LES PRODUITS DU TERROIR
QUÉBÉCOIS
Une façon de développer le Québec rural
Mémoire présenté au ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de
l’Alimentation du Québec dans le cadre de la consultation publique sur la
politique québécoise de la transformation alimentaire
Solidarité rurale du Québec
Nicolet, Septembre 2001
Solidarité rurale du Québec Page 2
SOLIDARITÉ RURALE DU QUÉBEC
Solidarité rurale du Québec a été créée en 1991 pour assurer le suivi des États généraux du
monde rural auxquels participaient 1200 délégués. Solidarité rurale est une coalition composée
d’une vingtaine d’organismes nationaux démocratiques et présents partout sur le territoire, d’une
centaine d’organismes régionaux, de dizaines de municipalités et de nombreux militants et
militantes. Sa mission est essentiellement de promouvoir la revitalisation et le développement du
monde rural de manière à renverser le mouvement de déclin et de destruction des campagnes
québécoises. Cet organisme sans but lucratif reçoit ses mandats de son assemblée générale
annuelle. Solidarité rurale est d’abord financée par ses membres réguliers et associés. Enfin, elle
agit depuis 1997 à titre d’instance-conseil du gouvernement du Québec en matière de ruralité. En
février 1999, la coalition déposait à ce titre au ministère des Régions un Avis pour une politique
gouvernementale de développement rural.
Solidarité rurale incite constamment les communautés rurales à développer un intérêt à l’égard
de leur histoire, de leurs ressources et de leurs savoir-faire afin d'en tirer profit et de diversifier
leur économie. C'est dans cet esprit qu'elle s’est fait le promoteur, en mars 1998 à la Conférence
sur l’agriculture et l’agroalimentaire québécois, de la mise en place d’une mesure
gouvernementale d’aide financière sur les produits du terroir. Concrètement, depuis l’adoption
de la Mesure de soutien aux produits du terroir issus d’un savoir-faire traditionnel, le ministère
des Régions a soutenu financièrement près d’une trentaine de projets. Pour en nommer quelques-
uns citons: l’agneau des prés-salés de l’Île Verte, la morue séchée et salée de la Gaspé Cured, le
fromage de l’Île d’Orléans ou encore le caviar d’esturgeon de Saint-Bruno-de-Guigues au
Témiscamingue. Des représentants de Solidarité rurale du Québec et des ministères des Régions,
de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation ainsi que de la Culture et des
Communications siègent sur le comité de sélection de cette mesure.
Pendant deux ans, nous avons mené des travaux de recherche et d’inventaire afin d’identifier des
produits du terroir québécois. De même nous avons commandé un sondage afin de vérifier
l'intérêt des consommateurs pour ce type de produit. En novembre 1999, Solidarité rurale rendait
public les résultats de cet inventaire et du sondage1. Parallèlement à ces travaux, un important
travail de sensibilisation a été réalisé auprès des ruraux. Près de 300 personnes ont assisté partout
au Québec à dix sessions d’information sur les produits du terroir. L’ensemble de cette démarche
s’est enfin traduite par la tenue à Trois-Rivières du premier Symposium international sur
l'économie des terroirs. Cet événement d’envergure qui réunissait plus de 180 participants et
experts venus de France, de Belgique, d’Italie, d’Angleterre, d’Écosse, d’Irlande, d’Espagne, des
États-Unis, du Canada et du Québec a permis d’évaluer les potentiels qu’offre ce modèle de
développement territorial. La coalition se présente donc devant vous avec une expertise solide et
reconnue en matière de produits du terroir.
1 SOLIDARITÉ RURALE DU QUÉBEC, Mémoire des terroirs. Étude pour un premier inventaire sélectif des
produits du terroir, collection Études rurales, Nicolet, 1999.
JOLICOEUR ET ASSOCIÉS, Étude des comportements et attitudes des Québécois à l’égard de la ruralité et des
produits du terroir, Montréal, 1999.
Solidarité rurale du Québec Page 3
Les produits du terroir québécois et la diversification économique
Lors du dépôt en février 1999 de l’Avis pour une politique gouvernementale de développement
rural, Solidarité rurale invitait le gouvernement et les acteurs publics à une refondation de
l’économie rurale. La coalition mentionnait :
«À bien y regarder, le monde rural québécois est peut-être mieux placé
que bien d’autres pour faire face aux grandes tendances et aux
soubresauts de l’économie mondiale. Sa diversité et sa fragmentation,
deux caractéristiques qui sont souvent dénoncées car elles induisent sa
complexité, sont ses avantages stratégiques. Elles lui permettent une
meilleure modulation et le rendent moins fragile aux variations
sectorielles de l’économie. En d’autres termes, le monde rural n’a pas
mis tous ses œufs dans le même panier […] La diversification
économique […] renvoie surtout au développement de filières et de
maillages. Les secteurs lourds sont connus, il s’agit des ressources
naturelles; il reste à pousser plus avant […] En termes économiques, il
faut caractériser, personnaliser, démarquer la production régionale […]
Aussi, pour développer une économie véritablement « territorialisée », il
faut que les ressources humaines et naturelles se conjuguent. L’ancrage
d’un secteur de l’économie québécoise dans le territoire assurera sa
pérennité.»
(Solidarité rurale du Québec, 1999c; 19;23;26)
L’essentiel de la démarche de Solidarité rurale du Québec vise ainsi à ancrer l’économie au
territoire rural en favorisant la transformation des ressources naturelles d’ordre alimentaire et non
alimentaire. Les produits du terroir représentent quant à nous un élément clef de la
diversification de l’activité économique rurale. Ce type de production peut créer de la prospérité
au village et faire de l’identité culturelle une source inépuisable pour de nouvelles activités
économiques.
Les produits du terroir sont, par essence, obligatoirement liés au patrimoine rural. Ils reflètent la
façon dont les ruraux entretiennent des rapports tangibles et intangibles avec la nature, tout en
traduisant la quotidienneté d’une vie domestique en constante évolution. Les produits du terroir
relèvent des savoir-faire traditionnels, de l’art de fabriquer, des tours de main et des secrets de
métier. Ils se présentent comme une manifestation visible de la spécificité des territoires ruraux,
l'expression d'un instinct social de conservation, des gestes essentiellement culturels à incidence
économique. Dans cette optique, il paraît évident que ces produits sont à l’opposé de la
production industrielle, standardisée et uniformisée. Cela ne veut pas dire pour autant que les
produits du terroir ne puissent faire partie d'un réseau de commercialisation rentable.
Dès le départ, nous nous sommes appliqués à développer ce concept et à en distinguer les
composantes. Bien que l’utilisation du mot terroir soit récente au Québec, il traduit sans
équivoque une réalité plus ancienne. Les centaines de produits identifiés dans l’inventaire
Mémoire des terroirs sont d’ailleurs là pour en témoigner. Toutefois, il est clair que la France fait
école dans ce domaine. Dès 1935, ce pays s’est doté d’un rigoureux système d’appellation
d’origine contrôlée (AOC) dont la base juridique remonte à une loi de 1905 qui instituait alors
Solidarité rurale du Québec Page 4
des appellations d’origine pour des produits fabriqués et artisanaux, donc des produits non
alimentaires.
Aujourd’hui, les AOC représentent en France, notamment dans les secteurs viticole, laitier et
agroalimentaire, un véritable instrument de développement économique. En 1999, plus de 110
000 exploitations agricoles étaient impliquées dans la démarche AOC. De plus en plus, ces
appellations se développent dans d’autres secteurs comme la volaille, les viandes, les fruits, les
légumes, les miels, les huiles d’olive et les huiles essentielles. Ainsi, la valeur totale des AOC
représentait 20 milliards de dollars en 1999, dont 15 milliards de dollars pour le secteur viticole,
2,5 milliards pour le secteur laitier (fromage, beurre et crème) et 2,5 milliards pour les eaux-de-
vie (INAO, 1999 : 26). À l’échelle européenne, le marché de ce type de productions alimentaires
est estimé à 12% de la consommation totale (Paul Soto Hardiman, Solidarité rurale du Québec,
1999a : 44). Il faut dire enfin que le système français des AOC a depuis fait des émules,
notamment avec la création en 1992 des appellations d’origine protégée (AOP) et des indications
géographiques protégées (IGP) au sein de l’Union européenne.
Il est toujours hasardeux d'extrapoler à partir des comportements de consommation autres que les
nôtres mais tentons l'exercice. Les dépenses totales au chapitre de l'alimentation au Québec en
1999 se chiffraient à 17,6 milliards de dollars (Statistique Canada, 1999). Si nous y appliquons
un taux de 12%, la valeur potentielle du marché des produits alimentaires de créneaux devrait se
chiffrer à 2 milliards de dollars.
Selon André Barbaroux, directeur du Centre national pour l’aménagement des structures des
exploitations agricoles (CNASEA) et Michel Prugue, président du Comité agroalimentaire de
l’INAO, si le positionnement commercial des produits AOC se base sur des valeurs difficilement
quantifiables comme le gustatif, le sensoriel, le culturel, l’émotionnel, l’esthétique du produit et
la qualité de l’environnement il n'en contribue pas moins à l’aménagement et au développement
du territoire d'origine puisque toute la valeur ajoutée du produit y est accrochée. Plus que le
rendement à l’hectare ou la simple croissance économique, les AOC introduisent une autre voie
de développement et de sauvegarde du potentiel économique (Solidarité rurale du Québec,
1999a : 40). Toujours selon ces derniers :
«Dans la démarche d’appellation d’origine qui impose des conditions de
production rigoureuses, le producteur ou la productrice redeviennent des
opérateurs à part entière, de véritables partenaires économiques qui
adhérent volontairement au système. Ils quittent le rôle de simple
apporteur de matières premières et sont intéressés au premier chef à la
récupération de la valeur ajoutée. Nous pouvons faire le lien avec le
patrimoine naturel local […] Les signes distinctifs de qualité sont des
éléments favorisant la connivence entre ceux et celles qui consomment et
ceux et celles qui produisent, ce qui reste une clef essentielle de
l’économie des terroirs.»
(Solidarité rurale du Québec,1999a : 41;42)
Les terroirs québécois comme les terroirs européens se présentent comme des entités
géographiques, des zones naturelles d’une dimension restreinte présentant des caractéristiques
biogéographiques et physiographiques distinctives. Or, ici comme ailleurs, le terroir est aussi une
Solidarité rurale du Québec Page 5
réalité ethnographique et culturelle qui résulte de l’utilisation successive ou nouvelle des
ressources par les femmes et les hommes qui l’habitent. Ancien président du Comité National
des Produits Laitiers de l’Institut national des appellations d’origine (INAO), André Valadier
mentionnait en 1998 que cette notion de terroir ne relève pas seulement du domaine des
traditions populaires, mais qu’elle est avant tout la concrétisation d’un partenariat économique
interprofessionnel parfaitement réussi. Ainsi, une observation attentive montre bien que la
notoriété d’un terroir résulte toujours de la notoriété d’un produit, d’un objet, et donc de l’action
des hommes. Les produits du terroir sont d’abord qualifiés par le consommateur qui souhaite les
identifier et s’assurer de leur authenticité, de leur qualité. Ces produits portent le nom de leur lieu
d’origine, de leur village ou de leur région. Le lieu ne peut pas toujours être retenu comme le
seul élément complémentaire de classification ou d’identification. Mais l’attribution
géographique à une production donnée suppose une délimitation rigoureuse du terroir d’origine
et «la constatation du maintien sur la longue durée d’usages locaux, loyaux et constants
(Bardinet et Corpat, 1998 :15)
Le produit du terroir québécois vise donc à mettre en relation et à superposer une filière de
production à une filière rurale pour ensuite développer des stratégies de commercialisation et de
distribution afin de rentabiliser le produit. Seule une ressource collectée, exploitée et transformée
dans un territoire rural figure dans ce type de produits. Dans cette optique, l’alcool conçu à
Montréal par la SAQ à partir des baies de chicouté cueillies sur la Côte-Nord n’est pas un produit
du terroir. Il en va tout autrement pour le Pied-de-Vent, un fromage au goût de terroir très
marqué, entièrement produit, distribué et vendu à partir des Îles-de-la-Madeleine.
La filière de production d’un produit du terroir met en œuvre un ensemble d’éléments qui
expriment avant tout une différence, généralement reconnue en Europe par un mode de
certification ou de labellisation. Chaque élément du terroir entre en jeu afin de personnaliser et
de différencier le produit. Essentiellement, ce processus obligé s’exprime par l’utilisation de
l’ensemble des conditions requises qui typeront la ressource, de son lieu d’origine jusqu’à sa
production finale. Cette filière doit donc être respectée à chaque fois que l’on désire à partir d’un
produit, atteindre une expression totale et optimale de valeurs, de qualité et de goût dans un
terroir. Seule cette conjonction, cette complicité établissent un état réel d’esprit des lieux pour
que les produits puissent naturellement parler de leur terroir.
Pour Solidarité rurale du Québec, les produits du terroir peuvent être regroupés sous différents
genres. On y retrouve des ressources transformées ou à l’état brut, des produits de l’artisanat et
des recettes culinaires. Ils sont parfois issus d’une génétique ancienne ou encore le résultat d’une
récolte d’origine végétale, minérale ou d’une collecte animale. Ces produits sont donc
directement le fruit de pratiques culturelles innées ou acquises, qu’elles soient alimentaires,
vestimentaires, esthétiques, agricoles ou forestières. Tous ces produits fortement enracinés au
territoire expriment des forces créatrices, une diversité à promouvoir. Ils sont un miroir, voire
une fenêtre sur la manière de vivre des ruraux. L’économie rurale ne s’arrêtant pas uniquement
aux limites de la production agricole, le Québec rural est aussi une terre d’eau, une terre de
forêts. Dans cet esprit, les produits du terroir sont autant l’ardoise de Saint-Marc-du-Lac-Long, le
duvet d’eider des Îles du Bas-Saint-Laurent, la boutonnue de Charlevoix, la chaloupe de
Verchères, les paniers en hart rouge de Rivière-Ouelle, les agates de Gaspé que l’agneau des
1 / 11 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans l'interface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer l'interface utilisateur de StudyLib ? N'hésitez pas à envoyer vos suggestions. C'est très important pour nous!