Mise au point en médecine cardiovasculaire L`amylose cardiaque à

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Mise au point en médecine cardiovasculaire
Lamylose cardiaque à transthyrétine (TTR)
Frederick L. Ruberg, MD ; John L. Berk, MD
Les amyloses systémiques forment un groupe daffections
secondaires à des erreurs de plissement ou dassemblage
de diverses protéines. Le dépôt extracellulaire de ces protéines
sous forme de feuillets anti-parallèles β-plissés, solubles ou
insolubles, perturbe le fonctionnement des organes vitaux.1
Plus de 27 pré-protéines différentes sont à même de constituer
des fibrilles amyloïdes.2 A chacune de ces pré-protéines dont le
plissement anormal donne naissance à des fibrilles amyloïdes
correspondent un type damyloïde et une évolution clinique
particulière de la maladie. Plusieurs variétés damyloïdes
peuvent infiltrer le cœur, provoquant une dysfonction
diastolique et systolique progressive, une insuffisance car-
diaque congestive et le décès du patient. Le traitement de
lamylose cardiaque est conditionné par le type damyloïde en
cause et par limportance des dépôts. Un dépistage précoce et
un étiquetage précis sont donc deux éléments essentiels.3
Le diagnostic de lamylose repose sur lidentification
histologique des dépôts amyloïdes. Le rouge Congo les colore
en rose saumoné en microscopie optique, alors quen lumière
polarisée ils présentent une biréfringence vert pomme
caractéristique (Figure 1). Lapplication dune coloration
immunohistochimique spécifique des pré-protéines permet
d’établir à quel type appartient lamyloïde (Figure 2).4 Ce sont
toutefois la microscopie électronique avec immunomarquage
à lor colloïdal et la spectrométrie de masse qui font preuve
des meilleures sensibilité et spécificité en matière de typage des
amyloïdes.5,6
Deux types damyloïdes infiltrent couramment le cœur :
(1) la protéine constituée dune chaîne légère dimmuno-
globuline (amyloïde AL ou systémique primitive) et (2) la
protéine appelée transthyrétine (TTR). Les amyloses à trans-
thyrétine se répartissent elles-mêmes en deux variétés : une
forme familiale résultant du plissement incorrect dune
TTR ayant subi une mutation (cardiomyopathie amyloïde
familiale ou polyneuropathie amyloïde familiale [PAF]) et une
forme sporadique, dorigine non génétique, provoquée par
lagrégation anormale dune transthyrétine de type sauvage
(amylose systémique sénile [ASS]). Une amylose cardiaque
peut également être causée par dautres pré-protéines telles
que lapolipoprotéine A1, mais il sagit dune forme dont la
prévalence est faible et qui sort du cadre de cette mise au
point.3 En revanche, lincidence de lamylose AL est estimée
de lordre de 2 500 nouveaux cas par an,7 dont près de
la moitié comporterait une participation cardiaque.810 En
labsence de traitement, le pronostic de lamylose AL est
sombre, la survie médiane après diagnostic étant inférieure
à un an lorsquil existe des symptômes dinsuffisance
cardiaque.8 Contrairement à lamylose cardiaque de type AL,
la cardiomyopathie amyloïde à transthyrétine est d’évolution
lente et cliniquement bien tolérée, de sorte que le diag-
nostic nest souvent porté quen présence dun important
épaississement des parois ventriculaires, dune dysfonction
diastolique majeure et de troubles de la conduction. Non
traités, les patients atteints damylose cardiaque à trans-
thyrétine peuvent vivre des années, voire plusieurs décennies.
Lamylose secondaire ou de type AA résulte du plissement
incorrect de lamyloïde A, un marqueur sérique de phase
aiguë de linflammation chronique. Les examens écho-
cardiographiques pratiqués dans trois études chez, respec-
tivement, 48, 30 et 224 patients atteints damylose AA ont mis
en évidence des signes caractéristiques de cardiomyopathie
amyloïde chez seulement 1,3 % des sujets de la cohorte totale,
une insuffisance cardiaque congestive avérée ayant été
observée chez moins de 1 % dentre eux.113 Bien que des
signes histologiques damyloïde cardiaque soient présents
chez 30 % des patients finlandais atteints de polyarthrite
rhumatoïde, linsuffisance cardiaque est rare au sein de cette
population.14 Ces données montrent que le myocarde et les
voies de conduction ne sont que rarement le siège de dépôts
damyloïde AA ayant un retentissement clinique significatif
et que linfiltration des artères coronaires est peu fréquente.15
La TTR, autrefois appelée préalbumine, est une protéine
de transport de 56 kDa, constituée de 127 acides aminés et
qui est principalement exprimée par le foie. Normalement,
la TTR circule sous la forme dun homotétramère, mais,
sous leffet de mutations génétiques ou du vieillissement,
les tétramères peuvent se scinder en monomères dont
lassemblage incorrect aboutit à la formation de fibrilles
amyloïdes.16 Comme il existe deux formes damyloses à TTR
(lune liée à l’âge, encore appelée amylose sénile [TTR de type
sauvage], et lautre ayant un caractère familial [TTR mutée]),
nous comparerons ici l’épidémiologie, la pathogenèse, le
diagnostic et le traitement de lASS et de la cardiomyopathie
amyloïde familiale.
Amyloid Treatment and Research Program (F.L.R., J.L.B.) et département de médecine cardiovasculaire (F.L.R.), faculté de Médecine de luniversité
de Boston et Centre médical de Boston, Boston Massachusetts, Etats-Unis.
Le supplément de données, uniquement disponible en ligne, peut être consulté, tout comme cet article, sur le site : http://circ.ahajournals.org/lookup/suppl/
doi:10.1161/CIRCULATIONAHA.111.078915/-/DC1.
Correspondance : Frederick L. Ruberg, MD, Section of Cardiovascular Medicine, Department of Medicine, Boston Medical Center, 88 E Newton St,
Boston, MA 02118, Etats-Unis. E-mail : frruber[email protected]
(Traduit de langlais : Transthyretin (TTR) Cardiac Amyloidosis. Circulation. 2012;126:12861300.)
© 2012 American Heart Association, Inc.
Circulation est disponible sur le site http://circ.ahajournals.org
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Figure 1. Coloration au rouge Congo du tissu myocardique dun patient atteint dune cardiomyopathie amyloïde. A, aspect en microscopie
optique ; B, aspect en microscopie en lumière polarisée, grossissement × 400.
Figure 2. Cardiomyopathie amyloïde à
transthyrétine étudiée par coloration
immunohistochimique. Des échantillons
biopsiques endomyocardiques ont été
colorés au moyen danticorps
respectivement dirigés contre (A) la chaîne
légère kappa, (B) la chaîne légère lambda,
(C) lamyloïde sérique A et (D) lamyloïde
de la transthyrétine. Aspects microscopiques
en lumière vive à grossissement × 400.
Epidémiologie
Amylose liée à l’âge ou ASS
Lamylose cardiaque liée à l’âge fut décrite pour la première
fois par Soyka en 1876,17 cela ayant été suivi de la publication
dun grand nombre dobservations cliniques et de petites
séries de cas au cours des cent années ultérieures. En 1965,
Pomerance a estimé que la prévalence de lamylose cardiaque
sénile était denviron 10 % parmi la population âgée de plus de
80 ans et de 50 % chez les individus de plus de 90 ans.18 Les
autopsies pratiquées chez 85 patients consécutifs âgés de 80
ans ou plus ont mis en évidence des dépôts amyloïdes prenant
la coloration immunohistochimique de la préalbumine (TTR)
au niveau des oreillettes ou du ventricule gauche de 21 de ces
sujets, ce qui situe à 25 % la prévalence de lamylose à TTR
liée à l’âge dans cette population âgée.19 Un examen plus
approfondi a toutefois révélé que seulement les deux tiers des
cœurs qui avaient pris la coloration de la TTR étaient le siège
dinfiltrats ventriculaires gauches, décrits comme «minimes et
très disséminés» dans plus de 50 % des cas. Ces observations
tendent à indiquer que lamylose cardiaque à TTR na de
traduction histologique notable que chez 8 à 16 % des indi-
vidus de plus de 80 ans. Une étude prospective menée chez des
octogénaires finlandais (Vantaa 85+) a également objectivé la
présence de dépôts damyloïde de type TTR dans 25 % des
cœurs sur un total de 256 autopsies.20 Là encore, des infiltrats
cardiaques modérés à sévères nont été relevés que chez
seulement 5,5 % des sujets autopsiés.
La prévalence de lASS augmente incontestablement avec
lavancée en âge, la quasi-totalité des patients étant âgés de
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plus de 60 ans lorsque le diagnostic de laffection est porté.
Cette dernière présente une très forte spécificité sexuelle,
frappant environ 25 à 50 hommes pour une femme.21 Bien que
les investigateurs de l’étude finlandaise post-mortem naient
pas signalé de prédominance masculine des dépôts amyloïdes,
les colorations générées par ces derniers ont été plus marquées
(témoignant donc dASS plus sévères) chez les hommes que
chez les femmes. Par des mécanismes de vieillissement encore
mal cernés, lagrégation et laccumulation cardiaque de TTR
génétiquement normale augmente avec le temps. Les données
post-mortem tendent à montrer que les dépôts de TTR
de type sauvage, bien que mis en évidence par lexamen
histologique dans 25 à 30 % des tissus myocardiques de
septuagénaires et doctogénaires, induisent une dysfonction
cardiaque chez un pourcentage plus faible mais néanmoins
significatif de sujets âgés. Compte tenu de laugmentation
attendue du nombre doctogénaires au cours des vingt
prochaines années, lASS semble appelée à devenir la forme
damylose cardiaque la plus courante.
Cardiomyopathie amyloïde familiale
Le gène de la TTR siège sur le chromosome 18q12.1 et s’étend
sur 4 exons et 5 introns. Il existe plus dune centaine de
polymorphismes mononucléotidiques codant pour des
variants de cette protéine, 80 mutations pathogènes ayant
dores et déjà été identifiées.22 Ces mutations tendent à
sagréger par zones géographiques ou groupements ethniques
et sont transmises sur le mode autosomique dominant. Le
phénotype clinique des amyloses à TTR mutées varie
fortement selon la mutation en cause, ce qui se traduit par
dimportantes différences touchant à l’âge de début du
trouble, à sa pénétrance, à son évolution clinique et à son
pronostic. La plupart des patients atteints dune neuropathie
amyloïde familiale présentent une atteinte du système nerveux
accompagnée ou non damylose cardiaque.23 Le Tableau 1
décrit les variants le plus fréquemment responsables
damylose cardiaque à TTR mutée. La mutation qui est à la
fois la plus couramment cause de neuropathie amyloïde et la
mieux décrite est V30M (substitution de la valine par une
méthionine en position 30), qui touche principalement les
individus dorigine japonaise, portugaise ou suédoise. Dans
les populations présentant le génotype Met30, la pénétrance
de la maladie est variable, lexpression de cette dernière
dépendant du lieu de naissance, du sexe, de la transmission
génétique parentale et de l’âge.24 La mutation T60A (substitu-
tion de la thréonine par une alanine en position 60) affectant
la TTR est également une cause fréquente de neuropathies
et cardiomyopathies amyloïdes, présente chez 1 % de la
population dIrlande du Nord-ouest (Comté de Donegal).25
Alors que, selon le Centre national britannique d’étude des
amyloses, près de 100 % des patients atteints dune cardio-
myopathie amyloïde familiale à TTR T60A saccompagnant
de neuropathie présenteraient une atteinte cardiaque,26
lexpérience américaine est plus hétérogène.
Parmi les variants de la TTR ayant principalement un
retentissement cardiaque, la substitution dune valine par une
isoleucine en position 122 (V122I ou Ile122) est celle qui est la
plus répandue à travers le monde.27 Originellement décrite en
1989 par Gorevic et al,28 la prévalence de cette mutation
V122I a été estimée par Jacobson et al29,30 à près de 3 ou
4 % chez les Noirs américains, alors que ce variant nest
pratiquement jamais mis en évidence dans la population
blanche.31 La mutation fondatrice V122I paraît avoir pris
naissance en Afrique de lOuest, ce qui expliquerait son
expression clinique dans les îles des Caraïbes (Haïti, Jamaïque
et Bermudes ; D. Jacobson, communication personnelle). Bien
que la pénétrance de cet allèle particulier soit inconnue,
il semble exister une étroite corrélation entre le statut de
porteur, la survenue dune insuffisance cardiaque (risque
relatif de 2,6)32 et les caractéristiques échocardiographiques
de lamylose cardiaque.33 A lexamen des échantillons qui
avaient été conservés pour les besoins de lessai BEST (Beta-
Blocker Evaluation in Survival Trial [étude de linfluence du
traitement bêtabloquant sur la survie]), Buxbaum et al34 ont
constaté quenviron 10 % des participants noirs insuffisants
cardiaques âgés de plus de 60 ans étaient porteurs de cette
mutation V122I, ce qui porte à penser que certains cas
dinsuffisance cardiaque pourraient être imputables à une
amylose cardiaque méconnue. Cet essai a porté sur des
patients présentant une dysfonction systolique (fraction
d’éjection ventriculaire gauche inférieure à 35 %), anomalie
cardiaque plus fréquemment observée quand la TTR est
lobjet dune mutation de type V122I que lorsque dautres
variants sont en cause.35,36 Selon de récentes données de
lOffice de statistiques des Etats-Unis, près de 1,5 million de
Noirs seraient porteurs de la mutation V122I et, donc,
exposés à développer une amylose cardiaque à TTR.37 Plus
précisément, les Noirs de plus de 65 ans qui sont atteints du
Tableau 1. Caractéristiques des amyloses cardiaques à transthyrétine de type sauvage et
de formes mutées communes
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variant V122I constituent une population encourant un
risque immédiat de survenue clinique dune cardiomyopathie
à TTR ; sachant que, lors du recensement effectué en
2010, leur nombre a été estimé de lordre de 99 600 à
132 800 individus (soit entre 3 et 4 % des 3 320 000 Noirs), la
mutation V122I pourrait représenter une importante cause
dinsuffisance cardiaque dans la communauté noire âgée.
Pathogenèse
La transthyrétine, protéine formée de 127 acides aminés, est
codée par un unique gène dont les quatre exons ne représen-
tent que 7 kb dADN et qui siège sur le chromosome 18.38 A
l’état natif, la transthyrétine circulante est un tétramère
comportant deux sites C2 de liaison de la thyroxine
symétriques, ayant une forme dentonnoir, au niveau de son
interface dimère-dimère.39 D’élégantes études thermo-
dynamiques ont montré que la dissociation du tétramère en
monomères de transthyrétine constitue l’étape auto-limitante
de lanomalie de plissement de ces derniers, qui conduit à
la formation des fibrilles amyloïdes.16 Dans lASS, celles-ci
semblent se constituer sous linfluence de processus liés au
vieillissement qui ne sont encore quimparfaitement connus,
dont la modification biochimique post-traductionnelle
de la TTR de type sauvage ou de ses protéines chaperonnes.
Des observations recueillies chez la souris transgénique
surexprimant lASS humaine suggèrent que la propension
dun cœur sénile à devenir amylosique serait subordonnée à
lexistence daltérations de la synthèse hépatique de molécules
chaperonnes ou de l’épuration protéasomique de la protéine
non plissée.40 Dans la PAF, la substitution dun acide aminé
au sein de la TTR native (TTR mutée) déstabilise le tétramère,
concourant ainsi à la fragmentation de la protéine en
monomères. Au final, le caractère amyloïdogène dun variant
donné de la transthyrétine est déterminé par la capacité dune
substitution dacide aminé particulière à déstabiliser les
tétramères de TTR circulants, ce qui entraîne la libération des
monomères, condition indispensable pour que se produise
le plissement incorrect. A ce jour, plus dune centaine de
variants de la TTR ont été décrits. Nombre de substitutions
dacides aminés sous-tendent des profils datteintes organiques
spécifiques et donnent donc lieu à des évolutions cliniques
différentes. En règle générale, le variant de transthyrétine
découle de la substitution dun seul nucléotide ; il apparaît
toutefois que le remplacement dun acide aminé au sein de la
protéine peut résulter de la substitution de deux nucléotides
ou de la délétion complète dun codon.41
Les organes atteints hébergent constamment des dépôts
amyloïdes extracellulaires. Les opinions divergent quant au
fait de savoir si ces dépôts sont effectivement responsables des
dysfonctions organiques ou sils ne constituent quun épi-
phénomène (témoin de la maladie). Lexamen des biopsies de
nerf saphène externe pratiquées chez 31 patients porteurs
dune mutation V30M de la TTR a objectivé la présence de
dépôts amyloïdes épineuraux et de dégénérescences nerveuses
chez la moitié de la cohorte. Aucun lien na pu être établi entre
lexistence de tels dépôts amyloïdes et les lésions histologiques
des nerfs,42 ce qui semble indiquer que ces dernières
relèveraient dun autre mécanisme. Au niveau rénal, le degré
daltération fonctionnelle nest pas régi par limportance des
dépôts amyloïdes.43,44 De plus, la réalisation de biopsies
rénales échelonnées chez des patients atteints damylose AL,
avant et après un traitement cliniquement efficace, a montré
que la charge en dépôts amyloïdes navait pas varié malgré la
nette amélioration de la protéinurie.45,46
Un nombre croissant de données atteste du rôle majeur
que jouent les protéines circulantes ou préfibrillaires dans
laltération de la fonction cardiaque associée à lamylose de
type AL ou à TTR. La perfusion de cœurs de souris par une
chaîne légère dimmunoglobuline clonale (AL-LC) issue de
patients présentant une cardiomyopathie amyloïde de type
AL induit rapidement une dysfonction diastolique. En
revanche, la fonction cardiaque ex vivo demeure inaltérée
lorsque la chaîne légère perfusée provient de patients
indemnes damylose AL.47 In vitro, lexposition de cultures de
cardiomyocytes à des taux physiologiques dAL-LC stimule la
production despèces réactives de loxygène ainsi que lactivité
de lhème oxygénase de type 1, une protéine redox-sensible
qui est un marqueur des dommages cellulaires.48 En plus de
modifier le statut doxydoréduction intracellulaire des
cardiomyocytes, lAL-LC diminue leur teneur en calcium et
leur contractilité, cela en labsence de toute formation de
fibrilles amyloïdes.48 De récentes données montrent que
lAL-LC modifie les mouvements ioniques au sein des
cardiomyocytes, ainsi que la contractilité et la mort
programmée de ces cellules par une voie de signalisation
non canonique des protéines kinases activée par le mitogène
p38α.49
Le même type de lésions des organes cibles occasionnées
par lamyloïde à TTR préfibrillaire a été observé dans la PAF.
Lanalyse immunohistochimique par anticorps anti-TTR et
lexamen en microscopie électronique à lor colloïdal de
biopsies nerveuses pratiquées chez des individus qui étaient
porteurs asymptomatiques dune mutation V30M de lATTR
ont mis en évidence des agrégats de protéines préfibrillaires
ne prenant pas la coloration au rouge Congo.50 L’état
dactivation du facteur nucléaire κB et des cytokines
pro-inflammatoires au sein de ces échantillons biopsiques
était la marque des effets toxiques exercés sur les cellules
par ces agrégats de TTR non fibrillaire, bien avant que
napparaissent les premiers signes cliniques de la maladie.
Lexposition de cultures neuronales à des agrégats de TTR
L55P non fibrillaire a induit la production de caspase 3 et
lexpression dune mort cellulaire programmée. En revanche,
les fibrilles amyloïdes matures de TTR L55P nont nullement
stimulé lexpression de la caspase 3, ce qui tend à indiquer que
les agrégats de TTR préfibrillaire seraient les médiateurs
neurotoxiques de la maladie. Dautres observations portent à
penser que les récepteurs aux produits finals de glycation
avancée (RAGE) joueraient un rôle facilitateur dans les
lésions organiques induites par lATTR.51 Dans les études
originellement menées pour comparer les effets des amyloses
respectivement liées aux variants V30M et L55P de la TTR
chez la souris transgénique atteinte dune PAF, aucune
différence na été objectivée quant à la toxicité nerveuse des
formes non fibrillaires de ces deux variants de la protéine.
Considérées dans leur globalité, les données recueillies à
partir des modèles damyloses AL et à TTR démontrent que
ce sont les agrégats de protéines préfibrillaires, et non les
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fibrilles amyloïdes matures, qui exercent des effets toxiques sur
les organes.
Diagnostic
Le diagnostic de lamylose systémique repose sur lidentifica-
tion histologique des dépôts amyloïdes par la coloration
au rouge Congo. Contrairement à ce qui est de règle dans
lamylose à chaîne légère (AL), il ny a pas ici datteinte
cliniquement significative des reins et de la langue, de sorte
quil nest généralement pas pratiqué de biopsies de ces
organes.36 Laspiration de la graisse abdominale est une
approche biopsique de mise en œuvre aisée, réalisable au
cabinet médical, qui permet la mise en évidence des dépôts
amyloïdes chez près de 70 % des patients atteints dune forme
liée à une mutation de la TTR telle que V122I.35 La biopsie
cardiaque demeure le meilleur moyen de diagnostiquer une
cardiomyopathie amyloïde, qui nest pas grevé dartefacts liés
au prélèvement (responsables de résultats faussement positifs
ou négatifs) comme cela peut se produire pour dautres
affections infiltrantes telles que la sarcoïdose. Une fois la
présence de dépôts amyloïdes confirmée par la coloration
au rouge Congo, des colorations immunohistochimiques
spécifiques des chaînes légères κ et γ, de lamyloïde A et de la
TTR peuvent être entreprises pour identifier la pré-protéine
en cause. Il peut être fait appel aux anatomopathologistes
dun centre international de prise en charge des amyloses
pour avoir confirmation des résultats histologiques et de
la nature de la protéine amyloïdogène. Lorsque lexamen
immunohistochimique des dépôts amyloïdes a établi que la
protéine impliquée est la TTR, une analyse complémentaire
est nécessaire pour déterminer sil sagit de la protéine de
type sauvage ou dune forme mutée. L’électrophorèse avec
focalisation isoélectrique permet, dans la plupart des cas,
deffectuer ce diagnostic différentiel en se fondant sur la
charge de la protéine (Figure 3). Dans notre expérience,
la focalisation isoélectrique permet didentifier près de 95 %
des variants examinés sur la base des différences de migration
Figure 3. Electrophorèse sur gel avec focalisation isoélectrique.
Sérums de patients atteints damyloses à transthyrétine (ATTR)
respectivement liées à une mutation V122I, à une transthyrétine
de type sauvage (TS) et à une mutation L58H. La flèche désigne
la migration de la transthyrétine de type sauvage. A noter,
la présence de deux bandes distinctes dans les colonnes se
rapportant aux protéines mutées V122I et L58H.
électrophorétique. La réalisation dune réaction de poly-
mérisation en chaîne et dun séquençage des exons 1 à 4 de la
TTR permet de valider les résultats de la focalisation iso-
électrique et daffirmer le caractère normal ou muté du
génotype de la TTR. Une autre possibilité consiste à analyser
un prélèvement biopsique par la mise en œuvre conjointe
dune spectrométrie de masse en tandem, dune dissection
laser et dune chromatographie liquidienne, ce qui permet
didentifier la pré-protéine avec une sensibilité de 98 %.6 Il est
quelquefois possible de diagnostiquer lamylose cardiaque à
TTR sans avoir à pratiquer de biopsie cardiaque ; dès lors que
la nature du variant de la TTR est établie, les biopsies
tissulaires réalisées au niveau dautres sites confirment la
présence des dépôts amyloïdes à TTR, latteinte cardiaque
étant ensuite validée par des méthodes non invasives
(cf. infra).
Dans de nombreux centres internationaux de prise en
charge des amyloses, lamylose AL et la gammapathie
monoclonale bénigne (ou de signification indéterminée) sont
les deux pathologies cliniques dominantes, ce qui rend parfois
difficile lidentification des amyloses à TTR de type sauvage
ou mutée. Lachmann et al52 ont ainsi découvert des mutations
de la TTR chez 4 % des patients adressés à un centre national
de prise en charge des amyloses en vue de lexploration et du
traitement dune supposée amylose AL. Aucun de ces patients
atteints damylose à TTR ne présentait dantécédents
familiaux en faveur du caractère génétique de leur maladie.
Elément méritant d’être relevé, tous les patients atteints
dune ATTR présentaient une cardiomyopathie. La coloration
immunohistochimique des coupes tissulaires a finalement
permis d’établir que la sous-unité protéique en cause était bien
la TTR.52 De même, Connors et al35 ont fait état damyloses
AL prouvées par biopsie chez 12 % des patients porteurs
dune mutation V122I. Ces données issues de grands centres
de prise en charge des amyloses montrent combien il est
important didentifier correctement la sous-unité protéique
formant les dépôts amyloïdes tissulaires, en particulier chez
les patients dont lenquête génétique a révélé une positivité
pour lATTR.
Explorations non invasives
Le diagnostic de lamylose cardiaque peut être porté en
sappuyant sur une biopsie cardiaque invasive ou sur une
approche non intrusive qui, en fonction du contexte clinique,
reposera sur une exploration de confirmation non sanglante
et sur lidentification de dépôts amyloïdes dans des tissus
extra-cardiaques tels que la graisse abdominale prélevée par
aspiration (Figure 4). Les méthodes actuelles de diagnostic
non invasif de lamylose cardiaque à TTR comprennent
l’échocardiographie avec imagerie de déformation, limagerie
par résonance magnétique cardiaque (IRMC), l’électro-
cardiographie (ECG) et la recherche des biomarqueurs
sériques tels que le peptide natriurétique de type B (BNP
ou fragment N-terminal du pro-BNP) ou les troponines car-
diaques (T et I). Lexamen physique ne permet habituellement
pas didentifier le type damyloïde en cause, à lexception
notable de la macroglossie et des ecchymoses périorbitaires
qui sont pathognomoniques de lamylose AL.36 Les signes
physiques varient fortement selon la sévérité de la dysfonction
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