n˚4 Livrets déjà parus : N˚1 : Sucres et caries N˚2 : Sucres et régulation pondérale N˚3 : Sucres et exercice physique Sucres et Mémoire CE QU’IL FAUT RETENIR : Dans le processus de la mémorisation, le rôle de la nutrition, et tout particulièrement du glucose, fait l’objet de nombreux travaux. Véritable carburant du cerveau, le glucose apporté par les glucides de l’alimentation intervient dans l’amélioration des performances intellectuelles du sujet adulte comme chez l’enfant. Cette brochure a pour ambition de faire la synthèse des connaissances sur ce sujet complexe pour lequel de nombreuses recherches restent à mener. COLLECTION CENTRE D’ÉTUDES ET DE DOCUMENTATION DU SUCRE (CEDUS) 30, rue de Lübeck, 75116 Paris Fax : 01 44 05 13 37 E-mail : [email protected] www.lesucre.com SUCRE ET SANTÉ Sucres et 1 - Glucides et fonctions neurocognitives : bases biologiques 4 Le glucose : carburant du cerveau Les sucres fournisseurs de glucose Sérotonine, insuline : rôle sur l’apport de glucose au cerveau Apport glycémique et vieillissement 2 - Glucides, acquisition des connaissances et mémorisation 7 Mémoire de travail et mémoire à long terme Glucose et mémoire chez l’enfant et l’adolescent Chez les adultes sains Chez le sujet âgé Bibliographie 11 L’impact de la nutrition sur les fonctions neurocognitives et sur la mémoire fait partie de l’expérience de chacun. On sait intuitivement qu’il existe une relation entre la nutrition et de nombreux autres comportements cognitifs. Comme dit le dicton “qui dort, dîne”. Comme le sommeil, l’humeur est aussi variable en fonction des heures de repas et on sait qu’il vaut mieux aborder les sujets importants après un bon repas qu’avant. Cependant, les relations précises entre l’apport nutritionnel et ces fonctions neurovégétatives ne sont pas bien connues des non spécialistes et nous avons voulu ici éclaircir le rôle du glucose comme élément indispensable au bon fonctionnement de fonctions cérébrales complexes comme la mémoire. Il ne faut bien entendu pas réduire le processus de mémorisation au seul apport alimentaire. Il n’en demeure pas moins que le rôle de la nutrition est manifestement sous-estimé et qu’il est important d’en souligner ici les aspects pratiques. Bien des recherches restent à mener pour connaître les étapes intermédiaires entre nutrition, sommeil, attention, mémoire, acquisition et humeur. L’épidémiologie et la génétique, chacune de leur côté, permettent déjà dès aujourd’hui de souligner les liens étroits qui semblent les organiser. Docteur Damien Léger Praticien Hospitalier Centre du Sommeil de l’Hôtel-Dieu de Paris 3 Préface Sommaire Mémoire Glucides et fonctions neurocognitives : bases biologiques Le glucose : carburant du cerveau Le cerveau est métaboliquement l’un des organes les plus actifs de notre organisme. Il représente 2 % du poids corporel alors que 20 % du métabolisme de base revient à son fonctionnement.A l’état de repos, le cerveau utilise 60 % du glucose de l’organisme. Ces énormes besoins sont dus aux milliards de neurones qui communiquent entre eux par des connections biologiques (neurotransmetteurs). ■ Le cerveau au travail Au niveau cérébral, le seul glucide qui passe la barrière hémato-encéphalique est le glucose. Il est utilisé comme carburant de la même façon que l’oxygène.Ses réserves ne dépassent cependant pas 10 minutes, il est donc tributaire d’un afflux constant de glucose et d’oxygène et donc de sang. Le TEP, une technique d’imagerie cérébrale (Tomographie par Emission de Positons) permet de visualiser les zones cérébrales actives en exploitant la relation entre afflux de sang et activité neuronale. Le sujet étudié reçoit une petite quantité de glucose marqué avec une substance légèrement radioactive, le rayonnement émis par le cerveau est ensuite mesuré avec une caméra ultra-sensible. Dans les régions du cerveau présentant une augmentation de l’activité neuronale, le signal émis par le glucose marqué (transporté par le sang) est plus intense,ce qui permet de visualiser les zones étudiées. 4 ■ Les mécanismes qui déclenchent l’augmentation du débit sanguin Les tests cognitifs sont associés à une élévation du rythme cardiaque,réponse qui fait partie d’un mécanisme physiologique qui augmente le transport de glucose vers des zones actives du cerveau. La communication cellulaire d’une aire cérébrale à l’autre ne se limite pas au traitement de l’information nerveuse. Les cellules sont en plus capables d’anticiper la demande énergétique de l’aire avec laquelle elles communiquent.Elles élèvent l’afflux de glucose et d’oxygène pour préparer cette zone à l’accroissement imminent de son activité neuronale. Les sucres fournisseurs de glucose La réalisation d’une tâche mentale consomme d’autant plus de carburant qu’elle est complexe et de longue durée. Tous les sucres apportés par l’alimentation sont dégradés ou transformés en glucose. Seul le glucose est utilisé. De prochaines études pourront probablement préciser quel serait le meilleur glucide à apporter pour une circons- tance neurosensorielle précise. Le glucose est lui-même un intermédiaire dans la synthèse d’autres neurotransmetteurs, tels que la sérotonine. Cependant, la connaissance exacte des mécanismes de transformation en est encore à ses débuts. Sérotonine, insuline : rôle sur l’apport de glucose au cerveau Il y a un lien étroit entre glucose, insuline et sérotonine. La sérotonine La sérotonine (5-hydroxytryptamine ou 5-HT) est un neurotransmetteur dérivé du tryptophane alimentaire transformé dans l’organisme en 5-HT. Ce neuromédiateur est largement présent dans l’organisme. Il est impliqué dans le contrôle de l’appétit, du sommeil, de l’attention et de l’humeur. Une déficience ou un excès de sérotonine ont une influence sur le comportement : un taux anormal de sérotonine a été retrouvé dans la dépression, l’anxiété, l’insomnie, les troubles obsessionnels et alimentaires, les phobies, l’impulsivité, l’agressivité, l’alcoolisme, les comportement suicidaires, les troubles paniques et les dysfonctionnements sexuels. Des récepteurs à l’insuline au niveau du cerveau Pendant de nombreuses années, l’insuline a été considérée comme n’ayant aucun rôle au niveau du cerveau. Aujourd’hui des récepteurs à l’insuline ont été identifiés au niveau de l’hippocampe (une région de la mémoire) et de l’hypothalamus (centre de régulation de la prise alimentaire). La tomographie par émission de positons permet de visualiser les zones cérébrales actives en exploitant la relation entre afflux de sang et activité neuronale. ■ L’ingestion de glucides induit une sécrétion d’insuline qui fait pénétrer le glucose,mais aussi les acides aminés dans les cellules ; ■ Or, le tryptophane (Try) est moins sensible à cet effet insulinique que les autres acides aminés ; parmi ceux-ci, cinq sont particuliers : la valine, la 5 Glucides et fonctions neurocognitives : bases biologiques leucine, la tyrosine, l’isoleucine, la phénylalanine. Ce sont les cinq grands acides aminés neutres (5aa) qui sont en compétition avec le tryptophane pour le passage de la barrière hémoméningée. ■ Le rapport Try /5 aa plasmatique détermine le passage hémoméningé préférentiel du tryptophane ou des cinq autres acides aminés neutres. Lorsque le rapport Try /5 aa augmente, le tryptophane entre dans le cerveau.Lorsque Try /5 aa diminue, le tryptophane n’entre pas,cédant le passage aux cinq autres acides aminés neutres. ■ Le tryptophane est le précurseur de la sérotonine cérébrale et sa quantité disponible détermine la quantité de sérotonine synthétisée. Cette action de l’insuline permet de comprendre pourquoi, lors de tests de mémoire, des résultats inférieurs (rappel de liste de mots) sont constatés chez des étudiants présentant un mauvais équilibre insulinémique. L’insuline agit donc à un niveau basal dans le maintien des processus de mémorisation. Apport glycémique et vieillissement rieures de glucose.Ainsi,le drainage du glucose dans le cerveau de rats chute de 30 % en moyenne au cours d’exercices effectués dans des labyrinthes. Les jeunes rats s’en sortent mieux que leurs aînés :la chute n’est que de 12 %, ils récupèrent plus vite. Chez les vieux rats,la baisse de glucose est de 48 % et le taux de glucose revient à la normale en 30 minutes. Des injections de glucose permettent aux aînés de rattraper les performances des plus jeunes. Lorsqu’elles sont métaboliquement actives, certaines régions du cerveau deviennent glucopéniques,c’est-à-dire présentant des concentrations infé6 Plus on vieillit et moins l’approvisionnement du cerveau en glucose se fait facilement. Les problèmes de concentration ou de mémoire constatés chez les personnes âgées sont liés à ce défaut de fourniture en glucose. Glucides, acquisition des connaissances et mémorisation Mémoire de travail et mémoire à long terme On distingue classiquement la mémoire de travail, qui permet le traitement de l’information à très court terme et la mémoire à long terme. Mémoire : quelques définitions La mémoire de travail intervient dans l’exécution de nombreux processus cognitifs tels que la lecture, le calcul, la résolution des problèmes. Elle s’explore par des épreuves de rappel immédiat de chiffres ou de mots, mais aussi par des tests plus complexes de traitement de ces chiffres. La mémoire à long terme est à capacité limitée et est divisée en : ■ Mémoire déclarative ou explicite qui correspond aux situations où il est explicitement demandé aux sujets de faire appel à leur mémoire : mémoire épisodique, mémoire sémantique. Elle s’explore par des tests d’apprentissage et des tests de fluence verbale. ■ La mémoire non déclarative comprend la mémoire procédurale (acquisition de procédures) et la mémoire implicite (amélioration des performances lorsque les stimuli ont été présentés antérieurement sans aucune consigne de mémorisation). Elle est explorée par des tests complexes d’apprentissage de procédures et par ceux utilisant des stimuli. Le glucose semble améliorer la mémoire de travail et certains aspects de la mémoire à long terme par le biais d’une alimentation riche en glucides. Cet effet a été étudié principalement chez l’enfant et l’adolescent,mais aussi chez l’adulte et la personne âgée. Glucose et mémoire chez l’enfant et l’adolescent ■ Les performances à des tests arithmétiques et de lecture (mémoire de travail) et à des tests de discrimination de stimuli (mémoire implicite), réalisés en fin de matinée sont améliorés chez des enfants ayant consommé un petit déjeuner glucidique. Les effets sont nettement plus marqués chez les enfants insuffisamment ou mal nourris. 7 Glucides, acquisition des connaissances et mémorisation ■ Chez les enfants bien nourris, on retrouve aussi une différence significative pour les tests de rappel immédiat (mémoire de travail), de mémoire spatiale,de reconnaissance des visages (mémoire procédurale et sémantique) entre les enfants avec ou sans petit déjeuner.Il existe une relation négative significative entre la glycémie mesurée à midi et le nombre d’erreurs aux tests et parfois entre insulinémie et performance. La charge énergétique contribue à l’amélioration de la performance, les petits déjeuners riches en glucides produisant toujours les meilleurs résul- tats. Cependant, l’omission occasionnelle d’un petit déjeuner ne semble pas avoir d’effet sur les performances et la mémoire à court terme, le souvenir, la mémoire sérielle et l’attention. ■ L’ingestion de glucose accroît les capacités d’attention (qui intervient dans la mémoire de travail) et diminue le temps de réaction (important pour la mémoire procédurale) chez l’enfant. De plus, le glucose améliore la performance dans des tâches d’attention soutenue,mais uniquement à certaines heures. Chez les adultes sains ■ Amélioration des tests cognitifs Les sujets dont la glycémie à jeun est plus élevée présentent,après ingestion de glucose,de meilleurs résultats à des tests cognitifs.Inversement,ceux dont la glycémie à jeun est basse, se montrent après consommation de glucose, moins performants. L’effet positif d’une boisson sucrée sur la mémoire dépend de la tolérance au glucose de l’individu. Des étudiants dont la régulation insulinémique est légèrement altérée présentent des résultats à des tests mnésiques inférieurs à ceux d’étudiants sains. Quelques travaux ont décrit une amélioration des performances mentales à des tests arithmétiques chez des adultes après l’ingestion de glucose. 8 ■ Variation des performances dans la journée Les performances ne sont pas les mêmes qu’il s’agisse du petit déjeuner, du repas de midi ou du repas du soir. Pourquoi un même comportement (le fait de manger) entraînerait-il des conséquences différentes, parfois même opposées ? Le moment de la journée, la taille du repas, la sélection des macronutriments contribuent très certainement aux différences constatées. – Le petit déjeuner est certainement le repas qui a été le plus étudié, très probablement en raison de ce qu’il constitue le repas qui interrompt le jeûne de la nuit. – Lorsque le repas de midi est impor- tant, les performances portant sur des épreuves d’attention sont altérées en début d’après-midi.C’est le “post lunch dip” des Anglo-Saxons. Ces effets sont supprimés après l’ingestion de caféine. – Peu de travaux ont porté sur le repas du soir, les effets constatés sont mixtes : amélioration de la mémoire logique, altération de l’attention et du temps de réaction. Chez le sujet âgé ■ le déclin de la mémoire chez le sujet âgé : hypothèses La mémoire décline avec l’âge. Une hypothèse largement admise postule que les structures neurosensorielles responsables de la mémoire seraient intactes et que l’altération viendrait d’une déficience des régulations qui contrôlent les mécanismes d’apprentissage, d’acquisition et de mémorisation. Une autre hypothèse soutient qu’il existe une diminution de la quantité et de la qualité des cellules impliquées dans le stockage des informations.On peut penser que ces deux mécanismes sont probablement conjointement altérés. La détérioration des mécanismes de la glycorégulation (métabolisme du glucose) paraît corrélée aux déficits des fonctions mentales liées au vieillissement. ■ Les effets du glucose Une étude montre que l’absorption de glucose le matin à jeun améliore la mémoire des sujets âgés. Les tests utilisés, dérivés de l’échelle de mémoire de Wechsler, incluaient la mémorisation à court et moyen terme (24h) de paires de mots, un test de mémoire contextuelle sur un texte narratif, immédiate et à 15 mn, un test visuel sur des figures géométriques,un test de mémoire des chiffres et un test de reconnaissance des visages. Des deux groupes,seuls les sujets âgés ayant absorbé 50 g de glucose ont eu une amélioration nette sur les tests de mémoire textuelle, tests de mémoire verbale et un meilleur score global (40 % d’amélioration). 9 Glucides, acquisition des connaissances et mémorisation D’autres études ont tenté de savoir quel type de mémoire était améliorée par le glucose. Elles montrent que les tests explorant la mémoire d’information contextuelle (implicite) et de rappel de mots (mémoire de travail) sont améliorés par le glucose mais pas ceux mesurant l’attention,ou la performance motrice.Il y a comme pour les enfants, un effet-dose avec une courbe en U. Il semblerait qu’une glycémie voisine de 8,9 mmol/l (160 mg/dl) permette un apprentissage optimal. Selon les auteurs, ces éléments permettent de penser que le glucose intervient plutôt dans le stockage de l’information ou dans la prévention de l’oubli. EN CONCLUSION L’ingestion de glucose améliore, dans une certaine mesure, certains tests de performance intellectuelle. Etant donné la complexité et le nombre de facteurs qui influencent la cognition, les effets du glucose ne sont pas faciles à reconnaître et à établir. La mémoire à court terme, certains aspects de l’attention et de la vitesse de réponse, sont sensibles à la prise de sucres, selon des mécanismes qui restent à approfondir. La prise de calories, quelle qu’en soit l’origine, améliore à court terme la mémoire des gens âgés Après avoir consommé une boisson enrichie en protéines ou en lipides ou en glucides (versus des placebos), 22 personnes âgées de 61 à 79 ans ont été testées pour leur capacité à répondre à des tests cognitifs concernant la mémoire à court terme. Quelle que soit la source de calories (protéines, lipides ou glucides), la prise de la boisson a eu un effet bénéfique sur les résultats des tests, avec quelques subtiles différences entre les trois classes de nutriments d’un test à l’autre. Indépendamment de tout effet sur la glycémie, l’ingestion de 774 kJ induit donc, à court terme (15-60 minutes) des effets cognitifs positifs à ces âges. Les glucides amélioraient plus spécifiquement les tests de rapidité de recherche visuelle, d’attention et de flexibilité intellectuelle, représentant une mesure globale du fonctionnement intellectuel. Dietary protein, carbohydrate, and fat enhance memory perfomance in the healthy elderly. Kaplan RJ.Am J Clin Nutr. 2001, 74 : 687-93. ■ Le sujet déficitaire De façon évidente, plus l’adaptabilité à la charge de glucose est mauvaise, moins la mémoire et la capacité d’acquisition sont de bonne qualité :sujets âgés, diabétiques, prédiabétiques, maladie d’Alzheimer, malnutrition chronique. Le déficit d’action de l’insuline au niveau du cerveau peut expliquer les troubles de la mémoire tels que ceux 10 observés dans la maladie d’Alzheimer. Chez les sujets déficitaires, l’amélioration de la mémoire liée au glucose se manifeste également de manière sensible, en particulier sur les tâches plus difficiles dont on sait qu’elles demandent une disponibilité en glucose élevée. Mais la sensibilité et la réactivité à l’apport de glucose sont différentes d’un individu à l’autre et plus ou moins bonnes. BIBLIOGRAPHIE 1. Bellisle F. Glucose and mental performance. Br J Nutrition 2001 ; 86 : 117-8. 2. 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