
on constate la coexistence d'une dyslexie et d'une précocité bien plus fréquemment qu'on
l'imagine. On compte davantage de dyslexiques parmi les enfants précoces que dans la
population générale.
Voilà le QI d'une enfant précoce, une jeune fille :
On voit que :
- les épreuves qui font appel à l'intelligence pure (celle de compréhension et de similitude) sont
très bien réussies ;
- les épreuves qui font appel à la mémoire de travail, au geste graphique et à l'attention le sont
beaucoup moins.
- L'ennui : Enseigner, c'est répéter. Ces enfants étant en décalage, ils s'ennuient. Quand
l'enseignante a répété trois fois pour que tout le monde comprenne et que lui a compris la
première fois, la deuxième fois, il n'est plus là.
- Difficultés face à l'effort : il est très important d'en parler aujourd'hui. Quand vous avez
compris tout, tout de suite, depuis toujours, que les choses se sont imposées à vous, vous
n'avez jamais eu, comme nos petits patients dyslexiques, à passer une heure dès le CP pour
comprendre que be et de ce n'est pas la même chose. Or le précoce lui, s'il n'est pas
dyslexique, cela lui est venu tout seul, facilement. Et cela va lui manquer par la suite. Vous
savez qu'actuellement, on repère quand même bien ce point fort des enfants dys, des enfants
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dyslexiques en particulier, qui est le sens de l'effort, le sens de la méthode, lequel va
singulièrement manquer à l'enfant précoce.
J'ai vu sur Internet l'autre jour (ce n'est vraiment pas une blague) : Recherche architecte
dyslexique (c'est en Amérique). Pour être architecte, pour tirer des traits, il n'y a pas
nécessairement besoin de maîtriser l'orthographe. En revanche, le patron n'étant pas stupide il
sait que celui-là va rendre ses plans à temps au jour convenu parce qu'il a appris à faire des
efforts depuis le tout début de sa vie. Donc le sens de l'effort, la méthode, cela manque au
précoce.
- L'effet pygmalion négatif est une caractéristique extrêmement fréquente. L'enfant précoce
risque de finir, de s'identifier à ce qu'on lui demande. Ainsi, il va se conformer progressivement
au niveau qu'on lui dit être le sien. Si on ne l'a pas fait accélérer, si on ne lui a pas donné plus à
manger, il va renoncer progressivement à ses compétences.
J'en cite un exemple typique : une mère voulait faire sauter la classe de CE 1 à son fils alors
que la maîtresse ne voulait pas. La mère va avec son fils à l'école et la maîtresse dit "Vous
savez, le CE 1, il en a bien besoin". Alors la mère : "Allez lis, s'il te plaît". Et l'enfant lit comme
cela : "Je-vous-re-mer-cie-et-je-vou-lais..." La maîtresse dit alors : "Vous savez Madame, le
CE 1 c'est la classe du plaisir de lire ; et je crois que votre enfant a vraiment besoin d'une année
supplémentaire" Et la mère lui dit "Tu peux lire comme hier ou tu t'en prends une ? D'accord ?
La mère demande alors : "Pourquoi est-ce que tu lis comme cela ?" Et la maîtrise également :
"Pourquoi est-ce que tu lis comme cela ?" Et l'enfant : "Je ne sais pas : vous leur mettez 10
quand ils lisent ''fan-tas-ti-que'' Mais il le disait de bonne foi, ce n'était pas de la provocation. Il
pensait réellement que lire consistait à ânonner. Tel est l'effet Pygmalion négatif qui, finalement,
amène l'enfant à ressembler à ce qu'on lui demande.
- Les préoccupations anxio-dépressives. Quand un enfant précoce s'ennuie, il pense. Il a
passé sa journée à penser des trucs incroyables : à la maladie, à la mort, à la séparation de ses
parents. On se dit : on ne va pas lui faire accélérer une classe parce qu'il est vraiment trop bébé,
il pleure tout le temps. Faites le accélérer, vous allez voir. Il saute sa grande section ou il saute
son CP et, comme par miracle, la maîtresse du CE 1 dit "il n'a pas du tout le même
comportement que ce qu'on m'avait dit, au contraire il est tout le temps souriant, dynamique"
parce qu'aller à l'école quand vous savez que toute la journée vous allez penser ou vous
ennuyer, c'est très difficile.
- Les stratégies spécifiques des enfants précoces, enfin. On sait mieux comment ils
fonctionnent : ils ont une réflexion fulgurante et analogique. Pas analytique : ils ne décomposent
pas la question, ne décortiquent pas le problème. Cela leur pose pas mal de difficultés quand ils
arrivent en 6e. En effet, on va leur demander comment ils ont obtenu la réponse de maths qu'ils
trouvaient juste en CM 2, ayant compris tout de suite la question et fait le lien avec un autre
exercice qu'ils avaient résolu une autre fois et qui leur avait amené la réponse. Peu leur importe
la façon dont ils ont procédé. Ils ne savent pas faire ; et ils ne savent pas pourquoi ils le diraient
puisqu'ils ont juste. Mais cela ne convient pas au professeur.
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On sait qu'ils font appel à la mémoire "épisodique". C'est-à-dire que leur pensée est intuitive
et non pas déductive. Ils ne font pas une déduction, ils n'enlèvent pas les parenthèses, ils ne
vont pas à la ligne, ils ont une intuition du résultat, ils le marquent mais cela ne suffit plus. Ils
font appel à la mémoire épisodique. C'est celle qui est en jeu dans le passage de la madeleine
de Proust, dans Du côté de chez Swann. L'auteur trempe sa madeleine dans le thé, et c'est
alors toute l'image de la maison de son enfance qui s'impose à lui. Eux, comme cela, ils trouvent
des analogies avec des souvenirs qui leur reviennent et leur donnent la réponse.
C'est très compliqué parce que, du coup il y a l'enfant scolaire, celui que les enseignants
aiment bien. Celui-là aime apprendre, mémorise bien, il aime la clarté, connaît la réponse,
s'intéresse, copie, a de bonnes idées, aime l'école. Celui-là ne pose pas de problème. Tout va
bien ; mais il ne s'en souvient pas. C'est exact. Mais point par point.
Quant à l'enfant précoce, lui n'aime pas apprendre ; il veut savoir, il préfère deviner, il
complexifie. Si vous lisiez la rédaction d'un enfant précoce, c'est énorme ! D'abord, il rend un
brouillon parce qu'il n'a pas eu le temps de finir et puis qu'il n'écrit pas assez vite (ils ont un
problème avec le graphisme). Ensuite, le texte regorge d'idées mais elles sont beaucoup trop
riches, jetées en vrac, et ne sont pas nécessairement comprises par l'enseignant. Il pose des
questions ; il est curieux, il préfère créer, il a les idées riches, il subit l'école.
38
Voyons l'exemple de deux pages de cahiers :
Que faut-il faire face à cela ? L'enseignant peut ne pas avoir compris la particularité de cet
enfant comme il n'aurait pas compris celle d'un dyslexique ou d'un dyspraxique. Tous les jours
j'entends dire "Applique-toi !". Et je l'ai entendu, moi aussi, dans ma vie parce qu'étant
dyspraxique à mon époque ! Vous vous rappelez, ceux de ma génération, on trempait le porteplume dans l'encrier. Et quand vous êtes gaucher, de surcroît, vous voyez le travail ! Quand
vous avez entendu pendant toute votre enfance "Sois plus soigneux !" alors que vous n'y
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pouvez rien. C'est comme tous les petits enfants "dys" que je suis et qui me disent "Tu ne te
rends pas compte ! On me dispute tout le temps. J'ai l'impression qu'on me reproche un
handicap". Ce que j'appelle le principe de la double peine : une telle conduite est inqualifiable et
très dure pour un enfant.
Alors, que faut-il faire face à ce genre d'enfant, cet enfant atypique ? (c'est de la place de
l'enfant différent que je parle). Soit on se place dans le registre de l'antipathie (les dyslexiques
n'entraînent pas trop l'antipathie, parfois si, mais les précoces, c'est terrible), voilà ce que cela
donne. Le gamin ne voit pas l'intérêt d'apprendre une carte ; en effet, il suffit de taper les mots
clés sur Internet pour la trouver. Il la remplit et lui appose quand même une belle légende :
Là, Madame, vous avez des pays bleus ; là vous avez les pays rouges.
Il s'était appliqué parce qu'il écrit moins bien que cela, je vous signale. Il est en 5e.
Là vous avez les anciens pays bleus devenus rouges ; là les anciens pays du bord de l'eau
qui ont migré ; là les pays à forte exportation d'oranges ; là les pays atteints de varicelle
aiguë. Là c'est Madagascar.
Ah, un truc vrai parce qu'il y était allé.
Là, c'est les pays de 10 habitants où le bleu règne en maître
Ce qui était assez bien vu aussi. L'appréciation tombe :
Visiblement, tu n'as pas compris les limites nécessaires à ton soi-disant humour ; 0,5/20.
Démotivant quand même ! Lui n'était pas dans l'antipathie, il était dans l'excellentpathie. Les
enfants précoces, sont dans l'excellentpathie à la différence des enfants autistes qui manquent
d'empathie (empathos, souffrance avec). Lui, avait souffert avec sa prof parce qu'il avait écrit :
Explication (c'est en bas) :
L'étendue de mes connaissances dans ce sujet étant quasiment nulle, je me suis dit que,
quitte à avoir 0, autant vous amuser un peu. Alors j'espère que vous avez pris du bon temps
en corrigeant ma copie et que cela vous décompressera un peu lors de cette séance de
correction longue, fastidieuse et exaspérante.
Empathie ratée.
Vous allez me demander ce qu'il aurait fallu faire. Le seul conseil qu'on puisse donner aux
parents et aux enseignants, c'est de rester fermes et bienveillants avec ces enfants et de faire
preuve d'empathie effectivement.
Un autre qui a essayé un truc parce qu'il ne peut pas apprendre les règles (les enfants
précoces détestent apprendre les règles, parce que les règles, c'est idiot). Comme il voulait
quand même avoir une bonne note, il a osé lui marquer cela, en 5e :
J'ai les calculs dans ma tête, je les ai au bout de la langue, mais cela ne veut pas sortir ; alors
pouvez-vous s'il vous plaît me donner les 4 points de l'exercice, plus encore quelques points
(10 points me suffiront). Je vous remercie d'avance si vous faites ce geste.
Elle lui répond :
J'ai vos 4 points au bout de mon stylo mais l'encre ne veut plus sortir.
Voilà comment il faut faire. Puis lui demander de refaire le devoir à un autre moment.
Le cas des enfants dyslexiques et précoces, Michel l'a abordé de façon remarquable, s'avère
très compliqué. En effet
40
- soit on a reconnu leur dyslexie sans avoir identifié leur précocité et, dans ce cas, on sousestime leurs capacités intellectuelles, leur image d'eux-mêmes n'est pas la bonne ;
- soit, à l'inverse, on a compris qu'ils étaient précoces mais on n'a pas vu la dyslexie. En effet, la
précocité permet de compenser la dyslexie. C'est-à-dire que l'enfant précoce sait très vite quelle
voie de lecture marche moins bien. Il compense son handicap avec celle qui marche le mieux.
On va ne poser le diagnostic qu'en 5e ou en 4e ; or, c'est souvent trop tard. Parce qu'on lui dit
qu'avec le niveau qu'il a, avec l'intelligence qu'il a, il peut obtenir de meilleurs résultats. Or, là
encore, on va le sous-estimer
- soit encore - c'est le cas le plus fréquent - on le découvre une fois par semaine : un enfant
vient, dont on dit qu'il est moyen, pourtant on ne comprend pas, on a tout essayé, on a tout vu,
etc. Et quand on mesure son QI, on s'aperçoit qu'il est précoce et dyslexique, qu'on avait raté
les deux. La précocité venant masquer la dyslexie et la dyslexie venant abraser l'impression de
précocité. Méfions-nous quand un enfant nous dit qu'il ne comprend pas parce que "à l'école, il y
a des moments où c'est trop dur et d'autres où c'est trop facile". Et cela c'est vraiment une
phrase que j'ai entendue très fréquemment de la part des enfants précoces.
Restons dans la partie instrumentale : on a vu que les enfants précoces étaient équipés
d'une façon différente et que cette façon différente allait les gêner pour apprendre. Cependant, il
existe des enfants inattentifs. Il faut quand même que j'évoque leur cas, parce qu'il concerne
quand même beaucoup d'enfants "dys".
Parmi ces enfants inattentifs, on trouve ce fameux syndrome des Troubles-déficits d'attention
avec hyperactivité (TDAH) figuré sur les bulles présentées par le docteur Michel Habib. Ces
enfants présentent dans le cortex préfrontal, vraisemblablement et entre autres, des liens avec
d'autres régions, mais qui fonctionnent moins bien. Cela durera toute la vie, contrairement à ce
qu'on disait il y a 5 ans où on pensait qu'ils allaient récupérer à la fin de l'adolescence. On est
désormais pratiquement sûr que 70 % d'entre eux garderont l'inattention ; et, parce qu'ils sont
inattentifs, ils bougent parce qu'ils "zappent" en permanence. Bien entendu, on va voir que cela
les gêne à la maison, à l'école et bien sûr dans leurs relations sociales.
Eux aussi, ils ont un problème neurologique (attention : tous les enfants qui bougent n'ont
pas un problème neurologique ! Il en est certains qui sont déprimés, d'autres anxieux). A nous
- c'est notre mission - de poser le diagnostic étiologique de leur hyperactivité.
En général, ceux-là présentent un déficit de l'attention, se montrent impulsifs et hyperactifs ;
en général, ils associent tout cela. Mais parfois ce sont des enfants qui surprennent les parents
et l'école parce qu'ils ne supportent pas les contraintes ; ils ne respectent pas les consignes.
Cela c'est l'impulsivité. Quand je veux quelque chose, si je ne l'obtiens pas tout de suite, je ne
peux pas m'empêcher d'exiger de l'avoir. Parfois on les voit aussi parce qu'ils sont rejetés :
rejetés à l'école, à la maison, partout, ils souffrent d'une baisse de l'estime d'eux-mêmes.
On reprend exactement le précédent tableau : la spirale. Je souffre d'un déficit de l'attention
qui m'empêche de rester en place ; je coupe sans cesse la parole à la maîtresse. Elle n'a pas
compris cela, pense que je suis mal élevé ; elle me punit, et je commence à douter de moi-
41
même. Nombre d'enfants hyperactifs me confient : "Je dois être nul, puisqu'on me le dit de
partout". Même en sport, même dans les loisirs ; voilà des enfants qui souffrent dans toutes les
situations. C'est cela qui fait le diagnostic d'un trouble développemental constitutionnel.
Qu'il soit à l'école, au foot ou ailleurs ; un des derniers que j'ai vus était au foot. Il s'est fait
virer du foot ; pourtant cela marche bien le foot à Lyon, normalement. Eh bien il s'est fait virer ; il
jouait goal et quand il avait soif, il allait boire. Avec son fonctionnement de TDAH, il était
absolument incapable d'anticiper les conséquences de ses actes.
Voilà des enfants qui courent, grimpent, s'agitent, ne restent pas assis. C'est un bon signe
dans le service. A la fin de la semaine, le vendredi, nous organisons une réunion de synthèse où
tout le monde intervient. La puéricultrice m'explique que, même à table, même pour les jeux, il
ne peut pas rester assis. Il ne joue pas en silence. En fait, ils bruitent tout ce qu'ils font. J'essaie
de parler avec la mère "Ouah" il y a une voiture qui... Alors je lui demande "Tu peux t'arrêter
deux secondes Kevin (ils s'appellent toujours Kevin, pratiquement) ?". "Tu peux t'arrêter deux
secondes ?". Et il s'excuse et deux secondes plus tard il recommence. C'est des enfants qui
promettent beaucoup et s'excusent souvent. En général, ils ont une dent cassée là vers 6 ans.
Ils éprouvent des problèmes pour se concentrer, par exemple, dès que le copain assis à côté
de lui fait bouger son stylo. Comme l'évoquait Michel, ils présentent une attention sélective,
cette incapacité à focaliser leur attention sur ce que dit la maîtresse ou le professeur. En effet,
dès qu'un distracteur se trouve à côté de lui, il est distrait. Il n'y peut rien, c'est comme cela.
A nous de trouver des aménagements pédagogiques (on va en parler tout à l'heure) qui vont
permettre à la maîtresse de l'aider à contourner son problème. Cette impulsivité les amène en
difficulté : scolaire, bien sûr, mais aussi sociale. Ils coupent la parole ; ils n'attendent pas leur
tour ; ils perdent leurs affaires, ils oublient tout le temps ; ils sont incapables de planifier, de faire
leur cartable.
Un des aménagements pédagogiques qu'on conseille, c'est d'arrêter de supprimer la
récréation pour lui faire faire des lignes parce qu'il a oublié son matériel ! Donc interdiction. J'ai
une liste complète d'aménagements pédagogiques pour enfants souffrant d'un déficit d'attention.
Et souvent les enfants "dys" ont aussi des déficits d'attention.
S'il passe sa récréation à écrire "Je ne dois pas oublier mes affaires" alors que c'est lui qui a
le plus besoin de la récréation parce que c'est le moment où il peut libérer sa décharge motrice,
c'est vraiment terrible.
Ce qui est intéressant, c'est que certains enfants présentent un tableau de TDAH pur
(certains autres l'associent à la dyslexie et dyspraxie) ; ils font des erreurs en orthographe. Mais
ces erreurs commises sont très particulières : elles ne sont pas présentes au début. Les traits
rouges apparaissent au fil de la tâche. Plus la tâche augmente, plus les fautes augmentent. On
appelle cela le trouble de l'attention soutenue. En lecture, c'est pareil ; en graphisme, c'est
pareil. L'enfant écrit bien en début de ligne ; puis arrivé à la fin du texte, il commence à écrire
moins bien.
42
Dans les aménagements pédagogiques, on conseille, comme pour les dysorthographiques,
de préférer, Madame l'enseignante, les épreuves à trous. Il y a juste un trou et il écrit le mot que
l'on attendait dans un trou. Mais si le mot dont on attendait qu'il le sache est perdu au milieu
d'une phrase, et que l'enfant s'est épuisé à écrire sa phrase, il va écrire de façon erronée le mot
qu'il savait juste.
Voilà comment on pose le diagnostic : un utilise une échelle, celle de Conners. On la fait
remplir à Papa, à Maman, aux maîtresses (à celle du matin et à celle de l'après-midi).
Un score est calculé :
- Est-ce qu'il est agité ou très actif ? Oui, énormément, 3 points.
- Est-ce qu'il est nerveux et impulsif ? Enormément, 3 points.
- Est-ce qu'il a une attention de courte durée ? Beaucoup, 2 points.
On fait le total. Quand le score est au-dessus de 15, on ne sait pas pourquoi l'enfant est
hyperactif, mais on sait que la personne qui a rempli la grille estime qu'avec elle, l'enfant se
montre hyperactif.
Ensuite, je mets en perspective les différentes échelles : celle de Papa, celle de Maman,
celle de la maîtresse, celle du professeur de foot :
- si l'enfant est hyperactif partout, a plus de 15 points partout, vraisemblablement, c'est
constitutionnel ;
- s'il ne l'est qu'à l'école et pas à la maison, c'est que l'école n'est pas adaptée. L'enfant est
précoce ou déficient ou "dys" ; mais en tout cas l'école ne peut pas s'adapter à lui ;
- s'il ne l'est qu'à la maison et pas à l'école, cela dénote un problème plutôt psychoaffectif pour
l'heure.
Nous disposons de nombreux tests dont je vous épargne la description. Dans notre service
(qui
comporte
trois
neuropsychologues
et
quatre
psychologues
cliniciennes),
les
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neuropsychologues font passer des tests qui vont évaluer l'attention, la concentration, le
contrôle de l'impulsivité.
Je vous montre d'abord des tests de QI que font passer les psychologues.
Le Wisc-IV est le dernier QI : le chiffre global ne voudrait rien dire chez cet enfant de 9,5 ans,
parce qu'il présente une compréhension verbale normale, un raisonnement perceptif normal. En
revanche, en ce qui concerne la mémoire de travail (celle dont parlait Michel), cette mémoire à
très court terme qui sert à emmagasiner l'information et à la manipuler pour s'en resservir,
quand on lui pose un problème de maths par exemple, on voit qu'il est très en dessous de la
norme. De même, pour ce qui est de sa vitesse de traitement de l'information, il est très en
dessous. C'est un enfant qui présente typiquement un déficit d'attention. On le voit grâce au QI
et point n'est besoin de pousser plus avant les investigations.
44
Le test de Stroop (entraînez-vous !) Peut-être le connaissez-vous. Il faut lire de haut en bas
non pas le mot mais la couleur de l'encre. Donc il faut lire bleu, rouge, vert, bleu, vert, rouge,
etc. Les vrais enfants qui présentent un déficit d'attention tout le long ils vont vous lire : "Rouge...
Ah non... bleu, je suis c.." ; "Vert... Non, je suis nul !".). C'est-à-dire qu'ils ont beau connaître la
consigne, ils ne peuvent pas l'inhiber, ils ne peuvent pas revenir dessus.
Il existe un traitement qui s'appelle le Concerta ou la Ritaline. Quand il agit, quand c'est de
bonne indication, c'est magique. Et pensez, si vous avez un enfant qui est dyslexique, qui fait
des fautes bêtes en plus de sa dysorthographie, à faire évaluer son attention. Sur un Wisc-IV on
vous dira s'il a un trouble attentionnel. N'hésitez pas alors à demander au centre de référence le
plus proche qu'on vous prescrive ce médicament qui va modifier pas mal de choses.
Mais ce n'est pas cela le fond du problème. Le fond du problème, c'est que soient mis en
place les conseils psychopédagogiques. L'enfant doit être assis près de l'enseignant. En
général, on le met au fond de la classe, tellement il est pénible, alors qu'il doit être devant et on
doit le regarder dans les yeux et solliciter son attention visuelle en permanence. Bref, je ne vais
pas vous énumérer tous les conseils à suivre ; j'en ai toute une liste de conseils. Ils sont
extrêmement importants.
Passons aux enfants "dys" ; je ne comptais pas en parler :
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Je vous montre juste une page de cahier concernant les enfants dysphasiques.
Je vous dis juste une chose fondamentale : les enfants dysphasiques ont un problème avec
le langage oral. Certaines caractéristiques sont communes. C'est l'orthophoniste qui va nous
confirmer, après un bilan, que l'enfant présente bien tous les marqueurs de la dysphasie. Parmi
ces marqueurs de la dysphasie, il en est un, d'extrême importance, que l'on appelle la
dissociation automatico-volontaire.
Pourquoi est-ce que je vous en parle ? C'est parce que les dyslexiques l'ont ; les enfants
porteurs du syndrome du TDAH l'ont également. Cela signe le plus souvent un problème
neurologique. Ainsi, l'enfant arrive mieux à faire des choses de façon automatique que sur
commande. Quand on lui demande de lire, c'est plus difficile pour lui de le faire à ce moment-là
qu'à un autre moment où il n'a pas lu le tableau, il va être capable de lire une affiche tout fort,
spontanément, de façon automatique.
Il faut le savoir. En effet, si la maîtresse le surprend en train de lire cela, qu'est ce qu'elle va
dire ? "Tu vois, quand tu veux, tu peux ! Et c'est à nous les professionnels d'aller expliquer à la
maîtresse, pendant les réunions tenues sur les petites tables et les petites chaises : "Non,
Madame, ce n'est pas quand il veut, qu'il peut, c'est quand il ne veut pas". Et cela, c'est quand
même complètement différent de leur expliquer cette notion de dissociation entre ce que je peux
faire sur commande et ce que je peux faire, beaucoup mieux, spontanément.
Ma conclusion sur les enfants "dys" c'est que ce sont des enfants intelligents, qui souffrent de
ne pas pouvoir le montrer, de ne pas pouvoir le prouver. Ma mission consiste à rappeler
constamment aux enseignants que ces enfants sont dotés de capacités d'apprentissage
différentes ; mais leur volonté d'apprendre, au départ, est la même et semble peut-être même
supérieure aux autres.
Voici une page du cahier d'une enfant dysphasique qui était prise pour une enfant
psychotique ; la confusion est fréquente :
46
La maîtresse me dit qu'elle pense que la fillette est psychotique, qu'elle se fout d'elle. "J'ai
fait comme vous m'aviez conseillé : je l'ai encouragée. Le 16 mars, elle me mettait : "Le gamin
fait un câlin à son lapin." C'était très bien écrit. Le 17, regardez comme j'ai été récompensée : je
lui dicte "un chemin", elle m'écrit "un chplaide" ; "le patin" : "un maridr" ; "la dinde" : "la ordaal".
En fait, la maîtresse avait là une magnifique image de la dysphasie :
- quand l'entrée est visuelle, la gamine est capable de décoder, en copie ;
- quand l'entrée est auditive, la gamine reste absolument incapable de décoder.
Bien entendu, cela peut passer pour un trouble psy alors qu'en fait c'est un trouble tout à fait
neurologique.
Je me réinviterai l'année prochaine pour traiter des causes psychologiques. Je vais
simplement dire : Comment fait-on pour faire la part des choses ? Les psychologues cliniciennes
n'ont pas à leur service les outils tels que les tests neuropsychologiques ; elles disposent d'outils
qui sont des tests projectifs.
Dans un test projectif, comme son nom l'indique, l'enfant va projeter sur l'histoire, son propre
vécu psychique. On a pour les petits le "Patte noire" et pour les grands le Rorschach. Par
exemple, en faisant passer le "Patte noire" à un enfant, on lui dit : "Tu vois, tu as une famille
Cochon" ; et tu racontes ce que tu vois." L'enfant raconte alors ce qu'il voit. On met en
perspective, la réalité, une histoire et son imaginaire.
Cette planche que j'aime bien permet de poser le diagnostic. Par exemple : un enfant qui est
déprimé, et qui bouge pour cette raison, commentera : "Ah, eh bien il est foutu" ; "Il est foutu".
Alors que le gamin venait pour hyperactivité. "Il est tombé dans le piège que lui a tendu le
boucher et demain ils vont en faire du saucisson". Et il me rajoutait même "immangeable à
cause de la tache noire".
47
Alors que le petit Kevin qui bouge faute de pouvoir se contrôler, mais est heureux comme
tout, voit la même image, il présente le même symptôme, il a le même âge, le même QI et il dit :
"Super, il s'est planqué ; et maintenant que ses parents dorment, il peut aller s'amuser avec ses
copains". Comprenez-vous la finesse d'un test projectif ? Et même si le gamin se dit : "Je vais lui
faire croire que je vois cela, eh bien c'est ce qu'il a vu en première intention qui compte."
Je conclus. J'ai repris ceci à Françoise Dolto, figurez-vous. J'ai beau avoir étudié la
neuropsychologie, j'ai quand même une formation psychanalytique. Françoise Dolto a écrit des
choses bien pensées à l'époque ; ainsi, elle écrivait sur le handicap, il y a trente ans :
La contrainte, c'est le handicap. Le piano est abîmé mais le pianiste est intact.
Je passe mon temps à corriger cela et à l'expliquer aux maîtresses à propos des enfants
"dys". Ce qui ne va pas, ce qui gêne l'enfant dans son écriture, dans son calcul, dans sa lecture,
c'est la fonction. Seules quelques notes du piano ne fonctionnent pas correctement ; on va les
aider à fonctionner ; mais le pianiste, lui, va bien et vous ne pouvez pas assimiler l'enfant à sa
fonction déficiente. Alors, la maîtresse change le regard qu'elle porte sur l'enfant dès l'instant où
elle a compris cela. Cela c'est ma première conclusion. Et je n'en ai plus que deux !
Ma deuxième conclusion, notre mission à tous c’est de restituer le désir d’apprendre pour
l’enfant et je terminerais par ces paroles de Jacques Prévert : « Avec des craies de couleur, sur
le tableau noir du malheur, il dessine (enfin) le visage du bonheur... »
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Table ronde avec :
Michel Habib, Olivier Revol, Jean-Émile Gombert
Mme Anne Chevrel
* monde médical * des pistes. On a parlé de médicaments, même si cela a été très rapide ; je
pense qu'il faudra peut-être en parler. On a parlé de rééducation aussi. Nous, parents, ne
savons pas trop quoi faire, ni ce qui va se passer.
Avant tout, je voulais vous poser, peut-être à tous les trois, une question de définition. On
parle de troubles "dys". Ce terme de "troubles" reste assez vague et couvre un champ assez
vaste. On ne parle pas de maladie ; et vous avez utilisé, les uns et les autres, le terme de
handicap.
C'est parfois un petit peu difficile pour des parents d'accepter ce terme-là quand on détecte
chez leurs enfants des troubles. Est-ce que ces troubles "dys" constituent vraiment un handicap,
pour vous ? Ou est-ce qu'ils n'en sont pas vraiment un ? Pouvez-vous nous éclairer sur ces
points-là ? Je ne sais pas lequel d'entre vous veut commencer ?
Docteur Michel Habib
Ce n'est pas par la question la plus facile que vous commencez, là. Non, je crois que le terme
de handicap revêt une connotation de handicap moteur ou intellectuel ; finalement, l'employer
fait dévier a priori la compréhension vers ce que cela n'est pas pour les enfants "dys".
En effet, les enfants "dys", les dyspraxiques, souffrent d'un trouble qui ressemble plus à du
handicap moteur ; les dysphasiques, dans leur difficulté à communiquer, clairement cette
difficulté-là, pourrait prendre plus facilement cette connotation ; mais la grande majorité des
enfants dont on a parlé, qu'ils soient hyperactifs ou dyslexiques, ne sont pas des handicapés au
sens commun du terme.
En revanche, je crois qu'il va quand même falloir s'approprier le terme de handicap, par la
force des choses. En effet, les lois sont là. Vous savez qu'une loi de 2005 parle de handicap.
Finalement on se trouve, par la force des choses et pour le moment, (vous allez probablement
en parler, Madame, tout à l'heure), soit dedans, soit dehors. On ne peut pas rester entre les
deux. Si l'on est dehors, que l'on n'est pas dans le handicap, on ne bénéficie d'aucune des
prérogatives ni d'aucun des avantages qu'instaure la loi.
Finalement, il faut mettre en balance
- d'une part, l'inconvénient d'employer le terme de handicap, qui s'avère parfois un peu lourd à
porter, c'est clair, et
- d'autre part, l'inconvénient de ne plus pouvoir bénéficier des avantages que procure la loi.
49
On est entre les deux. J'avoue que c'est parfois difficile. Et je peux comprendre les parents
qui rechignent à utiliser le terme de handicap à propos de leur enfant car ils ne le considèrent
pas comme un handicapé au sens habituel. Cela dit, si on va au-delà du mot, je crois que c'est
quand même important, à beaucoup d'égards, et en particulier dans le domaine scolaire, de
faire reconnaître que l'enfant présente une différence.
On a parlé aussi de différence ; dans certains cas, ce mot de différence s'avère plus
approprié que celui de handicap ; mais pour arriver à faire entendre à toutes les personnes
concernées que l'enfant est différent, il faut parfois utiliser certains moyens. L'un de ces moyens
consiste à utiliser le terme de handicap.
Voilà ce que j'ai à dire ; mais peut-être as-tu une autre vision ?
Docteur Olivier Revol
Non, je pense que c'est un peu à double tranchant, effectivement, parce que certains
parents, comme tu le disais très justement, y répugnent. Je trouve que le terme "maison du
handicap", c'est lourd. Cela nous est tombé d'un coup, comme cela ; ce n'est quand même pas
très facile à accepter. Je pense que, dans les années qui viennent, on va s'y faire. Mais comme
disait Michel, c'est avec la reconnaissance de cette différence que commence l'adaptation
pédagogique.
En ce qui me concerne, je procède avec douceur, je peux vous le dire. Ils vont obtenir le
tiers-temps pour les examens ; c'est une chose. En revanche, ils n'aiment pas l'avoir (et les
professeurs n'aiment pas le leur donner d'ailleurs) pour les contrôles, pour l'année scolaire. Il
existe une façon de contourner le problème : on dit à l'enfant que l'on a reconnu que c'était plus
difficile pour lui que pour les autres d'écrire dans les temps ; il suffit de demander aux
enseignants de supprimer le dernier exercice. Donc, cela ne se voit pas ; l'enfant fait le travail
pendant le même temps que les autres, moins un exercice ; et il est noté comme eux.
Donc il a à la fois besoin d'être reconnu dans sa spécificité, dans sa différence ; mais je
pense qu'il n'est pas prêt non plus à porter l'étiquette de handicap, surtout à l'adolescence où
cela devient tellement important que d'être habillé comme les autres et de parler comme eux,
d'être comme eux. C'est cela qui est un peu compliqué ; je pense que c'est peut-être plus simple
pour les petits.
Professeur Jean-Émile Gombert
Vous avez tout dit. Mais je ne pense pas qu'il faille se focaliser sur les mots. Je suis d'accord
avec Michel : certaines classifications deviennent incontournables pour les bénéfices qu'elles
procurent. Mais quel est l'état de fait ? Si je dois faire un exercice de tir et que j'ai une poussière
dans l'oeil, cela ne gêne personne de dire que je suis handicapé dans cet exercice. Cela ne me
stigmatise pas parce que l'on n'a jamais considéré ce type de handicap comme stigmatisant. En
revanche, lorsqu'on parle d'un obstacle qui retentit sur les apprentissages scolaires, alors le
terme de handicap est considéré comme stigmatisant. Le problème ne réside pas dans le terme
50
mais dans la façon dont on considère l'activité visée et dans laquelle on situe les responsabilités
de chacun dans la réussite de l'activité.
Mme Anne Chevrel
L'un des problèmes qu'on peut se poser quand on parle de handicap et je suis bien d'accord
avec vous, dans la vie quotidienne effectivement, il faut accepter ce terme, c'est que souvent
quand on parle de maladie, on se dit "cela se soigne, on guérit". Quand on parle de handicap,
cela suscite toujours beaucoup plus d'interrogations sur l'avenir.
C'est vraiment aux médecins et aux scientifiques que je m'adresse. Evidemment, il y a
l'adaptation au système scolaire, dont on va beaucoup parler. Beaucoup peut être fait pour
améliorer la situation des enfants ; cependant, peuvent-ils être "soignés" ?
M.
C'est plutôt une question à poser à un neurologue !
Docteur Michel Habib
Cette question-là est plus facile. Effectivement, je crois que ce n'est pas une maladie, mais
cela se soigne ; ce n'est peut-être pas un handicap, c'est peut-être un handicap, mais cela ne
guérit pas. Vous voyez que ce n'est donc ni l'un, ni l'autre. C'est quelque chose qui se soigne
mais dont on ne guérit pas. Donc cela échappe totalement à un abord par des concepts
connus ; il ne faut pas y appliquer les concepts connus.
Je crois que, pour ce qui est de la dyslexie, on naît dyslexique dès la naissance et on le sait
maintenant ; on va mourir dyslexique. On aura toujours ce handicap. D'ailleurs on le voit chez
les parents et les grands-parents de nos petits dyslexiques qui viennent en consultation. Vous
savez, il existe un aspect héréditaire à ce trouble ; très souvent on trouve que les pères ont été
dyslexiques eux-mêmes, même si on ne l'a pas diagnostiqué comme tel. Très souvent, ils
gardent trace de cette difficulté en orthographe, de ce passé lourd, de cette scolarité qui leur a
pesé pendant toute leur enfance. La dyslexie reste un trouble que l'on garde, qui ne guérira pas
à proprement parler. Cependant, cela ne signifie pas qu'elle ne se soigne pas ; et c'est en cela
qu'elle diffère un peu de ce qu'on appelle une maladie.
Effectivement, les méthodes de rééducation se font de plus en plus nombreuses. Vous avez
parlé de médicaments mais cela reste assez exceptionnel, limité à un cadre très spécifique. Je
dirais que c'est le seul cadre où on recourt à des médicaments. Pour tout les autres, on reste
dans le cadre de l'intervention rééducative de professionnels et, le plus souvent maintenant, de
groupes de professionnels en équipe pluridisciplinaire. La rééducation constitue un soin
véritable et j'ai montré à quel point elle s'avérait efficace puisque allant jusqu'à modifier même
l'organisation du cerveau.
51
Mme Anne Chevrel
Une question nous arrive de l'autre salle justement sur la rééducation : Que peut-on faire
pour un enfant qui est diagnostiqué comme dyslexique sur lequel la rééducation orthophonique
ne fonctionne pas ? Qu'est-ce qui se passe ? A quel type de schéma cela correspond-il ?
Docteur Olivier Revol
Cette question semble importante : il s'agit là d'un cas où le centre de référence peut tout à
fait présenter son intérêt. Dans la plupart des cas, on l'a dit, un centre de référence avec une
orthophoniste qui maîtrise bien son affaire, qui a établi un bilan complet, cela ne sert à rien. En
revanche, quand une rééducation orthophonique a été bien conduite, sur un enfant d'intelligence
normale, et qui a été expertisé comme porteur d'intelligence normale, ne fonctionne pas ou pas
assez bien, on doit demander un avis complémentaire. En effet, la réponse est l'éventuelle
coexistence d'un autre trouble : un déficit d'attention, d'une précocité, d'une dépression, des
troubles obsessionnels compulsifs, qu'il faut rechercher, en plus. Je crois que c'est cela l'idée.
Mme Anne Chevrel
Une dysphasie peut-elle être détectée par un IRM ?
Docteur Michel Habib
Vous parlez de détection ; mais il est un sujet dont nous n'avons pas du tout parlé ; je crois
que nous en parlerons. Il s'agit de tout ce qui a trait au dépistage. Sachez cependant que, de
tous les progrès qui ont été réalisés ces cinq dernières, il en est de considérables qui
concernent le dépistage. L'institution scolaire y est pour beaucoup puisque je pense que, dans
toutes les régions, ici comme ailleurs, l'Éducation nationale a fait un effort considérable de
dépistage, à travers la médecine scolaire.
Parmi les éléments permettant ce dépistage, le langage oral joue un rôle important. On sait
désormais qu'un enfant qui présente des troubles du langage oral risque de connaître des
troubles de l'apprentissage ultérieurement. On n'a pas eu l'occasion de parler pendant ces trois
interventions de cette notion de la préséance du langage oral sur le langage écrit. Cependant,
elle reste capitale et on peut profiter de cette question pour l'aborder. Cela dit, la question portait
plutôt sur la dysphasie, sur le devenir des dysphasiques.
Mme Anne Chevrel
Sur la détection par IRM.
Docteur Michel Habib
Je crois qu'actuellement on n'en est pas là. Toutes ces images que je vous ai montrées
restent du domaine de la recherche et pas du tout de la pratique clinique : on n'en a pas besoin
pour faire des diagnostics.
52
Mme Anne Chevrel
Donc, pour l'instant, pas de détection par cette méthode ?
Docteur Michel Habib
Ce n'est absolument pas un élément qui permette la détection. En revanche, pour l'avenir, il
est probable que cela puisse aider dans divers domaines, dont la détection. Mais pour le
moment, la détection passe par la clinique.
Une enseignante
A vous entendre, je suis très interpellée. En effet, nous sommes vraiment seuls dans nos
classes. Je me demande si l'Éducation nationale fait de temps en temps appel à vous. En effet,
face à un enfant dyslexique, à part travailler autour d'une table (c'est déjà très bien) avec des
parents ou des spécialistes, on ne fait pas grand-chose. Je voulais savoir si, dans notre
formation (initiale ou continue), des évolutions ou des changements avaient lieu. En effet, je ne
savais franchement pas ce qu'était un dyslexique avant d'en avoir accueilli un dans ma classe.
Grâce aux parents, j'ai pu m'y intéresser ; nous sommes une petite équipe, mais nous restons
isolés. C'est un point dans mon département.
Docteur Habib
On va peut-être demander au régional de l'étape ?
Professeur Jean-Émile Gombert
Je ne veux pas parler pour l'Éducation nationale, bien que j'en fasse partie ; mais quand
même ! Il faut dire que les choses évoluent rapidement depuis quelques années. Il y a encore 5
ans, l'Éducation nationale niait, en général, rejetait totalement la notion même de troubles "dys".
En mars 2002, un texte est venu officialiser l'existence des troubles "dys" et la nécessité de
les prendre en charge. Depuis, il se développe au sein de l'Éducation nationale, toute une
quantité de dispositifs qui, non seulement sont destinés à détecter les enfants à risque mais
tracent aussi des pistes pour la prise en charge des enfants et pour la formation des
enseignants.
Cela dit, il reste encore un long chemin à parcourir ; on entend de nombreuses déclarations
d'intentions. Il faut bien avouer que les moyens ne suivent pas ; j'aurais même tendance à dire
voir une corrélation inverse entre le développement des intentions et l'affectation des moyens.
Je pense que c'est un point important : s'il y a urgence, si on prend clairement la décision de
prendre en charge cette difficulté particulière que rencontrent un certain nombre d'enfants et de
parents, il faut affecter les moyens nécessaires à la formation, d'une part des enseignants toutvenants et, d'autre part, des professionnels. Et ce sont là de réels investissements qui
supposent des priorités à donner dans les dépenses de la nation.
53
Mme Anne Chevrel
Nous aurons l'occasion de revenir tout à l'heure sur ces questions d'Éducation nationale et
d'interactions entre les différents acteurs. Une autre question nous arrive de l'autre salle, portant
toujours sur la détection des troubles "dys". L'un de nos interlocuteurs demande ce que l'on peut
faire quand les troubles "dys" sont détectés à l'adolescence par exemple, de façon tardive ?
Cela ne constitue-t-il pas un handicap supplémentaire ? Peut-on encore, à l'adolescence,
entreprendre quelque chose pour aider ces enfants ?
Docteur Olivier Revol
Oui, c'est une très bonne question. D'abord il n'est jamais trop tard pour entreprendre
quelque chose. Il n'est jamais trop tard pour faire identifier à l'enfant la raison de ses difficultés.
J'irais même plus loin : certains parents viennent nous consulter alors que leur enfant a
maintenant 20 ans et qu'il a quelque peu échoué dans sa scolarité. Ils me demandent si je
n'aurais pas une idée. On fait passer des tests à l'enfant et on lui montre, grâce à son test de QI,
à son test logico-mathématique, à son test orthophonique, les raisons de ses difficultés. Il n'était
pas un enfant fainéant ; il n'était pas un enfant opposant ; il n'était pas un enfant qui avait des
problèmes. Il n'était simplement pas équipé pour apprendre. Il n'est jamais trop tard pour le faire
et c'est toujours apaisant pour lui.
A l'adolescence maintenant pure, c'est-à-dire au collège puis au lycée, il n'est pas trop tard.
On peut, bien sûr, entreprendre encore certaines rééducations ; une évaluation orthophonique
peut conduire à une reprise ou à une mise en route initiale d'orthophonie. Il n'est jamais trop tard
pour commencer une aide, un accompagnement.
Mme Anne Chevrel
Qu'est-ce qui peut nous alerter quand cela survient à l'adolescence ? Qu'est-ce qui fait que
l'on va y penser d'un seul coup ?
Docteur Michel Habib
Je vais juste rajouter à ce qu'a dit mon collègue que, si un enfant dyslexique n'est détecté
qu'à l'adolescence, il existe probablement une raison à cela. Il y a à peine 10 ans, ces cas se
présentaient assez fréquemment ; désormais, ils ont pratiquement disparu. Je crois que le
système est suffisamment bien conçu pour permettre la détection de tout enfant dyslexique.
Pour qu'il passe à travers les mailles du filet, il faut une raison. Une des raisons possibles,
c'est qu'il ait compensé, qu'il fasse partie de cet aspect des enfants précoces. Sa dyslexie est
passée inaperçue à cause ou grâce à son intelligence. Franchement, face à un enfant de 12 ans
dyslexique, qui n'a jamais fait l'objet d'un diagnostic auparavant, moi je ferais volontiers une
mesure de QI.
Mme Anne Chevrel
Vous conseillez d'ailleurs presque systématiquement cette mesure du QI !
54
Docteur Michel Habib
Oui.
Mme Anne Chevrel
Merci. Voyons une question de définition : Que sont les troubles dysexécutifs ?
Docteur Olivier Revol
Les troubles "dysexécutifs" (je parle sous le contrôle de Michel, qui est neurologue), sont des
troubles liés à un dysfonctionnement du cortex préfrontal ; or, les fonctions qui sont soustendues par le cortex préfrontal sont les fonctions exécutives. Ce sont celles qui permettent
d'atteindre un but. Si je veux saisir un objet, je dois élaborer un plan dans ma tête. Je le fais ; et
si, entre-temps, je pense ce n'est pas le moment de prendre mon verre parce qu'on me pose
une question ailleurs, je dois être capable de revenir sur ma première idée (ce qu'on appelle la
flexibilité mentale) puis de changer d'avis. C'est cela les fonctions dysexécutives.
Les enfants qui présentent un déficit attentionnel souffrent très souvent d'un trouble
"dysexécutif" et rencontrent des difficultés justement, avec la flexibilité mentale, à penser à lever
la main, à mettre en place une stratégie pour travailler, à s'organiser, à revenir sur une idée
parce qu'elle n'est pas bonne. Cela les pénalise fortement sur les plans social et scolaire.
M. *David Pouly*
Je suis père d'un enfant dyslexique. Je me demandais quel était votre point de vue sur les
redoublements d'enfants dyslexiques ? Je reprends une de vos précédentes réflexions : ce sont
les enfants que l'on repère tardivement. Je pense que les parents font aussi beaucoup ; ils
participent énormément pour permettre à leurs enfants de se "raccrocher aux wagons" en
permanence. Ces parents n'ont pas l'impression, dans ces cas, de bénéficier toujours d'un
soutien derrière. On leur objecte que leur enfant n'ayant pas redoublé trois fois,il n'y a donc pas
de souci.
Docteur Olivier Revol
Cette question est fréquente. Quand on se retrouve assis sur les petites tables et les petites
chaises, lors des réunions hebdomadaires avec les enseignants et les orthophonistes, je pense
que la première chose qu'on doive annoncer à l'enseignant, c'est que l'enfant ne saura pas lire à
la fin du CP ; mais qu'il ne saura pas non plus lire à la fin du CE 1, à la fin du CE 2, à la fin du
CM 1. Donc il faut revoir à la baisse les objectifs.
Si vous le faites redoubler uniquement pour son problème de lecture et ensuite pour son
problème d'orthographe, c'est une faute, et c'est une faute grave ! Cela ne servira à rien. Par la
suite, bien sûr, si d'autres problèmes surviennent, d'autres difficultés, d'autres lacunes, on peut
en rediscuter. Mais faire redoubler un enfant uniquement parce qu'il rencontre un problème
spécifique de calcul, de lecture ou d'orthographe et qu'on sait que cela ne signifie pas un retard
simple, mais que c'est dû à un trouble "dys", développemental, qui va durer et qu'il va garder
55
toute sa vie, qu'on va lui apprendre à compenser au fil des années, mais pas l'année prochaine,
ni dans deux ans, je suis opposé au redoublement des enfants "dys". Certainement.
Mme Anne Chevrel
Une autre question nous vient de l'autre salle : vous nous avez parlé tout à l'heure de
médicaments. Dans le traitement des troubles de l'attention, c'est un aspect qui suscite encore
la polémique ; peut-être plus chez vous scientifiques. En tout cas, chez les parents, il persiste
toujours une inquiétude. Est-ce que, chez les enfants qui présentent un trouble de l'attention, on
doit réellement recourir aux traitements médicamenteux ? Ne comportent-ils pas un risque ? La
Ritaline a aussi fait parler pas mal d'elle.
Docteur Olivier Revol
Est-ce qu'on doit donner de l'insuline à un enfant qui est diabétique ?
Mme Anne Chevrel
Je crois.
Docteur Olivier Revol
Après la question, c'est cela. Il n'y a plus de polémique ; il ne devrait plus y en avoir. Il faut se
donner les moyens d'expertiser les causes du trouble de l'attention de l'enfant.
L'Amérique du Nord offre l'exemple d'une situation extrême : on y traite 8 millions d'enfants
par la Ritaline. Là-bas, dès qu'un enfant bouge l'oreille, sans même se poser la question de
savoir pourquoi il bouge, on le traite et cela pour différentes raisons :
- d'abord, c'est pour des raisons d'ordre économique, parce que les assurances ne remboursent
qu'une seule consultation chez le médecin ; celui-ci doit régler en une fois le problème et cela va
donc très vite ;
- ensuite, c'est certainement lié au fait que l'Amérique du Nord compte plus d'enfants hyperactifs
que l'Europe, pour des raisons génétiques, parce qu'on sait que le TDAH, c'est génétique. Ceux
qui sont partis sur le Mayflower, ce n'étaient pas les plus stables à l'époque (cela n'engage que
moi !). A peine arrivés, sur la côte Est, il a fallu qu'ils repartent sur la côte Ouest dans des
chariots. Je le pense !
Mais blague à part, on voit ces enfants ; ils sont notre lot quotidien. Sur les 10 enfants que je
reçois en consultation chaque semaine, 5 sont hyperactifs. On déroule, au fil de la semaine, la
liste des causes possibles de leur hyperactivité.
Je dirais que, sur 10 enfants hyperactifs,
. 4 sont déprimés. On oublie que la première manifestation de la dépression de l'enfant est
l'agressivité et l'hyperactivité. Dans ce cas, leur prescrire de la Ritaline constitue une faute
grave, car cela majore la dépression ;
. 2 rencontrent des problèmes "dys", parce qu'ils s'ennuient à l'école, parce que c'est trop dur ou
trop facile ;
56
- 2 autres souffrent de maladies génétiques ; il faut entreprendre des recherches, réaliser un
examen neuropédiatrique, car certaines maladies font bouger ; et enfin
- 2 sont des TDAH ; ils sont donc 2 sur 10.
Quand on a apporté la preuve que c'était vraiment un TDAH - on dispose des moyens
d'établir cette preuve grâce au QI, à des tests d'attention, etc. ne pas lui prescrire de la Ritaline,
c'est une faute. C'est-à-dire que, de ne pas traiter un enfant qui en a besoin, dont on sait
pertinemment (dans notre service, nous sommes en train de reproduire les études prospectives
américaines) que ces enfants-là, non traités, peuvent connaître une évolution qui serait
extrêmement défavorable. Ne pas traiter ces enfants qui présentent une symptomatologie qu'on
connaît bien et qui peut avoir des conséquences très défavorables, se manifester par les
troubles des conduites sociales, des blessures à répétition etc., c'est une erreur.
En revanche, traiter en connaissance de cause, en ayant évalué, en faisant prendre le
médicament les jours d'école (parce qu'on sait que c'est quand même surtout à l'école que c'est
difficile), qu'on évite l'accoutumance en ne le donnant pas le week-end, en sachant que l'on va
instaurer des aménagements pédagogiques pour accompagner le traitement puis, à un moment
donné, se substituer à lui, je pense que c'est indispensable de leur prescrire.
J'imagine que certains d'entre vous ont des enfants qui ont été traités. Cela marche tellement
bien ! Je pense à un instituteur de Gap : quand les parents sont revenus et que l'enfant était
sous Ritaline, il paraît que, le premier soir, l'instituteur les a appelés pour leur dire que ce n'était
pas à Lyon qu'ils étaient allés, mais à Lourdes.
Mme Anne Chevrel
Merci. Professeur Gombert, je vous vois acquiescer ; voulez-vous ajouter quelque chose à
propos de la Ritaline ?
Professeur Jean-Émile Gombert
Non ; n'étant pas médecin, je n'ai pas le droit d'en parler. Mais je suis entièrement d'accord. Il
se trouve qu'on sait aussi que parfois on a commis des abus et que certains médecins ont
prescrit de la Ritaline à des enfants "dys" ; et là effectivement, cela devient n'importe quoi.
Mme Isabelle *Gauthier
Je suis ophtalmologiste. Beaucoup de parents d'enfants dyslexiques interrogent les
ophtalmologistes sur la posturologie, éventuellement sur la pose de prismes sur des verres.
J'avoue que c'est une méthode que j'ai essayé de comprendre et dont je n'arrive pas à être
convaincue. Est-ce que vous en avez une expérience ? Est-ce que vous pouvez nous en
parler ?
57
Docteur Olivier Revol
Je pense que chacun de nous doit en dire un mot. Bien sûr, j'ai l'expérience de cette
méthode. Elle a été importée du Portugal. On en entend beaucoup parler. Un de ceux qui l'ont
importée travaille à Beaune, à côté de Lyon ; il est ophtalmologiste.
Beaucoup de personnes me posent la question. Donc, pour ceux qui ne sont pas au courant
de cette technique, j'indique que l'idée repose sur la proprioception. La posturologie consiste à
dire que l'enfant dyslexique a du mal à positionner son corps et son regard par rapport à la
lecture ; donc on lui propose, après un bilan, un pupitre incliné et éventuellement, après l'avoir
mis sur un podoscope, des semelles compensatrices pour modifier sa position et des prismes.
Une enquête a été faite ; la recherche a été menée et on n'en a pas encore les résultats, pour
l'instant ; ou on ne les publie pas.
Il s'agit d'une expérience empirique ; vous avez compris ma position, quand je vous dis que
"la science se rature elle-même", je ne suis vraiment pas de ceux qui critiquent ce qu'on ne
connaît pas. Mais je suis de ceux qui restent méfiants face à ce qui n'est pas validé. La Ritaline,
cela a été validé en double aveugle, contre placebo. Donc on sait ce qu'on fait. On a reconnu
l'efficacité des choses.
Donc, quand une méthode a été validée en double aveugle, selon un protocole scientifique,
auquel on a éventuellement participé, alors oui, je lui donne mon soutien total.
Mais quand une méthode n'a pas été validée, je ne la critique pas systématiquement, je me
méfie. En tant que médecins, notre mission consiste quand même à soulager et je pense que
beaucoup de mes confrères, et en particulier mes confrères psychiatres, l'ont oublié. Nous
sommes là pour soulager, y compris avec des médicaments et des techniques de médecine
douce. Nous sommes là pour apaiser la souffrance d'un enfant, celle de sa famille.
S'il existe une technique qui apporte un apaisement, sans être nocive, qui a fait preuve de sa
non-nocivité, j'y adhère. Quand mes petits dyslexiques me demandent s'ils peuvent aller à
Beaune, je leur réponds qu'ils sont grands, qu'ils sont libres et que s'ils veulent y aller, ils n'ont
qu'à le faire. Mais, en revanche, que cela m'intéressera qu'ils me donnent leur avis. Les gens y
vont ; les enfants reviennent équipés de prismes, de semelles. Un certain nombre de parents
estiment quand même, de façon subjective, que leur enfant est amélioré.
Mais dès qu'on fait quelque chose de positif et qu'on encadre un enfant et qu'on lui apporte
une amélioration, surtout face à une problématique où on reste si démuni - à part la rééducation
qui demeure fondamentale - il n'y a pas de médicament, il n'y a rien d'autre, quel est l'effet
placebo de cette méthode ? Je ne sais pas.
Donc je ne sais pas si cela marche ou si cela ne marche pas. Je sais que plusieurs de mes
patients se sont estimés mieux. J'ai un peu l'impression qu'au fil du temps, l'effet produit
s'amenuise. Je ne sais pas. Je ne critique pas. J'attends qu'on me donne des résultats d'études
validés.
58
Docteur Michel Habib
Je connais bien la personne qui a réalisé la seule étude qui est actuellement en cours et qui
m'a révélé quelques résultats : apparemment, ceux-ci resteraient extrêmement minimes,
pratiquement inexistants. C'est-à-dire que la seule étude qui ait essayé de comparer les effets
de cette méthode sur un groupe avec un autre groupe qui ne la recevait pas, montre un résultat
pratiquement inexistant.
Ce qui veut dire, comme le disait tout à l'heure Olivier, on ne peut pas présumer de
l'éventuelle nocivité de cette méthode ; en revanche, on sait qu'elle est pratiquement inefficace.
Cela équivaut à prendre un risque. Je vous ai montré ce qu'un entraînement était capable de
produire sur le cerveau, un entraînement qui utilise des méthodes qui, elles, ont prouvé leur
efficacité. On ne sait pas ce qu'une méthode qui n'est pas prouvée comme efficace pourrait
produire sur le cerveau. Je pense qu'il y a donc vraiment un risque à l'utiliser tant que l'on n'a
pas démontré l'obtention de résultats flagrants.
J'ajouterais que, plus la science avance, plus ce risque va devenir palpable. C'est-à-dire
qu'on peut démontrer qu'on est en train de modifier quelque chose dans le cerveau. On joue à
l'apprenti sorcier, sans s'appuyer sur une base théorique solide ni sur des preuves scientifiques
statistiques certaines. Je serais, pour ma part, fermement opposé à l'utilisation de ce type de
méthode. D'autant plus que les aspects théoriques correspondants restent assez flous, comme
vous le souleviez, Madame, disant que vous ne compreniez pas comment cela marchait. Et pour
cause : la méthode ne s'appuie sur aucune théorie sous-jacente qui soit logique ; elle se fonde
sur une intuition ; certes, les intuitions s'avèrent parfois bonnes. Avec tout le respect qu'il faut
avoir pour les gens qui ont ces intuitions. Mais face à une intuition à ce niveau-là, surtout à une
grande échelle comme prétend être cette méthode, j'émettrais pour ma part les plus grandes
réserves - mais alors les plus grandes réserves - sur son utilisation, tant qu'il n'y a pas du
nouveau, très clair sur le plan scientifique, des articles publiés dans des revues scientifiques.
Professeur Jean-Émile Gombert
Pour abonder un peu dans le même sens, parce que c'est vraiment important, j'ajouterais
qu'il risque de se développer un marché qui va parier, en quelque sorte, sur l'investissement des
parents dans des méthodes pour lutter contre les difficultés que rencontrent leurs enfants. Dans
le cas présent, le dispositif mis en oeuvre ne correspond à aucune des quatre grandes théories
qui se disputent, en quelque sorte, l'explication de l'origine du trouble dyslexique.
Il s'agit donc d'une méthode dans un premier temps totalement intuitive, que l'on habille, dans
un second temps, d'une pseudo-théorie : on vient brancher un discours pseudo-scientifique sur
une pratique lucrative. Il se trouve que la personne qui est auteur de ces discours pseudothéoriques, a fait sa thèse sous la direction d'un neurologue de Marseille. Je faisais partie de
son jury d'habilitation à diriger des recherches. L'un comme l'autre, nous avons de bonnes
raisons d'au moins disqualifier le discours théorique qui sous-tend cette méthode.
59
Mme Anne Chevrel
D'accord. Je voulais vous poser une question complémentaire sur d'autres méthodes. On a
parlé de cette méthode-là. Les fiches qui nous parviennent évoquent d'autres méthodes : BorelMaisonny, Makaton... Avez-vous pour ces méthodes de rééducation cette même réticence, cette
même réserve ?
Professeur Jean-Émile Gombert
Elles n'ont rien à voir. Dans le cas de la méthode Borel-Maisonny, c'est en quelque sorte une
pratique qui repose sur le multisensoriel. C'est vrai qu'elle a été élaborée sur des bases très
empiriques, très intuitives. Mais les connaissances actuelles ont plutôt tendance à conforter le
bien-fondé, en quelque sorte, de ce type d'approche.
Docteur Olivier Revol
Tout à fait ; il s'agit quand même là de méthodes qui ont fait la preuve de leur efficacité. Peutêtre ne conviennent-elles pas, en revanche, à tous les enfants.
Docteur Olivier Revol
Elles ne prétendent pas agir sur tout. Pour certains enfants qui ont besoin de l'aide
kinesthésique pour comprendre les mots, les lettres et ensuite les syllabes et accéder à la
syllabique, la méthode Borel-Maisonny s'avère magique.
La méthode Makaton s'appuie sur l'utilisation de pictogrammes. Pour certains enfants qui
présentent des problèmes de langage oral, cela marche aussi très bien.
Docteur Catherine Allaire, neuropédiatre, responsable du Centre de référence du langage,
Rennes
A propos de la question de la posturologie, de la proprioception, qui marche de temps en
temps et fait couler beaucoup d'encre, je ferai une brève remarque : cela montre bien,
justement, à quel point il faut essayer de comprendre le mécanisme du trouble du langage écrit
qui renvoie à différents types de dyslexie. Je pense qu'une des causes sous-estimées, ce sont
les troubles du regard, les troubles neurovisuels. Effectivement, de temps en temps, les prismes
ou la prise en compte des difficultés neurovisuelles, cela marche. Mais en fait, dans le cadre
d'un trouble bien étudié. C'était une réflexion.
Docteur Michel Habib
Certains spécialistes, les orthoptistes, connaissent très bien cela et depuis longtemps.
Docteur Catherine Allaire
Tout à fait.
60
Docteur Michel Habib
Dans certains cas très précis, ils emploient des méthodes de rééducation des mouvements
oculaires qui s'avèrent parfois efficaces pour compléter le traitement de l'orthophoniste ; mais ce
n'est plus du tout un traitement étiologique.
Mme Anne Chevrel
Cela sera l'occasion peut-être, comme vous le disiez, l'année prochaine, on vous invite, c'est
cela ? Ca sera l'occasion de lancer d'autres rencontres.
Mme
Concernant les troubles du langage, je me posais une question. On a beaucoup parlé de
méthodes. Est-ce que l'utilisation de la langue des signes peut constituer une méthode, apporter
une aide supplémentaire ? J'ai eu cette information-là. Je connais la fille de Philippe *Lefait, un
journaliste de France 2. On avait vu un reportage sur sa petite fille ; elle présentait des troubles
de l'apprentissage. Elle a été rééduquée grâce à la langue des signes. J'ai trouvé cela
formidable. C'est une petite fille qui avait du mal à s'exprimer mais qui entendait bien.
Mme Anne Chevrel
Merci. Avez-vous un avis là-dessus ?
Professeur Jean-Émile Gombert
Tout dépend de ce que l'on veut rééduquer :
- en présence d'un trouble de la parole, par exemple, pourquoi ne pas passer par une "autre
langue" qui mobiliserait moins la parole
- s'il s'agit, en revanche, de rééduquer une personne dyslexique, présentant un trouble de
l'accès à l'écrit, l'aide ne peut venir que d'un système qui est en correspondance avec un
langage alphabétique.
Dans ce cas-là, un certain nombre d'études suggèrent que passer par le langage parlé
complété (LPC) - mais il ne s'agit pas du tout de langue des signes -, utiliser ce système qui
permet de rendre visible la phonologie et d'assister la lecture labiale, peut aider l'enfant à
prendre conscience des phonèmes, en quelque sorte. Mais, dans un tel cas, la langue des
signes elle-même serait en décalage avec l'objectif visé.
Mme Anne Chevrel
Merci pour la réponse à cette dernière question. Pour ma part, j'ai juste un point qui vient en
conclusion tout en proposant une ouverture : on a parlé de médicaments, de médecine
également ; mais on a aussi parlé de méthode. A entendre vos explications, on comprend bien
que les scientifiques, les médecins ne sont pas les seuls concernés : vous travaillez avec des
professionnels de santé, avec des professionnels de l'enseignement, avec des parents. Cela
fera l'objet de la deuxième partie du débat. L'une des idées de la journée était un réseau.
M. Habib, vous nous avez parlé d'un réseau. Je suppose que, en tant que scientifique et
61
médecin, c'est une structure sur laquelle vous souhaitez vous appuyer ? Un réseau vous
semble-t-il vraiment utile pour travailler ?
Docteur Michel Habib
Je pense que nous pouvons répondre tous successivement dans un sens positif. Non
seulement c'est utile, mais c'est indispensable. Il va nous falloir construire, en quelque sorte, des
dispositifs partenariaux pour prendre en charge les difficultés, en général, peut-être sans isoler
les troubles "dys". Il nous faut réunir un ensemble de partenaires qui soient capables d'apporter
des réponses aux enfants en difficulté, quelle que soit l'origine de leur difficulté, et aux parents
de ces enfants.
Docteur Olivier Revol
Oui, tout à fait. On aura compris la nécessité d'appréhender cette question à plusieurs, en
portant différents regards : médicaux, psychologiques, rééducatifs, pédagogiques. C'est en
croisant les expériences et les compétences que l'on devient le plus efficace pour les enfants.
C'est en devenant vraiment leur supporter - il faut également que les parents le soient - qu'on
arrive à les aider.
C'est donc :
- d'une part, un réseau d'amont, qui filtre en amont, qui doit venir au centre de référence ; et
- d'autre part, un réseau d'aval sur lequel on puisse s'appuyer, une fois les bilans réalisés, en
sachant que l'enfant va dans tel village, dans tel coin de la ville, il sera aidé.
Nous avons constitué un réseau sur le modèle de celui de Marseille, qui est remarquable ; il
s'appuie également sur un diplôme universitaire. A ce moment-là, on travaille en équipe, on ne
reste plus isolé : en ce qui nous concerne, dans une espèce de forteresse, dans un centre de
référence, où nous serions complètement coupés de l'extérieur ou isolés comme tous les
professionnels qui accomplissent un travail remarquable en libéral mais qui restent seuls. On a
besoin de travailler ensemble.
Docteur Michel Habib
J'ajouterai juste une dernière précision : dans l'expérience du réseau que nous avons créé
dans le Sud-Est, qui était un réseau de santé créé par et pour les professionnels de santé,
chaque année qui passe nous montre un peu plus qu'on ne peut rien faire sans inclure dans le
réseau l'Éducation nationale : l'enseignant et la pédagogie.
Tous les efforts que l'on peut faire, aussi sophistiqués et aussi pluridisciplinaires soient-il,
entre médecins et corps paramédical, resteraient vains s'ils n'étaient faits en collaboration avec
l'école, et au plus près possible de l'enseignant lui-même. On s'aperçoit que l'idéal consisterait à
inclure dans nos groupes de réflexions l'enseignant qui s'occupe de l'enfant. Malheureusement,
ce n'est pas toujours possible.
62
Mme Anne Chevrel
Je vous remercie tous les trois. Au quotidien, pour encadrer, accompagner nos enfants, les
suivre, médecins et professionnels de santé ne sont pas les seuls à intervenir ; une
collaboration s'établit entre de nombreux partenaires : des spécialistes, des médecins, du
personnel médical, mais aussi l'Éducation nationale, des associations.
Je vous propose, dans un premier temps, d'entendre quatre présentations de structures qui
accompagnent nos enfants. Dans un second temps, nous pourrons avoir un débat sur le rôle de
chaque intervenant, sur la façon dont on procède pour détecter les troubles, accompagner les
enfants.
Nous commençons par une présentation du docteur Catherine Allaire et de Dominique Mélo.
Tous deux travaillent au Centre du langage de Rennes. Vous allez tout d'abord nous parler de
dépistage, de bilan, de prise en charge en dressant pour nous un état des lieux des pratiques en
Ille-et-Vilaine.
Dépistage, bilan, prise en charge des enfants dys
État des lieux des pratiques en Ille-et-Vilaine
Les dysfficultés d'apprentissage
Docteur Catherine Allaire
Je voulais d'abord remercier les organisatrices (j'ai surtout rencontré des femmes) de ce
colloque et saluer la synergie des trois associations avec lesquelles nous collaborons depuis
plusieurs années déjà. Comme on dit : "L'union fait la force".
Nous allons parler de terrain ; je n'évoquerai pas du tout l'aspect scientifique sur lequel tout
ou presque a été dit. Nous verrons la démarche diagnostic en insistant en particulier sur le
travail d'équipe et son caractère multidisciplinaire. Je passerai rapidement la parole à Dominique
Mélo, psychologue clinicien pour cela.
Que l'on soit psychiatre ou neurologue, en l'occurrence je suis neurologue, il faut garder
présent à l'esprit, comme cela a déjà été souligné, l'ensemble des déterminants qui permettent
les processus d'apprentissage, faute de quoi on risque de passer à côté des difficultés qui sont
souvent intriquées.
Il est vrai que, depuis quelques années, ce concept de maladie développementale émerge.
Autrement dit, c'est l'idée qu'un dysfonctionnement d'origine neurologique pourrait être à l'origine
de troubles de la mise en place de fonctions cognitives et de difficultés d'apprentissage. C'est un
vaste groupe de maladies qui comprend les troubles dits spécifiques qui sont ceux-là ; on a déjà
décliné les différents troubles.
63
D'autre part il faut, chez un certain nombre d'enfants dits "à risque" de trouble des
apprentissages, savoir peut-être les anticiper. Je pense en particulier :
- aux enfants victimes de traumatismes crâniens dont on dit souvent que "tout va bien" par la
suite, mais qui peuvent pourtant poser des problèmes de séquelles cognitives en particulier, de
mémoire ;
- les enfants épileptiques ; et
- les grands prématurés, mais en général, ces enfants sont relativement bien suivis ;
- de façon plus confidentielle, les sujets souffrant de maladies neurocutanées qui peuvent être
diagnostiquées
uniquement
à
l'occasion
de
la
consultation
pour
les
troubles
des
apprentissages ; et enfin
- un certain nombre de maladies génétiques orphelines.
En fait, on se querelle sur les chiffres : une étude est très souvent citée, celle de l'European
Association for Special Diseases. Relativement consensuelle, elle fait état de 4 à 6 % de
troubles spécifiques ; malheureusement, elle ne permet pas de cibler les troubles associés et
les troubles intriqués.
Si bien que le diagnostic pose de grandes difficultés parce que la frontière semble parfois
difficile à établir entre une difficulté et un trouble, notamment chez l'enfant jeune. Je repense
notamment aux chiffres de Mme Tascon-Ménetrier 4 qui parlait de 12 % d'enfants en difficulté de
langage oral dans les crèches. Mais c'est vrai que, quand on revoit ces enfants deux ou trois
ans plus tard, ils sont beaucoup moins nombreux, parce qu'un certain nombre présentait une
simple immaturité. Comme on l'a déjà dit, d'une part, de nombreuses situations semblent
intriquées et, d'autre part, il n'existe pas toujours un consensus sur les définitions.
En fait, la situation devant laquelle on se trouve, c'est celle d'un enfant qui présente un
trouble : soit graphique, soit de lecture, soit de langage oral, soit de comportement. En fait, ce
qu'il faut faire, c'est non pas descendre à partir d'une pathologie mais remonter vers les
hypothèses diagnostiques.
4. Mme Clotilde Tascon Ménetrier, conseillère municipale, Ville de Rennes en charge de la Santé.
64
Un enfant présentant un trouble massif du graphisme à huit ans :
Voilà une situation assez complexe parce qu'un trouble graphomoteur peut être consécutif à
de très nombreuses pathologies. Il va falloir essayer de comprendre selon une méthode
hypothéco-déductive qui va nécessiter une autre approche sur le langage oral, mais on peut
faire la même chose sur le langage écrit également. Il y a déjà eu beaucoup de choses dites.
Les centres de référence ont été positionnés pour poser le diagnostic des troubles sévères et
spécifiques du langage, oral et écrit, de façon plus large peut-être des apprentissages (c'est un
65
concept qui a émergé ensuite) au sein d'une équipe pluridisciplinaire, ainsi que de participer aux
formations et de développer un réseau avec les professionnels qui prenaient en charge ces
enfants (les professionnels paramédicaux libéraux, le secteur psychiatrique, les CMPP) et
l'Éducation nationale, bien sûr, étant donné qu'il s'agit également d'un plan qui la concernait.
Le centre de référence de Rennes est situé dans le service de rééducation fonctionnelle des
enfants à Pontchaillou au CHR de Rennes. L'équipe est réellement multidisciplinaire, comme
vous pouvez le constater.
Quant au fonctionnement du centre : on procède :
- d'abord à un examen du dossier de façon à déterminer s'il y a vraiment lieu d'aller plus loin
dans l'évaluation, pour savoir si cela va rendre service au jeune patient ;
- ensuite, la démarche est entreprise d'un bilan avec un ou deux professionnels, la synthèse et ;
- le travail de lien se fait par la suite avec les professionnels qui prennent en charge l'enfant et
avec l'école. C'est ce travail multidisciplinaire que va développer Dominique Mélo.
La prise en charge : l'équipe et les liens entre les équipes
M. Dominique Mélo, psychologue clinicien
Ma présentation sera orale, sans l'aide d'éléments visuels. Mon propos va consister à
intervenir sur la dimension de l'équipe. Quand vous confiez des enfants au Centre du langage,
on entreprend, dans un premier temps, une démarche d'équipe. Celle-ci a pour effet d'en rendre
compte déjà à l'enfant et aux familles, c'est évident, mais également à d'autres équipes par
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derrière ; celles-ci peuvent être des équipes isolées puisque cela peut être des professionnels
libéraux.
J'aimerais vous présenter en quelque sorte le lien qui unit ces deux types d'équipe, interne et
externe. Je soulignerai aussi, peut-être au moment où on parlera des remédiations des équipes
externes, l'apport, l'effet que peut produire chez l'enfant chaque action que l'on peut
entreprendre avec lui.
Certes, constituer une équipe pluridisciplinaire ne se limite pas simplement à juxtaposer
différents métiers. Déjà, pour rentrer au Centre du langage, il faut une maîtrise de grec parce
que c'est truffé de radicaux anciens tels que neuro, psy, ergo. Faute d'avoir étudié un minimum
le grec - langue qui est pourtant perçue comme morte -, il s'avère bien difficile de s'y retrouver.
On connaît de mieux en mieux certains métiers : les neuropsychologues, les psychologues,
les ergothérapeutes (cela y est, on les connaît depuis cinq ans quand même ! Ils ont opéré une
très nette percée en tout cas dans le monde des troubles des apprentissages. Par le passé,
c'est plutôt les centres de rééducation des troubles moteurs, par exemple, qui les connaissait).
Nous disposons donc, en ce qui nous concerne, de cette palette de différents métiers ; la
démarche va au-delà de la simple addition de ces métiers.
Tout à l'heure, M. Revol disait que la prise en charge devait affiner le diagnostic puis devenir
une prise en charge globale. Il est vrai que, de ce point de vue, nous, Centre du langage de
Rennes, comme beaucoup d'autres centres du langage, faisons une belle démonstration de la
nature de ce type de prise en charge.
Le cas particulier de Rennes, avec quelques autres centres en France (je viens d'entendre
avec plaisir que Marseille se situait dans cette perspective-là), c'est de faire intervenir un
psychoclinicien. Je ne dis pas cela pour représenter ma boutique ; c'est pour bien resituer aussi
l'a priori des approches et des troubles du langage, des troubles d'apprentissages qui vont se
faire à Rennes.
On se trouve à un carrefour, au confluent très précis de trois types de sciences. On va
considérer :
- des sciences naturelles
- des sciences humaines, dont les approches vont être plus psychologiques, concernant
beaucoup plus l'histoire de l'enfant ; et
- la troisième dimension, ce sont aussi des sciences sociales. C'est également cette
connaissance indispensable du terrain, des apports qui peuvent être donnés, de ce qu'on
appelait tout à l'heure aussi les différentes "démarches de rééducation" qui vont être
entreprises.
Sur un tel plateau, nous n'allons pas additionner des constats, mais plutôt contester nos
modèles (ce qui ne veut pas dire qu'on s'"engueule", cela se passe vraiment très bien) tous les
jeudis matins. Le moment fort du centre de langage a lieu au moment de la synthèse du jeudi
matin. Pendant le reste de la semaine, on réalise des bilans, on reçoit les enfants, on fait les
différentes approches. Mais le moment où le Centre du langage développe vraiment toute son
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envergure et prend toute son ampleur, c'est celui de la synthèse : chaque professionnel y est
alors testé à son tour, après l'enfant ; là, c'est le professionnel. C'est alors que l'on va faire
revivre le seul et vrai théoricien, finalement, c'est-à-dire l'enfant lui-même.
Il faut savoir que les cas particuliers des enfants que l'on voit et qui sont en échec et en
difficulté sont très souvent et presque systématiquement ceux d'enfants qui n'ont pas participé à
la constitution des épreuves qu'on leur présentait. C'est-à-dire qu'on va leur présenter des tests
de QI, des épreuves psychométriques, des exercices d'orthophonie et ainsi de suite ; et ces
épreuves-là sont des épreuves standardisées. Elles refont un rapport à la moyenne des enfants
de leur âge et finalement rendent compte d'une norme et d'un fonctionnement classiques.
Ce qu'ils nous apprennent, c'est que toutes nos théories s'écroulent, au bout du compte.
L'intérêt de ce type d'approche pluridisciplinaire, c'est cette remise en scène du réel théoricien,
lui qui n'a rien demandé, pour se sentir soudainement revendiqué par des professionnels, mais
qui va justement nous en apprendre énormément sur les choses qui résistent. Et c'est à ce
moment-là précisément que, dans l'échange, dans la confrontation des modèles, on peut faire
revivre cette démarche-là.
La première question que l'on pose - cela ne signifie pas que la façon dont je vais vous
présenter les éléments soit systématique -, c'est celle de la spécificité du trouble. Pour l'avoir
croisé professionnellement au Centre du langage et dans d'autres pratiques, je sais que cela
reste une question douloureuse pour les parents. En effet, à partir du moment où on l'interroge
sur la spécificité du trouble, on pourrait être pris comme ne considérant pas le trouble pour
lequel ils viennent consulter : la dyslexie, la dyspraxie ou la dysphasie.
Cependant, nous avons besoin de savoir si la difficulté touche essentiellement une fonction
particulière ou si elle est partagée avec d'autres territoires. Autrement dit, par exemple à propos
du problème de la lecture, la question que l'on pose, c'est de savoir si cet enfant-là présente un
trouble spécifique de la lecture ou s'il présente d'autres troubles qui affecteraient la lecture, le
langage ou la praxie.
Ou alors, troisième éventualité - c'est une question qui m'incombe, je n'en suis pas
spécialiste non plus, puisque chacun y va de sa pratique et de son ancienneté, et de son sens
clinique : ne s'agit-il pas d'un trouble du locuteur, du lecteur, du manipulateur, si j'ose dire, ou en
tout cas du bricoleur pour la praxie. Vous voyez donc que la première recherche porte sur la
spécificité.
Quand on voit des enfants, très souvent on ne voit pas le trouble à vif : on est en présence de
choses aménagées. Tous les enfants que l'on teste, sauf les très petits, ont fait l'objet d'une
démarche, d'une intervention pédagogique, d'une intervention rééducative et la description du
dysfonctionnement nécessite, une fois de plus, d'être décomposée.
Par exemple, on reçoit des enfants pour lesquels on va se rendre compte que les diagnostics
des orthophonistes sont impeccables, très pertinents. Ces diagnostics-là soulignent le privilège
d'une voie de traitement des données (je reviens à la dyslexie). Vous avez peut-être entendu
parler de cette voie d'adressage ou de la voie de l'assemblage que M. Gombert a évoquées
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précisément tout à l'heure :
- l'enfant va-t-il cibler une reconnaissance du mot en image, ou bien
- l'enfant est-il dans une situation où il va construire ou bricoler le mot ? Mais il faut savoir que
cela ne constitue pas le trouble, mais peut déjà représenter un réaménagement du trouble,
traduisant déjà la correction de quelque chose qu'il s'agirait de rechercher plus profondément.
Pour ce faire, nous allons tous nous attaquer aux processus, à cet inventaire de tout ce
qu'ont pu évoquer les trois intervenants précédents, en excluant évidemment la dimension
topographique et localisée (même si cela peut parfois avoir lieu et aura certainement lieu de plus
en plus souvent) puisqu'on en dispose de peu pour certains enfants, ce qui viendrait préciser le
diagnostic a priori, ce qui se passe très bien ; mais n'en disposant pas, ce n'est pas de cela que
l'on va partir.
Partant des productions de l'enfant, on va le placer dans des situations permettant de repérer
en quelque sorte ces processus. Mais on ne va pas chercher simplement les processus qui
s'avèrent défaillants, ni tous ces a (ce dont l'enfant est privé) : alexies, aphasies... On peut
parfois trouver des indications dans des sur. Tout à l'heure, on a parlé de la précocité et des
surdoués : il peut ainsi exister des refuges, des surinvestissements, une tentation qu'auraient
certains enfants à valoriser certaines aptitudes, compétences ou processus parce que,
historiquement, pédagogiquement, rééducativement ou affectivement, ils se sont sentis
menacés ou en insécurité dans un territoire ; ils vont alors le surinvestir.
C'est vrai qu'on peut trouver chez beaucoup d'enfants présentant des profils de précocité, ce
type de surinvestissements-là qui, sans être le talent révélé en lui-même, ne constituent que le
réaménagement, généralement alimenté par une très forte angoisse, de ces difficultés-là.
Le processus tel que je vous le présente mérite d'être analysé dans les termes d'une
explication carentielle :
- Ce processus manque-t-il ?
- S'il manque, est-ce parce que l'enfant n'en a pas été doté ?
- Ou bien peut-il rendre compte d'une détérioration ?
Enfin, le processus n'est pas seul en cause. Les orthophonistes ont alors - qu'ils m'excusent
pour ce terme - le loisir de le constater, puisqu'ils ont l'aménagement d'un enfant en séance
pendant 40 à 45 minutes. Pour l'enseignant qui accueille plusieurs enfants dans sa classe, c'est
moins évident. Mais des troubles de procédure sont en cause dans les grandes "dys" dont nous
avons parlé aujourd'hui.
Qu'est-ce que la procédure ? Si le processus est ce qu'utilise l'enfant, la procédure est la
façon dont il l'utilise. On a souvent des échanges et des débats au Centre de langage pour
déterminer l'élément en cause :
- Est-ce son style cognitif, cette procédure qu'il va mettre en place ? ou bien
- Est-ce le processus lui-même qui est en cause ?
Voilà une brève explication de la teneur de nos fameux débats du jeudi matin et de leur
fondement.
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Premièrement, c'est pour que vous sachiez, vous, parents, ce que nous cherchons chez vos
enfants pour vous le restituer ; voilà les questions que vous pouvez nous poser le jour de la
restitution.
Deuxièmement, c'est pour que les professionnels sachent sur quoi ils peuvent compter dans
le compte rendu. Le compte rendu écrit reste parfois très court, succinct, un petit peu éludé ; un
compte rendu oral est possible lors d'une rencontre (prévue tous les premiers jeudis matins du
mois) ; nous gardons notre porte ouverte pour une consultation possible par des professionnels.
Je conclurai en vous livrant une de nos interrogations permanentes : nous avons toujours la
vigilance que, si on parle de langage, de lecture, de calcul, on a aussi à s'interroger sur le lien
entre sciences humaines et sciences sociales.
Certains intervenants l'ont dit tout à l'heure et les parents l'ont également vu : les contraintes,
qui sont spécifiques à nos langues et à nos écritures, restent arbitraires et historiques. C'est
ainsi que toutes ont une histoire et celle-ci va prendre une importance croissante là-dedans, tant
il est évident qu'il y a des millions d'années c'était la configuration anatomique des organes de la
phonation qui permettait à l'homo erectus de parler d'une façon particulière. De plus en plus,
c'est l'histoire de l'homme qui a donné cette capacité-là. Je vois assis en face de moi les
enseignants du dispositif dyslexique de Rennes, de *l'adoration*. Ils ont sous les yeux tous les
jours des enfants qui vont manifester une dyslexie de 9 h à 11 h, c'est-à-dire qu'ils vont être
dans une situation française, francophone, de difficultés et qui au moment finalement de faire de
l'italien la perdront. Pourquoi cela ? M. Gombert nous l'a très bien expliqué tout à l'heure : c'est
parce que ce qu'on va solliciter dans la correspondance par exemple entre graphème et
phonème en italien va être beaucoup plus économe alors qu'en français, pour le couple
graphème-phonème o, je crois que l'on compte 37 possibilités ou occurrences (peut-être les
orthophonistes pourront-il me corriger) qui permettraient de rendre compte, par différents
phonèmes et conjugaisons de phonèmes, de ce son-là.
On reste donc toujours attentif à cet aspect, comme on l'est également aux classes et
niveaux de classe. En effet, celles-ci ne deviennent pas de plus en plus compliquées, comme on
tendrait
à
le
croire ;
elles
sont
différentes.
Ce
qui
est
neuropsychologiquement,
maturationnellement, psychologiquement sollicité à un certain niveau, n'est pas du tout ce qu'on
va solliciter l'année suivante.
Par exemple, certains enfants de CP vont pouvoir s'en tirer par une des deux voies
(d'assemblage ou d'adressage), et même un bon enseignant de CP (j'en connais ; il y en a ici !)
ne pourrait même pas en fin d'année savoir quel est le privilège du vecteur. Par exemple, si
l'enfant a privilégié une voie d'adressage, cela risque de devenir la panique en CE 1 puisque l'on
impose alors inévitablement la décomposition puis l'assemblage, ne serait-ce que pour lire mais
également pour écrire. On reste donc attentif aussi à tous ces aspects-là ; mais on est
également attentif par le bilan à ce que, ce qui est valable à une époque ne permet pas
obligatoirement d'anticiper sur des réussites ou sur des échecs qui auront lieu plus tard.
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Et je suis navré de conclure aussi vite parce que je voulais vous parler d'autre chose pendant
exactement le même temps.
Mme Anne Chevrel
Je vous propose maintenant d'entendre le docteur Maitrot qui est médecin-conseil auprès du
recteur d'académie et qui va nous parler de l'approche des troubles du langage au niveau de
l'Éducation nationale.
Je vous rappelle qu'après cette présentation nous aurons à nouveau un temps d'échanges
avec M. Mélo et les autres invités pour pouvoir éventuellement compléter ce qui n'a pas pu être
dit dans les exposés.
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L'approche des troubles du langage dans l'Éducation nationale
Dysfficultés et réussite scolaire : la rencontre possible ?
Docteur Claire Maitrot, médecin-conseil auprès du recteur d'académie
Parler devant vous m'impressionne un peu. En tant que médecin-conseiller auprès du recteur
de l'académie, j'ai en charge, entre autres, de proposer à M. le Recteur des axes de travail en
matière de politique de santé en faveur des élèves et de collaborer avec d'autres professionnels
à l'animation et à la mise en oeuvre des axes de travail retenus par M. le Recteur.
Dans l'intitulé de mon propos, je n'ai pas écrit réussite scolaire au pluriel. C'est tout
simplement pour me conformer à l'expression traditionnelle de la réussite scolaire. Cependant,
je ne vous cache pas que je mettrais bien plus volontiers un s à réussite, surtout quand il s'agit
des enfants "dys", car je pense qu'il existe plusieurs formes de réussite scolaire.
Au demeurant, pour aller plus loin dans le propos et vous présenter un peu plus longuement
le cadre dans lequel nous travaillons dans l'académie sur ce champ-là, je dirais tout simplement
que la politique de l'académie se résume par le terme de volonté. C'est la volonté de prendre
en compte les besoins particuliers des élèves.
Tout à l'heure, nous débattions de la pertinence de parler de handicap, de malades, de
situation de handicap ? Quant à nous, nous parlons volontiers de prise en compte des besoins
des élèves. Quelle que soit la situation particulière de chaque élève, celui-ci a des besoins qui
peuvent être d'ordre éducatif ou curatif. Notre objectif consiste à articuler au mieux ces deux
aspects pour que l'enfant réussisse.
Si les besoins ne sont pas identiques chez tous les enfants "dys", comme nous l'avons vu
tout à l'heure, si les outils et techniques de remédiation de ce fait ne sont pas nécessairement
les mêmes, nous poursuivons, par la politique académique que nous menons, un même objectif
qui est la réussite de tous. Pour ce faire, nous déployons une stratégie que nous avons tirée
d'une expérience un peu particulière : le Plan académique langage. S'il restait à l'origine certes
essentiellement focalisé sur la question de la dyslexie, il s'ouvre petit à petit à l'ensemble des
dysfficultés.
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Nous nous sommes inscrits :
- d'une part, dans le Plan académique langage. Ce fut un point d'ancrage dans les textes
(vous savez que l'Éducation nationale est très amoureuse des textes). Ainsi, lorsqu'est paru le
plan interministériel (cela signifie qu'il a été cosigné par les ministères concernés dont le nôtre),
en mars 2001, portant sur la question des enfants atteints d'un trouble spécifique du langage (ce
plan faisait suite, souvenez-vous en, au rapport de M. Jean-Charles Ringard dont le nom
résonne de façon un petit peu affective puisqu'il a exercé dans notre académie et donc nous
étions ravis de pouvoir lire sa production nationale), nous nous sommes inscrits dans ce plan.
- d'autre part, dans un contexte un petit peu particulier à la Bretagne. Vous n'ignorez pas
que nous sommes l'académie dite "de toutes les réussites". C'est la nôtre qui affiche les
meilleurs taux d'accès au baccalauréat, les meilleurs résultats au brevet des collèges ainsi
qu'aux évaluations de sixième, le plus fort taux de scolarisation précoce en maternelle...
Pour autant sommes-nous l'académie de la réussite de tous ? La question reste posée. C'est
bien dans ce contexte-là que s'ancre le PAL (Plan académique langage).
Nous avons affiché le postulat suivant (dont on a parlé tout à l'heure ô combien !, notamment
avec le professeur Revol, des qualités des enfants "dys") :
Un enfant "dys" est un enfant le plus souvent - je dirais même presque toujours courageux et un enfant le plus souvent - je dirais même presque toujours découragé.
Dès lors qu'on est d'accord avec ce postulat, pour que "dysfficulté" rime d'une part avec
"reconnaissance" du désavantage (plutôt que du handicap) par rapport à un enfant qui ne
connaît pas ce genre de difficultés et, d'autre part, avec "réussite scolaire" possible, il s'agit
d'assurer de façon précoce l'identification des besoins de l'enfant (quand on parle de précocité,
c'est dès la maternelle, avant même l'entrée au CP) pour un accompagnement adapté tant sur
le plan scolaire avec une guidance pédagogique, avec une façon particulière personnalisée
d'accompagner cet enfant dans ses apprentissages, que sur le plan du soin puisque beaucoup
d'entre eux soit iront en rééducation soit feront l'objet de prescriptions, de thérapeutiques
médicamenteuses... et que les deux doivent s'articuler.
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Il est un acteur - mais je vais y revenir tout de suite - que vous me pardonnerez de privilégier,
compte tenu du fait que je suis médecin : c'est le médecin scolaire, le médecin de l'Éducation
nationale. Son rôle consiste, à mon sens, non pas tant à dépister pour dépister (parce que
dépister des situations sans leur donner une suite ne sert strictement à rien), mais à dépister
pour identifier les besoins, pour identifier aussi les potentiels des enfants et pour expliciter avec
l'équipe éducative, avec le Réseau d'aide spécialisée aux enfants en difficulté, avec le
psychologue scolaire ces potentiels sur lesquels l'enseignant va pouvoir s'appuyer pour tirer les
enfants vers le haut et les faire réussir.
Pour ce faire, nous avons identifié une stratégie par étapes ; à chaque étape interviennent
des acteurs.
Première étape : il s'agit de repérer, dès la grande section de maternelle, les difficultés (je
dis bien les difficultés et pas les troubles) que rencontrent les enfants notamment en matière
d'aptitudes langagières. Les acteurs vont être multiples ; certains sont déjà entrés en action
avant la grande section.
Mme Tascon-Ménestrier nous a rappelé que la Ville de Rennes oeuvrait déjà dès la moyenne
section ; la Protection maternelle et infantile le fait également dans les autres zones du
Département. Bien entendu, recommencer et faire comme si la PMI n'avait rien détecté serait
complètement stupide. Nous prenons donc en compte les données qui nous parviennent avant
même l'entrée en grande section.
Un autre acteur est représenté par la famille : vous, parents, nous apportez des éléments.
Vous êtes en capacité de nous dire ce que vous savez de votre enfant ; d'autant plus qu'un
enfant ne se comporte pas tout à fait de la même façon à la maison qu'à l'école.
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Un autre acteur extrêmement précieux est représenté par l'infirmière scolaire ; celle-ci réalise
en grande section un bilan infirmier. Elle évalue notamment les aptitudes sensorielles, identifie
un certain nombre de paramètres inclus dans le bilan infirmier.
Les enseignants sont un dernier acteur, bien évidemment ; sans eux on ne fait rien. C'est
également le RASED et éventuellement les évaluations que réalisent les enseignants pendant
leur enseignement, en matière d'identification de la maîtrise du langage.
O combien il est important de ne pas étiqueter trop tôt un enfant. O combien poser un
diagnostic de dyslexie, de dysphasie, de dyspraxie ne doit pas se faire à la légère et doit
s'inscrire dans une certaine durée. Je pense que Mme Allaire ne me contredirait pas sur ce
plan-là.
Néanmoins, cela ne veut pas dire que, tant que l'on n'a pas posé un diagnostic fin, précis
(surtout dans le cas d'un enfant aussi jeune), il n'y a pas de remédiation possible, dès la classe.
M. Gombert, M. Revol et M. Habib ont évoqué les entraînements. Il est évident que, dès l'étape
du repérage, on peut accompagner les enfants pour leur permettre d'optimiser leurs
apprentissages.
Lors de la deuxième étape, néanmoins, on parle de troubles. On a repéré des enfants
comme étant en difficulté. Il s'agit de dépister chez eux des troubles au sens lésionnel du terme.
Le médecin scolaire intervient alors, bien entendu, comme l'un des acteurs clés.
C'est pourquoi nous avons développé une formation de l'ensemble des médecins scolaires et
des infirmières scolaires à la maîtrise d'un certain nombre de tests. Nous travaillons dans cette
académie sur le Bilan de santé pour l'évaluation des développements pour la scolarité à 5-6 ans
(BSEDS 5-6). On peut également utiliser d'autres tests pour détecter des enfants plus âgés,
puisque nous avons vu aussi qu'on pouvait dépister ces troubles à tout âge.
Là encore, dès ce stade du dépistage où on a simplement détecté la présence (ou l'absence)
de troubles qui relevaient éventuellement d'une origine pathologique possible, dès lors qu'ils
sont identifiés, des remédiations pédagogiques peuvent être mises en place avec des
enseignants et avec le RASED.
La troisième étape est la dernière ; elle concerne le diagnostic de confirmation. Pour le
poser, nous avons besoin de l'aide des réseaux de professionnels spécialisés, des centres de
référence (dès lors que les cas sont complexes et relèvent de leur expertise). Cette étape
aboutit à une finalisation, à une optimisation plus poussée de la prise en charge des besoins de
l'enfant, sur le plan tant de la scolarité que du soin, avec l'intervention des principaux acteurs
que sont le médecin, l'équipe éducative et la famille.
Telle est donc schématiquement exposée la stratégie. Pour en accompagner la mise en
oeuvre, nous avons développé un certain nombre d'outils.
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Premièrement, un outil a consisté à définir des protocoles pour évaluer les besoins, dès la
grande section de maternelle, à partir de l'identification des aptitudes langagières. Je ne
m'étendrai pas sur ces outils, sur ces protocoles, cela serait trop long. Je pourrai répondre à des
questions, si vous en avez.
Deuxièmement, nous avons également dès 2003, donc avant la parution du texte qui fait
actuellement référence (il n'existait pas de texte à l'époque pour cadrer l'aménagement des
épreuves d'examen et concours), au plan académique, nous avons rédigé un certain nombre de
consignes pour aménager les épreuves d'examens et concours passés par les enfants identifiés
dans le Plan académique langage.
Troisièmement, nous avons rédigé un document, un guide destiné aux enseignants qui, à
l'école ou au collège, accueillent un enfant dyslexique dans leur classe. Sans se vouloir
exhaustif, il expose les grandes lignes des concepts et explicite les difficultés que rencontre un
enfant dyslexique ; il indique également ce que, dans le cadre du collège ou de l'école, on peut
faire pour cet enfant dyslexique, ce que l'on peut lui apporter. Ce document a été diffusé à plus
de 15 000 exemplaires dans l'ensemble du réseau breton. Il existe actuellement en version
informatique sur le site de l'académie, sous forme parfaitement téléchargeable et reproductible,
sans droits d'auteur ni copyright.
Quatrièmement, nous avons également développé un dernier outil, dont je dois reconnaître
que nous sommes particulièrement fiers : nous avons constaté que, enfants et familles, quand
vous changez d'école ou d'équipe éducative, quand vous passez de l'école au collège, voire du
collège au lycée, il faut de nouveau raconter toute l'histoire, solliciter les aides obtenues l'année
précédente ; il faut à nouveau "traumatiser", l'enfant par cette nécessité de se remettre en
lumière le fait qu'il reste un enfant différent et qu'il faut absolument prouver qu'il a besoin d'une
aide. Un livret, qui a la forme du carnet de santé, a été rédigé avec l'aide, fort précieuse
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d'ailleurs, des associations de parents pour permettre à l'enfant et à sa famille, dès lors qu'ils en
sont demandeurs (ce n'est pas une obligation, c'est la famille, c'est l'enfant qui demande
l'ouverture de ce livret), de garder une trace disons crédible de son histoire, dans ses aspects
tant de handicap que de scolarité, pour que l'équipe suivante puisse prendre en compte ses
besoins. En fin du document figurent deux fiches détachables, qui peuvent être photocopiées ; il
s'agit de fiches récapitulatives pour le passage de l'école au collège et pour le passage du
collège au lycée.
Je crois que je vais arrêter là et plutôt répondre à vos questions si vous en avez.
Mme Anne Chevrel
Merci beaucoup, docteur Maitrot. Je vous propose maintenant d'entendre Mme Hanry : vous
êtes inspecteur d'académie pour l'Adaptation et la scolarisation des élèves handicapés. Vous
allez nous parler à présent des différents types d'organisation possible pour scolariser les
enfants "dys".
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Différents types d'organisation possible
pour scolariser les enfants "dys"
Mme Laurence Hanry, inspecteur d'académie ASH
C'est chose pas facile du tout que de prendre la parole pour l'Éducation nationale. D'abord,
parce que c'est très net aujourd'hui : l'environnement est devenu extrêmement médical.
Cependant, dans cet environnement, il y a l'Éducation nationale. De plus, c'est souvent à l'école
qu'on voit vraiment apparaître les difficultés de l'enfant lorsqu'il se confronte à la lecture, à la
parole, à l'écriture, d'une façon finalement beaucoup plus normée qu'à la maison.
Ce qu'il me semble important de dire, le docteur Maitrot en a parlé, mais je crois que c'est
primordial, c'est qu'il s'agit bien d'un partenariat. Elle a expliqué que les ministères concernés
(ceux de la Santé et de l'Éducation nationale), s'étaient positionnés dès le départ sur tout ce
travail autour des "dys" ; et c'est effectivement une voie qui a été poursuivie constamment. Or,
ce n'est pas une évidence quand on connaît les fonctionnements des uns et des autres.
J'avais préparé quelques éléments d'historique que je n'exposerai pas, finalement. Malgré
tout, il me semblait important de rappeler que le principe de reconnaissance de l'existence de
déficiences du langage ou de la parole comme déficiences des modes de communication, avait
été posé en 1989. Or, arrivé en 2007, on a parfois l'impression de ne pas avoir énormément
avancé ; et cependant on a quand même avancé. Je tiens à rappeler cela, comme je reviendrai
tout à l'heure sur les problèmes propres aux enseignants et à leur formation qui me semblent
extrêmement importants.
Le point de départ de ce qui se fait actuellement, cela a été le Haut Comité de la santé
publique. Celui-ci a posé les troubles d'apprentissage (qu'ils touchent le langage, l'oral, l'écrit ou
le calcul) comme un problème de santé publique ; ce qui équivalait quand même leur donner
absolument toute leur place.
Quelle est la définition des troubles spécifiques du langage pour l'Éducation nationale ? Elle
ne peut que s'appuyer sur la définition qu'en donne, pour le coup, l'OMS et ses définitions
répertoriées par ces classifications internationales.
Je me suis longtemps occupée de circonscriptions que l'on disait "ordinaires", qui
comportaient donc des écoles élémentaires, des écoles maternelles et pas uniquement des
établissements spécialisés ou un point d'ancrage sur l'enfant en très grande difficulté ou
handicapé. En allant inspecter des classes, puisque c'est quand même le coeur de mon métier,
j'ai été étonnée de constater à chaque fois la façon dont on pouvait manier facilement le terme
de "dyslexie". Ainsi, j'ai eu très souvent face à moi des personnes qui m'ont avoué avoir face à
elles, dans leur classe "un grand nombre d'enfants dyslexiques".
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Les études sont quand même relativement récentes et c'est depuis ces 5 dernières années
que l'on a progressé extrêmement rapidement, je me disais que c'était quand même poser très
vite des mots sur des choses qui ne le sont pas obligatoirement. C'est pour cela qu'il me
semblait important de rappeler que le mal-lire et le mal-parler constituent certes des déficiences,
mais que tous les enfants qui présentent ces déficiences ne sont pas pour autant en situation de
handicap ; d'où l'importance d'un diagnostic. Celui-ci s'avère d'autant plus important - on en a
parlé tout à l'heure et il ne faut pas se leurrer sur cela - l'enfant est parfaitement conscient de sa
différence. Lui en est conscient, sa famille en est consciente.
Étant très attachée aux mots, il me semble qu'à partir du moment où on met un mot sur
quelque chose, on change fondamentalement le regard des uns et des autres sur la personne à
laquelle on applique ce mot : le regard du parent sur l'enfant ; celui de l'enseignant sur ce même
enfant ; celui de l'enfant sur les autres élèves... Tous ces regards-là changent. Et peu ou prou,
on assiste à un effet de marginalisation.
Il se pose aussi la question du repérage et du dépistage. Le docteur Maitrot en a parlé tout
à l'heure : ce sont deux champs qui, pour le coup, relèvent l'un et l'autre de deux entités
différentes. Qui repère ? Qui dépiste ? Avec le repérage, on applique plutôt un principe de
prévention, tandis qu'avec le dépistage, c'est plutôt un principe de précaution. Cela laisse
penser, à juste titre, que le repérage sera plutôt assuré par l'Éducation nationale tandis que le
dépistage sera plutôt l'affaire des services de santé.
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Comment passe-t-on du repérage au dépistage ? On suit une sorte de continuum qui fait
qu'au fond, c'est pris en compte par les différents acteurs s'occupant de l'enfant, à des moments
légèrement décalés dans le temps, parfois parallèles, mais pas innocents.
Les premiers observateurs du problème sont représentés par les parents. C'est eux qui
posent les premières questions lorsque l'enfant commence à parler, se disant qu'ils sont là en
présence de quelque chose qui relève d'une difficulté ou en tout cas suscite une inquiétude.
Souvent, ils en restent au stade de l'inquiétude.
Puis l'enfant arrive à l'école (comme l'a dit le docteur Maitrot, chez nous c'est quand même
souvent à deux ans). Là, ce sont les enseignants qui vont apporter un complément à ce regard
porté par la famille. Les parents font part de leur inquiétude ; alors, on fait appel aux
professionnels de la santé et on quitte l'étape du repérage pour passer à la phase du dépistage
en lui-même.
Quel est le problème qui se pose à nous, enseignants ?
C'est celui qui s'est posé à moi aussi. En effet, ayant enseigné pendant 20 ans, je me suis
souvent très posé ces questions-là. C'est qu'au bout du compte, il n'est pas du tout simple de
différencier certaines choses.
- S'agit-il de difficultés ?
- S'agit-il de retard ?
- Est-on en présence d'un enfant qui serait mauvais lecteur parce que n'aimant pas lire ?
- Est-on confronté à un trouble global de l'apprentissage ?
- Est-on confronté à un trouble sévère spécifique du langage ?
Toutes ces questions ne sont pas simples et quelquefois les frontières séparant un terme de
l'autre s'avèrent extrêmement ténues, au moins pour les enseignants. Parce qu'effectivement
nous sommes enseignants ; et en tant que tels, c'est un certain nombre de connaissances
médicales, neurologiques, que nous ne possédons pas. Cela nous empêche de fixer clairement
cette frontière entre difficultés, retard, trouble global ou trouble sévère.
J'en reviens donc à mon précédent propos : il convient d'éviter, et cela à tout prix, de mettre
une étiquette avant qu'un diagnostic soit posé ou de faire un diagnostic précipité. D'où cette
légère gêne que je ressens régulièrement lorsqu'un enseignant me confie avoir plusieurs
enfants dyslexiques dans sa classe.
Une chose est sûre : lorsqu'un enfant pose souci dans une classe, la première chose à
organiser, c'est une confrontation au langage oral et au langage écrit. Pour notre part - je
précise bien pour notre part, nous enseignants de l'Éducation nationale - nous évitons de parler
d'un trouble spécifique du langage oral avant l'âge de 5 ans, qui est l'âge de la maternelle des
grands. Jusqu'à ce stade, en gardant une attitude de veille, en essayant d'entourer l'enfant de
toutes les aides possibles et imaginables, cependant on évite de parler de troubles spécifiques.
80
Il en va de même du langage écrit avant 8 ans, puisqu'il est quand même difficile de parler d'un
trouble spécifique du langage écrit avant que l'enfant ait appris à lire.
Je disais tout à l'heure que l'Éducation nationale s'occupait de l'aspect du repérage ; c'est
une tâche qui revient donc à un enseignant car c'est quand même lui qui arrive en première
position vis-à-vis de cet enfant. L'enseignant se demande quels signes d'alerte il va trouver, de
quels outils il peut disposer et quel relais il va pouvoir solliciter face à cette problématique.
Il convient de poser d'emblée le fait que l'on applique un principe de prévention et que, quel
que soit l'enfant, on part du postulat qu'il a besoin, essentiellement besoin, d'un certain nombre
de connaissances et que ces connaissances-là sont à construire dès l'école maternelle. A ce
titre-là, le premier outil qui s'avère indispensable à l'école et à tout enseignant c'est le BO, le
Bulletin officiel de 1999, qui fixait les langages comme priorité de l'école maternelle, précisant
d'ailleurs "école maternelle, école de tous les possibles".
Les langages, parce que de fait il existait le langage oral, le langage écrit... ; mais c'étaient
également le langage artistique, le langage corporel, le langage informatique. Il s'agissait bien
de tous les langages. Sauf que certains langages deviennent d'un abord plus ou moins facile
lorsque l'on a déjà acquis le premier d'entre eux : le langage oral.
Ce qui nous semble constituer un premier signe d'alerte, c'est lorsque vers 3,5 à 4 ans, un
enfant présente ce que nous appelons une "perturbation sévère du langage oral". Je dis encore
nous, nous les enseignants. Ainsi, à la maternelle, un enfant de cet âge-là n'est pas capable de
constituer une phrase si minime soit-elle qui soit compréhensible ; qu'il n'est pas capable de
prononcer des mots qui font partie d'un lexique commun, lexique qu'il devrait avoir acquis, d'une
façon qui soit compréhensible ; qu'il n'est pas capable de solliciter un vocabulaire qu'il est censé
posséder. Tous ces signes-là constituent à nos yeux des signes d'alerte s'ils sont présents à
l'école maternelle.
Un deuxième outil nous permet à la fois de faire un peu le point, de repérer et puis peut-être
ensuite de dépister (le docteur Maitrot en a parlé), c'est le Plan académique langage. Il a été
passé l'an dernier dans la totalité des classes maternelles. Je vous en donnerai quelques
éléments à la toute fin de ce diaporama. En effet, il s'avère quand même extrêmement
intéressant dans les réponses qu'il nous a données. Nous l'avons pourtant mis en veille cette
année parce qu'il ne nous a pas semblé pertinent dans la finesse d'analyse qu'il nous autorisait
pour repérer les enfants qui étaient en difficulté profonde, qui souffraient de troubles sévères du
langage. Il nous a permis de repérer - et c'est déjà très appréciable - des enfants qui étaient en
difficulté et en difficulté avérée ; mais pas au-delà de ce stade. Et il s'est trouvé que nous
distinguions deux publics :
- un premier public qui avait passé ces épreuves-là (d'ailleurs dans les écoles publiques) ; et
- un second public, celui des écoles privées, qui lui ne l'avait pas passé.
Cette distinction nous a permis d'établir une comparaison, laquelle a montré la nécessité,
dans l'état actuel des choses, d'affiner l'outil, tout intéressant qu'il était. C'est ce qui nous a
amenés à en geler l'utilisation cette année, en attendant.
81
Un autre plan est mis en place que nous appelons le repérage orthographique collectif
(ROC). Cela concerne les élèves de CM 2 et de 6e ; il s'agit d'un repérage certes
orthographique, mais il comporte quand même une forte incidence sur les capacités de lecture
et d'écriture des élèves de 6e. Les résultats qu'il nous donne nous permettent aussi de porter un
regard beaucoup plus affiné sur les difficultés de lecture et d'écriture.
Ce qui est sûr, c'est qu'il nous paraît important et nécessaire, dès le départ - la loi, malgré sa
présentation, a repositionné cela - d'entraîner l'enfant à la discrimination, tant auditive que
visuelle, au travail de mémoire, en psychomotricité, en conscience phonologique et en
compréhension orale. Quels que soient les enfants, ces mesures nous semblent absolument
incontournables et encore plus pour les enfants en difficulté.
Cela signifie que l'enfant va devoir faire trois choses :
- apprendre à écouter pour reconnaître les sons ;
- s'interroger, par exemple pour savoir quels sons composent tel mot ;
- échanger : échanger avec les autres, échanger en sollicitant toutes les connaissances qu'il a
pu enregistrer.
Ces trois verbes là s'appliquent aussi à l'enseignant, lequel va également avoir :
- à écouter l'enfant pour repérer ses difficultés ;
- à s'interroger sur l'origine de ses difficultés ; et
- à échanger, cela avec les différents partenaires, sur cet enfant, et sur la façon dont on va
l'aider. C'est obligatoirement un travail de partenariat.
Il est évident que ce travail-là ne peut se faire qu'en partenariat :
- en partenariat avec les rééducateurs et en particulier avec les orthophonistes ;
- en partenariat avec les médecins scolaires et avec la Maison départementale des personnes
82
handicapées (MDPH) ;
- en partenariat avec les RASED ; et
- si des médecins scolaires et la MDPH interviennent, il y a sans doute aussi médecin et
traitement parfois.
Je répondrai aux autres questions après.
Mme Anne Chevrel
Merci. Avant les échanges avec la salle, nous allons entendre Claude Delahousse,
représentant la Maison départementale des personnes handicapées qui va maintenant nous
présenter
rapidement
les
différentes
démarches
administratives
nécessaires
pour
l'accompagnement des enfants "dys".
83
Démarches administratives nécessaires
pour l'accompagnement des enfants "dys"
M. Claude Delahousse, référent à la scolarité à la Maison départementale des personnes
handicapées (MDPH 35)
Mon propos sera bref pour laisser la place au débat, parce que c'est plus intéressant.
J'occupe ce poste de référent à la MDPH depuis à peu près un an ; enseignant spécialisé,
professeur des écoles, je fais partie de l'équipe pluridisciplinaire d'évaluation que je vais vous
présenter tout à l'heure. Celle-ci comprend : un médecin, un assistant social, un psychologue
scolaire, et moi-même ainsi que d'autres personnes qui peuvent être invitées. Cette équipe est
chargée d'évaluer les besoins des enfants handicapés.
La MDPH est de création tout à fait récente. En Ille-et-Vilaine, on est en situation de MDPH
depuis le mois d'avril de l'année dernière. Les Commissions techniques d'orientation et de
reclassement professionnel (COTOREP) et les Commissions départementales d'éducation
spéciale (CDES) sont réunies depuis la mi-novembre. Comparé à durée d'existence de la CDES
ou de la COTOREP (depuis 1975), notre structure existe depuis très peu de temps. Une loi à
mon sens très intéressante sur le fond vient d'entrer en application ; elle rencontre
nécessairement des difficultés dans sa mise en place et il faut lui donner un petit peu de temps.
Je ne nie pas les difficultés qui se présentent ; ce n'est pas très facile et nous faisons de notre
mieux.
Pour vous, la modification importante à retenir par rapport à la précédente situation, c'est que
seuls les parents peuvent désormais saisir la Maison départementale des personnes
handicapées. Autrefois, les saisines de CCPE pouvaient se faire par les établissements, par les
écoles etc. Aujourd'hui, ce sont les parents qui pilotent : ils s'adressent à la MDPH pour obtenir
un dossier de demande de compensation de handicap, généralement. Dans cette compensation
du handicap, il existe un projet personnalisé de scolarité (PPS) qui est un élément du plan de
compensation du handicap.
Pour aider à la rédaction de ce plan personnalisé de handicap, le législateur a pensé qu'il
était intéressant de demander au moins à la famille de formuler un projet de vie, un projet de
formation ou de scolarisation pour son enfant. Je sais que le formulaire n'est pas facile à remplir,
qu'il n'est pas très lisible et que ce n'est parfois pas facile de se projeter. D'abord, on peut
refuser de le remplir en cochant la case prévue : "Je refuse d'exposer le projet de vie".
Cependant, je crois qu'il faut retenir quand même que c'est intéressant parce qu'il permet
d'entamer un dialogue avec les partenaires (on travaille en partenariat). Il est intéressant pour
nous de l'avoir parce que nous allons recevoir les différents éléments de votre dossier. Il faut
84
que vous sachiez que c'est en tout cas ce que nous lisons en premier lieu : ce que vous avez
écrit. Cela peut être un projet à court terme, à moyen terme, à long terme. Le texte peut se
limiter à quelques mots ou détailler tout ce que vous avez envie de dire sur tout cela. De toute
façon c'est lu : tout ce qui émane de la famille est entièrement lu et lu avec attention.
Voici la définition du handicap telle que la loi la donne. Pour mémoire, le législateur en 1975,
au moment de la création des CDES, n'avait pas volontairement fixé de définition. Il en existe
désormais une, qui vaut ce qu'elle vaut ; mais elle permet d'introduire un certain nombre de
déficiences dans le champ du handicap qui n'y figuraient pas auparavant.
La MDPH reçoit votre demande ; ensuite, elle propose à la famille, par courrier le plus
souvent, de rencontrer l'enseignant référent du secteur géographique correspondant. Il faut
savoir que l'Ille-et-Vilaine compte 12 enseignants référents (ils seront 15 l'année prochaine) ; ils
dépendent directement de Mme Hanry, l'inspectrice de l'Éducation nationale ASH. Ils sont
chargés - c'est leur mission sur le terrain en particulier - d'informer et d'accueillir les parents
d'enfants handicapés. Je dis bien : accueillir et informer. Donc, c'est tout naturellement qu'on va
vous proposer de les rencontrer. Je vous indiquerai, au moment des échanges, la façon dont
vous pouvez trouver leurs coordonnées.
C'est ces personnes-là qui vont être les clés pour vous accueillir au départ, pour vous aider à
formuler votre demande, éventuellement pour regrouper certains éléments du dossier. Ce sont
également elles qui seront chargées par la suite de veiller à la mise en place. Une fois que la
MDPH aura rédigé le projet personnalisé de scolarisation, qu'elle aura notifié un certain nombre
de décisions, c'est le référent, aidé par l'équipe de suivi, qui sera chargé de vérifier la mise en
oeuvre du projet. Il représente donc un acteur véritablement central de la loi.
85
Pour ce qui est de la constitution du dossier : si on ne connaît pas la personne, il nous faut
des documents officiels :
- une fiche d'identification ;
- le document qui s'appelle "mon projet de vie" ;
- un certificat médical dont on aimerait bien qu'il soit rempli le plus souvent possible (il arrive qu'il
reste pas ou peu rempli) ;
- surtout que vous utilisiez le formulaire qui est téléchargeable et qui est *sacratisé* (ce n'est pas
un certificat médical "Je soussigné, médecin, reconnais..." ; il comporte un certain nombre de
renseignements sur la déficience, l'autonomie, etc. et c'est pour cela qu'il vaut mieux utiliser
celui-là).
Il faut vous dire que plus l'équipe pluridisciplinaire a recueilli de renseignements sur les
difficultés de l'enfant, plus elle est à même de mettre en place un plan personnalisé précis et
efficace ; inversement, moins elle possède de renseignements (et doit souvent mettre en
instance, ce qui prend du temps), plus elle doit vous demander des renseignements
complémentaires ;
- la fameuse feuille qui contient la Demande de parcours de scolarisation. Lorsque vous avez
d'autres demandes en plus (comme des prestations ou d'autres), il y a d'autres formulaires.
Tous ces documents sont téléchargeables sur le site Internet que je vous indique : mdph35.fr
à la rubrique Formulaires. Il en est encore deux qui n'y figurent pas ; mais théoriquement la
semaine prochaine on doit remédier à cette absence en les mettant en ligne.
Comment se constitue le dossier ?
L'enseignant référent transmet à l'équipe pluridisciplinaire d'évaluation (ÉPÉ)
... tous documents ou observations de nature à l'éclairer de façon exhaustive sur les
compétences et les besoins en situation scolaire.
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L'enseignant référent peut être amené aussi, comme le législateur l'a prévu, à participer aux
réunions de l'équipe pluridisciplinaire d'évaluation.
Comme dans d'autres structures, il faut à la MDPH une équipe pluridisciplinaire ; c'est
comme cela que le législateur l'a institué. L'équipe comprend donc :
- un médecin,
- un psychologue scolaire,
- un travailleur social (un assistant social), et
- un enseignant spécialisé ;
- l'équipe pluridisciplinaire peut faire appel à toute personne qu'elle juge nécessaire pour
élaborer le plan ;
- un coordinateur en organise le fonctionnement.
C'est l'équipe pluridisciplinaire qui propose à la Commission des droits et de l'autonomie
(CDA) le plan personnalisé de scolarisation ; ensuite, la CDA notifie, ratifie ou modifie le projet,
si elle juge qu'il ne convient pas.
On voit bien que c'est
. d'un côté, les personnes qui évaluent les besoins, font les propositions et
. de l'autre côté, une commission qui n'est pas constituée du tout des mêmes personnes, qui
ratifie et notifie.
Ce qu'il faut savoir, c'est que, dans la majorité des cas, vous êtes averti 15 jours auparavant,
de la teneur de la proposition (de son contenu), ainsi que des jour et heure auxquels cette
proposition sera soumise à la CDA. Donc vous pouvez être auditionné si vous le désirez.
Quant à la composition de la CDA, vous voyez qu'elle inclut des représentants : de l'État, des
associations de personnes handicapées, de la DDASS, de l'Éducation nationale, du ministère
du Travail, du Département et, d'établissements.
Deux ou trois jours après la prise de décision, la notification de décision est envoyée à la
famille, aux établissements ou aux services, à l'enseignant référent, aux organismes payeurs et,
quand c'est nécessaire, à l'inspection académique pour mise en oeuvre.
87
Qu'est-ce qui se passe après ?
C'est cette suite qui est intéressante : les chefs d'établissement, avec leurs équipes éducatives,
sont chargés de la mise en oeuvre. Ces chefs d'établissements sont : les directeurs d'école, les
principaux de collège et proviseurs de lycée, les directeurs d'instituts médico-éducatifs,
d'instituts thérapeutiques éducatifs et pédagogiques, les chefs de service de SESSAD... La loi
dit que c'est à eux qu'il appartient de mettre en oeuvre ce que la décision impose. Ils le font
donc avec leur équipe éducative. Le référent et l'équipe de suivi de la scolarité sont chargés
d'aider à cette mise en oeuvre et d'en vérifier le bon déroulement. La mise en oeuvre relève de
la responsabilité du chef d'établissement.
Quant aux équipes de suivi, elles facilitent cette mise en oeuvre, assurent le suivi, évaluent
une fois par an au moins, et informent la CDA de toute difficulté mettant en cause la poursuite
de ce fameux Plan personnalisé de scolarisation. Éventuellement, elles proposent à la CDA une
réorientation, une révision et il est bien précisé "avec l'accord de la famille". Donc rien ne peut
se faire sans votre accord.
Au sujet de l'équipe de suivi, les premières personnes à en faire partie sont les parents : une
équipe de suivi de scolarité ne peut pas se réunir sans la présence des parents. La loi précise
même que, dans la mesure du possible, on doit s'arranger pour organiser les réunions à des
heures où ils peuvent se libérer. C'est inscrit dans la loi !
La MDPH joue un rôle de suivi des décisions : ainsi, elle se doit d'aller vérifier si celles-ci sont
suivies d'effets. Elle joue également un rôle de médiation lorsque les décisions ne sont pas
effectives ; elle peut recevoir les familles, leur proposer d'autres notifications, étudier d'autres
problématiques. Elle doit aussi faire remonter toutes les décisions qui ne sont pas effectives
auprès de ses administrations d'origine ; c'est dans l'esprit de la loi. J'espère que c'est
effectivement pour créer des places ; on peut l'espérer, quoi !
Je vous ai indiqué le site web de la MDPH, le contact. Je vous remercie beaucoup de votre
attention : http://www.mdph35.fr
88
Table ronde avec :
Catherine Allaire, Laurence Hanry, Dominique Mélo, Claire Maitrot
Mme Anne Chevrel
On a vu avec vous, dans une sorte de panorama, que de nombreuses structures - qu'il
s'agisse de centres référents, du travail de l'Éducation nationale, des médecins scolaires, de la
MDPH - intervenaient dans le suivi de ces enfants.
A vous écouter, on a l'impression qu'il y a beaucoup de choses et pourtant parfois, certains
parents n'ont aucune idée de tous ces dispositifs, sauf à venir dans ce genre de conférences, de
colloques. Comment expliquer cette méconnaissance et le fait d'échapper complètement à ces
dispositifs, tant dans l'Éducation nationale que par la suite, les centres de référence. On ne sait
pas. J'aimerais bien qu'on m'explique pourquoi, avec tout cela, cela ne marche pas tout le
temps.
Docteur Claire Maitrot
Je crois que vous posez la question du lien entre famille et école, au-delà de celle du
handicap et de la prise en compte des besoins particuliers. Il reste beaucoup à faire pour
faciliter l'accès des familles à l'école et à ce que l'école peut leur apporter.
Cependant, j'ai envie de dire que le chemin est à parcourir des deux côtés : ainsi, nous avons
de gros efforts à faire en direction des familles - chacun doit balayer devant sa porte -, mais je
profiterai de la présence d'une majorité de familles dans la salle pour leur conseiller de ne pas
hésiter à nous poser des questions. En particulier aux intervenants que je représente, à savoir
les médecins. N'hésitez pas à demander à rencontrer le médecin scolaire et à lui faire part de
vos interrogations et préoccupations. Je crois qu'on ne pourra avancer ensemble que si chacun
fait un pas vers l'autre ; je vous ai dit que les documents que nous avions rédigés étaient en mis
ligne sur le site de l'académie ; ils restent à votre disposition.
Mme Anne Chevrel
Oui, mais pour les parents tout de même, avant même de pouvoir vous contacter, il faut
savoir ce qui se passe avec nos enfants. Or, dans la plupart des cas, nous ne pouvons pas, a
priori, dire que notre enfant est dyslexique ou dysphasique car nous n'en savons rien.
Vous disiez tous tout à l'heure le rôle important qu'avaient à jouer les enseignants dans ce
domaine-là, ce rôle dans le repérage, dans la détection des problèmes. Les parents ne savent
pas ce que c'est ; les enseignants, la plupart du temps, non plus. On parlait tout à l'heure des
formations à l'IUFM. Les enseignants sont-ils suffisamment formés pour détecter les cas de
"dys" ? En ce qui me concerne, j'ai l'impression que tel n'est pas le cas.
89
Mme Laurence Hanry
C'est vrai : chacun doit balayer devant sa porte. C'est vrai aussi qu'on fait avec les
possibilités dont on dispose. De fait, des outils il en existe, qui sont nombreux ; certains sont
distribués dans les écoles ; d'autres sont à trouver sur le site académique. Or, on se rend
compte qu'ils ne sont guère sollicités en pratique. Cela, c'est la première chose.
M. Letort, conseiller pédagogique
Effectivement, le dispositif de repérage qui peut être mis en place en 6e ou en CM 2, le
repérage orthographique collectif (ROC), est un outil disponible et pourtant très peu sollicité
dans le département aujourd'hui. Certains établissements l'utilisent, qui ont eu l'occasion de le
tester pour en faire un étalonnage. Cependant, il reste pour ainsi dire dormant dans notre
académie.
Mme Anne Chevrel
Pas sollicité, cela signifie-t-il pas sollicité par les enseignants ?
Mme Laurence Hanry
Pas sollicité par les enseignants. Ceci dit, cela ne préjuge en rien d'une insuffisance
d'information. A l'évidence, si l'outil n'est pas suffisamment sollicité, c'est quand même que
l'information préalable n'a peut-être pas été suffisante. Il convient donc d'en refaire une sur les
outils disponibles.
Premièrement, nous mettons en place à l'inspection académique d'Ille-et-Vilaine un site
académique. Ce site prévoit un volet traitant de tout ce qui concerne les handicaps. Plus
spécialement réservé au handicap, ce site fournira à la fois des outils, des adresses, des liens
vers d'autres sites Internet, des points de relais. Le problème, c'est qu'il faut le mettre en place.
Il a déjà fallu mettre en place le site en lui-même, à l'académie, et puis l'approvisionner des
différentes appartenances des uns et des autres à l'académie. Il faut désormais que l'on puisse
entrer dedans de façon plus précise. Cela c'est une première chose.
Deuxièmement, la formation. Là aussi, le problème auquel on est confronté actuellement,
c'est qu'on dispose d'un volant d'heures de formation, aussi bien pour IUFM qu'en formation
continue. Or, ce volant est contraint ; cela il faut l'entendre.
Je pense que personne ne prend à sa réelle mesure ce qu'a impliqué l'entrée en application
de la loi 2005 pour l'Éducation nationale et pour la mise en oeuvre des apprentissages, des
stages et des programmes de formation.
La majeure partie du temps de formation a tourné autour de cela :
- Que signifie cette loi ?
- Comment la met-on en place ?
- Qui sont les référents ?
- Comment travaille-t-on avec eux ?
- Qu'est-ce qu'un projet de suivi de scolarisation ?
90
Si on met les formations sur ce plan-là, on ne peut pas les mettre ailleurs.
Mme Anne Chevrel
Mais ces formations existent aujourd'hui ?
Mme Laurence Hanry
Oui. Ceci dit, il existe des formations au plan académique. On en a dispensé un très grand
nombre l'année dernière dans le second degré ; cette année aussi d'ailleurs. Il y en aura aussi
l'an prochain. Force est de constater que les personnes s'inscrivent relativement peu à des
formations académiques parce qu'elles sont dispensées dans un seul département, ce qui pose
donc le problème du déplacement ; elles sont peu accessibles.
On a réfléchi ici à un système de formations qui permette de prendre en compte différents
handicaps et de faire tourner ces formations dans les quatre départements de Bretagne. Cela
permettrait d'organiser deux formations spécifiques tous les ans dans chaque département. Par
exemple, la formation dispensée dans le département d'Ille-et-Vilaine portera
- l'année prochaine, sur les troubles sévères du comportement et sur les troubles envahissants
du développement ; et
- l'année suivante, sur les troubles sévères du langage.
Par ailleurs, des formations de proximité sont également mises en place.
Mais tout cela étant dit, le fait est - et je le comprends parfaitement - que les enseignants
peuvent se trouver solitaires. Nous nous sommes rencontrées, le docteur Allaire et moi,
justement pour réfléchir un peu à la mise en place d'un dispositif plus performant et surtout qui
sorte à la fois les enseignants de cette solitude et leur donne des "billes".
Pour l'instant, nous en sommes au stade de la réflexion ; par la suite, nous envisagerons les
modalités d'une mise en oeuvre. Cette réflexion portait sur deux points qui nous semblaient
intéressants :
- la formation de personnes ressources et
- la formation d'établissements disons "phares" dans lesquels il soit possible de porter une
attention particulière à toutes les "dys".
Voilà ce que je peux apporter actuellement comme réponse.
Mme Anne Chevrel
Formation initiale ou IUFM ?
Mme Laurence Hanry
N'étant pas quelqu'un de l'IUFM, je suis un peu moins qualifiée pour répondre à cela. Je ne
suis pas responsable de l'IUFM. Ce que je sais aussi quand même, c'est que, là encore, cette
année la formation dispensée a beaucoup visé la mise en place de la loi et la façon d'accueillir
un enfant dans une classe, un enfant intégré dans une classe.
91
Ce que je sais aussi c'est que le plan de formation en IUFM va maintenant se prolonger
pendant la première année qu'ils passeront sur le terrain, débordant même sur la deuxième
année ; et que, sur ces temps de retour en formation de première et de deuxième année, un
temps spécifique est réservé à la prise en charge des handicaps.
Je terminerai sur un autre fait. Tous les acteurs m'expliquent qu'il leur faudrait plus de
formation : les parents d'enfants tant autistes que trisomiques ou malvoyants ; il faut pouvoir
partager. A titre d'exemple, cette année à l'échelle du département, on a ouvert un poste dans
un IME ; on a ouvert au SESSAD un poste sur le trouble spécifique du langage kerveiza ; on a
ouvert deux postes de référents ; on a ouvert un poste dans une unité pédagogique d'intégration
de lycée. Comme vous le constatez, on a essayé de diversifier les choses de façon à ce que
personne ne se sente abandonné. Cela, il faut y penser.
M. Pierre Baligand, secrétaire de l'association Avenir dysphasie, Charente-Maritime
Je parle librement par rapport à ce département. Certes, il y a le problème de parents plus ou
moins bien informés et qui cherchent. Je peux donner des exemples de ce qui s'est passé chez
nous et se passe aussi sans doute également ici.
Il y a 18 mois, c'était encore des CCPE. Deux enfants en maternelle, avaient fait l'objet de
diagnostics élaborés dans un centre référent, qui ne s'appelait peut-être pas encore référent, à
Nantes, des choses très claires. Le diagnostic était tombé. On demande ce qu'il fallait faire des
enfants ; on ne savait pas quoi en faire : ils avaient redoublé la maternelle déjà !
Aux deux enfants, on a proposé un triplement de la maternelle. On a réagi.
Où sont ces enfants maintenant ? Une famille a accepté finalement une CLIS ; elle était
contre. Mais c'est une CLIS "retard mental" où la dysphasie n'est pas du tout prise en compte.
L'autre enfant est parti dans le privé où il a trouvé une place, une institutrice gentille avec les
enfants en difficulté. Donc les problèmes ce n'est pas du tout un bon discours de l'Éducation
nationale mais il faut voir les problèmes comme ils se posent dans les familles.
Le docteur Maitrot a évoqué tout à l'heure le texte sur le plan d'actions qui a été repris dans la
circulaire de janvier 2002 relative aux troubles du langage. Ce texte préconise notamment
l'aménagement de classes spécifiques pour besoins éducatifs spécifiques à destination des
enfants présentant des troubles sévères du langage. Un certain nombre de départements (la
moitié des départements français) les ont mises en place. Mais dans plus de la moitié des cas,
c'était dans l'enseignement privé.
Je demande à Mme Hanry, sachant qu'elle travaille depuis peu de temps dans le
département (je ne la vise pas personnellement), s'il existe des projets dans ce département
d'appliquer la circulaire ? Est-ce qu'il n'y a pas d'enfants qui souffrent de troubles sévères
suffisants pour justifier la création d'un petit groupe, d'une CLIS, un cadre d'accueil pour un
nombre réduit d'enfants, où on pourra mener de la rééducation et porter une attention à ces
problèmes beaucoup plus forte, dans un cadre sécurisant, poursuivant bien sûr l'objectif de voir
les enfants rejoindre un jour l'enseignement ordinaire, ce qui sera d'autant plus possible et facile
92
qu'ils auront été pris en charge très tôt. Donc c'est non seulement une CLIS en primaire qu'il
faudrait instaurer, mais c'est d'abord et peut-être avant tout des CLIS en maternelle. * des CLIS
parce qu'on a peur de l'étiquette, qui fait peur, parce que des groupes éducatifs, on commence à
avoir un groupe éducatif, avec un travail collectif en groupe dans le cadre d'une maternelle et
c'est très intéressant.
Mme Laurence Hanry
Premièrement, je ne me sens pas visée effectivement parce que moi je suis là en tant que
personne et donc en tant que personne je n'ai pas me sentir visée par ce genre de discours.
Deuxièmement, j'aurais tendance à dire que, même une inspection académique fait avec les
moyens qu'elle a ; or, ces moyens-là sont déterminés au niveau national et je crois que vous
êtes d'ailleurs bien placé pour le savoir.
Troisièmement, le fait est qu'on est en train de s'acheminer vers ce type de structure-là et il
est vrai que l'on a réfléchi à la possibilité de mettre en place de petites unités pour accueillir des
enfants souffrant de troubles spécifiques du langage. Il se trouve que ces unités restent
actuellement positionnées sur le second degré. C'est-à-dire que, dans le second degré, nous
disposons actuellement de cinq dispositifs qui permettent d'accueillir des enfants souffrant de
troubles spécifiques du langage, dont quatre dans le public et un dans le privé.
Dans le premier degré, la situation semble un peu différente mais je ne porterais pas le
même regard que vous sur cela. Je vous rejoins tout à fait quand vous précisez "CLIS ou autre
dispositif" pour ne pas étiqueter. Je suis toujours un peu étonnée qu'à la fois on mette en oeuvre
une loi qui prétend viser à considérer chaque enfant à l'égal d'un autre enfant et qu'en même
temps on multiplie des structures qui vont les remettre ensemble. C'est vrai que, de ce point de
vue, on agit quelquefois à l'inverse de ce que voudrait la loi.
Pour autant, il y a nécessité de faire attention et de porter une attention particulière à des
élèves présentant des problèmes particuliers. D'où la discussion que nous avons eue avec le
docteur Allaire et les projets que nous menons pour les enfants et ceux du premier degré aussi.
Pourquoi avons-nous d'abord commencé par le second degré ? C'est parce que, les
enseignants portent un regard très différent sur les enfants du premier degré, ceux des écoles
maternelle et élémentaire. Du coup, c'est vrai que la prise en compte par les enseignants du
premier degré (écoles élémentaire et maternelle) est quand même une attention de proximité,
même en intégrant le fait qu'ils manquent de formation et quelquefois d'information et de
connaissances. Ils les ont presque toute la journée ; ils les ont dans toutes les disciplines ; ils les
connaissent sous différents regards ; ils portent sur eux une autre attention dans leur gestion du
temps.
Tout cela fait que, la prise en compte d'un enfant en difficulté de langage à l'école maternelle
ou élémentaire devient finalement plus simple, et reste cachée plus longtemps. Je rends
hommage aux enseignants pour cela : ils déploient des trésors de patience et de savoir-faire
pour aider et étayer l'enfant aussi loin qu'il le peut. C'est bien souvent au moment de son arrivée
93
au collège - et les chiffres montrent très bien cela -, lorsque l'enfant se trouve dans une
détermination du temps très différente, très normée, avec un nombre d'enseignants multiples,
que la dyslexie ou la dysphasie apparaît de façon extrêmement flagrante. Pour autant, on mène
une réflexion sur la mise en place du dispositif en élémentaire et nous essayons de faire le
mieux possible avec les enveloppes que nous avons.
Mme Anne Chevrel
Vous venez de nous donner votre réponse sur ces questions d'école. Je voulais entendre
l'avis du docteur Allaire sur une des questions qui nous vient de l'autre salle : Comment les
enfants progressent-ils ? Progressent-ils mieux dans une classe spécialisée ou en milieu
scolaire disons ordinaire ?
Docteur Catherine Allaire
On n'a pas beaucoup d'expérience, à part celle d'une classe Langage à Paul Cézanne. En
fait, on a l'impression qu'il ne faut pas être obnubilé par le trouble. En effet, on peut retrouver
des points communs aux différents enfants. Ce qui suggère de considérer chaque enfant dans
sa propre spécificité, c'est que les voies de compensation diffèrent. La problématique scolaire
n'est donc pas la même. Je pense que ce n'est pas nécessairement au médical de se
positionner sur les *habiletés scolaires. Chacun doit assumer sa responsabilité et les acteurs
scolaires doivent garder leur responsabilité de décisions d'orientation.
En ce qui nous concerne, nous donnons un éclairage, si vous voulez. Certes, nous avons
des choses à dire, il peut être intéressant de faire passer un enfant dysphasique en grande
section, même s'il est en grande difficulté, de le faire passer en CP parce que, dans certaines
formes de dysphasie, il s'appuie sur l'écrit, tandis que, dans d'autres situations au contraire, on
aura tendance à dire qu'il vaut mieux le maintenir. Il s'opère de nombreux regroupements de
CLIS à Rennes qui accueillent des enfants ne présentant pas véritablement de déficience
mentale... On s'adapte aussi un peu au contexte local ; mais on s'adapte surtout et tout d'abord
à l'enfant dans son individualité et avec les acteurs de l'école.
Mlle Marine *, candidate dyslexique au concours d'entrée à l'école d'infirmières
Je voudrais savoir si l'on fait ou si l'on fera quelque chose un jour pour nous aider à passer
les concours parce que je ne suis pas sûre que ma dyslexie m'empêche de devenir une bonne
infirmière.
Docteur Claire Maitrot
Les choses ont quand même évolué. Je vous ai dit que nous avions pris l'initiative, dans cette
académie et dès 2003, de préconiser un certain nombre d'aménagements pour faciliter le
passage des épreuves, examens et concours, tout au moins de ceux qui sont sous
responsabilité de l'enseignement scolaire. Depuis lors, un texte tout à fait récent, datant du 26
décembre 2006, est paru qui schématiquement, non seulement ne nous met pas en difficulté
94
parce qu'il reprend les mesures que nous avions envisagées, mais il ajoute même un certain
nombre de dispositifs que nous n'avions pas osé afficher à l'époque.
Cela va du traditionnel tiers-temps, que vous connaissez, en passant par la possibilité d'avoir
un lecteur ou un secrétaire assistant, de disposer de logiciels informatiques adaptés, voire
d'aménagement dans le fond et dans la forme d'un certain nombre d'épreuves, avec des
distances plus ou moins partielles, avec la possibilité d'utiliser par exemple pour le baccalauréat
à la fois la session de juin et la session de remplacement, voire avec la possibilité (dans les cas
extrêmement sévères) d'étaler sur plusieurs années le passage d'un même diplôme. Je pense
donc que de très importantes avancées ont quand même eu lieu.
Toutefois, je voudrais attirer votre attention sur le fait qu'en matière d'examens et de
concours, il ne s'agit ni de dramatiser ni de banaliser, mais bien de compenser strictement le
handicap dans un esprit très rigoureux d'équité entre tous les candidats. Cela peut expliquer une
certaine rigidité dans le formalisme que nous exigeons pour la demande d'aménagement, en
particulier dans le champ de la dyslexie parce que cela explose littéralement et que beaucoup
de chefs de centres nous alertent en nous disant qu'il auront bientôt à faire passer le
baccalauréat à plus d'enfants dyslexiques que normaux.
Je profite encore une fois de la possibilité de vous donner l'information, à savoir, a minima :
- un bilan orthophonique récent de la dysfficulté en question. Combien de fois ne nous transmeton qu'un bilan orthophonique qui date de l'époque des 8 ans du petit pour passer le
baccalauréat quand il en a maintenant 18 !
- la reconnaissance éventuelle qui a pu être établie par l'ex-CDES ou actuellement la CDA ;
- l'avis de l'enseignant, portant notamment sur les aménagements dont l'enfant candidat a
bénéficié jusque là. En effet, je répète que l'on ne va pas rendre service à un candidat en
mettant à sa disposition, tout d'un coup, pour passer le baccalauréat, soit un ordinateur équipé
d'un logiciel adéquat, alors qu'il ne l'a jamais utilisé pendant sa scolarité, soit même un
secrétaire assistant. Quand on n'a pas été habitué à travailler avec un secrétaire assistant, on
peut s'en trouver fortement pénalisé. Donc ce qui s'est passé doit être pris en compte
également ;
- et puis, autant que faire se peut, pour nous permettre d'objectiver mieux le "degré de sévérité"
de la situation, par exemple, un exemplaire d'une copie de français. C'est extrêmement éclairant
dans un certain nombre de cas.
Je vous invite encore une fois à ne pas nous en vouloir de rigidifier la composition du
dossier : c'est bien pour que les enfants qui ont vraiment besoin de ces aménagements en
bénéficient et d'éviter de prendre le risque, à force d'établir comme des "certificats de
complaisance", d'obtenir finalement l'effet inverse et de constater l'annulation complète de tous
ces dispositifs.
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Mme Anne Chevrel
Merci. Madame, vous souhaitez devenir infirmière et une autre question posée par un
architecte dyslexique dans l'autre salle vient compléter la vôtre, qui a trait aux métiers qu'on veut
exercer. Quel métier peut-on exercer ? Quelles orientations peut proposer l'Éducation nationale
à des enfants dyslexiques ?
Professeur Jean-Émile Gombert
Je pense qu'il n'y a pas d'orientation à conseiller. On trouve des dyslexiques dans tous les
métiers. Ceux qui me connaissent savent que je suis dyslexique. Je suis professeur d'université
en psychologie et j'ai écrit des livres ! Ce parcours montre bien qu'aucune porte n'est a priori
fermée aux enfants dyslexiques. Certes, on constate que, dans les études supérieures, les
dyslexiques vont plutôt avoir tendance à s'orienter vers des disciplines soit techniques soit
scientifiques parce que, dans leur cursus scolaire, ils ont essayé de minimiser en quelque sorte
la part de ce qui les pénalisait plus pendant les examens.
Ainsi, lorsque pour des études souvent d'imagerie cérébrale on a besoin de recruter des
populations d'adultes dyslexiques, on veut s'assurer que ce sont des adultes qui ont un bon
niveau intellectuel, qu'ils présentent vraiment des troubles du langage spécifiques, on les recrute
généralement dans des écoles d'ingénieurs, puisque l'orientation fait que c'est plutôt dans ce
type de cursus que l'on va trouver des populations importantes d'étudiants de haut niveau qui
ont conservé un handicap sérieux dans l'écrit.
Il n'y a donc pas d'orientation à conseiller et elles restent toutes possibles. Mais, comme pour
tous les élèves, les choix doivent être en rapport à la fois avec les aspirations et les possibilités
de l'élève. Mais cela, c'est une règle générale.
Mme Laurence Hanry
Pour vous dire à quel point il n'existe pas de métier interdit aux personnes dyslexiques ou
dysphasiques, j'indique que M. Letort, le conseiller pédagogique d'une circonscription, me
confiait que certains enseignants également étaient dyslexiques. Donc vous voyez !
Mme Françoise Thouvenot, APEDYS 35
Je transmets une question à Mme Maitrot de la part de M. *Ficaux de la DAFPEN, organisme
de formation continue pour les élèves du secondaire qui n'a pas pu venir. Il nous a chargés de
vous demander pourquoi la DAFPEN dispensait des formations dans le secondaire dans les
trois départements bretons sauf dans celui d'Ille-et-Vilaine, alors qu'il y avait des demandes.
Quelle est donc la procédure à mettre en oeuvre pour que la DAFPEN puisse organiser des
formations et les faire connaître ? Nous avons suivi la première formation, puisque nous avons
assisté M. *Ficaux cette semaine dans un collège ; mais selon lui, les demandes sont multiples.
Comment cela pourrait-il s'organiser ?
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Docteur Claire Maitrot
La DAFPEN est le service qui élabore et gère le Plan académique de formation du personnel
du second degré et également, peu ou prou, du premier degré, même si, dans ce dernier cas,
ce sont quand même les inspections académiques qui la prennent en charge. Je suis un petit
peu gênée pour vous répondre. J'ai envie de vous dire que c'est lui qui détient la réponse !
Un Plan académique de formation se monte de la façon suivante : un cahier des charges est
d'abord rédigé par le recteur au regard en général du projet académique. Cela me donne
l'occasion de vous dire que tout ce que je vous ai présenté tout à l'heure est inscrit dans le projet
académique. Le PAL fait partie du projet académique. Dès lors que le cahier des charges donné
à la DAFPEN prévoit la nécessité de répondre à ce cahier des charges par l'élaboration d'un
plan académique adéquat, le cahier des charges est ensuite offert à un certain nombre
d'offreurs, de prestataires - l'IUFM en est d'ailleurs un - qui proposent des formations en
conséquence. C'est ensuite la DAFPEN qui choisit quelles formations sont éligibles ou pas. Ce
schéma semble un petit peu caricatural et c'est un peu comme cela que les choses se passent.
Donc je n'ai pas la réponse, là.
Mme Anne Chevrel
On parlait de suite à donner à cette journée : en voilà une. Mme Hanry ?
Mme Laurence Hanry
J'ajoute un élément de réponse supplémentaire relatif au plan de formation du second degré
et à la DAFPEN : dans le domaine particulier de l'ASH, les inspecteurs ASH des quatre
départements se réunissent pour proposer un certain nombre de formations. Celles-ci repassent
après à la DAFPEN, qui en retient un certain nombre qui apparaissent dans le plan de
formation. Or, force est de constater qu'un certain nombre d'entre elles ne sont pas suivies
d'effets, simplement à cause du nombre insuffisant de personnes à s'être inscrites au stage en
question ; du coup, le stage disparaît (avant de protester violemment), le stage disparaît. Donc
cela, c'est une partie des stages. J'ai expliqué d'ailleurs tout à l'heure que c'était parfois pour
des raisons d'éloignement.
Un autre facteur intervient : il faut toujours mettre en relation les stages et les moyens de
remplacement. Si les moyens de remplacement ne sont pas disponibles à ce moment-là pour le
stage, il arrive qu'on le supprime. Mais ce n'est pas chose fréquente et cela ne concerne en tout
cas pas des stages qui nous paraissent essentiels.
Mme Marie-Christine Leprince, médecin dans l'Éducation nationale
Je voudrais faire une remarque : je souhaite revenir à des choses peut-être un peu plus
simples. Les personnes intervenant en première ligne pour repérer des problèmes
d'apprentissage de la langue, orale et écrite, sont les parents et les enseignants. Les
enseignants doivent savoir qu'ils ont des partenaires de première ligne : le RASED et le
médecin de l'Éducation nationale.
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Avant d'en arriver éventuellement à constituer un dossier pour la MDPH, avec un diagnostic
avéré de dyslexie sévère, il peut exister des formes de dyslexie un petit peu moins sévères qui
sont prises en charge par des orthophonistes. Je rends hommage aux orthophonistes d'Ille-etVilaine qui viennent participer régulièrement aux équipes éducatives, avec les parents et les
enseignants : ils proposent de très bonnes pistes de travail et rassurent les enseignants. Je
crois que c'est une pratique à développer en primaire et que l'on poursuit ensuite en secondaire.
J'invite tout le monde à écouter les enseignants quand ils conseillent de consulter un
médecin scolaire parce qu'ils aimeraient bien avoir un avis complémentaire. Il faut déjà éliminer
une cause auditive ou un problème visuel, ou quelque raison somatique toute bête qu'il suffit de
prendre en charge. Ces équipes éducatives par la suite, si elles trouvent que c'est beaucoup
plus important, vont éventuellement déboucher sur une invitation à constituer un dossier de
MDPH en explicitant la procédure dans l'école. Là, je crois que c'est très important. Et je rends
hommage, pour ma part, aux enseignants et aux orthophonistes qui aident bien les enfants.
Mme Régine *Delégarac, APEDYS des Côtes-d'Armor
J'ai quatre points à élucider : j'essaierai d'être le plus brève possible.
Premièrement, un aspect me paraît primordial, c'est le Plan académique langage qui a été
mené en Bretagne et, à ce propos, je remercie Claire Maitrot et Jean-Émile Gombert, ici
présents. Il y a une chose qu'il faut quand même savoir, c'est que, dans ce Plan académique
langage, ce qui paraît se faire de façon extrêmement fluide en Ille-et-Vilaine ne se fait pas
nécessairement dans tous les départements bretons. On constate donc une disparité énorme
entre les départements bretons. On rencontre notamment un souci parmi les médecins scolaires
qui n'arrivent pas à mettre en place le livret de suivi de l'élève dyslexique, avec beaucoup de
difficulté, ils nous objectent que cela va marginaliser l'enfant ou produire tel ou tel effet.
Deuxièmement, nous nous retrouvons coincés aussi par un manque de médecins scolaires.
Je rejoins donc la précédente intervenante qui trouvait appréciable d'avoir un médecin scolaire,
mais encore faut-il en avoir dans nos départements.
Troisièmement, on évoquait tout à l'heure un phénomène de marginalisation. Certes, il est
n'est peut-être pas bon d'étiqueter un enfant trop tôt ; mais ne pas nommer la dyslexie
n'équivaut-il pas non plus à le marginaliser ? En effet, on ne mesure pas la souffrance que peut
supporter cet enfant-là.
Quatrièmement, il est enfin un dernier point que j'aurais voulu aborder : il s'agit de l'action
n° 27 du plan d'actions. On nous parle du plan d'actions en nous disant le rôle que doivent jouer
tant l'Éducation nationale que la Santé. Or, l'action n° 27 nous demande de faire remonter ce
que nous avons fait dans nos départements pour que la dyslexie devienne un fait de culture,
qu'elle soit connue de façon culturelle, par un large public.
Je trouve que cette action-là n'est pas du tout menée dans nos départements. Nous n'avons
pas du tout de comités pour faire remonter les pratiques en cours dans nos départements. Cela
entraîne qu'au niveau national on n'arrive pas à faire connaître la dyslexie de façon culturelle.
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Cinquièmement, j'ajoute une dernière remarque à l'attention de la petite copine de Caroline.
Quand on lui parle de concours à l'Institut de formation en soins infirmiers, cet enseignement ne
relève plus la compétence de l'Éducation nationale mais de celle la Santé. Et de ce fait, il m'est
arrivé de voir des personnes obtenir leur tiers-temps pour passer ces concours, tandis que
d'autres ne l'obtenaient pas. Voilà une autre disparité qui touche les départements.
Voilà ce que je voulais dire.
Mme Anne Chevrel
Des stands sont installés à l'extérieur ; nous allons pouvoir y poursuivre nos échanges.
M.
Excusez-moi : je pose une question très courte. On n'a pas du tout parlé des auxiliaires de
vie scolaire, c'est important pour les familles. Pourquoi est-ce que les auxiliaires de vie scolaire
sont remis en cause chaque année, ce qui met les familles dans l'angoisse chaque année, et ne
fonctionnent pas par cycle comme le font désormais les cycles d'enseignement ?
Docteur Claire Maitrot
Je vais essayer de répondre de façon extrêmement rapide à cette question-là, faute de
temps. Vous avez vu, j'ai dû interrompre mon PowerPoint plus tôt que prévu mais j'étais
prévenue assez tard que je n'aurais pas le temps dont je pensais disposer au départ. Mon
intervention contenait un volet abordant les AVS.
Premièrement, je dirai que le projet de scolarisation - et c'est bien aussi la raison de
l'existence d'un plan de compensation à la Maison des personnes handicapées - contient une
possibilité d'être aidé par des AVS. Pour le coup, on va également mettre en place une
formation - je crois d'ailleurs que c'est cette semaine - pour les AVS concernant la dyslexie.
Cela, c'était un premier point.
Deuxièmement, je rappelle que le dispositif AVS est national ; il remonte maintenant à 4 ans.
Il partait de l'idée d'un contrat de 1 an renouvelable 5 fois. Pour l'instant - et, là encore, je n'ai
pas de réponses autres que celle-là à vous donner, n'étant pas au niveau du ministère - le fait
est que les AVS avaient une possibilité de travailler sur 6 ans.
Je suis très claire sur ce point : vous savez très bien que nous connaissons une situation, ces
mois-ci, qui verra peu de choses évoluer. On n'aura pas de réponse à ce sujet. La seule chose
que je puisse dire, c'est que tous les éléments qui me parviennent indiquent que l'on réfléchit à
professionnaliser l'accompagnement des élèves handicapés. Cependant, je ne peux pas aller
au-delà de cela, ne disposant pas de réponse institutionnelle à ce sujet. Quoi qu'il en soit, il
faudra de toute façon qu'on puisse accompagner tous ces "petits bouts de chou" et donc que le
système d'accompagnement perdure.
99
M. Claude Delahousse
Je voulais juste dire au sujet des AVS, en réponse à votre remarque sur la durée, que c'est
une réflexion qui est au sein de l'équipe pluridisciplinaire d'évaluation, qu'il s'agisse des
notifications d'AVS ou d'autres notifications ; ils pourraient allonger les durées. Néanmoins, c'est
notre médecin d'équipe pluridisciplinaire qui met en garde à chaque fois sur le fait qu'un enfant
évolue. Le nombre des AVS nécessaire peut augmenter ou diminuer. Les besoins peuvent
évoluer. Il faut donc aussi rester prudent. Ne pas mettre une AVS pour 5 ans.
Mme Anne Chevrel
Merci. Je voulais vous remercier. Évidemment, on n'a pas eu le temps de tout traiter et de
nombreuses questions restent en suspens. Avant de nous séparer, je voulais remercier et
féliciter les membres des trois associations organisatrices que sont : l'Apedys 35, Avenir
dysphasie et Dyspraxique mais fantastique. Je crois qu'on peut les applaudir très fort, car ils ont
travaillé très dur.
100
Conclusion
Nous vous remercions de votre participation au Colloque que nos 3 associations « APEDYS
35, DYSPRAXIQUE MAIS FANTASTIQUE 35, et AVENIR DYSPHASIE Bretagne » ont organisé
le 24 mars sur le thème « les dysfficultés »
Votre intervention était importante tant pour les parents, les enseignants que les soignants
pour une meilleure appréhension des « dysfficultés » de nos enfants.
Nous espérons que ce colloque donne l’impulsion à la mise en place d’un réseau de santé
dans notre département. Réseau qui doit être une des réponses de prise en charge et
d’accompagnement de nos enfants avec pour objectif de n’en laisser aucun sur le bord de la
route …
Françoise THOUVENOT – APEDYS 35
Isabelle LACOFFRETTE, Annie MARQUER – DMF 35
Laurence DAVROU – AAD Bretagne
Le colloque se termine. Il a pu voir le jour par la volonté de rapprochement et de travail
collectif de 3 associations départementales :
APEDYS avec Françoise Thouvenot, Luc et Catherine
Dyspraxique Mais Fantastique avec Isabelle Lacoffrette et Annie Marquer
Avenir Dysphasie avec Laurence Davrou, Rachel, Marguerite
Notre volonté commune pendant ces 9 mois de gestation (c’est une attente que nous
connaissons bien...) a été de mettre en évidence la difficulté pour les parents et les enfants de
dépister les troubles, de les nommer, de les faire reconnaître et de mettre en place les
rééducations, et les aménagements scolaires.
Nous souhaitons qu'avec l'accompagnement qui leur est nécessaire, nos enfants accèdent à
une vie professionnelle, comme leurs amis.
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Tous les intervenants que nous avons écoutés avec grand intérêt ont bien démontré la
difficulté à connaître les origines, les raisons de ces troubles.
Le public nombreux, vous êtes 800, prouve bien que les Dysfficultés sont un sujet de santé
publique qui préoccupe BEAUCOUP de monde.
Nous attendons bien de ce colloque qu’il soit le détonateur à la mise en place d’un réseau de
soins départemental.
Nous, parents, représentants d'associations, avons su nous mettre autour d'une table et faire
naître ce colloque, alors
Mesdames et Messieurs les Professionnels de santé,
Mesdames et Messieurs les représentants de l'Education Nationale,
Mesdames et Messieurs les décideurs de notre département,
nous osons espérer que par votre présence d'aujourd'hui, vous avez la même préoccupation et
que vous saurez demain vous rapprocher pour créer ce partenariat nécessaire dans un réseau
de soins.
La journée nationale des DYS, le 10 octobre prochain ne fera que souligner cette nécessité.
Nous, parents nous le souhaitons profondément.
Nous tenons à remercier :
Le Dr Revol, le Docteur Habib et le Professeur GOMBERT qui ont immédiatement répondu
présents à notre invitation.
Nous remercions également :
le Centre du Langage : le Docteur Allaire et Mr Mélo,
le Rectorat d’Académie : Mme Maitrot
L’Education Nationale : Mme Hanry,
la MDPH : Messieurs Duperron et Delahousse
Et bien sûr merci aux partenaires financiers sans qui ce colloque n’aurait
pas pu voir le jour :
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Mr Raymond Marie de l’Université de Rennes I
Mr Hervé Maire de Rennes et Mme Tascon Mennetrier
Mr Tourenne, Mr Le Menn, Mme Massot, Mr Théaudin du Conseil Général
Mr Le Drian du Conseil Régional
Mr Quédillac de la MGEN,
Mr Bougerie et Mme Touzin de la MAIF
La Caisse Primaire d’Assurance Maladie
Et encore merci à tous les participants – nos grands témoins – professionnels de la
rééducation, de l’enseignement, les écoles, les classes spécifiques
MERCI POUR VOS CONSEILS A TOUS ET VOTRE IMPLICATION dans ce temps fort.
Ils seront tous présents dans le hall – par thème d’intervention – pour vous informer et vous
conseiller.
Et un grand coup de chapeau à Fabienne et à tous les bénévoles qui se sont mobilisés à nos
côtés pour que nous ayons le son, l’image, pour que nous vous accueillions dans les meilleures
conditions
Merci à nos familles qui nous ont soutenu pendant ces 9 mois de réunionite aiguë !!
Un pot de l'amitié vous est proposé dans le hall principal.
Merci de votre attention et bonne fin de soirée à tous.
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