Dossier J Pharm Clin 2011 ; 30 (4) : 249-52 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Reconnaître le patient insuffisant rénal à l’hôpital : évaluation de la fonction rénale Recognize renal insufficiency patient: evaluation of renal function Nicolas Janus Service ICAR, Service de néphrologie, GHU Pitié-Salpêtrière, Paris <[email protected]> Résumé. L’insuffisance rénale est une pathologie fréquente. Elle peut induire des complications et avoir des conséquences quant au maniement des médicaments que cela soit en termes d’adaptation posologique ou de néphrotoxicité des médicaments. Son dépistage et son suivi sont donc essentiels. Il existe plusieurs méthodes pour évaluer la fonction rénale. Les premières font appel à des marqueurs exogènes et à des techniques complexes (51 Cr-EDTA, l’iothalamate ou l’iohexol). Les autres font appel à un marqueur exogène, la créatininémie. Cependant, la valeur de la créatininémie ne doit pas être interprétée seule. Par la suite, des formules d’estimations de la fonction rénale incorporant la créatininémie ont été développées ; parmi elles, on retrouve la formule de Cockcroft-Gault, la formule MDRD (puis aMDRD) et plus récemment la formule CKD-EPI. Cependant, ces formules ne sont pas équivalentes. En effet, la formule aMDRD est particulièrement efficace dans certaines circonstances, comme par exemple chez les personnes âgées comparativement à la formule de Cockcroft-Gault. Il est donc important d’être attentif au profil du patient avant d’évaluer sa fonction rénale avec une formule d’estimation de la fonction rénale. Mots clés : insuffisance rénale, estimation, évaluation, Cockcroft-Gault, aMDRD, CKD-EPI Abstract. Renal insufficiency is frequent. It can lead to complications and have consequences for the handling of drugs in terms of dose adjustment or drug nephrotoxicity. Thus, its diagnosis and monitoring are essential. There are several methods to measure renal function. The first ones involve exogenous markers and complex techniques (51Cr-EDTA, iothalamate or iohexol). The others methods use an exogenous marker, serum creatinine. However, the value of serum creatinine should not be interpreted alone. Therafter, formulae for estimating kidney function incorporating serum creatinine have been developed. Among them we find the Cockcroft-Gault, MDRD formulae (then aMDRD) and more recently the CKD-EPI formula. However, these formulae are not equivalent. Indeed, the aMDRD formula is particularly effective in specific population, such as elderly patients, when compared with the Cockcroft-Gault formula. It is therefore important to be attentive to the patient profile before assessing kidney function with a formula for estimating renal function. Key words: renal insufficiency, estimation, evaluation, Cockcroft-Gault, aMDRD, CKD-EPI L’ insuffisance rénale chronique est une maladie silencieuse dont l’évolution est progressive et irréversible. Les symptômes ne sont pas spécifiques et ne se développent qu’à un stade avancé de la maladie. Tirés à part : N. Janus Cette pathologie est fréquente dans la population générale comme dans certaines pathologies dont l’oncologie, l’infectiologie (VIH), la rhumatologie et en la transplantation [1-5]. Sa bonne prise en charge passe donc par un diagnostic précoce à l’aide des méthodes adéquates. En effet, l’utilisation de la seule créatininémie est insuffisante pour diagnostiquer une insuffisance rénale et il faut recourir Pour citer cet article : Janus N. Reconnaître le patient insuffisant rénal à l’hôpital: évaluation de la fonction rénale. J Pharm Clin 2011 ; 30(4) : 249-52 doi:10.1684/jpc.2011.0199 249 N. Janus Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. à des méthodes d’estimation de la fonction rénale afin de correctement dépister la maladie. Ainsi, des formules mathématiques ont été créées. Elles sont précises, rapides, et non invasives contrairement aux méthodes de mesure du débit de filtration glomérulaire par injection de produits radiomarqués. Cet article détaille les différentes formules permettant de réaliser une estimation du débit de filtration glomérulaire pour dépister l’insuffisance rénale et suivre son évolution. Les différents stades de l’insuffisance rénale chronique Le débit de filtration glomérulaire (DFG) [6] permet une stratification de la maladie rénale en cinq différents stades, selon la National Kidney Foundation Kidney Disease Outcomes Quality Initiative (NKF KDOQI) [7] (tableau 1). Le stade 1 est défini par un DFG supérieur ou égal à 90 mL/min/1,73m2 , associé à des anomalies rénales à type de macroprotéinurie, de microprotéinurie et/ou d’hématurie. Une valeur de DFG obtenue par une clairance isotopique est la méthode de référence ; néanmoins, il s’agit d’un examen onéreux dont le processus est lourd et nécessitant un personnel qualifié et des produits tels que le 51 Cr-EDTA, l’iothalamate ou l’iohexol [8]. Le recueil des urines de 24 heures pour calculer une clairance de la créatinine est peu fiable du fait des difficultés de collection des urines, souvent incomplète, rendant l’interprétation difficile. Ces deux dernières méthodes sont donc difficiles à réaliser en routine à l’hôpital. Ainsi, en pratique, la méthode la plus courante est l’estimation du DFG par des formules telles que celle de Cockcroft et Gault (CG) [9] ou la formule abrégée abbreviated Modification of Diet in Renal Disease (aMDRD) [10], toutes deux recommandées par le groupe NKF-KDOQI et le groupe international Kidney Disease: Improving Global Outcomes (KDIGO). Récemment, une nouvelle formule a fait son apparition : la formule Chronic Kidney Disease Epidemiology Collaboration (CKD-EPI). Même s’il ne s’agit que de formules estimant la fonction rénale des patients, elles sont rapides, fiables et plus précises que la seule valeur de créatininémie qui ne permet pas d’évaluer à elle seule le niveau de fonction rénale. Estimation de la fonction rénale La créatininémie La créatininémie est le principal index de la fonction rénale et les différentes formules d’estimation du DFG (tableau 2) la prennent en compte. La créatinine, issue du catabolisme musculaire, est une substance endogène dont la concentration dans le sang varie selon plusieurs facteurs tels que la sécrétion et la réabsorption tubulaires, 250 la masse musculaire, les apports nutritionnels et le sexe [11]. De plus, la relation entre le DFG et la créatininémie n’est pas linéaire, ce qui signifie qu’une petite augmentation de la créatininémie, peut en réalité correspondre à une variation plus importante du DFG chez un même patient. La cystatine C Ainsi, la cystatine C, molécule de bas poids moléculaire (113 Da) fut évoquée pour remplacer la créatininémie dans le dépistage de modification du DFG notamment pour des valeurs comprises entre 60 et 90 mL/min/1,73 m2 [12]. Il s’agit d’un inhibiteur de cystéine protéase produite par les cellules humaines. Elle est librement filtrée au niveau glomérulaire puis presque totalement réabsorbée au niveau tubulaire proximal. Toutefois, malgré les Tableau 1. Définition et stratification de la maladie rénale chronique. Stade Description DFG 1 Altération rénale avec DFG normal ≥ 90 2 Altération rénale et insuffisance rénale légère 60 à 89 3 Insuffisance rénale modérée 30 à 59 4 Insuffisance rénale sévère 15 à 29 5 Insuffisance rénale terminale < 15 DFG = débit de filtration glomérulaire en mL/min/1,73 m2 . Tableau 2. Formules d’estimation de la fonction rénale. Nom de la formule Formule Cockcroft et Gault Clairance de la créatinine (mL/min) = [1,23 x (140-âge) x poids (kg) x K] Scr (mol/L) (avec K = 1 chez l’homme et K = 0,85 chez la femme) aMDRD (Abbreviated Modification of Diet in Renal Disease) DFG (mL/min/1,73 m2 ) = 186,3 x (âge)-0,203 x (Scr)-1,154 (x 1,212 si Afro-Américain et x 0,742 si sexe féminin) avec Scr en mg/dL CKD-EPI DFG (mL/min/1,73 m2 ) = 141 x min(Scr/k, 1)␣ x (Chronic Kidney max(Scr/k, 1)-1,209 × 0,993age Disease Epidemiology) (x 1,159 si Afro-Américain et x 1,018 si sexe féminin) avec Scr en mg/dL (k = 0,7 si femme ou 0,9 si homme) (␣ = -0,329 si femme ou -0,411 si homme) min = choisir la valeur minimale entre Scr/k et 1 max = choisir la valeur maximale entre Scr/k et 1 DFG = débit de filtration glomérulaire. J Pharm Clin, vol. 30 n◦ 4, décembre 2011 Dossier nombreuses études mentionnant la cystatine C comme marqueur fiable de la fonction rénale, celle-ci est modifiée par de nombreux facteurs tels qu’un dysfonctionnement thyroïdien [13], un traitement par corticoïdes à de fortes doses, la présence de troubles cardiovasculaires et potentiellement les pathologies malignes [14]. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Les formules d’estimation du DFG Ainsi est-il nécessaire en pratique d’utiliser les formules d’estimation du DFG “classiques”, basées sur la créatininémie, en prenant garde aux conditions pouvant influencer la créatininémie, à savoir en particulier l’indice de masse corporelle. La formule de Cockcroft et Gault (CG) La formule de CG [9], publiée en 1976, a été largement utilisée pour estimer la clairance de la créatinine à partir des taux sériques de créatinine. La formule de CG s’exprime en mL/min et prend en compte l’âge, le poids et le sexe. Elle reste la méthode de référence, la formule de CG sousestime la fonction rénale chez le sujet âgé et la surestime largement chez l’obèse si le poids utilisé dans la formule est le poids réel du patient. En effet chez l’obèse, le poids réel ne reflète pas la masse musculaire, origine de la production de la créatinine. Il est à noter qu’il existe dans la littérature quelques études ayant porté sur l’utilisation du “poids idéal” ou du poids “corrigé” chez l’obèse. Ces études manquent pour la plupart de puissance, et sont désormais obsolètes. En effet, la formule aMDRD a montré sa précision chez le sujet obèse, ainsi que chez le sujet âgé [15, 16]. Une calculette automatique d’estimation de la fonction rénale à l’aide de la formule CG est disponible sur le site internet www.sitegpr.com. La formule Modification of Diet in Renal Disease (MDRD) Issue de l’étude MDRD [15], elle a été publiée en 1999 puis simplifiée et appelée aMDRD (a pour abbreviated), ne tenant plus compte que de quatre paramètres au lieu de six. Elle s’exprime en mL/min/1,73 m2 . Cette formule, de plus en plus utilisée, prend en compte la créatininémie, l’âge, le sexe, l’ethnie (uniquement “afroaméricaine” ou “autre”) mais non le poids. Elle est normalisée pour 1,73 m2 (surface corporelle moyenne chez l’adulte). La formule aMDRD a été largement validée pour les patients entre 18 et 70 ans. Au-delà de 70 ans, elle reste néanmoins plus fiable que la formule de CG [15]. La formule aMDRD est particulièrement efficace dans certaines circonstances : production basale de créatinine anormale, masse musculaire anormale (obésité, amputés, paraplégie, dénutrition, diabétique), apports diététiques inhabituels (végétariens, supplémentation en J Pharm Clin, vol. 30 n◦ 4, décembre 2011 créatine). Elle tend néanmoins à sous-estimer le niveau de fonction rénale pour des valeurs de DFG supérieures à 60 mL/min [15]. La National Kidney Foundation (NKF) et le National Kidney Disease Education Program (NKDEP) recommandent en cas de valeur supérieure à 60 mL/min/1,73 m2 l’interprétation suivante : « supérieure à 60 mL/min/1,73 m2 », en lieu et place d’une valeur chiffrée exacte. La formule aMDRD peut, bien entendu, être utilisée pour l’adaptation posologique. Dans ce cas, la valeur obtenue devra être multipliée par la surface corporelle du patient et divisée par 1,73 m2 , afin d’obtenir une valeur en mL/min. Une calculette automatique d’estimation du DFG à l’aide de la formule aMDRD est disponible sur le site internet www.sitegpr.com, ainsi que sa valeur corrigée à la surface corporelle du patient. La formule CKD-EPI (Chronic Kidney Disease Epidemiology) Cette formule fut créée en 2009 afin d’être généralisable aux divers tableaux cliniques. Elle avait la particularité d’inclure des variables telles que le diabète, le surpoids, la transplantation. Mais elle fut par la suite simplifiée et prend désormais en compte les mêmes variables que la formule aMDRD [17]. Elle évalue de façon plus précise la valeur du DFG chez les personnes ayant un DFG > 60 mL/min/1,73 m2 que la formule aMDRD [17, 18]. Ainsi, la formule CKD-EPI est idéalement utilisée en épidémiologie, dans le screening des patients insuffisants rénaux légers, limitant ainsi le nombre de faux positifs [18]. Conclusion L’insuffisance rénale est fréquente et sous-estimée à l’hôpital. Pourtant, ses conséquences ne sont pas anodines car elle peut engendrer des complications ainsi que des modifications de la pharmacocinétique des médicaments. De plus, elle constitue un facteur de risque de morbi-mortalité cardiovasculaire important. Afin de la dépister, il est essentiel d’évaluer la fonction rénale en ayant au moins recours à une estimation de la fonction rénale à l’aide d’une des formules disponibles. Parmi les deux recommandées (CG et aMDRD), la formule aMDRD est meilleure dans un certain nombre de conditions, comme les patients obèses, les patients âgés et les diabétiques [16, 19, 20]. De plus, la Société Internationale d’Oncologie Gériatrique (SIOG) la recommande chez les patients atteints de cancer [15]. Il est donc important d’être vigilant quant au choix de la formule selon le profil du patient. Conflits d’intérêts : aucun. 251 N. Janus Références 1. Launay-Vacher V, Oudard S, Janus N, et al. Prevalence of renal insufficiency in cancer patients and implications for anticancer drug management : the renal insufficiency and anticancer medications (IRMA) study. Cancer 2007 ; 110 : 1376-84. 2. Ojo AO, Held PJ, Port FK, et al. Chronic renal failure after transplantation of a nonrenal organ. 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