• Kalayev, lui, a soif d’une justification plus humaine. Il aime la beauté, le Bonheur, il 
est « poète ». « La révolution bien sûr, s’écrie-t-il, mais la révolution pour la vie, pour 
donner une chance à la vie ». S’il accepte d’être criminel, c’est pour que « la terre se 
couvre enfin d’innocents ». Ainsi, au moment de jeter la bombe sur la calèche du 
grand Duc, il recule car il a vu des enfants dans la voiture, qu’il ne se résout pas à 
tuer, et les conjurés dans l’ensemble l’approuvent. 
A Stépan qui l’insulte, Kalayev répond : » Moi, j’aime ceux qui vivent aujourd’hui sur 
la même terre que moi. C’est pour eux que je lutte et que je consens à mourir. Et 
pour une cité lointaine dont je ne suis pas sûr, je n’irai pas frapper le visage de mes 
frères. Je n’irai pas ajouter à l’injustice vivante pour une justice morte…Tuer des 
enfants est contraire à l’honneur. Et si…la révolution devait se séparer de l’honneur, 
je m’en détournerais…J’ai choisi d’être innocent. » 
 
• Mais le personnage central et significatif est Dora : elle réclame « les êtres, les 
visages…l’amour plutôt que la justice », elle demande pitié pour les justes 
condamnés à se retrancher de ce monde.  
Kalayev finira par accomplir sa tâche, et Stépan lui rendra justice. Et dans sa cellule, 
comme Meursault, dans l’attente de la dernière nuit, après avoir refusé  « les 
consolations de la religion », il mourra réconcilié avec ses frères d’armes comme avec 
lui-même : « mourir en homme comme un Juste ». 
 
 
 
                    G. P. 
 
        Les Justes, une tragédie moderne 
 
 « J’ai beaucoup réfléchi au problème de la tragédie moderne. Le malentendu, l’Etat de 
siège, et les Justes sont des tentatives, dans des voies chaque fois différentes et des styles 
dissemblables, pour approcher de cette tragédie moderne. » A. Camus, 1958 
Et dans ses carnets Camus désigne les Justes comme une tragédie.  
• « Ils ont tous raison », Camus. 
Une conférence donnée par Camus à Athènes en 1955, donne une idée de ce qu’il entend 
par tragédie classique tout en laissant dans le vague ses possibilités de renouvellement 
contemporain. Pour Camus, le sentiment tragique ne peut s’exprimer que dans un équilibre 
déchirant : le moment tragique est ce point limite où personne n’a raison ni tort. 
Camus : « Autrement dit, la tragédie est ambigue, le drame simpliste. (…) La formule du 
mélodrame serait en somme : »un seul est juste et justifiable » et la formule tragique par 
excellence : « tous sont justifiable et personne n’est juste ». 
Les acteurs sont là, prêts à s’affronter. Le Destin n’a pas déserté l’époque moderne mais il a 
juste changé de visage et pris les traits de l’Histoire ! Quant aux héros tragiques, il faut aller 
les chercher moins hauts qu’au dix-septième siècle, là où vivent et meurent les créatures, 
auprès des chiens qui accompagnent de leurs aboiements l’exécution de Kalayev. 
• Pitié pour les Justes ?  
La tension tragique provient de l’affrontement d’idées contradictoires ou comme l’explique 
Camus en 1955, de «personnages égaux en force et en raison ». La construction de la trame 
des Justes repose sur des conflits successifs qui donnent progressivement de l’ampleur 
dramatique à la pièce. Le dilemme revient à choisir l’individu ou le groupe en sacrifiant tout 
le reste : les enfants ou le peuple, l’amour d’un seul ou l’amour de tous, le bonheur 
individuel ou collectif et, finalement, la Liberté ou la Justice ! tout cela en cinq actes…