les produits du terroir qubcois

publicité
LES PRODUITS DU TERROIR
QUÉBÉCOIS
Une façon de développer le Québec rural
Mémoire présenté au ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de
l’Alimentation du Québec dans le cadre de la consultation publique sur la
politique québécoise de la transformation alimentaire
Solidarité rurale du Québec
Nicolet, Septembre 2001
Solidarité rurale du Québec
Page 2
SOLIDARITÉ RURALE DU QUÉBEC
Solidarité rurale du Québec a été créée en 1991 pour assurer le suivi des États généraux du
monde rural auxquels participaient 1200 délégués. Solidarité rurale est une coalition composée
d’une vingtaine d’organismes nationaux démocratiques et présents partout sur le territoire, d’une
centaine d’organismes régionaux, de dizaines de municipalités et de nombreux militants et
militantes. Sa mission est essentiellement de promouvoir la revitalisation et le développement du
monde rural de manière à renverser le mouvement de déclin et de destruction des campagnes
québécoises. Cet organisme sans but lucratif reçoit ses mandats de son assemblée générale
annuelle. Solidarité rurale est d’abord financée par ses membres réguliers et associés. Enfin, elle
agit depuis 1997 à titre d’instance-conseil du gouvernement du Québec en matière de ruralité. En
février 1999, la coalition déposait à ce titre au ministère des Régions un Avis pour une politique
gouvernementale de développement rural.
Solidarité rurale incite constamment les communautés rurales à développer un intérêt à l’égard
de leur histoire, de leurs ressources et de leurs savoir-faire afin d'en tirer profit et de diversifier
leur économie. C'est dans cet esprit qu'elle s’est fait le promoteur, en mars 1998 à la Conférence
sur l’agriculture et l’agroalimentaire québécois, de la mise en place d’une mesure
gouvernementale d’aide financière sur les produits du terroir. Concrètement, depuis l’adoption
de la Mesure de soutien aux produits du terroir issus d’un savoir-faire traditionnel, le ministère
des Régions a soutenu financièrement près d’une trentaine de projets. Pour en nommer quelquesuns citons: l’agneau des prés-salés de l’Île Verte, la morue séchée et salée de la Gaspé Cured, le
fromage de l’Île d’Orléans ou encore le caviar d’esturgeon de Saint-Bruno-de-Guigues au
Témiscamingue. Des représentants de Solidarité rurale du Québec et des ministères des Régions,
de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation ainsi que de la Culture et des
Communications siègent sur le comité de sélection de cette mesure.
Pendant deux ans, nous avons mené des travaux de recherche et d’inventaire afin d’identifier des
produits du terroir québécois. De même nous avons commandé un sondage afin de vérifier
l'intérêt des consommateurs pour ce type de produit. En novembre 1999, Solidarité rurale rendait
public les résultats de cet inventaire et du sondage 1 . Parallèlement à ces travaux, un important
travail de sensibilisation a été réalisé auprès des ruraux. Près de 300 personnes ont assisté partout
au Québec à dix sessions d’information sur les produits du terroir. L’ensemble de cette démarche
s’est enfin traduite par la tenue à Trois-Rivières du premier Symposium international sur
l'économie des terroirs. Cet événement d’envergure qui réunissait plus de 180 participants et
experts venus de France, de Belgique, d’Italie, d’Angleterre, d’Écosse, d’Irlande, d’Espagne, des
États-Unis, du Canada et du Québec a permis d’évaluer les potentiels qu’offre ce modèle de
développement territorial. La coalition se présente donc devant vous avec une expertise solide et
reconnue en matière de produits du terroir.
1
SOLIDARITÉ RURALE DU QUÉBEC, Mémoire des terroirs. Étude pour un premier inventaire sélectif des
produits du terroir, collection Études rurales, Nicolet, 1999.
JOLICOEUR ET ASSOCIÉS, Étude des comportements et attitudes des Québécois à l’égard de la ruralité et des
produits du terroir, Montréal, 1999.
Solidarité rurale du Québec
Page 3
Les produits du terroir québécois et la diversification économique
Lors du dépôt en février 1999 de l’Avis pour une politique gouvernementale de développement
rural, Solidarité rurale invitait le gouvernement et les acteurs publics à une refondation de
l’économie rurale. La coalition mentionnait :
«À bien y regarder, le monde rural québécois est peut-être mieux placé
que bien d’autres pour faire face aux grandes tendances et aux
soubresauts de l’économie mondiale. Sa diversité et sa fragmentation,
deux caractéristiques qui sont souvent dénoncées car elles induisent sa
complexité, sont ses avantages stratégiques. Elles lui permettent une
meilleure modulation et le rendent moins fragile aux variations
sectorielles de l’économie. En d’autres termes, le monde rural n’a pas
mis tous ses œufs dans le même panier […] La diversification
économique […] renvoie surtout au développement de filières et de
maillages. Les secteurs lourds sont connus, il s’agit des ressources
naturelles; il reste à pousser plus avant […] En termes économiques, il
faut caractériser, personnaliser, démarquer la production régionale […]
Aussi, pour développer une économie véritablement « territorialisée », il
faut que les ressources humaines et naturelles se conjuguent. L’ancrage
d’un secteur de l’économie québécoise dans le territoire assurera sa
pérennité.»
(Solidarité rurale du Québec, 1999c; 19;23;26)
L’essentiel de la démarche de Solidarité rurale du Québec vise ainsi à ancrer l’économie au
territoire rural en favorisant la transformation des ressources naturelles d’ordre alimentaire et non
alimentaire. Les produits du terroir représentent quant à nous un élément clef de la
diversification de l’activité économique rurale. Ce type de production peut créer de la prospérité
au village et faire de l’identité culturelle une source inépuisable pour de nouvelles activités
économiques.
Les produits du terroir sont, par essence, obligatoirement liés au patrimoine rural. Ils reflètent la
façon dont les ruraux entretiennent des rapports tangibles et intangibles avec la nature, tout en
traduisant la quotidienneté d’une vie domestique en constante évolution. Les produits du terroir
relèvent des savoir-faire traditionnels, de l’art de fabriquer, des tours de main et des secrets de
métier. Ils se présentent comme une manifestation visible de la spécificité des territoires ruraux,
l'expression d'un instinct social de conservation, des gestes essentiellement culturels à incidence
économique. Dans cette optique, il paraît évident que ces produits sont à l’opposé de la
production industrielle, standardisée et uniformisée. Cela ne veut pas dire pour autant que les
produits du terroir ne puissent faire partie d'un réseau de commercialisation rentable.
Dès le départ, nous nous sommes appliqués à développer ce concept et à en distinguer les
composantes. Bien que l’utilisation du mot terroir soit récente au Québec, il traduit sans
équivoque une réalité plus ancienne. Les centaines de produits identifiés dans l’inventaire
Mémoire des terroirs sont d’ailleurs là pour en témoigner. Toutefois, il est clair que la France fait
école dans ce domaine. Dès 1935, ce pays s’est doté d’un rigoureux système d’appellation
d’origine contrôlée (AOC) dont la base juridique remonte à une loi de 1905 qui instituait alors
Solidarité rurale du Québec
Page 4
des appellations d’origine pour des produits fabriqués et artisanaux, donc des produits non
alimentaires.
Aujourd’hui, les AOC représentent en France, notamment dans les secteurs viticole, laitier et
agroalimentaire, un véritable instrument de développement économique. En 1999, plus de 110
000 exploitations agricoles étaient impliquées dans la démarche AOC. De plus en plus, ces
appellations se développent dans d’autres secteurs comme la volaille, les viandes, les fruits, les
légumes, les miels, les huiles d’olive et les huiles essentielles. Ainsi, la valeur totale des AOC
représentait 20 milliards de dollars en 1999, dont 15 milliards de dollars pour le secteur viticole,
2,5 milliards pour le secteur laitier (fromage, beurre et crème) et 2,5 milliards pour les eaux-devie (INAO, 1999 : 26). À l’échelle européenne, le marché de ce type de productions alimentaires
est estimé à 12% de la consommation totale (Paul Soto Hardiman, Solidarité rurale du Québec,
1999a : 44). Il faut dire enfin que le système français des AOC a depuis fait des émules,
notamment avec la création en 1992 des appellations d’origine protégée (AOP) et des indications
géographiques protégées (IGP) au sein de l’Union européenne.
Il est toujours hasardeux d'extrapoler à partir des comportements de consommation autres que les
nôtres mais tentons l'exercice. Les dépenses totales au chapitre de l'alimentation au Québec en
1999 se chiffraient à 17,6 milliards de dollars (Statistique Canada, 1999). Si nous y appliquons
un taux de 12%, la valeur potentielle du marché des produits alimentaires de créneaux devrait se
chiffrer à 2 milliards de dollars.
Selon André Barbaroux, directeur du Centre national pour l’aménagement des structures des
exploitations agricoles (CNASEA) et Michel Prugue, président du Comité agroalimentaire de
l’INAO, si le positionnement commercial des produits AOC se base sur des valeurs difficilement
quantifiables comme le gustatif, le sensoriel, le culturel, l’émotionnel, l’esthétique du produit et
la qualité de l’environnement il n'en contribue pas moins à l’aménagement et au développement
du territoire d'origine puisque toute la valeur ajoutée du produit y est accrochée. Plus que le
rendement à l’hectare ou la simple croissance économique, les AOC introduisent une autre voie
de développement et de sauvegarde du potentiel économique (Solidarité rurale du Québec,
1999a : 40). Toujours selon ces derniers :
«Dans la démarche d’appellation d’origine qui impose des conditions de
production rigoureuses, le producteur ou la productrice redeviennent des
opérateurs à part entière, de véritables partenaires économiques qui
adhérent volontairement au système. Ils quittent le rôle de simple
apporteur de matières premières et sont intéressés au premier chef à la
récupération de la valeur ajoutée. Nous pouvons faire le lien avec le
patrimoine naturel local […] Les signes distinctifs de qualité sont des
éléments favorisant la connivence entre ceux et celles qui consomment et
ceux et celles qui produisent, ce qui reste une clef essentielle de
l’économie des terroirs.»
(Solidarité rurale du Québec,1999a : 41;42)
Les terroirs québécois comme les terroirs européens se présentent comme des entités
géographiques, des zones naturelles d’une dimension restreinte présentant des caractéristiques
biogéographiques et physiographiques distinctives. Or, ici comme ailleurs, le terroir est aussi une
Solidarité rurale du Québec
Page 5
réalité ethnographique et culturelle qui résulte de l’utilisation successive ou nouvelle des
ressources par les femmes et les hommes qui l’habitent. Ancien président du Comité National
des Produits Laitiers de l’Institut national des appellations d’origine (INAO), André Valadier
mentionnait en 1998 que cette notion de terroir ne relève pas seulement du domaine des
traditions populaires, mais qu’elle est avant tout la concrétisation d’un partenariat économique
interprofessionnel parfaitement réussi. Ainsi, une observation attentive montre bien que la
notoriété d’un terroir résulte toujours de la notoriété d’un produit, d’un objet, et donc de l’action
des hommes. Les produits du terroir sont d’abord qualifiés par le consommateur qui souhaite les
identifier et s’assurer de leur authenticité, de leur qualité. Ces produits portent le nom de leur lieu
d’origine, de leur village ou de leur région. Le lieu ne peut pas toujours être retenu comme le
seul élément complémentaire de classification ou d’identification. Mais l’attribution
géographique à une production donnée suppose une délimitation rigoureuse du terroir d’origine
et «la constatation du maintien sur la longue durée d’usages locaux, loyaux et constants.»
(Bardinet et Corpat, 1998 :15)
Le produit du terroir québécois vise donc à mettre en relation et à superposer une filière de
production à une filière rurale pour ensuite développer des stratégies de commercialisation et de
distribution afin de rentabiliser le produit. Seule une ressource collectée, exploitée et transformée
dans un territoire rural figure dans ce type de produits. Dans cette optique, l’alcool conçu à
Montréal par la SAQ à partir des baies de chicouté cueillies sur la Côte-Nord n’est pas un produit
du terroir. Il en va tout autrement pour le Pied-de-Vent, un fromage au goût de terroir très
marqué, entièrement produit, distribué et vendu à partir des Îles-de-la-Madeleine.
La filière de production d’un produit du terroir met en œuvre un ensemble d’éléments qui
expriment avant tout une différence, généralement reconnue en Europe par un mode de
certification ou de labellisation. Chaque élément du terroir entre en jeu afin de personnaliser et
de différencier le produit. Essentiellement, ce processus obligé s’exprime par l’utilisation de
l’ensemble des conditions requises qui typeront la ressource, de son lieu d’origine jusqu’à sa
production finale. Cette filière doit donc être respectée à chaque fois que l’on désire à partir d’un
produit, atteindre une expression totale et optimale de valeurs, de qualité et de goût dans un
terroir. Seule cette conjonction, cette complicité établissent un état réel d’esprit des lieux pour
que les produits puissent naturellement parler de leur terroir.
Pour Solidarité rurale du Québec, les produits du terroir peuvent être regroupés sous différents
genres. On y retrouve des ressources transformées ou à l’état brut, des produits de l’artisanat et
des recettes culinaires. Ils sont parfois issus d’une génétique ancienne ou encore le résultat d’une
récolte d’origine végétale, minérale ou d’une collecte animale. Ces produits sont donc
directement le fruit de pratiques culturelles innées ou acquises, qu’elles soient alimentaires,
vestimentaires, esthétiques, agricoles ou forestières. Tous ces produits fortement enracinés au
territoire expriment des forces créatrices, une diversité à promouvoir. Ils sont un miroir, voire
une fenêtre sur la manière de vivre des ruraux. L’économie rurale ne s’arrêtant pas uniquement
aux limites de la production agricole, le Québec rural est aussi une terre d’eau, une terre de
forêts. Dans cet esprit, les produits du terroir sont autant l’ardoise de Saint-Marc-du-Lac-Long, le
duvet d’eider des Îles du Bas-Saint-Laurent, la boutonnue de Charlevoix, la chaloupe de
Verchères, les paniers en hart rouge de Rivière-Ouelle, les agates de Gaspé que l’agneau des
Solidarité rurale du Québec
Page 6
prés-salés, le melon d’Oka, la pâte de homard des Îles-de-la-Madeleine, le jambon fumé au
genièvre de l’Île au Canot et le fromage de l’Île aux Grues.
Le produit de terroir est essentiellement le fruit d’une rencontre entre nature et culture, le résultat
d’une symbiose, d’une adéquation entre l’activité humaine et les ressources naturelles qui
l’entourent. En somme, pour Solidarité rurale du Québec, le produit de terroir est :
«un produit issu d’une pratique valorisant les potentiels naturels et
culturels locaux et qui a obtenu sa forme ou son usage précis en vertu de
la transmission d’un savoir-faire et du maintien d’une filière de
production particulière.»
(Solidarité rurale du Québec, 1999b : 37)
Les terroirs, une économie rurale en émergence
Depuis quelques années, l’économie rurale est porteuse d’idées nouvelles à laquelle se rattachent
des concepts en émergence comme l’économie des terroirs, l’économie sociale et solidaire, la
gestion intégrée des ressources et la multifonctionnalité. Ce dernier concept est sans contredit
plus complexe et plus politique que les autres. D’emblée, la multifonctionnalité de l’agriculture
reconnaît qu’au-delà de sa fonction première qui consiste à fournir des aliments et des fibres, elle
façonne également le paysage, apporte des avantages environnementaux tels que la conservation
des sols, la gestion durable des ressources naturelles renouvelables et la préservation de la
biodiversité tout en contribuant à la viabilité socio-économique de nombreuses zones rurales
(OCDE, 2001 : 5). Sans doute faut-il retenir de la multifonctionnalité que rien ne doit nous faire
croire que l’agriculture serait la seule activité économique en milieu rural dotée de ce caractère
multifonctionnel.
Ainsi, la plupart des systèmes économiques ruraux sont, dès leur fondation, caractérisés par une
mixité d’activités économiques complémentaires qu’on pourrait aujourd’hui qualifier de
multifonctionnelle. On pourrait brosser un portrait complet de l’ensemble des activités
économiques rurales afin de capter cette complémentarité naturelle qui s’était alors tissée entre
l’agriculture, les activités forestières mais aussi avec l’ensemble des autres activités
économiques. À ce sujet, plusieurs villages étaient hier caractérisés par la présence d’activités
artisanales et industrielles en appui aux autres secteurs d’activités plus traditionnels. Il serait sans
doute long d’en établir la liste. On peut penser aux cultures végétales et fruitières, à la production
de beurre et de fromages, aux industries de la pierre, de l’ardoise et de la brique, à l’ébénisterie
fine et aux travaux du bois ainsi qu’aux industries des textiles.
Ces productions appartiennent à un autre temps. Cependant, plus que le produit en soi, c’est ce
qu’il sous-entend qui est intéressant de retenir. Ainsi, on pourrait affirmer que les industries
rurales, l’art domestique et les systèmes de production artisanale du Québec portaient en eux les
mêmes ferments qui ont permis à beaucoup de pays européens, dont l’Italie et la France, de
développer des produits spécifiques à forte connotation identitaire, comme les produits AOC. En
somme, il faut retenir que la pluriactivité des milieux ruraux québécois doit être considérée
comme un trait distinctif et peut constituer encore aujourd’hui une alternative à la mono
industrie.
Solidarité rurale du Québec
Page 7
De notre point de vue, l’économie des terroirs constitue un modèle en ré-émergence puisqu’il
cherche à consolider la nature plurielle et la vocation multiple des territoires ruraux. L’économie
des terroirs ne s’oppose pas au modèle dominant, ni aux logiques et aux problématiques
urbaines. Elle s’inscrit plutôt en complémentarité au marché actuel. Les produits du terroir sont
une réponse à la standardisation des mœurs et des produits, une réaction à l’égard des effets de la
mondialisation. Si l’économie des terroirs n’ignore en rien les lois actuelles du marché, son
ancrage au territoire lui permet tout simplement de fonctionner en utilisant aussi des relations
sociales, culturelles et identitaires.
Face à la libéralisation des marchés, à la mondialisation des échanges, à la concentration de la
production et de la distribution alimentaire, il faut sérieusement s’interroger sur l’intérêt que
pourrait comporter la remise en état de circuits économiques courts, davantage à la portée de
produits locaux. Selon Claude Lafleur, secrétaire générale de la Coopérative fédérée du Québec,
les produits du terroir ont peu de chance de se déployer s’ils n’atteignent pas une renommée
nationale et internationale : les produits du terroir resteront une activité économique marginale si
certains obstacles ne sont pas levés, dont la prédominance des grands réseaux de
commercialisation (Solidarité rurale du Québec, 1999a : 63). Dans la même veine, nous
mentionnons que :
«S’il convient de maintenir l’agriculture de masse pour les marchés de masse, le choix
de la diversification et de l’agriculture de créneaux s’impose comme une voie d’avenir
[…] Cette première action touchant la production ne constitue qu’une étape à laquelle
doit s’ajouter la transformation. Chaque grande région du Québec doit se fixer l’objectif
de « livrer » des produits commercialisables et non plus des matières brutes ou
légèrement transformées. Il faut donc mobiliser les acteurs, identifier les créneaux de
marché, donner aux produits des caractéristiques régionales lorsque c’est possible. De
plus, dans la foulée de la Conférence sur l’agriculture et l’agroalimentaire, la
commercialisation des produits agroalimentaires dans des circuits commerciaux courts
doit être encouragée et soutenue. La structure québécoise de commercialisation (les
distributeurs et les détaillants) et de transformation (notamment les abattoirs) constitue
probablement un des freins à toute stratégie de diversification et de régionalisation de la
transformation agroalimentaire. Si le débat reste ouvert, les parties devront convenir que
les enjeux sont de taille.»
(Solidarité rurale du Québec, 1999c : 23)
Les créneaux commerciaux sont de plus en plus une approche économique particulière qui
profite de la mondialisation. Un créneau résulte de l’association entre un produit spécifique et
une demande spécifique. Pour inventer et développer un créneau, il faut soit rénover les
méthodes de fabrication d’un produit traditionnel, soit imaginer de nouveaux produits ou
services à partir de ressources locales. Le développement et la valorisation des produits du terroir
contribuent à restituer aux zones rurales l’image de qualité. Beaucoup d’exemples montrent à
quel point des produits de qualité et de notoriété dit du «terroir», s’intègrent au marché local puis
dans le marché mondial. Le Porto, le Sauternes, le tweed du Donegal, le camée en corail de
Naples, le parmesan de Parme, les huîtres de Cancale, la laine des Îles d’Aran, les whisky de la
vallée de Spey, le couteau Laguiole, les montres de Franche-Comté et la soie des Cévennes en
sont quelques exemples.
Solidarité rurale du Québec
Page 8
À l’image d’une ruche contenant une infinité de petites alvéoles, l’économie des terroirs a le
mérite de diversifier l’économie rurale. Chacun des producteurs travaille à son terroir, tire profit
de ses savoir-faire et place son produit dans une niche de marché. Les marchés de créneaux font
aussi appel à une relation particulière entre producteurs et consommateurs : une convention de
réputation du produit, un produit différencié, une spécificité liée au lieu d’origine, une qualité de
saveur, d’esthétique, de convivialité de services et d’originalité.
«Une stratégie de différenciation s’appliquera à rendre les aspects
tangibles et intangibles d’un produit différent de ceux que proposent les
autres vendeurs… Son objectif est de convaincre le consommateur que
les produits de cette marque sont supérieurs... La segmentation repose
sur la spécialisation. Dans ce cas, on ne cherche pas à satisfaire tous les
consommateurs, mais à offrir quelque chose de spécial à une fraction
restreinte mais défendable du marché.»
(OCDE, 1995 : 17)
Le terroir consolide donc des avantages comparatifs fondés sur la spécificité géographique des
produits. Mais encore faut-il pouvoir les reconnaître et les protéger de la sorte. Lors du
Symposium international sur l'économie des terroirs, monsieur Mario Pezzini, chef du
programme de développement rural et régional de l’OCDE proposait d’améliorer et d’investir
dans des structures de production et de distribution qui aideront les créneaux spécialisés à
émerger du territoire rural tout en se développant à l’intérieur d’un marché mondial compétitif :
«parce qu’une fois qu’on fait des produits différents, il faut aussi le dire, le montrer et les
protéger.» (Solidarité rurale du Québec, 1999a : 51) Dans cette optique, il est plus que nécessaire
que la spécificité territoriale des produits du terroir québécois puissent être reconnue et protégée
par une réglementation adéquate.
L’intérêt des Québécois à l’égard des produits du terroir
En plus des travaux de recherche, Solidarité rurale du Québec a mis à contribution ses
connaissances en organisant dix sessions d’information sur les produits du terroir dans autant de
régions du Québec. Près de 300 personnes ont participé à cette tournée provinciale. Pour la
plupart, ils provenaient d’organismes régionaux et locaux de développement, de sociétés
d’histoire, de ministères fédéral et provincial, de tables agroalimentaires, ils étaient aussi
étudiants, promoteurs, artisans ou encore gestionnaires en tourisme.
Une partie importante de ces rencontres a permis de répondre aux interrogations suivantes :
qu’est-ce qu’un produit du terroir québécois ? Comment se distingue-t-il des autres produits?
Est-ce uniquement un produit agroalimentaire? Cette partie fut très intéressante, d’autant plus
qu’elle faisait appel aux connaissances régionales des participants. Il a bien été précisé tout au
long de ces sessions que le produit du terroir n’est pas meilleur que le produit régional ou
exotique, mais qu’il est simplement un prétexte pour développer des produits uniques qui sont
liés aux ressources et au patrimoine rural. Bien entendu Solidarité rurale du Québec ne visait pas
à créer un débat de sémantique, mais plutôt à constituer un espace commun de compréhension de
ces concepts, étape préliminaire au développement. Cette partie fut très appréciée par les
participants, d’autant plus qu’elle faisait appel aux connaissances qu’ils détenaient à l’égard de
Solidarité rurale du Québec
Page 9
leur territoire. Les participants étaient apparemment enclins à développer ce type de créneaux,
mais ils ont en même temps soulevé la difficulté d’accéder à des filières de financement
appropriées.
L’intérêt des Québécois à l’égard des produits du terroir est donc bien réel. L’authenticité, la
qualité et l’origine d’un produit, le respect de l’environnement et le développement durable
constituent autant de facteurs qui influencent désormais une part importante de consommateurs
dans leurs achats. Pour sonder cet intérêt, Solidarité rurale du Québec mandatait d’ailleurs au
printemps 1999 la firme Jolicoeur et Associés de réaliser une Étude des comportements et
attitudes des Québécois à l’égard de la ruralité et des produits du terroir. Les résultats du
sondage effectué auprès de 801 personnes et dévoilé lors du Symposium international sur
l'économie des terroirs précisent que le marché primaire des produits du terroir se situe environ à
600 000 ménages, soit 1,4 million de personnes au Québec. En fait, 61 % de la population
québécoise se montre intéressée aux produits du terroir dont 24 % se disent très intéressée. Cette
attitude positive à l’égard des produits du terroir caractérisés par une tradition et un savoir-faire
spécifique à une localité est liée en très grande partie à une attitude positive à l’égard des régions
rurales et même à un désir d’y demeurer.
Solidarité rurale du Québec
Page 10
Recommandations
1. Intensifier les efforts d’information et de recherche sur les produits du terroir et
accentuer la promotion de la mesure d’aide financière actuelle;
2. Adopter une démarche rigoureuse d'accréditation des produits du terroir basée sur des
critères de notoriété, d'historicité, de provenance et d'unicité du produit;
3. S’engager résolument dans un processus de certification ou de labellisation des produits
du terroir afin qu’ils puissent d’une part, être distingués par les consommateurs et
d’autre part, que les producteurs puissent bénéficier de la valeur ajoutée de cette
protection et de cette reconnaissance;
4. Favoriser la mise sur pied de filières de production du producteur au consommateur,
donc de la terre à la table, en mettant sur pied des structures de distribution et de
commercialisation en circuit court.
BIBLIOGRAPHIE
BARDINET, Bernard et Pascal CORPAT, Guide des produits du terroir, Paris, Seuil, 1998.
INSTITUT NATIONAL DES APPELLATIONS D’ORIGINE, Rapport d’activité 1999, Paris, 2000.
MINISTÈRE DES RÉGIONS, Mesures pour développer le Québec rural, communiqué de presse, 6
février 2000.
OBSERVATOIRE EUROPÉEN LEADER, «Commercialiser les produits locaux : circuits courts et
circuits longs», Cahier de l’innovation, no. 7, juillet 2000.
ORGANISATION DE DÉVELOPPEMENT ET DE COOPÉRATION ÉCONOMIQUES,
Multifonctionnalité. Élaboration d’un cadre analytique, Paris, 2001.
ORGANISATION DE DÉVELOPPEMENT ET DE COOPÉRATION ÉCONOMIQUES, Créneaux
commerciaux et développement rural. Compte rendu d’un atelier et recommandations pour l’action,
Paris, 1995.
SOLIDARITÉ RURALE DU QUÉBEC, Actes du Symposium international sur l'économie des terroirs,
Nicolet, décembre 1999a.
SOLIDARITÉ RURALE DU QUÉBEC, Mémoire des terroirs. Étude pour un premier inventaire sélectif
des produits du terroir, collection «Études rurales», Nicolet, 1999b.
SOLIDARITÉ RURALE DU QUÉBEC, Avis pour une politique gouvernementale de développement
rural, Nicolet, 1999c.
STATISTIQUE CANADA, Division de la statistique du revenu. Dépenses moyennes des ménages, 1999.
VALADIER, André, Contribution à la commission d’agriculture et d’économie rurale, texte inédit,
février 1998.
Téléchargement