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LNA#55 / humeurs
Préférer Lucrèce à Platon ou le cynisme au néoplatonisme
n’a rien de scandaleux tant que la liberté de l’esprit n’en
soure pas. La diculté commence lorsqu’on se livre à un
procès: il ne sert à rien de contester le «tribunal de la raison»
quand, soi-même, on «dénonce» comme idéologiques des
pans entiers de l’histoire de la philosophie. On peut, bien
sûr, se risquer à penser hors du cadre de cette histoire. Mais
la posture d’Onfray n’est pas là. Celui-ci entend réhabiliter,
faire entendre, donner à lire ceux parmi les auteurs du passé
qu’il considère comme malmenés, délaissés ou méprisés
par une supposée philosophie ocielle, c’est-à-dire univer-
sitaire. Ce que l’on retient notamment de ses chroniques
nouvelles du journal Le Monde, c’est une volonté de se
faire une place hors institution en accusant celle-ci d’être
élitiste, érudite, académique… Ainsi, jouer le récemment
disparu Pierre Hadot contre Deleuze rangé, lui, au rayon
des auteurs inutilement sophistiqués relève d’un geste
populiste qui vise à mettre de son côté tous ceux qui croient
que «philosopher» dispense de lire, d’écrire ou d’inventer
des concepts. Le cadre proposé par Onfray d’une Université
Populaire est bien conçu comme une «zone libérée» de la
pensée en général, aranchie de la pensée universitaire en
particulier. Sur ce dernier point, on ne redira jamais assez que
l’université peut et doit s’ouvrir à des échanges avec des non-
professionnels, des hommes et des femmes «communs»,
qui souhaitent passer deux heures en compagnie d’un au-
teur. Le projet, connu ici-même sous le nom de Rendez-vous
d’Archimède, peut jouer ce rôle. On n'y entendra jamais des
accents populistes insupportables. Mais on peut y rendre
compte d’un phénomène de mode.
Sur le fond, rappelons que le nom de Pierre Hadot, souvent
associé à celui de Michel Foucault, recouvre une pratique
d’exercices spirituels ou naturels que le sujet est invité
à pratiquer sur lui-même pour se réjouir sans être esclave
de ses plaisirs, pour pratiquer l’ataraxie ou le détachement
intérieur à la manière des écoles antiques de sagesse. Si l’on
rapproche maintenant de tels exercices avec la pratique de
la psychanalyse, on commencera à entrevoir que ceux-là
sont prescrits comme alternative à celle-ci. S’il s’agissait
seulement de choisir son mode de travail sur soi-même, on
descendrait jusqu’aux rubriques des magazines de mode.
Mais le projet d’Onfray se veut beaucoup plus sérieux: il
s’agit de pratiquer sur l’inventeur de la psychanalyse une
lecture nietzschéenne capable de voir dans la théorie freu-
dienne l’expression d’une existence, celle de Freud, vouée
aux pulsions mêmes qu’il a repérées: l’inceste notamment.
De ce point de vue, l’ouvrage ressasse et réinterprète des
éléments biographiques déjà notés par Ernest Jones, Peter
Gay et, beaucoup plus récemment, par Gérard Huber. Le
mérite de ce dernier est de montrer l’admiration et l’attache-
ment de Freud à l’œuvre nietzschéenne. Il n’est pas besoin
de «nietzschéiser» Freud en lui appliquant les grilles du
soupçon. Onfray entend dénoncer l’ambivalence de Freud
à l’égard de Nietzsche mais aussi, par extension, à l’égard
de la philosophie dans son ensemble. Freud, pour Onfray,
aurait été un homme qui détestait la philosophie mais à
qui l’on doit imputer, non pas une découverte scientique
(l’inconscient, le transfert, la cure), mais bel et bien une
philosophie. L’essentiel est dit page 50:«Freud n’est pas un
homme de science, il n’a rien produit qui relève de l’uni-
versel, sa doctrine est une création existentielle fabriquée
sur mesure pour vivre avec ses fantasmes, ses obsessions, son
monde intérieur, tourmenté et ravagé par l’inceste. Freud est
un philosophe, ce qui n’est pas rien, mais ce jugement, il le
récusait avec la violence de ceux qui, par leur colère, posent
le doigt au bon endroit: le lieu de la douleur existentielle.»
Philosophe manqué, philosophe malgré lui, philosophe
honteux? Que recouvrent de telles questions?
Un des premiers ouvrages de vulgarisation de la psychanalyse
parus en langue française sous le nom de Roland Dalbiez
À l’école du ressentiment avec Michel Onfray
Professeur de philosophie à l’Université d’Artois/IUFM
Par Jean-François REY
En parfaite cohérence avec les cours qu’il dispense dans sa propre Université Populaire, Michel Onfray poursuit son
combat contre le spiritualisme, l’idéalisme, le «judéo-christianisme» et le platonisme. Dédiant son dernier livre,
Le crépuscule d’une idole, à Diogène de Sinope, il se livre à la destruction «à coups de marteau» de l’idole moderne,
«l’aabulateur» Freud, selon l’épithète qu’Onfray lui inige. On est invité à comprendre que Freud représente, à
ses yeux, un avatar supplémentaire dans cette longue liste d’illusions par lesquelles la créature opprimée se console
d’une vie misérable. Autrement dit, Michel Onfray ferait œuvre d’émancipation, de désaliénation en mettant à jour
la duperie freudienne. Le problème est que la psychanalyse elle-même se veut outil d’émancipation, le projet
freudien étant un eort de libération. On peut se demander pourquoi Onfray met autant d’acharnement dans son
iconoclasme. Ici même, on s’interrogera à la fois sur ce procès aussi peu original de la psychanalyse et sur la position
qu’Onfray occupe et revendique à l’égard de la philosophie, de l’université et de l’émancipation.