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La construction sociale du statut juridique de l’eau : le cas du Québec et du Mexique
langagier, voire communicationnel26. Jürgen Habermas comprend ainsi la réalité
extérieure comme une œuvre collective issue de sa théorie consensuelle de la
vérité27. En effet, en réfutant la prémisse d’Aristote selon laquelle la vérité cor-
respond avec la réalité extérieure, il affirme plutôt que la réalité est le fruit d’un
consensus entre tous les participants de la société. Pour lui, c’est la société, par
le biais du langage, qui construit une série de définitions de situations suscep-
tibles de consensus, sur lesquelles la société va se baser pour créer sa propre
culture28 et sa propre réalité.
Pour Habermas, le concept d’activité communicationnelle29 est fondamen-
tal, puisque pour lui la société est un lieu où s’exerce le langage et que c’est par
le biais de celui-ci que la société se « tient ensemble » et se construit elle-même.
Ainsi, l’outil principal pour construire le monde serait le langage et, plus particu-
lièrement, les discours et l’argumentation qui feraient partie de toute l’activité
communicationnelle. Cette activité ne consiste pas seulement dans une relation
entre les locuteurs et les auditeurs, mais dans une coordination, à l’intérieur
d’une société, des actions langagières entre différents acteurs, qui arrivent à un
consensus pour donner un sens ou un contenu « symbolique » à un phénomène
donné30.
En considérant cette réalité comme un pur construit subjectif, on doit
se questionner sur l’existence d’une réalité objective et sur la possibilité de
connaître la « vérité » : « Est-ce que le monde “réel” se manifeste là où l’homme
ne peut le construire? »31.
Richard Rorty32 considère que puisque c’est la communauté qui développe
des méthodes par lesquelles elle appréhende le monde extérieur et que, par
leur intermédiaire, nos conceptions sur le monde et sur la « réalité » se créent, la
réalité tant naturelle que sociale, « n’est pas concevable en dehors d’une culture
qui parle »33. C’est-à-dire, c’est la communauté qui en donnant du sens aux phé-
nomènes ou aux comportements sociaux construit elle-même sa propre réalité.
26 Id., p. 13.
27 G. Teubner, préc., note 13, p. 178 et 179.
28 Jürgen Habermas, Logique des sciences sociales et autres essais, Paris, Presses universitaires de
France, 1987, p. 435 et 436 : Habermas, défini le terme « culture » comme l’ensemble des savoirs
partagés par une communauté.
29 J. Habermas, préc., note 17, p. 26 et 27. Voici le concept de rationalité communicationnelle pour
Habermas : « Ce concept de rationalité communicationnelle comporte des connotations qui ren-
voient finalement à l’expérience centrale de cette force sans violence du discours argumentatif, qui
permet de réaliser l’entente et de susciter le consensus. C’est dans le discours argumentatif que des
participants différents surmontent la subjectivité initiale de leurs conceptions, et s’assurent à la fois
de l’unité du monde objectif et de l’intersubjectivité de leur contexte de vie grâce à la communauté
de convictions rationnellement motivées ».
30 Le « symbolique » est nécessaire à la réalisation des formes langagières porteuses de sens. Camille
Raymond, La construction sociale de l’utopie américaine au dix-neuvième siècle, thèse de doctorat,
Montréal, Faculté des études supérieures, Université de Montréal, 1990, p.188.
31 Ernst Von Glasersfeld, Introduction à un constructivisme radical, dans L’invention de la réalité –
Comment savons-nous ce que nous croyons savoir?, Paris, Éditions du Seuil, 1988, p. 19-42.
32 Richard Rorty, Contingency, Irony and Solidarity, Cambridge, Cambridge University, 1989, p.8. L’au-
teur expose les principes d’un constructivisme considéré radical.
33 Valentin PETEV, « Virtualité et construction de la réalité sociale et juridique », (1999) 43 Arch. Phil.
Droit 27, 30.