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Société Française de Psychiatrie de
l'Enfant et de l'Adolescent et
Disciplines Associées (SFPEADA)
Association des Psychiatres de
secteur Infanto-juvénile (API)
DIRECTION
DE LA PROTECTION JUDICIAIRE DE LA JEUNESSE
SOUS-DIRECTION
DES MISSIONS DE PROTECTION JUDICIAIRE
ET D’ÉDUCATION
BUREAU K1
DE LA LEGISLATION ET DES AFFAIRES JURIDIQUES
POLE RECHERCHE
La consultation en urgence psychiatrique des adolescents
pris en charge par l’ASE et la PJJ
Qui sont-ils ? Quels sont leurs parcours ?
Dr Aurélien Chatagner1, Luc-Henry Choquet2, Dr Jean Philippe Raynaud3
Septembre 2012
1
Psychiatre, Centre hospitalier Bourran, Rodez
Responsable du Pôle Recherche, DPJJ
3
Professeur de psychiatrie de l'adolescence et de l'enfance, CHU Toulouse - Hôpital La Grave
2
1
Revue de littérature
Une revue de littérature récente (1)4 a mis en évidence les caractéristiques cliniques et sociodémographiques des adolescents venant consulter en urgence.
L’accueil d’urgence en pédopsychiatrie a connu une augmentation importante ces dernières
décennies autant en France (2) qu’aux Etats-Unis (3–6). Cette augmentation est expliquée par
de nouveaux motifs de consultation tel que troubles des conduites, troubles du comportement
dus à abus de substances et troubles anxieux, avec une stabilisation des tentatives de suicide
et des épisodes psychotiques aigus (7,8).
Au niveau clinique les motifs principaux de consultation sont l’agitation et la violence suivis
de près par la tentative de suicide. Concernant les diagnostics, il s’agit de façon prédominante
de troubles de l’humeur ou de troubles des conduites ou oppositionnel (2,4,8–10).
Concernant l’environnement de ces adolescents il est intéressant de noter l’importance de
l’accompagnement par l’aide sociale à l’enfance (ASE : 22,7% à 43%) (4,9,11,12). La
présence de l’ASE nous semble un indicateur intéressant du parcours chaotique vécus par ces
adolescents, que confirme Healy et al. (11) avec l’importance des antécédents familiaux
psychiatriques (21%) et de la violence domestique (25%).
Enfin, concernant le suivi nécessaire qui s’instaure à partir de cette consultation en urgence, il
apparaît comme difficile vu les nombreux arrêts de prise en charge : ainsi seul 27% des
adolescents venus pour un motif autre que TS seront encore suivi à 3 mois (11). De plus ces
consultations en urgences se répètent en proportion importante : de 17,7% à plus d’un tiers
des adolescents, selon les études (11,13–15), reviendront consulter en urgence dans l’année
suivant la première consultation urgente. Ces résultats posent la question du soin possible à
partir de cette modalité de consultation.
Au vu de ces résultats nous avons souhaité, à travers une étude comparative, mieux connaître
ces adolescents consultant en urgence. L’idée est que cette modalité de prise en charge bien
que nécessaire paraît souvent limitée et ne permet pas toujours un accompagnement
thérapeutique indispensable. Ainsi réfléchir à ces adolescents c’est aussi réfléchir à nos
pratiques cliniques et peut-être les améliorer. Nous avons souhaité également nous pencher
tout particulièrement sur ceux qui, parmi eux, connaissent une prise en charge judiciaire
pénale au titre de l’enfance délinquante ou une prise en charge judiciaire civile ou
administrative au titre de l’enfance en danger. La présentation de ces derniers résultats est
l’objet du présent rapport.
Organisation de l’étude
Cette étude a été réalisée sous l’égide de :
• la Société Française de Psychiatrie de l’Enfant et de l’Adolescent et des Disciplines
Associées (SFPEADA), représentée par son Président, monsieur le Docteur Jacques
Constant (Chartres) ;
• l’Association des Psychiatres d’Intersecteurs (API), représentée par sa Présidente,
madame le Docteur Yvonne Coinçon (Grenoble).
4
Les numéros renvoient à la bibliographie en fin de volume.
Le recueil des données a été réalisé entre décembre 2010 et avril 2011 dans 10 centres
investigateurs :
• → 5 centres API :
o Sylvain Berdah, Aulnay
o Vincent Garcin, Lille (Armentières)
o Michel Goujon, Yves Guillermin, Marseille
o Nicole Steinberg, Erstein
o Roger Teboul, Ville-Evrard, Montreuil,
• → 5 centres SFPEADA :
o Bertrand Olliac, Jean-François Roche, Marie-Michèle Bourrat, Limoges
o Catherine Jousselme, Yohan Loisel, Jean Chambry, Gentilly
o Martine Myquel, Florence Askenazy Nice
o Vincent Berthou, Strasbourg
o Jean-Philippe Raynaud, Toulouse
avec la collaboration de François Sicot, Professeur en Sociologie de la santé, de la
déviance et des problèmes sociaux à Toulouse.
Méthodologie
Chaque centre devait inclure une cinquantaine d’adolescents répartis en deux groupes égaux,
cible et témoin :
- le premier groupe est défini par le critère d’inclusion principal : demande d’avis
psychiatrique en urgence auprès d’une équipe de service public pour un adolescent entre 11
et 18 ans.
- le second groupe est constitué par une population appariée pour l’âge d’adolescents
consultants dans les dispositifs « tout-venant » de ces mêmes services de psychiatrie infantojuvénile, mais sans demande urgente.
Cette étude descriptive avait deux objectifs principaux :
- examiner les différences entre les adolescents des deux groupes sur les différents plans du
diagnostic, du parcours familial, social, scolaire, judiciaire, des antécédents psychologiques
personnels et familiaux afin de vérifier l’idée selon laquelle ces adolescents venant dans
l’urgence ont des caractéristiques spécifiques propres (cliniques et socio-démographiques).
- examiner si les adolescents avec une prise en charge administrative (ASE) et/ou judiciaire
(PJJ) ont des spécificités cliniques et un accès aux soins particuliers (lieu de consultation
privilégié, hospitalisations nombreuses), s’il apparaît des spécificités quant à leurs
antécédents personnels et familiaux (violences, carences, pathologies parentales) 5. C’est ce
dernier examen qui fait l’objet de la présente note.
5
Il s’agit de mineurs dont la santé, la sécurité ou la moralité sont en danger ou risquent de l'être, ou dont les
conditions de l’éducation ou du développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement
compromises ou risquent de l'être.
3
Les résultats de ces deux examens étant censés permettre de mieux connaître ces adolescents
afin de mieux adapter les soins à organiser autour d’eux.
Le recueil de données était effectué à la suite de la consultation grâce à une grille intitulée
Parcours de vie et de soins des enfants et adolescents réalisée en collaboration par les
sociétés savantes de la SFPEADA et de l’API.
Traitements statistiques 6
Des comparaisons ont été réalisées en analyse bivariée avec des test de Chi2 ou de Fisher et le
test de Levenne ou le test-t ont été réalisés pour les variables quantitatives (ex : âge).
Une classification a été dressée en choisissant de garder 10 classes, un nombre relativement
important compte tenu du nombre d’individus, afin de présenter des résultats suffisamment
fins.
Aspects éthiques
L’étude a fait l’objet d’une déclaration à la CNIL. Elle ne modifie pas le protocole de
consultation et de soin habituel, mais complète et standardise le relevé de données
habituelles. Elle ne relève pas de la loi Huriet7, ni d’une déclaration à un CCPPRB8. Le
recueil de données a été anonyme.
Premiers résultats
Lorsque l’on compare les adolescents avec une prise en charge judiciaire civile ou pénale, ou
avec une prise en charge administrative, avec les autres, on ne relève pas de différence
concernant les caractéristiques générales, au niveau du sexe (sex-ratio proche de 1) ou au
niveau de l’âge (autour de 14 ans), mais au niveau de la demande de consultation qui, chez
les adolescents avec une prise en charge, a pour origine les professionnels beaucoup plus
fréquemment (80% contre 52%) et beaucoup moins l’un des deux parents (10% contre 40%).
Ces données sont détaillées dans le tableau 1.
Tableau 1 : origine de la demande
Origine de la demande
Adolescent avec prise en charge
judiciaire ou administrative
Adolescent sans prise en charge
judiciaire ou administrative
Un des deux parents
7 (10,4%)
105 (39,9%)
Un autre membre de la famille
1 (1,5%)
2 (0,8%)
Un professionnel
54 (80,6%)
137 (52,1%)
6
Les traitements ont été réalisés par le Dr Bertrand Olliac et EJE Ensae Etude, Junior-Entreprise de l'ENSAE
(Ecole Nationale de la Statistique et de l’Administration Economique)
7
Cf. Loi n° 94-630 du 25 juillet 1994 modifiant le livre II bis du code de la santé publique relatif à la protection
des personnes qui se prêtent à des recherches biomédicales. Loi dite loi Huriet.
8
Comité consultatif de protection des personnes dans la recherche biomédicale.
4
L’adolescent
4 (6,0%)
15 (5,7%)
Autre
1 (1,5%)
4 (1,5%)
Total
67 (100%)
263 (100%)
p = 0,000 (Chi2 de Pearson)
La différence se confirme dans les modalités de consultation puisque les jeunes avec une
prise en charge consultent de manière privilégiée au sein de structures d’urgence (35,8%
contre 22,1%, tableau 17) ou dans une structure pédiatrique en général (61,2% contre 37,3%)
et moins dans le circuit classique de soin psychique, c’est à dire dans un centre médicopsychologique (CMP) (31% contre 56%). Ainsi ils se tiennent davantage à l’écart des
dispositifs spécifiques de santé mentale (tableau 2 et 3).
Tableau 2 : modalités de la rencontre
Modalités de la rencontre
Adolescent avec prise en charge
judiciaire ou administrativet
Adolescent sans prise en charge
judiciaire ou administrative
Consultation sur un dispositif
classique de secteur
21 (31,3%)
148 (56,3%)
Service d’urgence médicochirurgicales générales
22 (32,8%)
46 (17,5%)
Dispositif d’urgences
psychiatriques
2 (3,0%)
12 (4,6%)
Pédiatrie (consultation en
psychiatrie de liaison)
19 (28,4%)
52 (19,8%)
Autre lieu
3 (4,5%)
5 (1,9%)
Total
67 (100%)
263 (100%)
p = 0,003 (Chi2 de Pearson)
Tableau 3 : lieu de la consultation
Lieu de la consultation
Adolescent avec prise en charge
judiciaire ou administrative
Adolescent sans prise en charge
judiciaire ou administrative
Lieu d’urgence
24 (35,8%)
58 (22,1%)
Dispositif classique
43 (64,2%)
205 (77,9%)
Total
67 (100%)
263 (100%)
p = 0,026 (test exact de Fisher)
Les adolescents pris en charge sont également beaucoup moins accompagnés lors de
la consultation (61,2% contre 90,8%). Ces données sont décrites dans le tableau 4.
Tableau 4 : accompagnement de l’adolescent lors de la rencontre
Accompagnement de l’adolescent
lors de la consultation
Adolescent avec prise en charge
judiciaire ou administrativet
Adolescent sans prise en charge
judiciaire ou administrative
5
Oui
41 (61,2%)
238 (90,8%)
Non
26 (38,8%)
24 (9,2%)
Total
67 (100%)
262 (100%)
p = 0,000 (test exact de Fisher)
Caractéristiques cliniques
Toutes structures et mineurs confondus, la consultation est fréquemment demandée dans
l’urgence (64%) mais plus fréquemment pour les adolescents pris en charge (75,8% contre
61,2%). Ces données sont détaillées dans le tableau 5.
Tableau 5 : la consultation est-elle demandée en urgence ?
La consultation est-elle
demandée en urgence ?
Adolescent avec prise en charge
judiciaire ou administrativet
Adolescent sans prise en charge
judiciaire ou administrative
Oui
50 (75,8%)
159 (61,2%)
Non
16 (24,2%)
101 (38,8%)
Total
66 (100%)
260 (100%)
p = 0,031 (test exact de Fisher)
Ces adolescents pris en charge sont nettement plus victimes de maltraitance. 47% attestent
d’une maltraitance contre 9% et, seulement, 22,7% d’entre n’ont pas été maltraité contre
68,5% pour les adolescents sans prise en charge (tableau 6).
Tableau 6 : existence de mauvais traitements et/ou négligences graves
Existence de mauvais traitements
et/ou négligences graves
Adolescent avec prise en charge
judiciaire ou administrativet
Adolescent sans prise en charge
judiciaire ou administrative
Non
15 (22,7%)
176 (68,5%)
Sévices et violences physiques
19 (28,8%)
14 (5,4%)
Négligences graves
4 (6,1%)
4 (1,6%)
Abus sexuels
8 (12,1%)
6 (2,3%)
Ne sait pas (sans information)
17 (25,8%)
49 (19,1%)
Autre
3 (4,5%)
8 (3,1%)
66 (100%)
257 (100%)
Total
p = 0,000 (Chi
2
de Pearson)
Les antécédents familiaux de troubles psychologiques sont presque deux fois plus importants
chez les adolescents pris en charge (76,2% contre 41,5%). Ces données sont détaillées dans le
tableau 7.
6
Tableau 7 : troubles mentaux ou perturbations psychologiques avérées dans la famille
troubles mentaux ou perturbations
psychologiques avérées dans la
famille
Adolescent avec prise en charge
judiciaire ou administrativet
Adolescent sans prise en charge
judiciaire ou administrative
Oui
48 (76,2%)
107 (41,5%)
Non
15 (23,8%)
151 (58,5%)
Total
63 (100%)
258 (100%)
p =0,000 (test exact de Fisher)
La gravité médico-psychologique des adolescents pris en charge est légèrement supérieure et
moins variable. La difficulté ressentie par le soignant est l’item où il existe le plus de
différence (0,86 soit 12% de l’échelle) entre les deux groupes (0,86 soit 12% de l’échelle)
Ces données sont détaillées dans le tableau 8.
Tableau 8 :
Adolescent avec prise en charge
judiciaire ou administrativet
Adolescent sans prise en charge
judiciaire ou administrative
Moyenne
Ecart-type
Moyenne
Ecart-type
p
Dans quel délai a-t-il été pris en
charge (jours)
4,53
8,37
11,47
25,72
0,037 (*)
Gravité de l’état médicopsychologique du mineur 1 (pas
grave) à 7 (très grave)
4,03
1,18
3,80
1,40
0,230 (*)
Difficulté de la consultation pour
le clinicien de 1 (très facile) à 7
(très difficile)
3,22
1,78
2,36
1,34
0,000 (*)
Difficulté de la consultation pour
l’adolescent de 1 (très facile) à 7
(très difficile)
3,84
1,79
3,44
1,58
0,066 (**)
Sentiment d’avoir obtenu des
informations fiables de 1
(insuffisamment) à 7 (beaucoup)
3,75
1,61
4,66
1,63
0,797 (**)
(*) : test-t pour égalité des moyennes
(**) : test de Levenne sur l’égalité des variances
Au niveau des diagnostics la répartition est uniforme pour les premiers troubles recensés
(psychose précoce, schizophrénie, trouble délirant, psychotique aigu et transitoire), 8% contre
9%, et les troubles thymiques 9,2% contre 11,2%.
La répartition est hétérogène pour le reste : on relève une surreprésentation chez les
adolescents pris en charge des pathologies limites (21,5% contre 6%), ainsi que des troubles
des conduites (27,7% contre 18,3%). Par contre il existe beaucoup moins de troubles
névrotiques (6% contre 22%). Ces données sont décrites dans le tableau 9.
7
Tableau 9 : diagnostic principal ou hypothèse diagnostique principale CFTMEA/CIM 10
Diagnostic principal ou hypothèse
diagnostique principale CFTMEA/CIM 10
Adolescent avec prise en charge
judiciaire ou administrativet
Adolescent sans prise en charge
judiciaire ou administrative
Psychose précoce (trouble envahissant du
développement, y compris autisme et
dysharmonie psychotique)
3 (4,6%)
13 (5,2%)
0 (0,0%)
2 (0,8%)
Trouble délirant non schizophrénique /
trouble délirant persistant
1 (1,5%)
4 (1,6%)
Trouble psychotique aigu / trouble
psychotique transitoire
1 (1,5%)
4 (1,6%)
6 (9,2%)
28 (11,2%)
4 (6,2%)
55 (21,9%)
5 (7,7%)
15 (6,0%)
Pathologie limite, trouble de la
personnalité y compris dysharmonies
évolutives non psychotiques / trouble de la
personnalité
14 (21,5%)
15 (6,0%)
Troubles réactionnels / troubles de
l’adaptation
11 (16,9%)
53 (21,1%)
Déficience mentale (arriération, débilité
mentale, démence)
2 (3,1%)
1 (0,4%)
Troubles spécifiques du développement et
des fonctions instrumentales
0 (0,0%)
5 (2,0%)
18 (27,7%)
46 (18,3%)
0 (0,0%)
10 (4,0%)
65 (100%)
251 (100%)
Schizophrénie / trouble schizotypique
Trouble thymique / trouble de l’humeur
Troubles névrotiques et/ou anxieux y
compris troubles névrotiques avec
prédominance des inhibitions
Caractère névrotique
Troubles des conduites et des
comportements y compris troubles
hyperkinétiques, TCA / troubles du
comportement et troubles émotionnels
Troubles à expression somatique / troubles
somatoformes
Total
p = 0,001 (Chi2 de Pearson)
8
Les profils
L’échantillon est passé de 350 à 280 individus, après un retraitement de l’échantillon
supprimant les individus pour lesquelles des variables décisives étaient sans réponse. Puis de
nouvelles variables on été élaborées, plus lisibles en matière de motifs, de diagnostic, de
suite, de demande, de recommandation, d'accompagnement, de lieu de consultation,
d'urgence, de diagnostic, de suite, d’antécédents psychiatriques ou de mauvais traitement et
carences.
Puis a été dressé un arbre de classification permettant à la fois de conserver toutes les
variables et de mettre en avant des similitudes fortes entre des individus. L’arbre est à 10
classes à partir desquelles on observe les caractéristiques distinctives des individus de chaque
classe.
9
En coupant à hauteur du trait rouge, on obtient 15 classes. Avec ce niveau on coupe
théoriquement à un bon niveau, puisque toutes les branches coupées sont longues. On obtient
un nombre de classes rapporté au nombre d’individus trop élevé, et un certain nombre de
classes auraient été très petites. En coupant à hauteur du trait vert (9 classes), on a une bonne
qualité de classification mais la classe du haut de l’arbre regroupe un nombre de jeunes trop
élevé. C’est pourquoi la coupe est à 10 classes (bleu).
10
N° Classe
Total
Pris en charge
Judiciaire
Administrative
au civil
au pénal
1
54
3
1
0
2
2
68
16
5
4
7
3
37
7
3
1
3
4
8
0
0
0
0
5
18
5
5
0
0
6
16
3
1
0
2
7
13
2
1
0
1
8
32
14
9
0
5
9
9
2
2
0
0
10
2
2
2
0
0
Total
257
54
29
5
20
La classe 2
La classe 8
La classe 3
La classe 5
La classe 1
La classe 6
La classe 7
La classe 9
La classe 10
11
La classe 1 regroupe peu d’adolescent avec une prise en charge judiciaire et/ou administratif
(3/54) parmi lesquels 1 des mineurs de l’échantillon est pris en charge au civil et 2 sur le plan
administratif. Cette classe 1 est constitué d’abord d’adolescents avec un trouble névrotique,
diagnostic en général rare chez les adolescents avec une prise en charge judiciaire et/ou
administratif chez qui les motifs d’anxiété ou familiaux sont au premier plan. La consultation
se fait en urgence pour 2/3 de ces jeunes.
La classe 2, modale, regroupe le plus grand nombre d’adolescent avec une prise en charge
judiciaire et/ou administratif (16/68), parmi lesquels 4 sur les 5 mineurs de l’échantillon pris
en charge au pénal, à l’issue d’une mise en cause par les services de police ou de gendarmerie
et d’un passage au tribunal, 5 au civil et 7 sur le plan administratif. Le diagnostic
prédominant pour ces jeunes est le trouble des conduites (2/3 d’entre eux), et le motif premier
est celui de la violence (2/3) suivi par une tentative de suicide pour 1/3. Ces consultations se
font dans la quasi totalité des cas en urgence. Ces adolescents semblent mettre en difficulté
leur environnement par les actes qu’ils posent soit sur eux (TS) indiquant l’urgence, mais
aussi sur les autres (violence) avec un diagnostic de trouble des conduites qui les met à la
marge de la psychiatrie et pour qui les suivis doivent se faire dans le temps sans
médicalisation obligatoire. Pourtant, force est de constater que ces adolescents sont presque
systématiquement vus en urgence, sans doute au moment même où l’environnement éducatif
ou parental lâche. La consultation en urgence aura souvent un rôle de tiers apaisant une
situation complexe et définissant également le suivi indiqué auprès du partenaire. Tout laisse
à penser qu’une démarche inter-institutionnelle en amont serait plus indiqué et plus à même
de garantir un soin adapté à la psychopathologie de ces jeunes.
La classe 3 regroupe 7/37 adolescents avec une 1 pris en charge judiciaire au pénal pour 3 au
civil et également 3 avec une prise en charge administrative, qui consultent quasiment tous en
urgence (6/7). Ils sont venus essentiellement pour un trouble dépressif (5/7) avec une TS pour
4/7. Ceci nous rappelle l’importance des troubles internalisés (troubles dépressifs et anxieux)
chez ces adolescents, qui sont souvent masqués par des comportements externalisés plus
visibles. Le risque suicidaire ne doit pas être oublié de même que le trouble de l’humeur, il
peut permettre d’ailleurs à l’adolescent d’être en lien avec ses affects même douloureux et
ainsi pouvoir les exprimer laissant la place à une rencontre avec un soignant.
La classe 4 ne comporte aucun adolescent avec une prise en charge judiciaire et/ou
administratif
La classe 5 regroupe 5 adolescents avec une prise en charge judiciaire au civil sur 18 au total,
dont 3 ont moins de 15 ans, dont 4 sont des filles, qui consultent plutôt en urgence (3/5). Les
motifs prédominants sont le caractère névrotique, des abus sexuels, des difficultés avec les
parents.
12
La classe 6 regroupe 3/16 adolescentes avec 1 pris en charge judiciaire au civil et 2 pris en
charge sur le plan administratif. Ce sont des filles qui viennent en urgence pour une
alcoolisation aigue. Le passage à l’acte est bien souvent au centre des problématiques de ces
jeunes en difficulté avec la pensée et les mots, et cet agir prend de nombreuses formes. Il
convient d’être vigilant à ces formes de passage à l’acte qui peuvent bien souvent être
banalisée.
La classe 7, qui regroupe 2/13 adolescents avec 1 prise en charge judiciaire au civil et 1 prise
en charge sur le plan administratif. Ils sont âgés de moins de 15 ans et le diagnostic de
psychose précoce les rapproche du point de vue pédopsychiatrique de la classe 9 (cf infra).
Ces jeunes nécessitent des prises en charge psychiatriques souvent importantes avec la
nécessité d’une bonne articulation avec les institutions de toutes obédiences, médicales,
sociales, médicosociales, qui en ont la charge
La classe 8, également modale, regroupe 14/32 adolescents avec 9 prise en charge judiciaire
au civil et 5 prise en charge sur le plan administratif, qui consultent essentiellement en
urgence à l’instar des autres classes d’adolescents suivis. Ils sont près de la moitié à avoir été
victimes de négligences graves ou de carences affectives. Le diagnostic de pathologie limite
est largement prédominant (10/14). On peut relier l’histoire chaotique et traumatique de ces
jeunes à leur psychopathologie actuelle. Il s’agit de mettre en place des soins cohérents, sur la
durée, pour travailler sur une certaine structuration psychique et ceci à travers un lien à
l’autre (le soignant) fiable. Le trouble de personnalité limite retrouvé dans ce groupe, amène
souvent à des ruptures dans les relations et les parcours de vie en miroir aux relations
premières, d’où l’intérêt d’éviter les ruptures d’accompagnement pour s’inscrire avec cet
adolescent dans la continuité, indispensable à une relation thérapeutique.
La classe 9 regroupe 2/9 adolescents et 2 prise en charge judiciaire au civil, pour des mineurs
âgés de moins de 15 ans et dont le diagnostic est la déficience mentale et du développement.
La classe 10 est très spécifique puisqu’elle regroupe exclusivement 2 mineurs étrangers
isolés, tous deux pris en charge au civil, qui ont consulté pour anxiété à la demande de
professionnel.
Il est intéressant de noter que bien souvent les adolescents avec une prise en charge judiciaire
au civil, au pénal ou avec une prise en charge administrative sont vus dans l’urgence, autour
d’un passage à l’acte. C’est pourquoi les diagnostics et les motifs n’expliquent pas à eux
seuls le recours à l’urgence. Il apparaît de ce fait que l’approfondissement de la
problématique des liens inter-institutionnels est indispensable pour un travail autour de ces
adolescents au-delà de l’urgence
L’idée du réseau de soin prend tout son intérêt, en conséquence, permettant de remettre en
lien les différents acteurs du suivi de l’adolescent et redonnant une cohérence et une
continuité à son environnement. Ces dernières qualités paraissent essentielles face à la
13
psychopathologie de ces adolescents aux vécus infantiles souvent chaotiques voire
maltraitants.
Discussion
Si parmi l’ensemble des adolescents consultants, ceux qui consultent en urgence peuvent
paraître se signaler d’emblée par un parcours marqué par un climat de rupture, la présence
d’une prise en charge judiciaire ou administrative apparaît également parmi eux comme un
des éléments centraux ouvrant à des questionnements spécifiques.
C’est ainsi que les adolescents pris en charge présentent des profils cliniques
caractéristiques avec une nette prédominance des pathologies limites et des troubles des
conduites et des comportements jusqu’à près de 50% des diagnostics contre 25% pour les
adolescents sans prise en charge ASE et/ou PJJ.
Ces pathologies de « l’agir » sont le mode d’expression d’une inorganisation psychique
imputée généralement à un parcours chaotique et des relations précoces fréquemment
insuffisantes voire défectueuses.
C’est ainsi que la proportion forte d’antécédents psychologiques familiaux (76,2%), et de
maltraitance, présente dans 47% des cas et absente dans seulement 22,7% des cas, va dans le
même sens.
Ces adolescents sont durablement fragilisés par un environnement n’ayant pas permis un bon
développement psycho-affectif.
Ce lien entre des interactions précoces dysfonctionnelles et une psychopathologie actuelle
avait été déjà souligné par Kayser et al.9 dans une étude sur les adolescents placés qui sont
hospitalisés. Les auteurs retrouvent cette prédominance des troubles externalisés et des
dimensions du registre limite dans les symptômes manifestés. Ils relèvent également la plus
grande proportion d’antécédents psychiatriques chez leurs parents, et davantage de
discontinuité dans leur parcours de vie.
Face à cet état de chose, une instauration précoce et dans la continuité de soin en lien avec le
reste des partenaires accompagnant ces enfants paraît décisive, permettant de faciliter un
travail d’organisation psychique très nécessaire. Or le fait est que ces adolescents consultent
davantage dans un lieu d’urgence psychiatrique (35,8% contre 22,1%, de façon
statistiquement significative avec p = 0,026) et moins en consultation ordinaire au sein du
secteur (31,3% contre 56,3%), qui seul est à même de proposer une prise en chargerégulier et
des propositions thérapeutiques adaptables à l’intensité des troubles (centre médicopsychologique (CMP), centre d’accueil thérapeutique à temps partiel (CATTP), hôpital de
jour). Ce besoin de soin régulier et continu et cet accès prédominant au système sanitaire
dans l’urgence et dans les structures d’urgence ne sont pas ajustés.
9
Cf. Kayser C, Jaunay E, Giannitelli M, Deniau E, Brunelle J, Bonnot O, et al. Facteurs de risque
psychosociaux et troubles psychiatriques des jeunes pris en charge par l’aide sociale à l’enfance et ayant recours
à des soins hospitaliers. Neuropsychiatrie de l’Enfance et de l’Adolescence. 2011. 59(7) : 393–403.
14
Il est notoire que la nature même de la psychopathologie de ces adolescents (pathologie
limite ou trouble des conduites) conduit à des ruptures de suivi et, en conséquence, à une
discontinuité quasi symptomatique de l’accompagnement thérapeutique.
C’est pourquoi les initiatives utiles à faciliter la coordination entre les différents
professionnels, pour que ces ruptures puissent être travaillées voire évitées, sont cruciales.
Or, force est de constater la grande proportion de demandes de consultation en urgence pour
ces adolescents (75% contre 61,2%)10, en grande majorité issues des professionnels (80%),
témoignant du manque de robustesse de ces suivis, susceptibles d’illustrer un relatif défaut
dans le nécessaire travail partenarial en amont, souvent préventif de ces situations d’urgence.
L’absence de façon importante d’un accompagnant lors des consultations pour les
adolescents pris en charge (38,8% contre 9,2%)11, va également dans ce sens et nous informe
des difficultés de communication entre les institutions sanitaires et éducatives.
Ces adolescents présentent au premier plan des spécificités cliniques, sous la forme d’une
inorganisation psychique ou de « béances narcissiques » importantes (correspondants au
diagnostics de trouble des conduites et du comportement ou de pathologie limite), probables
conséquences d’un parcours chaotique entravant dans l’actualité l’accès à des soins adaptés et
nécessaires pour une prise en charge thérapeutique. C’est aux professionnels entourant
l’enfant d’organiser un environnement assez étayant pour l’accompagner au mieux. Mais il
semble que les réponses apportées se font bien souvent comme en miroir du fonctionnement
de l’adolescent. Le travail partenarial de l’ensemble des acteurs du suivi de ces jeunes paraît
prendre ici tout son sens parce qu’il permet de mieux comprendre leurs difficultés et leurs
besoins et d’éviter les désistements institutionnels.
Conclusion et perspectives
Cette étude tente de répondre à une problématique importante de santé publique pourtant peu
explorée12. Elle rejoint les résultats des études concernant les caractéristiques de l’ensemble
des adolescents consultant en urgence, qui mettent en évidence la fragilité de
l’environnement de ces adolescents et la fréquence des parcours chaotiques. La
surreprésentation en leur sein des mineurs pris en charge judiciairement et
administrativement apparaît comme un indice caractéristique des turbulences particulières
dont leur vie a été nourrie dans des contextes chargés d’interactions précoces défaillantes ou
de maltraitances plus tardives.
Ainsi la problématique majeure des adolescents consultant en urgence dont ceux qui sont pris
en charge sur le plan judiciaire ou administratif paraît se loger davantage dans leur
environnement passé et présent que dans une psychopathologie propre. Ceci fait écho aux
propos de Sadka (19) caractérisant les adolescents consultant en urgence d’abord par
l’environnement des adultes qui les entourent13.
10
Statistiquement significatif avec p = 0,031
Statistiquement significatif avec p = 0,000
12
Cf. Goldstein AB, Horwitz SM. Child and adolescent psychiatric emergencies in nonsuicide-specific samples:
the state of the research literature. Pediatr Emerg Care. 2006. 22(5) : 379–84.
13
Cf. Sadka S. Psychiatric emergencies in children and adolescents. New Dir Ment Health Serv. 1995. (67) :
65–74.
11
15
C’est dans ce cadre que certaines hypothèses concernant une organisation des soins
répondant mieux à la problématique des adolescents avec une prise en charge judiciaire et/ou
administrative, peuvent être formulées.
La psychopathologie assez propre à ces adolescents, majoritairement des troubles externalisés
(F90 à F92 selon la CIM-10) est congruente avec la nécessité de soins dans la continuité et la
durée. Or les ruptures fréquentes dans leur histoire sont encore en jeu lors de la mise en place
de suivis qui se font souvent en urgence. Toutefois, la nécessaire cohérence entre prise en
charge éducative et sanitaire peut se réaliser grâce à l’instauration d’un travail partenarial qui
remet en lien les différents professionnels en charge de ces adolescents et ″travaille″ le chaos
interne et externe de ces adolescents.
Les dispositifs de consultations en urgence paraissent, dans cette perspective, nécessaires
mais aussi révélateurs d’une coordination en amont indispensable et prioritaire. La prise en
charge thérapeutique de ces adolescents réclame de penser l’organisation des soins à l’aune
de leur parcours chaotique et, à ce titre, la continuité et le travail collaboratif sont les deux
axes fondamentaux pour penser un soin spécifique.
Une étude complémentaire devra explorer l’aval de la séquence examinée, plus précisément
la nature et le déroulement des prises en charge qui sont proposées à ces adolescents à l’issue
de la consultation et en évaluer l’impact. Elle permettra une réflexion plus complète sur
l’enchainement des pratiques actuelles pour envisager de nouvelles modalités d’accueil,
d’organisation des soins et d’articulation avec la prise en charge éducative.
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