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variant V122I constituent une population encourant un
risque immédiat de survenue clinique d’une cardiomyopathie
à TTR ; sachant que, lors du recensement effectué en
2010, leur nombre a été estimé de l’ordre de 99 600 à
132 800 individus (soit entre 3 et 4 % des 3 320 000 Noirs), la
mutation V122I pourrait représenter une importante cause
d’insuffisance cardiaque dans la communauté noire âgée.
Pathogenèse
La transthyrétine, protéine formée de 127 acides aminés, est
codée par un unique gène dont les quatre exons ne représen-
tent que 7 kb d’ADN et qui siège sur le chromosome 18.38 A
l’état natif, la transthyrétine circulante est un tétramère
comportant deux sites C2 de liaison de la thyroxine
symétriques, ayant une forme d’entonnoir, au niveau de son
interface dimère-dimère.39 D’élégantes études thermo-
dynamiques ont montré que la dissociation du tétramère en
monomères de transthyrétine constitue l’étape auto-limitante
de l’anomalie de plissement de ces derniers, qui conduit à
la formation des fibrilles amyloïdes.16 Dans l’ASS, celles-ci
semblent se constituer sous l’influence de processus liés au
vieillissement qui ne sont encore qu’imparfaitement connus,
dont la modification biochimique post-traductionnelle
de la TTR de type sauvage ou de ses protéines chaperonnes.
Des observations recueillies chez la souris transgénique
surexprimant l’ASS humaine suggèrent que la propension
d’un cœur sénile à devenir amylosique serait subordonnée à
l’existence d’altérations de la synthèse hépatique de molécules
chaperonnes ou de l’épuration protéasomique de la protéine
non plissée.40 Dans la PAF, la substitution d’un acide aminé
au sein de la TTR native (TTR mutée) déstabilise le tétramère,
concourant ainsi à la fragmentation de la protéine en
monomères. Au final, le caractère amyloïdogène d’un variant
donné de la transthyrétine est déterminé par la capacité d’une
substitution d’acide aminé particulière à déstabiliser les
tétramères de TTR circulants, ce qui entraîne la libération des
monomères, condition indispensable pour que se produise
le plissement incorrect. A ce jour, plus d’une centaine de
variants de la TTR ont été décrits. Nombre de substitutions
d’acides aminés sous-tendent des profils d’atteintes organiques
spécifiques et donnent donc lieu à des évolutions cliniques
différentes. En règle générale, le variant de transthyrétine
découle de la substitution d’un seul nucléotide ; il apparaît
toutefois que le remplacement d’un acide aminé au sein de la
protéine peut résulter de la substitution de deux nucléotides
ou de la délétion complète d’un codon.41
Les organes atteints hébergent constamment des dépôts
amyloïdes extracellulaires. Les opinions divergent quant au
fait de savoir si ces dépôts sont effectivement responsables des
dysfonctions organiques ou s’ils ne constituent qu’un épi-
phénomène (témoin de la maladie). L’examen des biopsies de
nerf saphène externe pratiquées chez 31 patients porteurs
d’une mutation V30M de la TTR a objectivé la présence de
dépôts amyloïdes épineuraux et de dégénérescences nerveuses
chez la moitié de la cohorte. Aucun lien n’a pu être établi entre
l’existence de tels dépôts amyloïdes et les lésions histologiques
des nerfs,42 ce qui semble indiquer que ces dernières
relèveraient d’un autre mécanisme. Au niveau rénal, le degré
d’altération fonctionnelle n’est pas régi par l’importance des
dépôts amyloïdes.43,44 De plus, la réalisation de biopsies
rénales échelonnées chez des patients atteints d’amylose AL,
avant et après un traitement cliniquement efficace, a montré
que la charge en dépôts amyloïdes n’avait pas varié malgré la
nette amélioration de la protéinurie.45,46
Un nombre croissant de données atteste du rôle majeur
que jouent les protéines circulantes ou préfibrillaires dans
l’altération de la fonction cardiaque associée à l’amylose de
type AL ou à TTR. La perfusion de cœurs de souris par une
chaîne légère d’immunoglobuline clonale (AL-LC) issue de
patients présentant une cardiomyopathie amyloïde de type
AL induit rapidement une dysfonction diastolique. En
revanche, la fonction cardiaque ex vivo demeure inaltérée
lorsque la chaîne légère perfusée provient de patients
indemnes d’amylose AL.47 In vitro, l’exposition de cultures de
cardiomyocytes à des taux physiologiques d’AL-LC stimule la
production d’espèces réactives de l’oxygène ainsi que l’activité
de l’hème oxygénase de type 1, une protéine redox-sensible
qui est un marqueur des dommages cellulaires.48 En plus de
modifier le statut d’oxydoréduction intracellulaire des
cardiomyocytes, l’AL-LC diminue leur teneur en calcium et
leur contractilité, cela en l’absence de toute formation de
fibrilles amyloïdes.48 De récentes données montrent que
l’AL-LC modifie les mouvements ioniques au sein des
cardiomyocytes, ainsi que la contractilité et la mort
programmée de ces cellules par une voie de signalisation
non canonique des protéines kinases activée par le mitogène
p38α.49
Le même type de lésions des organes cibles occasionnées
par l’amyloïde à TTR préfibrillaire a été observé dans la PAF.
L’analyse immunohistochimique par anticorps anti-TTR et
l’examen en microscopie électronique à l’or colloïdal de
biopsies nerveuses pratiquées chez des individus qui étaient
porteurs asymptomatiques d’une mutation V30M de l’ATTR
ont mis en évidence des agrégats de protéines préfibrillaires
ne prenant pas la coloration au rouge Congo.50 L’état
d’activation du facteur nucléaire κB et des cytokines
pro-inflammatoires au sein de ces échantillons biopsiques
était la marque des effets toxiques exercés sur les cellules
par ces agrégats de TTR non fibrillaire, bien avant que
n’apparaissent les premiers signes cliniques de la maladie.
L’exposition de cultures neuronales à des agrégats de TTR
L55P non fibrillaire a induit la production de caspase 3 et
l’expression d’une mort cellulaire programmée. En revanche,
les fibrilles amyloïdes matures de TTR L55P n’ont nullement
stimulé l’expression de la caspase 3, ce qui tend à indiquer que
les agrégats de TTR préfibrillaire seraient les médiateurs
neurotoxiques de la maladie. D’autres observations portent à
penser que les récepteurs aux produits finals de glycation
avancée (RAGE) joueraient un rôle facilitateur dans les
lésions organiques induites par l’ATTR.51 Dans les études
originellement menées pour comparer les effets des amyloses
respectivement liées aux variants V30M et L55P de la TTR
chez la souris transgénique atteinte d’une PAF, aucune
différence n’a été objectivée quant à la toxicité nerveuse des
formes non fibrillaires de ces deux variants de la protéine.
Considérées dans leur globalité, les données recueillies à
partir des modèles d’amyloses AL et à TTR démontrent que
ce sont les agrégats de protéines préfibrillaires, et non les
186 Circulation Mai 2013