Troubles mémoire du..

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la FMC
du généraliste
n°
vendredi 2 8 février 2 0 03
223 8
dossier
Les troubles de
la mémoire du sujet âgé
c a h i e r
d é ta c h a b l e
Souvent simples témoins du vieillissement
normal, les troubles de la mémoire véhiculent
toutefois le spectre de la démence.
Des troubles du comportement associés
plaident en faveur de leur caractère
pathologique. Leur prise en charge
s’attache à éliminer une cause curable.
VOISIN/PHANIE
PAR LE D R ISAB ELLE MÉTREAU, sous la direction
scientifique des P RS OLIVI ER RODAT (service
de gériatrie, C HU de Nantes), M IC H EL BOU RI N
(service de pharmacologie, faculté de médecine
de Nantes) et du D R PH I LI PPE JAU LI N
(psychiatre, C HU de Nantes)
> Savoir examiner
L’orientation étiologique
et thérapeutique
> Les tests
Que la plainte mnésique soit exprimée par le patient lui-même
ou par son entourage, c’est un motif fréquent
de consultation en médecine générale, au devant duquel il ne faut
pas hésiter à aller, certaines de ses causes étant curables.
> L’iatrogénie
A
objectifs
et prescrire
des examens
complémentaires
à bon escient
p. 2 et 3
psychométriques
des troubles
cognitifs p. 3 et 4
et la dépression,
le plus souvent
en cause p. 5 et 6
près 50 ans, la plainte mnésique devient plus
fréquente. Jusqu’à 10 % des consultations de
médecine générale sont motivées par des patients
de plus de 70 ans qui se plaignent de troubles de la
mémoire. Ailleurs, c’est la famille qui met en évidence des difficultés plus ou moins récentes qui sont
généralement niées par la personne âgée concernée. Il appartient alors au praticien de décrypter la
plainte et d’évaluer son retentissement sur la vie professionnelle, sociale et familiale. S’agit-il d’une simple
inattention ? Un effort de concentration permet alors
de retrouver l’information de manière plus
dossier fmc Les troubles de la mémoire
du sujet âgé
FMC
AIRELLE-JOUBERT/PHANIE
ÉLIMINER UNE AFFECTION SECONDAIRE
ACCESSIBLE À UN TRAITEMENT
L’évaluation des troubles mnésiques
commence par un entretien
VALIDATION
Scannographie
cérébrale montrant une
volumineuse tumeur.
« Il est recommandé d’effectuer un entretien avec
le patient et un accompagnant capable de donner
des informations fiables sur les antécédents
médicaux, personnels et familiaux, les traitements
antérieurs et actuels, l’histoire de la maladie, le
retentissement des troubles sur les activités quotidiennes de la vie du patient. »
pseudobulbaire, réflexes archaïques, signes
extrapyramidaux, troubles de la verticalité du
regard, troubles sphinctériens, troubles de la posture et de la marche...) doit faire évoquer un autre
diagnostic que celui de la maladie d’Alzheimer à
l’origine des troubles cognitifs. »
L’examen clinique permet aussi d’authentifier :
– une hydrocéphalie à pression normale qui associe
typiquement une détérioration mentale, une incontinence urinaire et des chutes itératives ;
– une maladie de Parkinson appréciée par le tonus
musculaire ;
– un hématome sous-dural qui est systématiquement
évoqué devant l’aggravation rapide d’un état de
démence après une chute ;
ALIX/PHANIE
ou moins différée. Ou alors s’agit-il d’une difficulté croissante et pénalisante à mémoriser de nouvelles informations de la vie courante ?
(Anaes 2000,
« Diagnostic de la maladie d ’Alzheimer »)
En effet, les deux causes les plus fréquentes de
difficultés mnésiques sont :
– la cause iatrogène qui doit être systématiquement
recherchée, particulièrement en cas de prise au long
cours, de benzodiazépines [voir «Troubles mnésiques
et médicaments », pages suivantes] ;
– le syndrome dépressif dont la plainte mnésique
peut être le seul signe d’appel, surtout chez la personne âgée.
Il est aussi impératif de rechercher une alcoolisation chronique, souvent retrouvée en cas de
troubles mnésiques.
– un accident vasculaire cérébral ou une lésion tumorale devant des signes neurologiques en foyers.
En cas de démence d’Alzheimer, l’examen clinique
neurologique est en revanche toujours normal.
L’examen clinique
L’apport des examens complémentaires
Systématique, il apprécie l’état général et cardiovasculaire. Le degré de vigilance, des déficits sensoriels, visuels, auditifs et moteurs peuvent perturber la réalisation des épreuves neuropsychologiques.
L’exploration clinique est complétée par des examens biologiques, toujours dans le but de rechercher une cause curable aux troubles observés et de
dépister une comorbidité.
> Une série d’examens biologiques est prescrite en première intention. On recommande donc
« L’examen neurologique reste longtemps normal
dans la maladie d’Alzheimer. L’existence de signes
neurologiques (signe de Babinski, syndrome
Distinguer les formes
cliniques de démence
Cette recherche étiologique est encore actuellement problématique. Il
existe des démences fronto-temporales à caractère familial, touchant le
sujet jeune, la démence de Loevy qui s’associe à un syndrome de Parkinson et à des hallucinations et dont la particularité est de s’aggraver
sous neuroleptiques et enfin des formes plus focalisées de démence pour
le moment non étiquetées. Les recherches sur les marqueurs devraient
ouvrir des pistes. Mêmes incertitudes à propos des démences d’origine
vasculaire dont on connaît encore très mal la physiopathologie.
« la prescription systématique d’un dosage de TSH,
d’un hémogramme, d’un ionogramme sanguin
(incluant la calcémie) et d’une glycémie. La sérologie syphilitique, la sérologie VIH, le dosage de
vitamine B12, le dosage des folates, le bilan
hépatique, la ponction lombaire seront prescrits
en fonction du contexte clinique ».
À partir de 50 ans, en particulier chez la femme,
il n’est pas rare de retrouver l’hypothyroïdie. Les
troubles ioniques (hyponatrémie, hypercalcémie...),
les carences en vitamine B12 et en folates sont aussi
à éliminer. Le bilan hépatique oriente vers un éthylisme chronique.
> Concernant les explorations complémentaires,
« une imagerie cérébrale systématique est recom-
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2
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FMC
test psychométrique
mini mental state examination (MMSE)
Coter chaque bonne réponse d’un point.
mandée pour toute démence d’installation récente.
Le but de cet examen est de ne pas méconnaître
l’existence d’une autre cause de démence. Cet
examen sera au mieux une imagerie par résonance
magnétique nucléaire, à défaut une tomodensi
tométrie cérébrale, en fonction de l’accessibilité
à ces techniques ».
Les techniques les plus récentes, telles que l’imagerie par émission monophotonique (SPECT), l’imagerie par émission de positrons (PET), l’EEG quantifié avec analyse spectrale ainsi que les potentiels
évoqués cognitifs, ne sont pas recommandées.
« L’EEG n’est recommandé qu’en fonction du
contexte clinique (crise comitiale, suspicion d’encéphalite). »
LES TROUBLES COGNITIFS DÉMENTIELS
Il existe différents niveaux d’atteinte de la fonction
mnésique.
> La diminution des capacités liées aux phénomènes
physiologiques du vieillissement cérébral.
> Le MCI (Mild Cognitive Impairment) : la plainte
mnésique du patient ou de son entourage est associée à une fonction cognitive normale, une préservation des activités quotidiennes. Ce déficit mnésique
est en rapport avec l’âge et le niveau culturel du patient. Si, à ce stade, il n’est pas question de démence,
on sait qu’il s’agit d’un cadre d’attente, à partir duquel émergeront 15 % de démences d’Alzheimer.
Tout l’intérêt de situer un patient en MCI réside alors
dans le dépistage et le traitement précoce de ce type
de dégénérescence. Les autres patients souffrent
d’un émoussement de leur fonction cognitive, qui
reste normal compte tenu de leur âge. Ce phénomène est souvent aggravé par l’isolement, l’absence
de stimulation intellectuelle et affective, la perte
de l’estime de soi, autant d’éléments favorables à
l’installation d’un syndrome dépressif, responsable
ou aggravant.
> L’affection dégénérative cérébrale avérée constituant une démence.
Dans ce dernier groupe, on se gardera de tout diagnostique hâtif.
Les outils psychométriques
Même si l’expertise neuropsychique d’un patient suspect de démence peut exiger une journée entière au
sein d’une structure adaptée (neurologie, psychiatrie,
gériatrie), il est possible d’établir une première évaluation en consultation de médecine générale.
> Parmi les tests psychométriques recommandés
par l’Anaes, les deux principaux peuvent être utilisés rapidement.
« Le retentissement des troubles cognitifs sur les
activités de la vie quotidienne [...] peut être
1/ Orientation
Je vais vous poser quelques questions pour apprécier comment fonctionne
votre mémoire. Les unes sont très simples, les autres un peu moins. Vous devrez
répondre du mieux que vous pouvez. Quelle est la date complète d'aujourd'hui ?
Si la réponse est incorrecte ou incomplète, posez les questions restées sans réponse
dans l'ordre suivant :
❒ En quelle année sommes-nous ?
❒ En quelle saison ?
❒ En quel mois ?
❒ Quel jour du mois ?
❒ Quel jour de la semaine ?
Je vais vous poser maintenant quelques questions sur l'endroit où nous nous trouvons.
❒ Quel est le nom de l'hôpital où nous sommes ?
❒ Dans quelle ville se trouve-t-il ?
❒ Quel est le nom du département dans lequel est située cette ville ?
❒ Dans quelle province est situé ce département ?
❒ À quel étage sommes-nous ici ?
2/ Apprentissage
Je vais vous dire trois mots ; je voudrais que vous me les répétiez et que vous essayiez
de les retenir car je vous les redemanderai tout à l'heure.
❒ Cigare
❒ Fleur
❒ Porte
Répétez les trois mots.
3/ Attention et calcul
Voulez-vous compter à partir de 100 en retirant 7 à chaque fois ?
❒ 93
❒ 86
❒ 79
❒ 72
❒ 65
Pour tous les sujets, même ceux qui ont obtenu le maximum de points demandés,
voulez-vous épeler le mot MONDE à l'envers : EDNOM.
Le score correspond au nombre de lettres dans la bonne position.
(Ce chiffre ne doit pas figurer dans le score global.)
4/ Rappel
Pouvez-vous me dire quels étaient les trois mots que je vous ai demandé de répéter
et de retenir tout à l'heure ?
❒ Cigare
❒ Fleur
❒ Porte
5/ Langage
❒ Montrer un crayon. Quel est le nom de cet objet ?
❒ Montrer votre montre. Quel est le nom de cet objet ?
❒ Écoutez bien et répétez après moi : « Pas de mais, de si ni de et ».
❒ Posez une feuille de papier sur le bureau, la montrer au sujet en lui disant :
Écoutez bien et faites ce que je vais vous dire. Prenez cette feuille de papier
avec la main droite, pliez-la en deux et jetez-la par terre.
❒ Tendre au sujet une feuille de papier sur laquelle est écrit en gros caractères :
« Fermez les yeux » et dire au sujet, « faites ce qui est écrit ».
❒ Tendre au sujet une feuille de papier et un stylo, en disant : « Voulez-vous m’écrire
une phrase, ce que vous voulez, mais une phrase entière ». Cette phrase doit être
écrite spontanément. Elle doit contenir un sujet, un verbe et avoir un sens.
6/ Praxies constructives
❒ Tendre au sujet une feuille de papier et lui demander : « Voulez-vous recopier
ce dessin ? »
❒
Score total (o à 30). Normal : il doit être supérieur à 24.
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dossier fmc Les troubles de la mémoire
du sujet âgé
FMC
évalué à l’aide de l’échelle des activités instrumentales de la vie quotidienne (IADL, Instrumental Activities of Daily Living). L’échelle simplifiée comportant les quatre items les plus sensibles
(utilisation du téléphone, utilisation des transports, prise des médicaments, gestion des finances)
peut être utilisée. La nécessité d’une aide du fait
des troubles cognitifs à au moins un de ces items
constitue un retentissement significatif de ces
troubles sur l’activité quotidienne du patient. »
« Il est recommandé d’effectuer l’évaluation des
fonctions cognitives de manière standardisée à
l’aide du MMSE (Mini Mental Status Examination)
dans sa version consensuelle. Le MMSE ne peut
en aucun cas être utilisé comme seul test diagnostique d’une maladie d’Alzheimer. L’âge, le niveau
socioculturel, ainsi que l’état affectif (anxiété,
dépression) et le niveau de vigilance du patient
doivent être pris en considération dans l’interprétation des résultats. »
Il existe d’autres tests de réalisation également
simple, en particulier l’épreuve des cinq mots.
> En cas de troubles de la fonction cognitive, ces
tests sont perturbés de manière homogène. Selon
les critères du DSM-IV, une démence associe
troubles mnésiques, troubles cognitifs et retentissement social.
La prise en charge d’une démence
Le diagnostic précoce de la maladie d’Alzheimer
permet de stabiliser de 15 à 20 % des patients
sur sept ans. Entre le diagnostic et le décès, quelle
qu’en soit la cause, il s’écoule en moyenne huit à
dix ans.
tests psychométriques
Échelle d’activités instrumentales de la vie courante (IADL)*
Épreuve des cinq mots*
Entourer la réponse qui correspond le mieux aux capacités du sujet
(cotation – une seule réponse par item).
L’épreuve se compose :
❒ D’une tâche principale (c’est l’épreuve des cinq mots)
❒ D’une tâche interférente (épreuve d’attention) qui permet
un rappel différé
Cette épreuve permet de mesurer des capacités d'apprentissage
verbal et fournit un score de rappel total (RT) qui est la somme des
rappels libres et indicés, tant immédiats que différés.
1/ Capacités à utiliser le téléphone
0. Je me sers du téléphone de ma propre initiative,
cherche et compose les numéros, etc.
1. Je compose un petit nombre de numéros bien connus
1. Je réponds au téléphone, mais n'appelle pas
1. Je suis incapable d'utiliser le téléphone
2/ Capacité à utiliser les moyens de transport
0. Je peux voyager seul(e) et de facon indépendante (par les transports en commun ou avec ma propre voiture)
1. Je peux me déplacer seul(e) en taxi, pas en autobus
1. Je peux prendre les transports en commun si je suis
accompagné(e)
1. Transports limités au taxi ou à la voiture, en étant accompagné(e)
1. Je ne me déplace pas du tout
3/ Responsabilité pour la prise des médicaments
0. Je m'occupe de la prise moi-même : dosage et horaires
1. Je peux les prendre de moi-même, s'ils sont préparés et dosés
à l'avance
1. Je suis incapable de les prendre de moi-même
4/ Capacité à gérer son budget
0. Je suis totalement autonome (gérer le budget, faire des chèques,
payer des factures…)
1. Je me débrouille pour les dépenses au jour le jour, mais j’ai besoin
d’aide pour gérer mon budget à long terme (planifier les grosses
dépenses)
1. Je suis incapable de gérer l'argent nécessaire à payer mes
dépenses au jour le jour
❒
❒
44
Score aux 4 IADL = somme item teléphone + transport +
médicaments + budget
Score total (o à 4)
* O. Crémieux, Gériatries 2000, n°18, pp. 25-28.
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UNE VARIANTE ALLÉGÉE DU TEST DE GROBER ET BUSCHKE
Rappel immédiat
❒ Montrer une liste de cinq mots : Mimosa • Abricot • Éléphant •
Chemisette • Accordéon
« Je vais vous demander de lire ces cinq mots à voix haute
et d'essayer de les retenir car je vous les redemanderais
tout à l’heure. » Une fois la liste lue, dire au sujet : « Pouvez-vous
tout en regardant la feuille, me dire quel est le nom : de fruit,
de fleur, d'animal, de vêtement et d'instrument de musique ? »
❒ Retourner alors la feuille et demander au patient : « Pouvez-vous
me dire les mots que vous venez de lire sur la feuille ? »
Rappel libre = /5
❒ Pour les mots non rappelés, et seulement pour ceux-ci,
demander : « Quel était le nom de… : fleur ou fruit ou animal
ou vêtement ou instrument de musique ? »
Rappel indicé, Rappel immédiat (libre + indicé) = /5
Épreuve attentionnelle interférente
❒ Pouvez-vous compter à l'envers de 100 à 80 ?
Rappel différé
❒ Demander au patient : « Pouvez-vous me redire maintenant
les cinq mots que vous avez lus tout à l'heure ? »
Rappel libre = /5
❒ Pour les mots non rappelés, et seulement pour ceux-ci,
demander : « Quel était le nom de… : fleur ou fruit ou animal
ou vêtement ou instrument de musique ? »
Rappel indicé =, Rappel différé (libre + indicé) = /5
❒
Rappel Total /10 = rappel immédiat (libre + indicé)
+ rappel différé (libre + indicé)
Le score total doit être normalement égal ou supérieur à 8
*O. Crémieux, Gériatries 2000, n°18, pp. 25-28.
FMC
> Qu’il s’agisse d’une maladie d’Alzheimer avérée
ou de toute autre démence apparentée, la prise en
charge est pluridisciplinaire. Dans un premier
temps, les équipes spécialisées (consultation
« mémoire », neurologue, psychogériatre) peuvent
être amenées à fixer un cadre thérapeutique, mais
le patient ne doit pas rester en milieu hospitalier,
même si c’est malheureusement la seule solution
qui s’offre à certaines familles. Au contraire, il faut
développer les prises en charge à domicile, qui
même si elles semblent lourdes, ont le mérite de soigner la malade dans sa globalité. Ainsi, aucun intervenant ne sera négligé : famille, associations de
malades, infirmières, aides-soignantes, auxiliaires
de vie, ergothérapeutes, orthophonistes... Il faut
redynamiser l’existence de la personne âgée en la
stimulant, en l’impliquant dans des actions valorisantes, en favorisant la socialisation, le travail de
groupe sur la mémoire. Des mesures doivent être
prises rapidement pour favoriser toutes ces
démarches, tellement l’enjeu de santé publique est
important. La maladie d’Alzheimer touche actuellement 400 000 personnes en France. Avec 100 000
nouveaux cas par an, il faudra soigner, dans plus de
cinq ans, 700 000 à 800 000 malades dépendants.
> La classe pharmacologique des anticholinestérasiques constitue actuellement la seule possibilité de
traitement des formes débutantes de la maladie
La piste génomique
La maladie d’Alzheimer est liée au dysfonctionnement, au niveau neuronal,
d’une protéine transmembranaire dont le gène appartient au chromosome 21
qui a subi un mauvais clivage. Les lésions cérébrales situées sur le lobe temporal interne, telles qu’elles sont observées lors de la maladie, ressemblent
d’ailleurs à celles observées dans la trisomie 21. Les chromosomes 1 et 19 sont
également impliqués dans la maladie, en intervenant dans la structure architecturale du neurone par le biais de la protéine tau. Des protocoles de
recherche sont en cours pour identifier des marqueurs biologiques dans le sang
ou dans le LCR (protéine tau, protéine bêta-A4, apolipoprotéine E...) et certains génotypes qui seraient associés à un risque trente fois plus élevé de
développer la maladie. Mais, « dans l’état actuel des connaissances, l’Anaes
ne recommande pas la réalisation d’un génotypage de l’apolipoprotéine E
comme test diagnostique complémentaire de la maladie d’Alzheimer ».
d’Alzheimer, soit à peine 15 % des cas. Les spécialités actuellement commercialisées sont la rivastigmine, la galantamine et le donepezil. Les effets secondaires, essentiellement des troubles digestifs,
sont transitoires et s’observent surtout en début de
traitement. Aucune surveillance biologique n’est nécessaire. Ces traitement très coûteux sont pris en
charge au titre des ALD30. De nouvelles classes thérapeutiques, interférant avec les récepteurs glutamatergiques, sont en cours d’élaboration et devraient être indiquées dans les formes modérées de
la maladie.
Troubles mnésiques
et médicaments
Les benzodiazépines et les médicaments anticholinergiques
constituent les deux groupes pharmacologiques les plus souvent impliqués
dans l’apparition ou l’aggravation des troubles de la mémoire.
es effets des médicaments sur la fonction mnésique sont complexes, mais il est possible
d’identifier deux grands mécanismes d’action :
– l’interaction entre le système Gaba et la fonction
glutamatergique ;
– le blocage du circuit de Papez par des substances
anticholinergiques. On peut ainsi provoquer une
amnésie complète par injection d’atropine et, à l’inverse, augmenter les fonctions mnésiques grâce à
des inhibiteurs de la cholinestérase, comme c’est
le cas avec les médicaments utilisés dans la maladie d’Alzheimer.
L
MÉMOIRE ET ANTICHOLINERGIQUES
>La liste des médicaments contenant des substances anticholinergiques est impressionnante,
mais aux doses où ils sont utilisés, les effets délétères sur la mémoire sont relativement rares.
Cependant, sur certains terrains prédisposés, il faut
se méfier des médicaments administrés au long
cours tels les antidépresseurs tricycliques, certains
antispasmodiques, antiallergiques ou traitements
de l’instabilité vésicale.
> L’anesthésie générale peut induire également
des troubles mnésiques. Cet effet est là aussi
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dossier fmc Les troubles de la mémoire
du sujet âgé
FMC
Gare aux psychostimulants !
Des tentatives pour mettre au point des médicaments de l’éveil chez
la personne âgée ont montré également leurs limites. Des substances
psychostimulantes telles que la caféine, les amphétamines, les stimulants des récepteurs alpha-1-adrénergiques post-synaptiques (adrafinil) et les agonistes inverses des récepteurs aux benzodiazépines
peuvent provoquer, chez certaines personnes, une augmentation de
l’anxiété, voire des idées paranoïdes lorsque cette stimulation est
excessive. Leur utilisation doit être contrôlée et limitée dans le temps,
exception faite des antidépresseurs inhibiteurs de la recapture de la
sérotonine, qui associent une anxiolyse à un effet psychostimulant
sans atteinte de la fonction mnésique.
imputable à une ou plusieurs substances :
dérivés anticholinergiques (utilisés dans la chirurgie du petit bassin), benzodiazépines (utilisées à
dose hypnotique), substances pro-Gaba ou antiglutamate (la kétamine par exemple).
MÉMOIRE ET BENZODIAZÉPINES
> Les benzodiazépines sont très souvent impliquées
dans l’installation de troubles mnésiques, particulièrement avec les produits à demi-vie courte, dont
le pic sérique, atteint rapidement, est responsable
du passage de quantités importantes de produit à
travers la barrière hémato-encéphalique. Pour cette
raison, il faut choisir chez les personnes à risque
Troubles mnésiques
et dépression
des benzodiazépines à demi-vie longue dont les pics
sériques sont atteints moins brutalement.
> L’autre intérêt des benzodiazépines à demi-vie
longue est de faciliter une tentative de sevrage. En
effet, lorsqu’on espace les doses, le patient n’établit pas forcément le rapport entre la dernière prise
du médicament et le syndrome de sevrage qui peut
apparaître de nombreuses heures après. Ce sevrage reste néanmoins difficile et peut justifier une
hospitalisation.
> Les séquelles sur la fonction cognitive liées à
l’utilisation prolongée de benzodiazépines sont très
peu probables. Elles doivent faire rechercher une
pathologie sous-jacente, une démence notamment.
> De manière paradoxale, des voies ont été explorées dans la stimulation de la mémorisation grâce
à de très petites doses de benzodiazépines. On a
ainsi pu augmenter les fonctions mnésiques chez
des volontaires sains avec des doses de lorazépam
(0,25 mg, deux fois par jour) ou d’alprazolam
(0,125 mg, deux fois par jour), par le biais d’un effet
agoniste inverse partiel. Mais l’index thérapeutique
de ces substances, qui est étroit, ainsi que les
variations interindividuelles importantes n’ont pas
permis d’entériner ce protocole. Et il faut également tenir compte du fait que l’anxiété aggrave les
troubles mnésiques par le biais d’une inhibition
cognitive et que, dans certains cas, elle justifie un
traitement anxiolytique.
Les troubles de la mémoire
font partie intégrante
de nombreux syndromes
dépressifs, mais
chez la personne âgée,
ils peuvent constituer
le seul signe d’appel.
UNE SÉMIOLOGIE ATYPIQUE CHEZ LE SUJET ÂGÉ
RAGUET/PHANIE
Avec l’âge, les algies somatiques ou les troubles cognitifs portant sur la mémorisation, l’attention ou
la coordination d’actions successives peuvent se
trouver, en effet, au premier plan d’une dépression.
La plainte affective passera au second plan et s’exprimera éventuellement plus tard.
> Le trouble mnésique peut être prépondérant au
point de devenir un élément de surveillance de l’efficacité des thérapies engagées. Cette spécificité est
moins marquée chez l’adulte plus jeune qui exprime
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numéro 223 8 vendredi 2 8 février 2 0 03
FMC
BURGER/PHANIE
sa souffrance davantage dans le registre affectif. Et
chez l’enfant et l’adolescent, la dépression est très
souvent exprimée par des désordres comportementaux, des passages à l’acte associés à un désinvestissement de la scolarité.
> Chez la personne âgée, la difficulté pour trouver
l’origine des troubles mnésiques est liée à la comorbidité importante et à une plus grande fréquence du syndrome dépressif. On peut, par
exemple, être confronté à la fois à une pathologie
cérébro-vasculaire et à une psychose peu active et
jusque-là compensée. Certains troubles de la personnalité de type obsessionnel peuvent se réveiller
tardivement, par un phénomène d’épuisement psychique lié à l’importance des rituels de vérification.
Dans ce contexte, des troubles cognitifs complexes
apparaissent, au premier rang desquels peuvent se
trouver les troubles mnésiques.
> Il faut également rappeler l’effet néfaste sur la mémoire des antidépresseurs tricycliques (clomipramine, amitriptyline, trimipramine) et des neuroleptiques classiques (halopéridol, chlorpromazine,
cyamémazine), contrairement aux nouveaux antipsychotiques (olanzapine, rispéridone) qui semblent
avoir moins d’effets secondaires mais qui doivent
être réservés à des indications précises.
dépression et insomnie : faut-il donner des somnifères ? La réponse est globalement négative, même
si la demande est souvent pressante. IL n’y a pas forcément de rapport entre la quantité de sommeil et
les troubles mnésiques, ni même dans certains cas
entre dépression et troubles du sommeil. Avec l’âge,
le sommeil se désorganise et se réduit en durée.
Ainsi, un petit dormeur peut, en fin d’existence, ne
dormir que quatre à cinq heures par nuit, avec
comme conséquence des réveils précoces qui n’ont
pas de valeur pathologique. La prescription de somnifères doit donc être prudente, limitée dans le
temps, d’autant que certains d’entre eux aggravent
les troubles cognitifs.
Ce qu’il faut retenir
> Pour le médecin généraliste, le bilan de troubles
mnésiques doit comporter la recherche de causes
organiques, psychiques et iatrogènes qui offrent
des ressources thérapeutiques spécifiques.
> Le diagnostic précoce de la maladie d’Alzheimer
permet de stabiliser de 15 à 20 % des patients
sur sept ans. Entre le diagnostic et le décès,
quelle qu’en soit la cause, il s’écoule en moyenne
huit à dix ans.
> La prise en charge des troubles de la mémoire
en médecine ambulatoire, à quelque stade que
ce soit, représente un investissement
pluridisciplinaire important qui doit être pris
en compte dans la revalorisation de certains actes.
L’INTÉRÊT D’UN TRAITEMENT D’ÉPREUVE
Les troubles mnésiques de la personne âgée peuvent
bien sûr être en rapport avec une maladie d’Alzheimer débutante. Mais dans la mesure où la plainte
mnésique est autant présente dans un syndrome
dépressif que dans une maladie d’Alzheimer, il peut
alors être judicieux de proposer un traitement antidépresseur d’épreuve. On privilégie dans ce cas
les antidépresseurs sérotoninergiques et anxiolytiques, dénués le plus possible d’effets secondaires
sur la mémoire. En cas de succès, ces patients restent à surveiller, en raison du risque accru de récidives, lesquelles peuvent alors constituer un mode
d’entrée dans la maladie d’Alzheimer. En cas
d’échec, il faut envisager des épreuves psychométriques portant sur la mémoire.
> Quid des somnifères ? Troubles de la mémoire,
Bibliographie
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de la maladie d’Alzheimer », Anaes, 2000.
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En savoir plus
Association France-Alzheimer : 01.42.61.56.21.
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