P. Petiot*, G. Durand de Gevigney** n° 85 fiche technique Sous la responsabilité de ses auteurs Complications cardiaques des myopathies D epuis 20 ans, le développement des connaissances dans le domaine des maladies musculaires a été considérable. Le diagnostic repose dans la majorité des cas sur la biopsie musculaire et parfois d’emblée sur l’étude génétique par biologie moléculaire. Cependant, ces analyses sont orientées par la description la plus précise possible du phénotype, incluant la cartographie exacte de l’atteinte musculaire (souvent affinée par la radiologie) et la recherche attentive de signes associés (myotonie, rétractions précoces, etc.). Les atteintes cardiaques, qui font partie de ces derniers, occupent une place importante dans l’orientation diagnostique initiale mais aussi dans le suivi. Sans décrire la sémiologie cardiologique de chaque type de cardiopathie, le neurologue doit être vigilant en cas de dyspnée d’effort ou orthostatique, de palpitations, de syncopes ou de malaises inexpliqués, d’asthénie inhabituelle… Le diagnostic est parfois plus difficile en cas de chute, celle-ci pouvant être secondaire à une simple maladresse, à une hypotonie musculaire ou à un malaise d’origine potentiellement cardiologique. Chez les patients sévèrement handicapés, les symptômes sont différents de ceux retrouvés chez les patients actifs. Il faut alors prêter attention à une perte de poids inexpliquée, une toux chronique, une fatigue inhabituelle ou une perte d’autonomie. Certains types de cardiopathie entraînent fréquemment une mort subite constituant le premier symptôme de la pathologie chez des patients jusqu’alors asymptomatiques, et il faudra donc bien rechercher ces informations dans les antécédents familiaux. L’examen clinique cardiologique et les examens complémentaires sont ensuite volontiers confiés à un confrère cardiologue. L’expertise repose sur la clinique (interrogatoire soigneux, examen cardiovasculaire complet) et sur les examens paracliniques, comprenant presque systématiquement un électrocardiogramme (ECG) de repos, une échographie transthoracique (ETT), voire transœsophagienne (ETO), et un Holter ECG. Des explorations plus invasives (faisceau de His, par exemple) seront à discuter au cas par cas en fonction de la pathologie neuro-musculaire concernée. Différents types d’atteinte cardiaque peuvent être rencontrés : cardiomyopathie dilatée ou hypertrophique, troubles de la conduction ou arythmies supraventriculaire ou ventriculaires. * Service de neurologie et d’explorations fonctionnelles neurologiques, centre de référence des maladies rares neuro-musculaires, hôpital de la Croix-Rousse, Lyon. **Service de cardiologie, centre de référence des maladies rares neuro-musculaires, hôpital cardio-vasculaire et pneumologique Louis-Pradel, Bron. Au moment du diagnostic La recherche d’une atteinte cardiaque doit être systématiquement effectuée au cours du bilan initial d’une maladie musculaire, lequel comprend un examen clinique attentif, un ECG de repos et une ETT. Un Holter pourra être demandé d’emblée en cas de dystrophie myotonique (type 1 ou maladie de Steinert, type 2 ou myopathie myotonique proximale), de dystrophie musculaire d’Emery-Dreifuss (liée à l’X, autosomique dominante ou récessive), et chez tout patient ayant présenté une syncope, des palpitations ou des anomalies à l’ECG de base. La découverte d’une cardiopathie au stade initial peut orienter le clinicien vers certaines étiologies dans lesquelles celle-ci est particulièrement fréquente, voire constante. Les étiologies à évoquer sont les suivantes : ✓ ✓Dystrophinopathie de Duchenne/Becker. Dans la myopathie de Duchenne, l’atteinte cardiaque (de type cardiomyopathie dilatée) n’est jamais révélatrice et survient toujours dans un contexte diagnostique déjà établi et connu. Dans la forme de Becker (Finsterer, 2007), l’atteinte cardiaque n’est pas toujours corrélée à la sévérité de l’atteinte musculaire squelettique et peut parfois être révélatrice, voire isolée (cardiomyopathie dilatée liée à l’X). ✓ ✓Myopathie des ceintures (limb-girdle dystrophy [LGMD]). La cardiopathie est plus ou moins fréquente selon le déficit protéique en cause. Elle doit être particulièrement recherchée en cas de sarco-glycanopathies, surtout β, γ et δ ; les formes liées aux mutations du gène FKRP sont volontiers associées à une cardiopathie, parfois présente d’emblée. Elle doit également être systématiquement dépistée en cas de laminopathie (LGMD1B) ; les troubles du rythme sont une cause fréquente de mort subite dans cette pathologie. ✓ ✓Myopathie d’Emery-Dreifuss. La cardiopathie fait partie intégrante de la définition phénotypique de cette affection, qu’elle soit liée à l’X (déficit en émerine), autosomique dominante ou récessive (liée à un déficit en lamine). Il s’agit surtout de troubles du rythme supraventriculaires fréquemment responsables de morts subites. ✓ ✓Dystrophie musculaire congénitale. Celle liée au gène FKRP (type 1C) est volontiers associée à une atteinte cardiaque sévère. ✓ ✓Dystrophie myotonique de type 1 ou 2 (DM1 ou DM2). La cardiopathie fait partie intégrante des nombreuses complications rencontrées au cours de cette affection multisystémique. Elle peut être révélatrice et n’est pas toujours liée à la gravité de l’atteinte musculaire clinique (sa relation avec le nombre de répétitions reste encore F i c h e à d é t a c h e r Comment rechercher l’atteinte cardiaque ? Quand rechercher l’atteinte cardiaque ? La Lettre du Neurologue • Vol. XIII - n° 2 - février 2009 | I défibrillateur implantable pour certaines équipes. Enfin, un traitement préventif des complications thrombo-emboliques par anticoagulants peut parfois être justifié en cas de fibrillation auriculaire. Au cours du suivi Une atteinte cardiaque est responsable de 10 à 20 % des décès rencontrés dans ces pathologies. Ces complications, dont l’incidence exacte reste mal connue, sont secondaires soit à une myocardite, soit à une vascularite coronaire. Les péricardites sont plus rares (moins de 10 % des cas). Elles apparaissent le plus souvent au cours de l’évolution mais peuvent parfois être présentes d’emblée. Il peut s’agir d’une insuffisance ventriculaire, d’une myocardiopathie restrictive, de troubles de conduction ou de troubles du rythme. Un ECG et une ETT sont le plus souvent suffisants au moment du diagnostic, mais le rythme et les modalités de surveillance sont encore mal codifiés, en dehors de la nécessité d’un suivi clinique régulier. L’IRM peut être utile pour identifier l’inflammation myocardique. Sur le plan thérapeutique, les corticoïdes ne sont pas toujours efficaces, et le traitement symptomatique sera alors privilégié. Après avoir précisément établi le diagnostic d’une maladie musculaire héréditaire, un conseil génétique et une enquête familiale sont indispensables. En cas de myopathie à fort risque cardiaque, l’identification de porteurs sains dans la famille permettra un suivi cardiaque préventif régulier. Pour les femmes qui transmettent une dystrophinopathie, il a été démontré qu’il existait une cardiopathie dans 10 % des cas au cours de l’évolution. Une première évaluation (ECG/ETT) est réalisée au moment du diagnostic à partir de l’âge de 20 ans, puis tous les 5 ans en cas de bilan normal (tous les ans en cas de cardiopathie avérée). Dans la dystrophie myotonique de Steinert et en cas de laminopathie, un bilan annuel s’impose chez les patients adultes porteurs asymptomatiques. Cas particuliers des myopathies inflammatoires Conclusion À partir de 10 ans De 10 à 20 ans, tous les 2 à 3 ans puis tous les ans ECG, ETT, Holter Au moment du diagnostic Tous les ans selon le type de syndrome e h i F c h e à II | La Lettre du Neurologue • Vol. XIII - n° 2 - février 2009 c ECG, Holter (ETT moins régulière) Mitochondriopathie a Dystrophie myotonique (1 et 2) t Tous les ans Tous les ans é À partir de 10 ans À partir de 10 ans d ECG, Holter (ETT moins régulière) ECG, Holter, ETT à Myopathie d’Emery-Dreifuss – Liée à l’X – Dominante ou récessive e Idem DMD/BMD h Idem DMD/BMD Idem DMD/BMD c e Idem DMD/BMD Idem DMD/BMD LGMD 2I (FKRP) et MDC1C c Idem DMD/BMD Sarco-glycanopathie a À partir de 10 ans À partir de 20 ans Tous les 2 ans jusqu’à 10 ans puis tous les ans Holter annuel à partir de 8 ans (surtout si cardiopathie avérée) Tous les 5 ans si bilan initial négatif, tous les ans si cardiopathie Tous les 5 ans si bilan initial négatif, tous les ans si cardiopathie ECG et ETT ECG et ETT ECG et ETT t Suivi À partir de 6 ans é Bilan initial d Examens paracliniques Dystrophinopathie – Duchenne (DMD) – Becker (BMD) – Conductrice i Myopathie h Tableau. Recommandation pour le suivi. r L’existence de cardiopathies parfois révélatrices dans certaines affections musculaires (évoquant alors certains groupes étiologiques) impose pour le neurologue la mise en place d’un suivi régulier et adapté selon le type de maladie musculaire. Une collaboration étroite avec nos collègues cardiologues est indispensable et justifie souvent le recours à des consultations multidisciplinaires organisées au sein des différents centres spécialisés mis en place ces dernières années, ce qui permet d’éviter la multiplication de déplacements inutiles à ces patients souvent handicapés. ■ r Si le bilan initial révèle une cardiopathie, le suivi sera généralement annuel, mais les examens pourront parfois être plus rapprochés si l’état clinique et/ou paraclinique le nécessite. Les recommandations (tableau) pour chaque pathologie en cas de premier bilan négatif ont été publiées en 2003 à l’occasion du 107th ENMC International Workshop (Bushby et al., 2003 ; Muntoni et al., 2003), et actualisées en pédiatrie dans une revue récente (Dellefave et McNally, 2007). En cas de myopathie facio-scapulo-humérale, les complications cardiaques sont exceptionnelles. Un bilan initial n’est donc réalisé et renouvelé qu’en cas de signes cliniques suspects. S’il existe une cardiopathie, plusieurs options thérapeutiques seront discutées en collaboration avec le cardiologue. S’il existe des signes échographiques de dysfonction ventriculaire gauche (fraction d’éjection ventriculaire gauche < 50 %) même asymptomatique, un traitement précoce par inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine, voire par bêtabloquants, est recommandé. Une transplantation sera parfois proposée si l’état clinique le permet (absence d’atteinte respiratoire ou musculaire sévère). En cas de troubles de conduction sévères et surtout s’aggravant progressivement sur des contrôles ECG successifs, un pace-maker sera recommandé (même si asymptomatique). En cas de laminopathie, le risque de troubles du rythme ventriculaire mortels est majeur et justifie l’utilisation d’un Après enquête familiale F fiche technique n° 85 débattue). On observe surtout des troubles de la conduction (cause de décès dans 30 % des cas), qui peuvent être de tous types : bloc auriculo-ventriculaire (1, 2 ou 3), bloc de branche (droite ou gauche), hémibloc (essentiellement antérieur gauche, exceptionnellement postérieur gauche) et parfois troubles de la conduction intraventriculaire non systématisés (donnant un aspect d’élargissement du complexe QRS sans véritable bloc de branche). On peut également observer des troubles rythmiques, essentiellement supraventriculaires (extrasystoles, fibrillation auriculaire, flutter auriculaire), mais parfois ventriculaires. Les cardiomyopathies dilatées sont plus rares. L’ECG de surface peut être normal malgré l’existence de troubles de la conduction intrahissiens. La cardiopathie est plus rare en cas de DM2. ✓ ✓Myopathie mitochondriale. Une cardiopathie est parfois rencontrée au cours de certaines myopathies mitochondriales (syndrome de Kearns-Sayre) ou de certaines affections en rapport avec des altérations du fonctionnement de la chaîne respiratoire (maladie de Friedreich, par exemple). La mise en évidence d’une cardiopathie et la date du dernier bilan cardio-vasculaire doivent être consignées sur une carte donnée au patient afin d’en informer les médecins anesthésistes, l’anesthésie générale imposant certaines précautions. fiche technique n° 85 Pour en savoir plus... + Bushby K, Muntoni F, Bourke JP. 107th ENMC International workshop: the management of cardiac involvement in muscular dystrophy and myotonic dystrophy. 7th-9th June 2002, Naarden, the Netherlands. Neuromuscul Disord 2003;13:166-72. + Dellefave LM, McNally EM. Cardiopathy in neuromuscular disorders. Progress in pediatric cardiology 2007;24:35-46. + English KM, Gibbs JL. Cardiac monitoring and treatment for children and adolescents with neuromuscular disorders. Dev Med Child Neurol 2006;48:231-5. + Lundberg IE. The heart in dermatomyositis and polymyositis. Rheumatology 2006;45(Suppl. 4):iv18-21. + Muntoni F. Cardiomyopathy in muscular dystrophies. Curr Opin r e h c a t é d à e h i F c i F c h e à d é t a c h e r Neurol 2003;16:577-83. La Lettre du Neurologue • Vol. XIII - n° 2 - février 2009 | III