LES PRODUITS DU TERROIR QUÉBÉCOIS Une façon de développer le Québec rural Mémoire présenté au ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec dans le cadre de la consultation publique sur la politique québécoise de la transformation alimentaire Solidarité rurale du Québec Nicolet, Septembre 2001 Solidarité rurale du Québec Page 2 SOLIDARITÉ RURALE DU QUÉBEC Solidarité rurale du Québec a été créée en 1991 pour assurer le suivi des États généraux du monde rural auxquels participaient 1200 délégués. Solidarité rurale est une coalition composée d’une vingtaine d’organismes nationaux démocratiques et présents partout sur le territoire, d’une centaine d’organismes régionaux, de dizaines de municipalités et de nombreux militants et militantes. Sa mission est essentiellement de promouvoir la revitalisation et le développement du monde rural de manière à renverser le mouvement de déclin et de destruction des campagnes québécoises. Cet organisme sans but lucratif reçoit ses mandats de son assemblée générale annuelle. Solidarité rurale est d’abord financée par ses membres réguliers et associés. Enfin, elle agit depuis 1997 à titre d’instance-conseil du gouvernement du Québec en matière de ruralité. En février 1999, la coalition déposait à ce titre au ministère des Régions un Avis pour une politique gouvernementale de développement rural. Solidarité rurale incite constamment les communautés rurales à développer un intérêt à l’égard de leur histoire, de leurs ressources et de leurs savoir-faire afin d'en tirer profit et de diversifier leur économie. C'est dans cet esprit qu'elle s’est fait le promoteur, en mars 1998 à la Conférence sur l’agriculture et l’agroalimentaire québécois, de la mise en place d’une mesure gouvernementale d’aide financière sur les produits du terroir. Concrètement, depuis l’adoption de la Mesure de soutien aux produits du terroir issus d’un savoir-faire traditionnel, le ministère des Régions a soutenu financièrement près d’une trentaine de projets. Pour en nommer quelquesuns citons: l’agneau des prés-salés de l’Île Verte, la morue séchée et salée de la Gaspé Cured, le fromage de l’Île d’Orléans ou encore le caviar d’esturgeon de Saint-Bruno-de-Guigues au Témiscamingue. Des représentants de Solidarité rurale du Québec et des ministères des Régions, de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation ainsi que de la Culture et des Communications siègent sur le comité de sélection de cette mesure. Pendant deux ans, nous avons mené des travaux de recherche et d’inventaire afin d’identifier des produits du terroir québécois. De même nous avons commandé un sondage afin de vérifier l'intérêt des consommateurs pour ce type de produit. En novembre 1999, Solidarité rurale rendait public les résultats de cet inventaire et du sondage 1 . Parallèlement à ces travaux, un important travail de sensibilisation a été réalisé auprès des ruraux. Près de 300 personnes ont assisté partout au Québec à dix sessions d’information sur les produits du terroir. L’ensemble de cette démarche s’est enfin traduite par la tenue à Trois-Rivières du premier Symposium international sur l'économie des terroirs. Cet événement d’envergure qui réunissait plus de 180 participants et experts venus de France, de Belgique, d’Italie, d’Angleterre, d’Écosse, d’Irlande, d’Espagne, des États-Unis, du Canada et du Québec a permis d’évaluer les potentiels qu’offre ce modèle de développement territorial. La coalition se présente donc devant vous avec une expertise solide et reconnue en matière de produits du terroir. 1 SOLIDARITÉ RURALE DU QUÉBEC, Mémoire des terroirs. Étude pour un premier inventaire sélectif des produits du terroir, collection Études rurales, Nicolet, 1999. JOLICOEUR ET ASSOCIÉS, Étude des comportements et attitudes des Québécois à l’égard de la ruralité et des produits du terroir, Montréal, 1999. Solidarité rurale du Québec Page 3 Les produits du terroir québécois et la diversification économique Lors du dépôt en février 1999 de l’Avis pour une politique gouvernementale de développement rural, Solidarité rurale invitait le gouvernement et les acteurs publics à une refondation de l’économie rurale. La coalition mentionnait : «À bien y regarder, le monde rural québécois est peut-être mieux placé que bien d’autres pour faire face aux grandes tendances et aux soubresauts de l’économie mondiale. Sa diversité et sa fragmentation, deux caractéristiques qui sont souvent dénoncées car elles induisent sa complexité, sont ses avantages stratégiques. Elles lui permettent une meilleure modulation et le rendent moins fragile aux variations sectorielles de l’économie. En d’autres termes, le monde rural n’a pas mis tous ses œufs dans le même panier […] La diversification économique […] renvoie surtout au développement de filières et de maillages. Les secteurs lourds sont connus, il s’agit des ressources naturelles; il reste à pousser plus avant […] En termes économiques, il faut caractériser, personnaliser, démarquer la production régionale […] Aussi, pour développer une économie véritablement « territorialisée », il faut que les ressources humaines et naturelles se conjuguent. L’ancrage d’un secteur de l’économie québécoise dans le territoire assurera sa pérennité.» (Solidarité rurale du Québec, 1999c; 19;23;26) L’essentiel de la démarche de Solidarité rurale du Québec vise ainsi à ancrer l’économie au territoire rural en favorisant la transformation des ressources naturelles d’ordre alimentaire et non alimentaire. Les produits du terroir représentent quant à nous un élément clef de la diversification de l’activité économique rurale. Ce type de production peut créer de la prospérité au village et faire de l’identité culturelle une source inépuisable pour de nouvelles activités économiques. Les produits du terroir sont, par essence, obligatoirement liés au patrimoine rural. Ils reflètent la façon dont les ruraux entretiennent des rapports tangibles et intangibles avec la nature, tout en traduisant la quotidienneté d’une vie domestique en constante évolution. Les produits du terroir relèvent des savoir-faire traditionnels, de l’art de fabriquer, des tours de main et des secrets de métier. Ils se présentent comme une manifestation visible de la spécificité des territoires ruraux, l'expression d'un instinct social de conservation, des gestes essentiellement culturels à incidence économique. Dans cette optique, il paraît évident que ces produits sont à l’opposé de la production industrielle, standardisée et uniformisée. Cela ne veut pas dire pour autant que les produits du terroir ne puissent faire partie d'un réseau de commercialisation rentable. Dès le départ, nous nous sommes appliqués à développer ce concept et à en distinguer les composantes. Bien que l’utilisation du mot terroir soit récente au Québec, il traduit sans équivoque une réalité plus ancienne. Les centaines de produits identifiés dans l’inventaire Mémoire des terroirs sont d’ailleurs là pour en témoigner. Toutefois, il est clair que la France fait école dans ce domaine. Dès 1935, ce pays s’est doté d’un rigoureux système d’appellation d’origine contrôlée (AOC) dont la base juridique remonte à une loi de 1905 qui instituait alors Solidarité rurale du Québec Page 4 des appellations d’origine pour des produits fabriqués et artisanaux, donc des produits non alimentaires. Aujourd’hui, les AOC représentent en France, notamment dans les secteurs viticole, laitier et agroalimentaire, un véritable instrument de développement économique. En 1999, plus de 110 000 exploitations agricoles étaient impliquées dans la démarche AOC. De plus en plus, ces appellations se développent dans d’autres secteurs comme la volaille, les viandes, les fruits, les légumes, les miels, les huiles d’olive et les huiles essentielles. Ainsi, la valeur totale des AOC représentait 20 milliards de dollars en 1999, dont 15 milliards de dollars pour le secteur viticole, 2,5 milliards pour le secteur laitier (fromage, beurre et crème) et 2,5 milliards pour les eaux-devie (INAO, 1999 : 26). À l’échelle européenne, le marché de ce type de productions alimentaires est estimé à 12% de la consommation totale (Paul Soto Hardiman, Solidarité rurale du Québec, 1999a : 44). Il faut dire enfin que le système français des AOC a depuis fait des émules, notamment avec la création en 1992 des appellations d’origine protégée (AOP) et des indications géographiques protégées (IGP) au sein de l’Union européenne. Il est toujours hasardeux d'extrapoler à partir des comportements de consommation autres que les nôtres mais tentons l'exercice. Les dépenses totales au chapitre de l'alimentation au Québec en 1999 se chiffraient à 17,6 milliards de dollars (Statistique Canada, 1999). Si nous y appliquons un taux de 12%, la valeur potentielle du marché des produits alimentaires de créneaux devrait se chiffrer à 2 milliards de dollars. Selon André Barbaroux, directeur du Centre national pour l’aménagement des structures des exploitations agricoles (CNASEA) et Michel Prugue, président du Comité agroalimentaire de l’INAO, si le positionnement commercial des produits AOC se base sur des valeurs difficilement quantifiables comme le gustatif, le sensoriel, le culturel, l’émotionnel, l’esthétique du produit et la qualité de l’environnement il n'en contribue pas moins à l’aménagement et au développement du territoire d'origine puisque toute la valeur ajoutée du produit y est accrochée. Plus que le rendement à l’hectare ou la simple croissance économique, les AOC introduisent une autre voie de développement et de sauvegarde du potentiel économique (Solidarité rurale du Québec, 1999a : 40). Toujours selon ces derniers : «Dans la démarche d’appellation d’origine qui impose des conditions de production rigoureuses, le producteur ou la productrice redeviennent des opérateurs à part entière, de véritables partenaires économiques qui adhérent volontairement au système. Ils quittent le rôle de simple apporteur de matières premières et sont intéressés au premier chef à la récupération de la valeur ajoutée. Nous pouvons faire le lien avec le patrimoine naturel local […] Les signes distinctifs de qualité sont des éléments favorisant la connivence entre ceux et celles qui consomment et ceux et celles qui produisent, ce qui reste une clef essentielle de l’économie des terroirs.» (Solidarité rurale du Québec,1999a : 41;42) Les terroirs québécois comme les terroirs européens se présentent comme des entités géographiques, des zones naturelles d’une dimension restreinte présentant des caractéristiques biogéographiques et physiographiques distinctives. Or, ici comme ailleurs, le terroir est aussi une Solidarité rurale du Québec Page 5 réalité ethnographique et culturelle qui résulte de l’utilisation successive ou nouvelle des ressources par les femmes et les hommes qui l’habitent. Ancien président du Comité National des Produits Laitiers de l’Institut national des appellations d’origine (INAO), André Valadier mentionnait en 1998 que cette notion de terroir ne relève pas seulement du domaine des traditions populaires, mais qu’elle est avant tout la concrétisation d’un partenariat économique interprofessionnel parfaitement réussi. Ainsi, une observation attentive montre bien que la notoriété d’un terroir résulte toujours de la notoriété d’un produit, d’un objet, et donc de l’action des hommes. Les produits du terroir sont d’abord qualifiés par le consommateur qui souhaite les identifier et s’assurer de leur authenticité, de leur qualité. Ces produits portent le nom de leur lieu d’origine, de leur village ou de leur région. Le lieu ne peut pas toujours être retenu comme le seul élément complémentaire de classification ou d’identification. Mais l’attribution géographique à une production donnée suppose une délimitation rigoureuse du terroir d’origine et «la constatation du maintien sur la longue durée d’usages locaux, loyaux et constants.» (Bardinet et Corpat, 1998 :15) Le produit du terroir québécois vise donc à mettre en relation et à superposer une filière de production à une filière rurale pour ensuite développer des stratégies de commercialisation et de distribution afin de rentabiliser le produit. Seule une ressource collectée, exploitée et transformée dans un territoire rural figure dans ce type de produits. Dans cette optique, l’alcool conçu à Montréal par la SAQ à partir des baies de chicouté cueillies sur la Côte-Nord n’est pas un produit du terroir. Il en va tout autrement pour le Pied-de-Vent, un fromage au goût de terroir très marqué, entièrement produit, distribué et vendu à partir des Îles-de-la-Madeleine. La filière de production d’un produit du terroir met en œuvre un ensemble d’éléments qui expriment avant tout une différence, généralement reconnue en Europe par un mode de certification ou de labellisation. Chaque élément du terroir entre en jeu afin de personnaliser et de différencier le produit. Essentiellement, ce processus obligé s’exprime par l’utilisation de l’ensemble des conditions requises qui typeront la ressource, de son lieu d’origine jusqu’à sa production finale. Cette filière doit donc être respectée à chaque fois que l’on désire à partir d’un produit, atteindre une expression totale et optimale de valeurs, de qualité et de goût dans un terroir. Seule cette conjonction, cette complicité établissent un état réel d’esprit des lieux pour que les produits puissent naturellement parler de leur terroir. Pour Solidarité rurale du Québec, les produits du terroir peuvent être regroupés sous différents genres. On y retrouve des ressources transformées ou à l’état brut, des produits de l’artisanat et des recettes culinaires. Ils sont parfois issus d’une génétique ancienne ou encore le résultat d’une récolte d’origine végétale, minérale ou d’une collecte animale. Ces produits sont donc directement le fruit de pratiques culturelles innées ou acquises, qu’elles soient alimentaires, vestimentaires, esthétiques, agricoles ou forestières. Tous ces produits fortement enracinés au territoire expriment des forces créatrices, une diversité à promouvoir. Ils sont un miroir, voire une fenêtre sur la manière de vivre des ruraux. L’économie rurale ne s’arrêtant pas uniquement aux limites de la production agricole, le Québec rural est aussi une terre d’eau, une terre de forêts. Dans cet esprit, les produits du terroir sont autant l’ardoise de Saint-Marc-du-Lac-Long, le duvet d’eider des Îles du Bas-Saint-Laurent, la boutonnue de Charlevoix, la chaloupe de Verchères, les paniers en hart rouge de Rivière-Ouelle, les agates de Gaspé que l’agneau des Solidarité rurale du Québec Page 6 prés-salés, le melon d’Oka, la pâte de homard des Îles-de-la-Madeleine, le jambon fumé au genièvre de l’Île au Canot et le fromage de l’Île aux Grues. Le produit de terroir est essentiellement le fruit d’une rencontre entre nature et culture, le résultat d’une symbiose, d’une adéquation entre l’activité humaine et les ressources naturelles qui l’entourent. En somme, pour Solidarité rurale du Québec, le produit de terroir est : «un produit issu d’une pratique valorisant les potentiels naturels et culturels locaux et qui a obtenu sa forme ou son usage précis en vertu de la transmission d’un savoir-faire et du maintien d’une filière de production particulière.» (Solidarité rurale du Québec, 1999b : 37) Les terroirs, une économie rurale en émergence Depuis quelques années, l’économie rurale est porteuse d’idées nouvelles à laquelle se rattachent des concepts en émergence comme l’économie des terroirs, l’économie sociale et solidaire, la gestion intégrée des ressources et la multifonctionnalité. Ce dernier concept est sans contredit plus complexe et plus politique que les autres. D’emblée, la multifonctionnalité de l’agriculture reconnaît qu’au-delà de sa fonction première qui consiste à fournir des aliments et des fibres, elle façonne également le paysage, apporte des avantages environnementaux tels que la conservation des sols, la gestion durable des ressources naturelles renouvelables et la préservation de la biodiversité tout en contribuant à la viabilité socio-économique de nombreuses zones rurales (OCDE, 2001 : 5). Sans doute faut-il retenir de la multifonctionnalité que rien ne doit nous faire croire que l’agriculture serait la seule activité économique en milieu rural dotée de ce caractère multifonctionnel. Ainsi, la plupart des systèmes économiques ruraux sont, dès leur fondation, caractérisés par une mixité d’activités économiques complémentaires qu’on pourrait aujourd’hui qualifier de multifonctionnelle. On pourrait brosser un portrait complet de l’ensemble des activités économiques rurales afin de capter cette complémentarité naturelle qui s’était alors tissée entre l’agriculture, les activités forestières mais aussi avec l’ensemble des autres activités économiques. À ce sujet, plusieurs villages étaient hier caractérisés par la présence d’activités artisanales et industrielles en appui aux autres secteurs d’activités plus traditionnels. Il serait sans doute long d’en établir la liste. On peut penser aux cultures végétales et fruitières, à la production de beurre et de fromages, aux industries de la pierre, de l’ardoise et de la brique, à l’ébénisterie fine et aux travaux du bois ainsi qu’aux industries des textiles. Ces productions appartiennent à un autre temps. Cependant, plus que le produit en soi, c’est ce qu’il sous-entend qui est intéressant de retenir. Ainsi, on pourrait affirmer que les industries rurales, l’art domestique et les systèmes de production artisanale du Québec portaient en eux les mêmes ferments qui ont permis à beaucoup de pays européens, dont l’Italie et la France, de développer des produits spécifiques à forte connotation identitaire, comme les produits AOC. En somme, il faut retenir que la pluriactivité des milieux ruraux québécois doit être considérée comme un trait distinctif et peut constituer encore aujourd’hui une alternative à la mono industrie. Solidarité rurale du Québec Page 7 De notre point de vue, l’économie des terroirs constitue un modèle en ré-émergence puisqu’il cherche à consolider la nature plurielle et la vocation multiple des territoires ruraux. L’économie des terroirs ne s’oppose pas au modèle dominant, ni aux logiques et aux problématiques urbaines. Elle s’inscrit plutôt en complémentarité au marché actuel. Les produits du terroir sont une réponse à la standardisation des mœurs et des produits, une réaction à l’égard des effets de la mondialisation. Si l’économie des terroirs n’ignore en rien les lois actuelles du marché, son ancrage au territoire lui permet tout simplement de fonctionner en utilisant aussi des relations sociales, culturelles et identitaires. Face à la libéralisation des marchés, à la mondialisation des échanges, à la concentration de la production et de la distribution alimentaire, il faut sérieusement s’interroger sur l’intérêt que pourrait comporter la remise en état de circuits économiques courts, davantage à la portée de produits locaux. Selon Claude Lafleur, secrétaire générale de la Coopérative fédérée du Québec, les produits du terroir ont peu de chance de se déployer s’ils n’atteignent pas une renommée nationale et internationale : les produits du terroir resteront une activité économique marginale si certains obstacles ne sont pas levés, dont la prédominance des grands réseaux de commercialisation (Solidarité rurale du Québec, 1999a : 63). Dans la même veine, nous mentionnons que : «S’il convient de maintenir l’agriculture de masse pour les marchés de masse, le choix de la diversification et de l’agriculture de créneaux s’impose comme une voie d’avenir […] Cette première action touchant la production ne constitue qu’une étape à laquelle doit s’ajouter la transformation. Chaque grande région du Québec doit se fixer l’objectif de « livrer » des produits commercialisables et non plus des matières brutes ou légèrement transformées. Il faut donc mobiliser les acteurs, identifier les créneaux de marché, donner aux produits des caractéristiques régionales lorsque c’est possible. De plus, dans la foulée de la Conférence sur l’agriculture et l’agroalimentaire, la commercialisation des produits agroalimentaires dans des circuits commerciaux courts doit être encouragée et soutenue. La structure québécoise de commercialisation (les distributeurs et les détaillants) et de transformation (notamment les abattoirs) constitue probablement un des freins à toute stratégie de diversification et de régionalisation de la transformation agroalimentaire. Si le débat reste ouvert, les parties devront convenir que les enjeux sont de taille.» (Solidarité rurale du Québec, 1999c : 23) Les créneaux commerciaux sont de plus en plus une approche économique particulière qui profite de la mondialisation. Un créneau résulte de l’association entre un produit spécifique et une demande spécifique. Pour inventer et développer un créneau, il faut soit rénover les méthodes de fabrication d’un produit traditionnel, soit imaginer de nouveaux produits ou services à partir de ressources locales. Le développement et la valorisation des produits du terroir contribuent à restituer aux zones rurales l’image de qualité. Beaucoup d’exemples montrent à quel point des produits de qualité et de notoriété dit du «terroir», s’intègrent au marché local puis dans le marché mondial. Le Porto, le Sauternes, le tweed du Donegal, le camée en corail de Naples, le parmesan de Parme, les huîtres de Cancale, la laine des Îles d’Aran, les whisky de la vallée de Spey, le couteau Laguiole, les montres de Franche-Comté et la soie des Cévennes en sont quelques exemples. Solidarité rurale du Québec Page 8 À l’image d’une ruche contenant une infinité de petites alvéoles, l’économie des terroirs a le mérite de diversifier l’économie rurale. Chacun des producteurs travaille à son terroir, tire profit de ses savoir-faire et place son produit dans une niche de marché. Les marchés de créneaux font aussi appel à une relation particulière entre producteurs et consommateurs : une convention de réputation du produit, un produit différencié, une spécificité liée au lieu d’origine, une qualité de saveur, d’esthétique, de convivialité de services et d’originalité. «Une stratégie de différenciation s’appliquera à rendre les aspects tangibles et intangibles d’un produit différent de ceux que proposent les autres vendeurs… Son objectif est de convaincre le consommateur que les produits de cette marque sont supérieurs... La segmentation repose sur la spécialisation. Dans ce cas, on ne cherche pas à satisfaire tous les consommateurs, mais à offrir quelque chose de spécial à une fraction restreinte mais défendable du marché.» (OCDE, 1995 : 17) Le terroir consolide donc des avantages comparatifs fondés sur la spécificité géographique des produits. Mais encore faut-il pouvoir les reconnaître et les protéger de la sorte. Lors du Symposium international sur l'économie des terroirs, monsieur Mario Pezzini, chef du programme de développement rural et régional de l’OCDE proposait d’améliorer et d’investir dans des structures de production et de distribution qui aideront les créneaux spécialisés à émerger du territoire rural tout en se développant à l’intérieur d’un marché mondial compétitif : «parce qu’une fois qu’on fait des produits différents, il faut aussi le dire, le montrer et les protéger.» (Solidarité rurale du Québec, 1999a : 51) Dans cette optique, il est plus que nécessaire que la spécificité territoriale des produits du terroir québécois puissent être reconnue et protégée par une réglementation adéquate. L’intérêt des Québécois à l’égard des produits du terroir En plus des travaux de recherche, Solidarité rurale du Québec a mis à contribution ses connaissances en organisant dix sessions d’information sur les produits du terroir dans autant de régions du Québec. Près de 300 personnes ont participé à cette tournée provinciale. Pour la plupart, ils provenaient d’organismes régionaux et locaux de développement, de sociétés d’histoire, de ministères fédéral et provincial, de tables agroalimentaires, ils étaient aussi étudiants, promoteurs, artisans ou encore gestionnaires en tourisme. Une partie importante de ces rencontres a permis de répondre aux interrogations suivantes : qu’est-ce qu’un produit du terroir québécois ? Comment se distingue-t-il des autres produits? Est-ce uniquement un produit agroalimentaire? Cette partie fut très intéressante, d’autant plus qu’elle faisait appel aux connaissances régionales des participants. Il a bien été précisé tout au long de ces sessions que le produit du terroir n’est pas meilleur que le produit régional ou exotique, mais qu’il est simplement un prétexte pour développer des produits uniques qui sont liés aux ressources et au patrimoine rural. Bien entendu Solidarité rurale du Québec ne visait pas à créer un débat de sémantique, mais plutôt à constituer un espace commun de compréhension de ces concepts, étape préliminaire au développement. Cette partie fut très appréciée par les participants, d’autant plus qu’elle faisait appel aux connaissances qu’ils détenaient à l’égard de Solidarité rurale du Québec Page 9 leur territoire. Les participants étaient apparemment enclins à développer ce type de créneaux, mais ils ont en même temps soulevé la difficulté d’accéder à des filières de financement appropriées. L’intérêt des Québécois à l’égard des produits du terroir est donc bien réel. L’authenticité, la qualité et l’origine d’un produit, le respect de l’environnement et le développement durable constituent autant de facteurs qui influencent désormais une part importante de consommateurs dans leurs achats. Pour sonder cet intérêt, Solidarité rurale du Québec mandatait d’ailleurs au printemps 1999 la firme Jolicoeur et Associés de réaliser une Étude des comportements et attitudes des Québécois à l’égard de la ruralité et des produits du terroir. Les résultats du sondage effectué auprès de 801 personnes et dévoilé lors du Symposium international sur l'économie des terroirs précisent que le marché primaire des produits du terroir se situe environ à 600 000 ménages, soit 1,4 million de personnes au Québec. En fait, 61 % de la population québécoise se montre intéressée aux produits du terroir dont 24 % se disent très intéressée. Cette attitude positive à l’égard des produits du terroir caractérisés par une tradition et un savoir-faire spécifique à une localité est liée en très grande partie à une attitude positive à l’égard des régions rurales et même à un désir d’y demeurer. Solidarité rurale du Québec Page 10 Recommandations 1. Intensifier les efforts d’information et de recherche sur les produits du terroir et accentuer la promotion de la mesure d’aide financière actuelle; 2. Adopter une démarche rigoureuse d'accréditation des produits du terroir basée sur des critères de notoriété, d'historicité, de provenance et d'unicité du produit; 3. S’engager résolument dans un processus de certification ou de labellisation des produits du terroir afin qu’ils puissent d’une part, être distingués par les consommateurs et d’autre part, que les producteurs puissent bénéficier de la valeur ajoutée de cette protection et de cette reconnaissance; 4. Favoriser la mise sur pied de filières de production du producteur au consommateur, donc de la terre à la table, en mettant sur pied des structures de distribution et de commercialisation en circuit court. BIBLIOGRAPHIE BARDINET, Bernard et Pascal CORPAT, Guide des produits du terroir, Paris, Seuil, 1998. INSTITUT NATIONAL DES APPELLATIONS D’ORIGINE, Rapport d’activité 1999, Paris, 2000. MINISTÈRE DES RÉGIONS, Mesures pour développer le Québec rural, communiqué de presse, 6 février 2000. OBSERVATOIRE EUROPÉEN LEADER, «Commercialiser les produits locaux : circuits courts et circuits longs», Cahier de l’innovation, no. 7, juillet 2000. ORGANISATION DE DÉVELOPPEMENT ET DE COOPÉRATION ÉCONOMIQUES, Multifonctionnalité. Élaboration d’un cadre analytique, Paris, 2001. ORGANISATION DE DÉVELOPPEMENT ET DE COOPÉRATION ÉCONOMIQUES, Créneaux commerciaux et développement rural. Compte rendu d’un atelier et recommandations pour l’action, Paris, 1995. SOLIDARITÉ RURALE DU QUÉBEC, Actes du Symposium international sur l'économie des terroirs, Nicolet, décembre 1999a. SOLIDARITÉ RURALE DU QUÉBEC, Mémoire des terroirs. Étude pour un premier inventaire sélectif des produits du terroir, collection «Études rurales», Nicolet, 1999b. SOLIDARITÉ RURALE DU QUÉBEC, Avis pour une politique gouvernementale de développement rural, Nicolet, 1999c. STATISTIQUE CANADA, Division de la statistique du revenu. Dépenses moyennes des ménages, 1999. VALADIER, André, Contribution à la commission d’agriculture et d’économie rurale, texte inédit, février 1998.