Comment adapter la posologie des médicaments en cas d’insuffisance rénale aiguë ?
L’insuffisance rénale aiguë (IRA) est définie par une élévation de la
créatininémie ≥ 3 mg/l ou 26,5 µmol/l en 48 heures, ou ≥ 1,5 fois par rapport à
sa valeur basale durant les 7 derniers jours, ou par un volume urinaire inférieur
à 0,5 ml/kg/h pendant 6 à 12 heures (1). Une IRA est retrouvée chez 20% des
patients hospitalisés, et 45% des patients en unité de soin intensif (2). Dans ce
contexte, la manipulation des médicaments est complexe, et les
recommandations chez les patients présentant une maladie rénale chronique ne
peuvent être utilisées.
Estimation de la fonction rénale : lors d’une IRA, l'estimation du
débit de filtration glomérulaire (DFG) à partir de la créatininémie ne reflète pas
le niveau de fonction rénale réel. En effet, il existe un décalage chronologique
entre la baisse du DFG et l’élévation de la créatininémie, la fonction rénale est
donc surestimée par les formules basées sur la créatininémie si la fonction
rénale continue à se dégrader. Ainsi, si l'on adapte la posologie en fonction du
DFG estimé, il existe un risque important de surdosage. Au contraire, si le
patient est en phase de récupération, l'adaptation posologique selon l'estimation
du DFG fait courir le risque d'un sous-dosage.
Modifications pharmacocinétiques en cas d’IRA : en plus des
modifications pharmacocinétiques observées en cas d’insuffisance rénale, des
modifications de l’absorption, de la distribution, de la métabolisation et de
l’élimination des médicaments peuvent être observées en cas d’IRA. Chez ces
patients en phase critique, on observe notamment un ralentissement de la
motilité gastro-intestinale, une élévation du pH gastrique, une modification du
volume de distribution, ainsi que de l’activité métabolique hépatique et
intestinale (3,4). Les adaptations posologiques basées sur des études
pharmacocinétiques menées chez des patients à fonction rénale altérée mais
stable ne peuvent être appliquées dans le contexte particulier de l’IRA.
Cas de l’épuration extra-rénale : Si le patient est dialysé,
l’adaptation de la posologie devra prendre en compte l’épuration éventuelle du
médicament par le rein artificiel. En effet, si le médicament est dialysable, il
existe un risque de sous-dosage et d’inefficacité, en particulier en cas
d’épuration extra-rénale continue (EERC). Les études pharmacocinétiques sont
rares en EERC, souvent monocentriques et réalisées sur un petit nombre de
patients, et les résultats dépendants de la technique utilisée, du type de
membrane et de la durée de la séance. Ainsi, les recommandations d’adaptation
posologique, lorsqu’elles existent, doivent être appliquées avec précaution
dans ce contexte et utilisées seulement comme posologies initiales indicatives.
Si aucune étude n’est disponible, et en l’absence d’alternative thérapeutique,
les posologies initiales pourront être déterminées de façon empirique à l’aide
des données disponibles chez le patient insuffisant rénal chronique (figure1).
Du fait de la difficulté à manier des médicaments chez ces
personnes fragiles, plus sensibles à la toxicité, l’administration de médicaments
doit être reportée en cas d’IRA, jusqu’à ce que la fonction rénale se stabilise.
Si la prescription d’un médicament est indispensable et ne peut être différée, le
choix d’un médicament avec une marge thérapeutique large et un suivi
pharmacodynamique simple (évaluation de l’efficacité et de la tolérance
facilement réalisable en clinique) devra être privilégié, la prescription de
médicaments avec une néphrotoxicité connue évitée et le rapport
bénéfice/rique évalué. La posologie initiale devra être déterminée selon
l’ensemble du contexte clinique, à l’aide des recommandations d’adaptation
posologiques si elles existent. Cette posologie devra être également déterminée
selon l’objectif thérapeutique recherché : priorité à l’efficacité, par exemple
pour les anti-infectieux, avec administration d’une dose de charge pour
atteindre rapidement des concentrations efficaces, ou à la tolérance, avec une
posologie diminuée par précaution. Chez le patient non dialysé, l’évaluation de
la fonction rénale devra être faite avec la dernière valeur de créatininémie, avec
un dosage le plus proche possible de l’administration médicamenteuse, en
tenant compte de la sur- ou sous-estimation du résultat selon que le patient est
en phase d’aggravation ou de récupération. Dans tous les cas, la posologie
initiale sera par la suite adaptée en fonction de l’efficacité et de la tolérance
clinique observées, et réévaluée régulièrement en fonction de l’évolution de la
fonction rénale ainsi que de l’ensemble du contexte clinique. Un suivi des
concentrations plasmatiques (suivi thérapeutique pharmacologique), s’il existe,
pourra être mis en place (figure 1).
Le 27 novembre 2015, Dr Blandine ALOY
(1) Kidney Disease: Improving Global Outcomes (KDIGO) Acute Kidney Injury Work Group. KDIGO Clinical Practice Guidelines for Acute Kidney Injury. Kidney Int
Suppl 2012; 2: 1–138. (2) Li PK, Burdmann EA, Mehta RL; World Kidney Day Steering Committee 2013. Acute kidney injury: global health alert. Kidney Int.
2013;83(3):372-6. (3) Matzke GR, Aronoff GR, Atkinson AJ Jr et al. Drug dosing consideration in patients with acute and chronic kidney disease-a clinical update from
KDIGO. Kidney Int. 2011;80(11):1122-37. (4) Nolin TD, Aronoff GR, Fissell WH et al. Kidney Health Initiative. Pharmacokinetic assessment in patients receiving
continuous RRT: perspectives from the Kidney Health Initiative. Clin J Am Soc Nephrol. 2015; 7;10(1):159-64