FICHE À DÉTACHER
La Lettre du Neurologue Vol. XIII - n° 2 - février 2009 | I
fiche
technique
Sous la responsabilité de ses auteurs
n° 85
P. Petiot*, G. Durand de Gevigney**
D
epuis 20 ans, le développement des connaissances dans
le domaine des maladies musculaires a été considérable.
Le diagnostic repose dans la majorité des cas sur la biopsie
musculaire et parfois d’emblée sur l’étude génétique par biologie
moléculaire. Cependant, ces analyses sont orientées par la descrip-
tion la plus précise possible du phénotype, incluant la cartographie
exacte de l’atteinte musculaire (souvent affinée par la radiologie)
et la recherche attentive de signes associés (myotonie, rétractions
précoces, etc.). Les atteintes cardiaques, qui font partie de ces derniers,
occupent une place importante dans l’orientation diagnostique initiale
mais aussi dans le suivi.
Comment rechercher l’atteinte cardiaque ?
Sans décrire la sémiologie cardiologique de chaque type de cardiopathie,
le neurologue doit être vigilant en cas de dyspnée d’effort ou orthosta-
tique, de palpitations, de syncopes ou de malaises inexpliqués, d’asthénie
inhabituelle… Le diagnostic est parfois plus difficile en cas de chute,
celle-ci pouvant être secondaire à une simple maladresse, à une hypotonie
musculaire ou à un malaise d’origine potentiellement cardiologique. Chez
les patients sévèrement handicapés, les symptômes sont différents de
ceux retrouvés chez les patients actifs. Il faut alors prêter attention à une
perte de poids inexpliquée, une toux chronique, une fatigue inhabituelle
ou une perte d’autonomie. Certains types de cardiopathie entraînent
fréquemment une mort subite constituant le premier symptôme de la
pathologie chez des patients jusqu’alors asymptomatiques, et il faudra
donc bien rechercher ces informations dans les antécédents familiaux.
L’examen clinique cardiologique et les examens complémentaires
sont ensuite volontiers confiés à un confrère cardiologue. L’exper-
tise repose sur la clinique (interrogatoire soigneux, examen cardio-
vasculaire complet) et sur les examens paracliniques, comprenant
presque systématiquement un électrocardiogramme (ECG) de repos,
une échographie transthoracique (ETT), voire transœsophagienne
(ETO), et un Holter ECG. Des explorations plus invasives (faisceau de
His, par exemple) seront à discuter au cas par cas en fonction de la
pathologie neuro-musculaire concernée. Différents types d’atteinte
cardiaque peuvent être rencontrés : cardiomyopathie dilatée ou hyper-
trophique, troubles de la conduction ou arythmies supraventriculaire
ou ventriculaires.
Complications cardiaques des myopathies
Quand rechercher latteinte cardiaque ?
Au moment du diagnostic
La recherche d’une atteinte cardiaque doit être systématiquement
effectuée au cours du bilan initial d’une maladie musculaire, lequel
comprend un examen clinique attentif, un ECG de repos et une ETT.
Un Holter pourra être demandé d’emblée en cas de dystrophie myoto-
nique (type 1 ou maladie de Steinert, type 2 ou myopathie myotonique
proximale), de dystrophie musculaire d’Emery-Dreifuss (liée à l’X, auto-
somique dominante ou récessive), et chez tout patient ayant présenté
une syncope, des palpitations ou des anomalies à l’ECG de base.
La découverte d’une cardiopathie au stade initial peut orienter le
clinicien vers certaines étiologies dans lesquelles celle-ci est parti-
culièrement fréquente, voire constante. Les étiologies à évoquer sont
les suivantes :
Dystrophinopathie de Duchenne/Becker.
Dans la myopathie de
Duchenne, l’atteinte cardiaque (de type cardiomyopathie dilatée) n’est
jamais révélatrice et survient toujours dans un contexte diagnostique
déjà établi et connu. Dans la forme de Becker
(Finsterer, 2007)
, l’at-
teinte cardiaque n’est pas toujours corrélée à la sévérité de l’atteinte
musculaire squelettique et peut parfois être révélatrice, voire isolée
(cardiomyopathie dilatée liée à l’X).
Myopathie des ceintures (
limb-girdle dystrophy
[LGMD]). La
cardiopathie est plus ou moins fréquente selon le déficit protéique en
cause. Elle doit être particulièrement recherchée en cas de sarco-glyca-
nopathies, surtout β, γ et δ ; les formes liées aux mutations du gène
FKRP sont volontiers associées à une cardiopathie, parfois présente
d’emblée. Elle doit également être systématiquement dépistée en cas
de laminopathie (LGMD1B) ; les troubles du rythme sont une cause
fréquente de mort subite dans cette pathologie.
Myopathie d’Emery-Dreifuss.
La cardiopathie fait partie intégrante
de la définition phénotypique de cette affection, qu’elle soit liée à l’X
(déficit en émerine), autosomique dominante ou récessive (liée à un
déficit en lamine). Il s’agit surtout de troubles du rythme supraven-
triculaires fréquemment responsables de morts subites.
Dystrophie musculaire congénitale.
Celle liée au gène FKRP (type
1C) est volontiers associée à une atteinte cardiaque sévère.
Dystrophie myotonique de type 1 ou 2 (DM1 ou DM2).
La
cardiopathie fait partie intégrante des nombreuses complications
rencontrées au cours de cette affection multisystémique. Elle peut être
révélatrice et n’est pas toujours liée à la gravité de l’atteinte muscu-
laire clinique (sa relation avec le nombre de répétitions reste encore
* Service de neurologie et d’explorations fonctionnelles neurologiques, centre de
référence des maladies rares neuro-musculaires, hôpital de la Croix-Rousse, Lyon.
**Service de cardiologie, centre de référence des maladies rares neuro-musculaires,
hôpital cardio-vasculaire et pneumologique Louis-Pradel, Bron.
FICHE À DÉTACHER
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II | La Lettre du Neurologue Vol. XIII - n° 2 - février 2009
fiche technique n° 85
débattue). On observe surtout des troubles de la conduction (cause
de décès dans 30 % des cas), qui peuvent être de tous types : bloc
auriculo-ventriculaire (1, 2 ou 3), bloc de branche (droite ou gauche),
hémibloc (essentiellement antérieur gauche, exceptionnellement posté-
rieur gauche) et parfois troubles de la conduction intraventriculaire
non systématisés (donnant un aspect d’élargissement du complexe
QRS sans véritable bloc de branche). On peut également observer des
troubles rythmiques, essentiellement supraventriculaires (extrasystoles,
fibrillation auriculaire, flutter auriculaire), mais parfois ventriculaires.
Les cardiomyopathies dilatées sont plus rares. L’ECG de surface peut
être normal malgré l’existence de troubles de la conduction intrahis-
siens. La cardiopathie est plus rare en cas de DM2.
Myopathie mitochondriale.
Une cardiopathie est parfois rencon-
trée au cours de certaines myopathies mitochondriales (syndrome
de Kearns-Sayre) ou de certaines affections en rapport avec des
altérations du fonctionnement de la chaîne respiratoire (maladie de
Friedreich, par exemple).
La mise en évidence d’une cardiopathie et la date du dernier bilan
cardio-vasculaire doivent être consignées sur une carte donnée au
patient afin d’en informer les médecins anesthésistes, l’anesthésie
générale imposant certaines précautions.
Au cours du suivi
Si le bilan initial révèle une cardiopathie, le suivi sera généralement
annuel, mais les examens pourront parfois être plus rapprochés si
l’état clinique et/ou paraclinique le nécessite. Les recommandations
(tableau) pour chaque pathologie en cas de premier bilan négatif
ont été publiées en 2003 à l’occasion du
107th ENMC International
Workshop
(Bushby et al., 2003 ; Muntoni et al., 2003)
, et actualisées
en pédiatrie dans une revue récente
(Dellefave et McNally, 2007)
.
En cas de myopathie facio-scapulo-humérale, les complications
cardiaques sont exceptionnelles. Un bilan initial n’est donc réalisé
et renouvelé qu’en cas de signes cliniques suspects.
S’il existe une cardiopathie, plusieurs options thérapeutiques seront
discutées en collaboration avec le cardiologue. S’il existe des signes
échographiques de dysfonction ventriculaire gauche (fraction
d’éjection ventriculaire gauche < 50 %) même asymptomatique,
un traitement précoce par inhibiteurs de l’enzyme de conversion de
l’angiotensine, voire par bêtabloquants, est recommandé. Une trans-
plantation sera parfois proposée si l’état clinique le permet (absence
d’atteinte respiratoire ou musculaire sévère). En cas de troubles de
conduction sévères et surtout s’aggravant progressivement sur des
contrôles ECG successifs, un
pace-maker
sera recommandé (même
si asymptomatique). En cas de laminopathie, le risque de troubles du
rythme ventriculaire mortels est majeur et justifie l’utilisation d’un
défibrillateur implantable pour certaines équipes. Enfin, un traitement
préventif des complications thrombo-emboliques par anticoagulants
peut parfois être justifié en cas de fibrillation auriculaire.
Après enquête familiale
Après avoir précisément établi le diagnostic d’une maladie muscu-
laire héréditaire, un conseil génétique et une enquête familiale
sont indispensables. En cas de myopathie à fort risque cardiaque,
l’identification de porteurs sains dans la famille permettra un suivi
cardiaque préventif régulier. Pour les femmes qui transmettent une
dystrophinopathie, il a été démontré qu’il existait une cardiopathie
dans 10 % des cas au cours de l’évolution. Une première évaluation
(ECG/ETT) est réalisée au moment du diagnostic à partir de l’âge
de 20 ans, puis tous les 5 ans en cas de bilan normal (tous les ans
en cas de cardiopathie avérée). Dans la dystrophie myotonique de
Steinert et en cas de laminopathie, un bilan annuel s’impose chez
les patients adultes porteurs asymptomatiques.
Cas particuliers des myopathies
inflammatoires
Une atteinte cardiaque est responsable de 10 à 20 % des décès rencon-
trés dans ces pathologies. Ces complications, dont l’incidence exacte reste
mal connue, sont secondaires soit à une myocardite, soit à une vascularite
coronaire. Les péricardites sont plus rares (moins de 10 % des cas). Elles
apparaissent le plus souvent au cours de l’évolution mais peuvent parfois
être présentes d’emblée. Il peut s’agir d’une insuffisance ventriculaire,
d’une myocardiopathie restrictive, de troubles de conduction ou de
troubles du rythme. Un ECG et une ETT sont le plus souvent suffisants au
moment du diagnostic, mais le rythme et les modalités de surveillance
sont encore mal codifiés, en dehors de la nécessité d’un suivi clinique
régulier. L’IRM peut être utile pour identifier l’inflammation myocardique.
Sur le plan thérapeutique, les corticoïdes ne sont pas toujours efficaces,
et le traitement symptomatique sera alors privilégié.
Conclusion
L’existence de cardiopathies parfois révélatrices dans certaines affections
musculaires (évoquant alors certains groupes étiologiques) impose pour le
neurologue la mise en place d’un suivi régulier et adapté selon le type de
maladie musculaire. Une collaboration étroite avec nos collègues cardio-
logues est indispensable et justifie souvent le recours à des consultations
multidisciplinaires organisées au sein des différents centres spécialisés
mis en place ces dernières années, ce qui permet d’éviter la multiplication
de déplacements inutiles à ces patients souvent handicapés.
Myopathie Examens paracliniques Bilan initial Suivi
Dystrophinopathie
– Duchenne (DMD)
– Becker (BMD)
– Conductrice
ECG et ETT
ECG et ETT
ECG et ETT
À partir de 6 ans
À partir de 10 ans
À partir de 20 ans
Tous les 2 ans jusqu’à 10 ans puis tous les ans
Holter annuel à partir de 8 ans (surtout si cardiopathie avérée)
Tous les 5 ans si bilan initial négatif, tous les ans si cardiopathie
Tous les 5 ans si bilan initial négatif, tous les ans si cardiopathie
Sarco-glycanopathie Idem DMD/BMD Idem DMD/BMD Idem DMD/BMD
LGMD 2I (FKRP) et MDC1C Idem DMD/BMD Idem DMD/BMD Idem DMD/BMD
Myopathie d’Emery-Dreifuss
– Liée à l’X
– Dominante ou récessive
ECG, Holter (ETT moins régulière)
ECG, Holter, ETT
À partir de 10 ans
À partir de 10 ans
Tous les ans
Tous les ans
Dystrophie myotonique (1 et 2) ECG, Holter (ETT moins régulière) À partir de 10 ans De 10 à 20 ans, tous les 2 à 3 ans puis tous les ans
Mitochondriopathie ECG, ETT, Holter Au moment du diagnostic Tous les ans selon le type de syndrome
Tableau. Recommandation pour le suivi.
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Pour en savoir plus...
+ Bushby K, Muntoni F, Bourke JP. 107th ENMC International
workshop: the management of cardiac involvement in muscular
dystrophy and myotonic dystrophy. 7th-9th June 2002, Naarden,
the Netherlands. Neuromuscul Disord 2003;13:166-72.
+ Dellefave LM, McNally EM. Cardiopathy in neuromuscular
disorders. Progress in pediatric cardiology 2007;24:35-46.
+ English KM, Gibbs JL. Cardiac monitoring and treatment for
children and adolescents with neuromuscular disorders. Dev Med
Child Neurol 2006;48:231-5.
+ Lundberg IE. The heart in dermatomyositis and polymyositis.
Rheumatology 2006;45(Suppl. 4):iv18-21.
+ Muntoni F. Cardiomyopathy in muscular dystrophies. Curr Opin
Neurol 2003;16:577-83.
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