En février 1905, à Moscou, un groupe de terroristes, appartenant au parti socialiste révolutionnaire, organisait un attentat à la bombe contre le grand-duc Serge, oncle du tsar. Cet attentat et les circonstances singulières qui l'ont précédé et suivi font le sujet des Justes. Si extraordinaires que puissent paraître, en effet, certaines des situations de cette pièce, elles sont pourtant historiques. Ceci ne veut pas dire, on le verra d'ailleurs, que Les Justes soient une pièce historique. Mais tous les personnages ont réellement existé et se sont conduits comme je le dis. J'ai seulement taché à rendre vraisemblable ce qui était déjà vrai. J'ai même gardé au héros des Justes, Kaliayev, le nom qu'il a réellement porté. je ne l'ai pas fait par paresse d'imagination, mais par respect et admiration pour des hommes et des femmes qui, dans la plus impitoyable des tâches, n'ont pas pu guérir de leur coeur. On a fait des progrès depuis, il est vrai, et la haine qui pesait sur ces âmes exceptionnelles comme une intolérable souffrance est devenue un système confortable. Raison de plus pour évoquer ces grandes ombres, leur juste révolte, leur fraternité difficile, les efforts démesurés qu'elles firent pour se mettre en accord avec le meurtre - et pour dire ainsi où est notre fidélité. Albert Camus Intentions de mise en scène Il s'agira ici de chercher, de traquer tous les enfermements, toutes les prisons réelles ou imaginaires (au delà même du désir de révolte) dans lesquels survivent Kaliayev et ses camarades. Oui, ces hommes épris de justice sont avant tout des prisonniers. Ils nomment "bagne" leur pays, ils en sont non les citoyens mais les esclaves. Prisonniers partout où ils se cachent, attendant le moment venu de jeter la fameuse bombe, de se libérer, mais toujours prisonniers de leur conscience avec, parfois, cette effrayante assurance de celui qui a raison et qui est prêt à mourir parce qu'il est sûr d'avoir raison. Esclaves de leur destin d'où l'amour et la tendresse sont bannis, tout au plus clandestins. Aucun artifice de théâtre sur le plateau, aucune tricherie, plus le temps, dépasser tout ça, "faire exploser le théâtre", ça et là quelques accessoires parce qu'il les faut bien : un plan du quartier, une bombe artisanale dans un vieux sac. Une pauvreté extrême comme si rien n'avait plus d'importance, ne penser qu'à détruire, qu'à tuer puis à mourir ensuite, tout le reste... le soleil, la chaleur, la douceur, éléments si proches, si présents dans l'oeuvre de Camus ont du mal à entrer sur la scène, tout y est toujours froid, glacial, sec... désespéré (costumes, éclairage...). On devinera pourtant (univers sonore) que la vie est là, juste derrière les murs (du théâtre ?) mais rien n'y fera. Il faudra au dernier moment le regard d'un enfant pour que la vie reflue un bref instant dans le coeur du héros et que sa bombe, ce soir là, ne soit pas lancée. U jeu d'acteurs nerveux, sec, extrême, tendu. Aucune psychologie, aucune explication rationnelle des attitudes et surtout aucun commentaire de texte. Tous ces personnages trimbalent un ou plusieurs secrets (la peur, l'amour, la lâcheté, la haine, le suicide... ) et parfois, derrière leur regard froid et sec transparaissent leurs fêlures, cet autre côté qu'ils s'empressent aussitôt de reboucher, de cacher. Du corps donc, du mouvement. Le temps de l'idéologie est dépassé, voici le temps venu du passage à l'acte. "Agir, agir enfin..." Francis Azéma HISTOIRE 19 0 5 Le jeune terroriste Kaliayev, membre d'une organisation révolutionnaire, se refuse à lancer une bombe contre le grand-duc Serge, en s'apercevant que celui-ci est accompagné de deux enfants, ses neveux. Quelques jours plus tard, il lancera la bombe, quand le grand duc sera seul. 1949 Intéressé par cet événement historique, Camus en fait le sujet de sa pièce Les Justes. Ses propres problèmes et ceux de son temps nourrissent cette oeuvre. 1957 Le prix Nobel de littérature est décerné à Albert Camus "pour l'ensemble d'une oeuvre qui met en lumière avec un sérieux pénétrant les problèmes se posant de nos jours à la conscience des hommes". 2001 Le terrorisme, en frappant au cœur de New York, frappe aussi la conscience collective de la planète entière, et fait couler encore plus d'encre que de sang. Les terroristes sont au centre de tous les débats, leurs motivations et leurs personnalités sont justifiées ou diabolisées. Les actes terroristes, qui étaient déjà réguliers mais banalisés, gagnent en médiatisation, et sont au cœur des préoccupations politiques. 2002 Le terrorisme frappe à Moscou. Dans un théâtre... POUR LA PETITE HISTOIRE… Les Justes ont semblé parfois aux commentateurs de la pièce d'être des naïfs et l'auteur s'est entendu reprocher une absence totale de sens politique ou une orientation réactionnaire. Voici une de ses réponses. Il s'agit d'une lettre adressée par Camus à la revue Caliban à propos des Justes. "Le problème n'est pas de savoir si, comme vous le dites, on peut tuer le gardien de la prison alors qu'il a des enfants, et pour s'évader soi-même, mais s'il est utile de tuer aussi les enfants du gardien pour libérer tous les détenus. La nuance n'est pas mince. Notre époque ne répond ni oui, ni non. Quoique pratiquement, elle l'ai déjà résolu, elle fait comme si le problème ne se posait pas, ce qui est plus confortable. Je ne l'ai pas, moi, posé. Mais j'ai choisis de faire revivre des gens qui se le posaient, et je les ai servis, en m'effaçant derrière eux, que je respectais. Il est bien certain cependant que leur réponse n'est pas :`"I1 faut rester chez soi". Elle est : 1 - Il y a des limites. Les enfants sont une limite (il en est d'autres) ; 2 - On peut tuer le gardien, exceptionnellement, au nom de la justice ; 3 - Mais il faut accepter de mourir soi-même. La réponse de notre époque (réponse implicite) est, au contraire : 1 - Il n'y a pas de limites. Les enfants, bien sûr, mais en somme... 2 - Tuons tout le monde au nom de la justice pour tous. 3 - Mais réclamons en même temps la Légion d'honneur. Ça peut servir. Les socialistes révolutionnaires de 1905 n'étaient pas des enfants de chœur. Et leur exigence de justice était autrement plus sérieuse que celle qui s'exhibe aujourd'hui, avec une sorte d'obscénité, dans toutes les oeuvres et dans tous les journaux. Mais c'était parce que l'amour de la justice était brûlant chez eux qu'ils ne pouvaient se résoudre à devenir de répugnants bourreaux. Ils avaient choisi l'action et la terreur pour servir la justice, mais ils avaient choisi en même temps de mourir, de payer une vie par une vie, pour que la justice demeure vivante. Le raisonnement "moderne", comme on dit, consiste à trancher : "Puisque vous ne voulez pas être des bourreaux, vous êtes des enfants de chœur" et inversement. Ce raisonnement ne figure rien d'autre qu'une bassesse. Kaliayev, Dora Brilliant et leurs camarades réfutent cette bassesse par-dessus cinquante années et nous disent au contraire qu'il y a une justice morte et une justice vivante. Et que la justice meurt dès l'instant où elle devient un confort, où elle cesse d'être une brûlure et un effort sur soi-même. Nous ne savons plus voir cela parce que le monde où nous vivons est encombré de justes. En 1905, il n'y en avait qu'une poignée. Mais c'est alors qu'il s'agissait de mourir et il fallait des apôtres, espèce rare. Aujourd'hui, il ne faut plus que des bigots et les voilà légion. Mais quand on lit ce qu'on est contraint en ce moment de lire, quand on voit la face mercantile et bassement cruelle de nos derniers justes, qu'ils soient de droite ou de gauche, on ne peut s'empêcher de penser que la justice, comme la charité, a ses pharisiens. Heureusement, il est une autre race d'hommes que celle de l'enfant de chœur ou du bourreau, et même que celle, plus "moderne", du bourreau-enfant de chœur ! Celle des hommes qui, dans les pires ténèbres, essaient de maintenir la lumière de l'intelligence et de l'équité, et dont la tradition survit à la guerre et aux camps qui, eux, ne survivront à rien. Cette image de l'homme triomphera, malgré les apparences. Entre la folie de ceux qui ne veulent rien que ce qui est et la déraison de ceux qui veulent tout ce qui devrait être, ceux qui veulent vraiment quelque chose, et sont décidés à en payer le prix, seront les seuls à l'obtenir." Albert Camus DISTRIBUTION Dora DOULEBOV Sylvie MAURY La Générale Corinne MARIOTTO Ivan KALIAYEV Hocine BOUDJEMAA Stepan FEDOROV Francis AZÉMA Boris ANNENKOV Denis REY Alexis VOINOV Guillaume DESTREM SKOURATOV Guillaume DESTREM FOKA Denis REY Mise en scène Francis AZÉMA Assistant mise en scène Denis REY Création son Stéphane RICHARD Costumes Noémie LE TILY Régie Michael VIGIER Olivier BIROUSTE LEURS HISTOIRES Fondateur de la compagnie et du lieu de création Le Grenier Théâtre et directeur du Théâtre du Pavé, Francis Azéma vit par et pour le théâtre : Comédien, metteur en scène, directeur artistique, professeur au Conservatoire National de Région de Toulouse (depuis 1989) mais aussi dans son école le Passage à Niveau (fondée en 2002 et désormais close) et ses ateliers d’initiation pour les adolescents et les adultes Graines d'acteur (créés en 1995), il professe, dirige, créé, joue… avec la même passion. Depuis 1994, il met en scène et interprète des textes des répertoires classique et contemporain au sein de sa compagnie, Les vagabonds. "Les amoureux" de Carlo Goldoni (1994), "L'école des femmes" de Molière (1996), "Elle est là" de Nathalie Sarraute (1997), "Le silence" de Nathalie Sarraute (1997), "Pour un oui ou pour un non" de Nathalie Sarraute (1997), "Cyrano de Bergerac" de Edmond Rostand (1998), "Pétition" de Václav Havel (1998), "Vernissage" de Václav Havel (1998), "Audience" de Václav Havel (1998), "La station Champbaudet" de Eugène Labiche (1999), "Le loup et le loup" de Jean de la Fontaine (2ooo), "Tartuffe, peutêtre..." de Molière (2oo1)... En 2oo1, Paul Berger lui confie la direction artistique du Théâtre du Pavé. Il y créera "Les oranges" d’Aziz Chouaki (2oo2), puis "Outrage au public" de Peter Handke (2oo2), "Les justes" d’Albert Camus (2oo3), "La mouette" d’Anton Tchekhov (2oo4), puis un cycle ambitieux consacré à Jean-Luc Lagarce en 2oo5 avec "Derniers remords avant l'oubli", "Juste la fin du monde", "Les règles du savoir-vivre dans la société moderne", "L'apprentissage" et "Le bain". Ses créations remportent l’adhésion d’un public qui lui devient fidèle. En 2oo6, il crée avec Les vagabonds "Le misanthrope" de Molière, qui sera un succès critique, et public avec 5864 spectateurs sur 43 représentations. Pour la saison 2oo6-2oo7, il crée deux pièces de Marguerite Duras, "La Musica deuxième" et "La Douleur" assorties de plusieurs lectures dans la ville de Toulouse, la Médiathèque José Cabanis, la librairie Ombres Blanches et l'école Supaéro, ainsi que de deux après-midi entières consacrées à l'auteur, les "Dimanches avec Marguerite". Comédien et metteur en scène, Hocine Boudjemaa est passé par le Conservatoire National de Région Lorraine, le cours Florent et le cours Jean-Laurent Cochet à Paris. Show-man énergique et délirant, il s'oriente d'abord vers le café-théâtre dans lequel il exprime la diversité de ses talents, jouant, mettant en scène et écrivant plusieurs spectacles. Puis, ressentant l'envie de retourner aux sources, il participe à un stage dirigé par Elsa et Paul Berger qui lui redonne le goût du jeu théâtral et du texte. Sa carrière devient dès lors éclectique : Il met en scène Les Caprices de Marianne de De Musset, Le mariage forcé de Molière, La Maison de Bernarda Alba de Llorca ; Poivre de Cayenne de Obaldia, Entre deux peaux de Reixach, Regarde les femmes passer de Reynaud, Le Père Noël est une Ordure du Splendid, Les Courtes de Grumberg, Ça fait peur, non ? de Ribes, La Baby-sitter de Obaldia. Il joue dans Noces chez les petits bourgeois de Brecht, L'Enfant de Vales, Les Fourberies de Scapin, puis Le Bourgeois Gentilhomme de Molière, Jean Moulin ; Il joue même dans des comédies musicales : Un barbier de Séville par Gilles Ramade et La vie Parisienne d'Offenbach... Touché personnellement à la lecture de la pièce Les Oranges, il propose à Francis Azéma d'en créer la mise en scène en 2001. Ce spectacle dans lequel il est seul en scène, salué par le public et la critique, sélectionné par le Chaînon Manquant, est encore actuellement en tournée dans la France entière (et même en Belgique). Figure essentielle des créations de la troupe depuis bientôt cinq ans, Sylvie Maury se consacre au théâtre avec passion depuis toujours. Comédienne accomplie, elle met critiques et public au diapason, juste retour d'un perfectionnisme qu'elle partage avec Francis Azéma. D'abord élève des Graines d'Acteur au Grenier Théâtre, elle intègre le Conservatoire National de Région de Toulouse, dont elle sort deux ans plus tard avec la mention très bien et les félicitations du jury du concours de sortie. Des années plus tard, elle deviendra enseignante à son tour, d'abord auprès des adolescents dans des ateliers scolaires, puis au sein de son ancienne école. Elle intègre la troupe "Les vagabonds" dès sa sortie du conservatoire et s'y consacre, jouant, dès lors, dans plusieurs mises en scène de Francis Azéma : "Tartuffe, peut-être…", "Outrage au public", "Les justes" , "La mouette", "Derniers remords avant l'oubli" et "Juste la fin du monde"... et tout récemment dans le plus gros succès de la troupe, "Le misanthrope", où sa prestation dans le rôle de Célimène a enthousiasmé le public. Elle est "Mademoiselle Julie" pour la réouverture du Grenier Théâtre, et sera Marguerite Duras pour "La Douleur" au Théâtre du Pavé en janvier et février 2oo7. Ce joli tableau serait incomplet sans parler de ses formations de gymnaste et de danseuse, qui enrichissent son jeu, et l'amènent à travailler sur les créations de danse-théâtre de Brigitte Fischer, "Requiem U238" puis "Petites histoires douces et cruelles", "Eclats de vie" et bientôt "Respire". Parmi ses autres collaborations, citons sa prestation dans le rôle de la Reine Gertrude dans "Hamlet" mis en scène par Luca Franceschi, et celle d'Elvire dans le "Dom Juan" mis en scène par Jean-Pierre Beauredon. Elle intervient régulièrement en tant que lectrice dans l'émission "Neurones en folie", proposée par Le café des sciences et de la société du Sicoval et animée par Daniel Borderies, et propose des mises en voix avec "Les vagabonds" pour des rencontres organisées par Christian Thorel à la librairie Ombres Blanches, ou à l'école Supérieure d'Aéronautique par Yves Charnet. Aussi talentueux que discret, Denis Rey est un acteur rare, un de ceux qui peuvent endosser tous les rôles avec intelligence et naturel.* Il a étudié à l’école Charles Dullin, à l’école de la rue blanche à Paris, à l’Université Sorbonne Nouvelle et enfin à l’école de Maurice Sarrazin. Pilier de la compagnie "Les vagabonds", il joue dès 1996 dans chaque création, sous la direction de Francis Azéma ou de Maurice Sarrazin. Dernièrement : "Tartuffe, peut-être..." de Molière, "Outrage au public" de Handke, "Les justes" de Camus, "La mouette" de Tchekov, "L'apprentissage" de Lagarce (une performance extraordinaire sur un retour de coma) et "Derniers remords avant l'oubli" de Lagarce également. A son aise dans tous les registres, il est dirigé par Yvon Victor pour "Voltaire-Rousseau", par Jean-Pierre Beauredon pour "Ça va la vie si vite" puis "Dom Juan", et dernièrement par Pierre Matra pour "La leçon" de Ionesco et Eric Vanelle pour "Une Visite Inopportune" de Copi. NDLR : Pour couronner le tout, l'homme est modeste. Sans nul doute, son humilité le fera bondir en lisant ces lignes. Corinne Mariotto joue sous la direction de Francis Azéma depuis 1991, mais aussi de Maurice Sarrazin, René Gouzenne, Jean-Pierre Beauredon, Patrick Séraudie, Jean-Claude Bastos, Franck Ramon, François Fehner... Pilier de la compagnie "Les vagabonds", elle joue dès 1993 dans chaque création, sous la direction de Francis Azéma ou de Maurice Sarrazin. Dernièrement : "Tartuffe, peut-être..." de Molière, "Outrage au public" de Handke, "Les justes" de Camus, "La mouette" de Tchekov, "Derniers remords avant l'oubli" de Lagarce et "Les règles du savoir-vivre dans la société moderne" de Lagarce, un monologue satyrique sur les bonnes moeurs qui l'amène sur des scènes aussi diverses que La Cave Poésie, le Théâtre du Pont Neuf ou ... le Théâtre Ivan Vazov de Sofia, en Bulgarie ! Elle donne la réplique à Francis Azéma dans "La Musica deuxième" dans laquelle son interprétation lui vaut les éloges de toute la presse. Femme de théâtre, elle participe cependant à quelques courts et longs métrages pour le cinéma et la télévision, et est un temps chroniqueuse pour TLT. En 1993, elle participe à la fondation du Grenier Théâtre. Elle est également responsable de la programmation jeune public "Les p’tits Cailloux". Pédagogue, elle intervient dans des ateliers de pratique artistique du théâtre en collège, a dirigé l’atelier d’initiation au théâtre pour adolescent du Grenier Théâtre, intervient sur l’atelier d’initiation adulte Graines d'Acteur, a professé durant des stages pour les élèves de l'école Le Passage à Niveau. Dès sa sortie du Conservatoire National de Région de Toulouse, Guillaume Destrem travaille avec plusieurs compagnies toulousaines : Le Théâtre Pirate (dont il fut l'un des fondateurs) , 3BC compagnie, Beaudrain de Paroi, Petit Bois Compagnie. Puis il intègre le Théâtre Ecole du Passage à Paris où il suit l'enseignement de Niels Arestrup, Claude Evrard, Maurice Bénichou, Michèle Marquais, Bruce Myers... Parallèlement, il joue avec des équipes parisiennes et crée des oeuvres de Lorraine Lévy, Léo Ferré, JeanJacques Varoujean... En 1993, seul en scène, il crée "1936, La Crosse en l'air" de Jacques Prévert, qui sera repris en 2oo7 au Grenier Théâtre. En 2002, de nouveau en solo, il crée "La tour des miracles", d'après le roman de Georges Brassens. Avec la compagnie Les vagabonds, il joue dans "Les Justes" de Camus et "La mouette" de Tchekhov. Il joue dans de nombreuses séries télévisées ("Dossier : Disparus", "Au coeur de la loi", "Cap des Pins", "P.J", "Garonne") et quelques films, notamment "La première fois que j'ai eu vingt ans" de Lorraine-Lévy. Doté d'une très belle voix, il propose un récital au festival "le temps des cerises" de 2oo6, puis joue le rôle-titre de "La Reine des Pommes", une comédie musicale. Dans cet élan, il crée "Nuit blanche chez Francis", un cabaret-théâtre basé sur des textes de Francis Blanche, avec Alain Dumas et Jean-Baptiste Artigas, programmé en avril 2oo7 au Théâtre du Pavé. Albert Camus Romancier, dramaturge, essayiste, journaliste et résistant, Albert Camus est peut-être par excellence la figure de l'écrivain et de l'intellectuel français d'après-guerre. Profondément engagé dans les luttes et les débats de son temps, il continue, malgré les malentendus que sa renommée même a valus à son oeuvre lucide et sincère, de jouer un rôle majeur dans la littérature du XXème siècle. Le souvenir d'une jeunesse misérable semble avoir définitivement orienté une sensibilité que les honneurs n'ont pas détournée : en 1957, à Stockholm, face aux têtes couronnées, le nouveau prix Nobel de littérature rendra, à la tribune, hommage à son instituteur. Albert Camus est né en 1913 en Algérie de parents modestes d'origine alsacienne et espagnole. Son père est tué à la bataille de la Marne. Boursier au lycée d'Alger, il fait une licence de philosophie et présente son diplôme d'études supérieures sur les rapports de l'hellénisme et du christianisme à travers Plotin et Saint Augustin. La maladie et la nécessité de gagner sa vie le détournent de l'agrégation. Il s'oriente vers le journalisme après avoir publié deux essais, L'Envers et l'endroit (1937) et Noces (1938). Pendant la guerre il participe à la Résistance dans le groupe de Combat qui publie un journal clandestin. En 1942, il fait paraître un roman, L'Étranger, dont il dégage la signification philosophique dans un essai, Le Mythe de Sisyphe (1942). À la Libération, il devient éditorialiste et rédacteur en chef de Combat ; la même année sont représentés deux pièces, Caligula et Le Malentendu. Il part en 1946 faire une tournée de conférences aux États-Unis. Après l'éclatant succès de La Peste (1947) il abandonne le journalisme pour se consacrer à son oeuvre littéraire : romans, nouvelles, essais, pièces de théâtre. Il adapte des oeuvres de Faulkner, Calderón, Lope De Vega, Dostoïevski. Le prix Nobel de littérature, qui lui est décerné en 1957, couronne une oeuvre tout entière tournée vers la condition de l'homme et qui, partant de l'absurde, trouve une issue dans la révolte. Le 4 janvier 1960, Albert Camus, âgé de quarante-six ans, trouve la mort dans un accident de voiture. EXTRAIT Dora Pourrais-tu, toi, Stepan, les yeux ouverts, tirer à bout portant sur un enfant ? Stepan Je le pourrais si l'organisation le commandait. Dora Pourquoi fermes-tu les yeux ? Stepan Moi ? J'ai fermé les yeux ? Dora Oui. Stepan Alors, c'était pour mieux imaginer la scène et répondre en connaissance de cause. Dora Ouvre les yeux et comprends que l'Organisation perdrait ses pouvoirs et son influence si elle tolérait, un seul moment, que des enfants fussent broyés par nos bombes. Stepan Je n'ai pas assez de cœur pour ces niaiseries. Quand nous nous déciderons à oublier les enfants, ce jour-là, nous serons les maîtres du monde et la révolution triomphera. Dora Ce jour-là, la révolution sera haïe de l'humanité entière. Stepan Qu'importe si nous l'aimons assez fort pour l'imposer à l'humanité entière et la sauver d'elle-même et de son esclavage. Dora Et si l'humanité entière rejette la révolution ? Et si le peuple entier, pour qui tu luttes, refuse que ses enfants soient tués ? Faudra-t-il le frapper aussi ? Stepan Oui, il le faut, et jusqu'à ce qu'il comprenne. Moi aussi j'aime le peuple. Dora L'amour n'a pas ce visage. Stepan Qui le dit ? Dora Moi, Dora. Stepan Tu es une femme et tu as une idée malheureuse de l'amour. Dora, avec violence Mais j'ai une idée juste de ce qu'est la honte. EXTRAIT Kaliayev, se levant, dans une grande agitation Aujourd'hui je sais ce que je ne savais pas. Tu avais raison, ce n'est pas si simple. Je croyais que c'était facile de tuer, que l'idée suffisait, et le courage. Mais je ne suis pas si grand et je sais maintenant qu'il n'y a pas de bonheur dans la haine. Tout ce mal, tout ce mal, en moi et chez les autres. Le meurtre, la lâcheté, l'injustice... Oh il le faut, il faut que je le tue... Mais j'irai jusqu'au bout ! Plus loin que la haine ! Dora Plus loin ? Il n'y a rien. Kaliayev Il y a l'amour. Dora L'amour ? Non, ce n'est pas ce qu'il faut. Kaliayev Oh Dora, comment dis-tu cela, toi dont je connais le cœur... Dora Il y trop de sang, trop de dure violence. Ceux qui aiment vraiment la justice n'ont pas droit à l'amour. Ils sont dressés comme je suis, la tête levée, les yeux fixes. Que viendrait faire l'amour dans ces cœurs fiers ? L'amour courbe doucement les têtes, Yanek. Nous, nous avons la nuque raide. Kaliayev Mais nous aimons notre peuple. Dora Nous l'aimons, c'est vrai. Nous l'aimons d'un vaste amour sans appui, d'un amour malheureux. Nous vivons loin de lui, enfermés dans nos chambres, perdus dans nos pensées. Et le peuple, lui, nous aime-t-il ? Sait-il que nous l'aimons ? Le peuple se tait. Quel silence, quel silence... Kaliayev Mais c'est cela l'amour, tout donner, tout sacrifier sans espoir de retour. Dora Peut-être. C'est l'amour absolu, la joie pure et solitaire, c'est celui qui me brûle en effet. À certaines heures, pourtant, je me demande si l'amour n'est pas autre chose, s'il peut cesser d'être un monologue, et s'il n'y a pas une réponse, quelquefois. J'imagine cela, vois-tu : le soleil brille, les têtes se courbent doucement, le cœur quitte sa fierté, les bras s'ouvrent. Ah ! Yanek, si l'on pouvait oublier, ne fût-ce qu'une heure, l'atroce misère de ce monde et se laisser aller enfin. Une seule petite heure d'égoïsme, peux-tu penser à cela ?