Trouvaille. Anamneses de la critique (Kant, Freud - UvA-DARE

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Trouvaille. Anamneses de la critique (Kant, Freud, Lyotard)
Doude van Troostwijk, C.H.
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Doude van Troostwijk, C. H. (2003). Trouvaille. Anamneses de la critique (Kant, Freud, Lyotard) Straatsburg: in
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Download date: 24 May 2017
Chapitree
1
L'anamnèse e
TransformationTransformation de la recherche philosophique
Danss Ie Ménon, Platon critique Faporie sophistique selon laquelle on ne peut
rechercherr ce que Ton ne connait pas, autrement dit que toute recherche est
vainee puisqu'elle suppose ce dont elle est en quête. Il serait interessant
d'analyserr comment Platon répond a ce sophisme non pas par une refutation,
maiss par une affirmation métaphysique. Pour qu'une trouvaille soit possible,
ellee doit être reconnue - et done trouvée a 1'avance - par Ie chercheur: Ia
trouvaillee precede la recherche, ce qui invite Platon a défendre la cause
idéaliste:: zètein kai memtanein anamnesis holon estin, chercher et apprendre
correspondentt a mémoriser.1 L'homme sait toujours plus qu'il ne pense.
L'expériencee érotique en est la preuve: Péros est insatiable mais cela
n'empêchee nullement de savoir la défïcience de ce qui se présente au désir dans
cettee experience, un savoir qui renvoie a un pré-savoir de Pabsolument
desirable,, des images originaires qui reste a découvrir.2 Il est connu que, pour
Kant,, cette hypothese métaphysique basée sur VErinnerung die Philosophic
heifitheifit est è rejeter (cf. KRV, A313, 349). Kant remplace Fanamnèse
platoniciennee par une 'theorie' relevant de Finvention et de la creation, sans
d'ailleurss prendre en compte la consequence de la contingence de cette
spontanéité. .
C'estt seulement dans la philosophie du désir comme force que cette
consequencee peut être tirée. Elle implique la réintroduction du concept
anamneseanamnese sous une forme transformée. La spontanéité kantienne oblitérait
VanamneseVanamnese
platonicienne ; F'anamnese freudienne de la trouvaille aura pour but
dee *rouvrir' ce refoulement. Il s'agit d'un mouvement dans la reflexion,
développéé par Lyotard parallèlement è la methode psychanalytique
recommandéee par Freud, qui approche la philosophie de Part. Selon Lyotard,
Partt est désir de la presence inaccessible. Nous allons voir premièrement que
1'anamnesee implique la trouvaille d'une vérité qui échappe a la découverte et a
11 Platon Ménon, in :
Werke
in acht Bonden (Griechisch undDeutsch; Band 2). Darmstadt: WBG,
19900 (1977), pp. 540-541 (81 d).
22 L'argument sur Ie pré-savoir est donné dans Ie Phaidon, : Werke in acht Banden (Griechisch
undDeutsch;undDeutsch; Band3). Darmstadt: WBG, 1990 (1977), pp. 56-59 (74d-e).
67 7
1'inventionn
a la fois. Ensuite il sera expliqué comment
1'anamnese
est différente
dee la simple mise en mémoire.
CreationCreation ou Ia vérité en acte
Commee Tart dans la description de Valéry, la philosophie étant « oeuvre de
1'espritt
[qui] n'existe qu'eM acte », n'existe que dans la situation ou elle donne a
penser,, comme
1'ceuvre
picturale donne a voir (LE, 109-126).3 La philosophie,
mêmee celle qui pretend a la découverte de la vérité, reste une affaire de
trouvaille,, prise selon notre signification. La philosophie est creation et
inventionn de cadres, de concepts, d'idées. Si la vérité est de passage et si elle
est,, en ce sens, infinie, il faut, comme le disent Deleuze et Guattari, Pinventer
inlassablementt dans le fini, 'créer' pour
1'attraper
sur le
vif.4
Créer, a prendre
ss lors selon Pétymologie qui
1'associe
a crescere, croïtre, plutöt qu'a
Pautonomiee productrice d'un auteur. L'infinité de la vérité implique qu'elle
n'estt pas finie, pas morte done.
Laa vérité est vivante dans son infinite, mais sa vie est tout autre que
cellee qui se produit dans le temps bien réglé thématisé par Kant. Passons sur la
discussionn métaphysique et classique de 1'imbrication de
1'infini
sur le fini, pour
noterr tout simplement que si Pinfinité n'a pas de fin, pas de temporalité
successive,, et si, tout de même, elle est a penser dans le temps, on a a faire avec
unn autre temps. C'est, par exemple - mais est-ce qu'il y a un autre exemple ? -
lee temps événementiel d'avant
1'ordre
intuitif kantien, 'evenement' étant le mot
pourr ce qui ne produit pas et qui ne peut done pas se présenter dans le cadre de
laa temporalité. Pour attraper eet événementiel, il faut inventer, e'est-a-dire créer
danss le 'sans ordre', dans le chaos, une pensee (artistique, scientifique ou
philosophique),, tracer un plan et ériger une oeuvre. « Peut-être, se demandent
Deleuzee et Guattari, est-ce le propre de Part, de passer par le fini pour
retrouver,, redonner
1'infini.
»5 L'infini du chaos doit se traduire d'une maniere
défectueusee dans Pceuvre (artistique ou philosophique, peu importe pour
Lyotard).66 La vérité reste toujours encore a découvrir, puisque e'est
1'invention
33 Paul Valéry 'Première lecon du cours de poétique' (1937) in :
Oeuvres
(tome
1
Pléiade). Paris:
Gallimard,, 1957, p. 1349. L'influence de Valéry sur la pensee lyotardienne, nous
1'avons
étudiée
danss notre 'En . werkt 't
?
Lyotardd en Valéry over de kunst van het denken', in: De passie van
dede
aanraking.
Over de esthetica van Jean-Francois
Lyotard.
Budel: Damon,
2000,
pp.
133-149.
44 Gilles Deleuze et Felix Guattari,
Qu'est-ce-que la philosophie
? Paris: Les Editions de Minuit,
1991. .
55Ibid,p.Ibid,p. 186. .
66 En cela, il est moins determine que son ami Deleuze qui distingue nettement trois rapports a
l'infini,, différents pour les trois manières de penser. « La philosophie veut sauver
1'infini
en lui
donnan'tt de laconsistance [...]. La science au contraire renonce a Pinfini pour gagner la reference
[...].. L'art veut créer du fini qui redonne l'infini [...]. » (Deleuze et Guattari, o.c, p. 186) Ainsi
68 8
ouu la creation dans laquelle elle se traduit qui la trahit inévitablement. Son
inventionn fait obstruction a sa découverte.
Maiss n'est-ce pas tout cela, faire trop confiance a la tradition
métaphysique,, qui pose et suppose la vérité dans son infinite ? N'est-ce pass
lorss malicieusement que nous avons introduit Deleuze et Quattari qui pensent
précisémentt Ie contraire? Ils ont en effet échangé Ia métaphysique
transcendantee par Pimmanence, par la matérialité et Ie désir. C'est vrai. Il nous
fautt encore 'discerner' cette troisième maniere de 'trouver' : si la découverte
dépendd de Pinvention dans laquelle elle se peut faire, c'est la trouvaille qui est
laa condition de Pinvention.
L'affairee et notre 'suggestion' de la trouvaille sans doute 'inventive' et
provisoire,, sont pertinentes pour notre lecture de Lyotard et de Kant. La
philosophiee est Peffort de trouver des mots pour (re)trouver une chose qui Pa
faitt chercher, inventer et découvrir. « Une pensee qui pense a toujours rapport a
cee qu'elle ne sait pas penser, écrit Lyotard dans Partiele Francois Chdtelet, une
philosophiephilosophie en acte.
Encoree doit-elle ne pas s'en tenir k ce qu'elle 'sait' ne pas savoir penser,
disonss : k ce qui lui fait problème. Car il y a
1'autre
chose : ce qu'elle
'nee sait pas' qu'elle ne sait pas penser, que j'appellerai après bien
d'autress : la chose (MPhil, 179).
Ill faut, selon la citation, discerner deux modes de penser. L'un est la pensee
problématisante,, pensee de la question 'comment penser ceci ou cela ?' Elle
donnee occasion a la creation de concepts et de mots. « Pour résoudre un
problème,, il ne faut pas moins qu'inventer un concept, Ie créer, disait
effrontémentt Deleuze, créer un mot, avec les régies de ses rapports a d'autres
mots,,
c'est-a-dire inventer de la langue, un petit bout de langue, un idiome ...»
(MPhil,, 180). Mais, encore selon la même citation, sur Pautre bord du
dynamismee
créatif,
il y la pensee qui obéit a ce qu'elle tient de la 'chose'. Il faut
enchatnerr même en manque de vocabulaire, il faut enchaïner et done, quand les
phrasess manquent pour Penchainement, inventer de nouvel idiome. « Alors, les
humainss qui croyaient se servir du langage comme d'un instrument de
communicationn apprennent par Ie sentiment de peine qui accompagne Ie silence
(ett de plaisir qui accompagne Pinvention d'un nouvel idiome), qu'ils sont
requiss par Ie langage, et cela non pas pour accroitre a leur benefice la quantité
dess informations communicables dans les idiomes existants, mais pour
reconnaitree que ce qu'il y a è phraser excède ce qu'ils peuvent phraser
présentement,, et qu'il leur faut permettre
1'institution
d'idiomes qui n'existent
pass encore. (D, n° 23). C'est la pensee qui, indirectement, se demande: d'oü
peut-HH écrire : « Ie mot du philosophe est une phrase musicale » (MPhil, 181), c'est-a-dire qu'il
estt comme un thème dormant occasion a une variation et è F établissement d'une oeuvre. .
69 9
est-cee que je pense ? D'oü vient Ia recherche, d'oü viennent la découverte et
I*inventionn ?
L'ceuvre,, quelle qu'elle soit - conceptuelle, picturale, musicale -, puise
sonn énergie d'une source inconnue, appelée 'chose'.
Quii pousse a inventer Ie reel, a Assurer Ie donné ? Non pas Ie concept,
maiss è cöté de lui, la force inconnue de la chose, toujours alliée è la
désappropriation.. La conception s'entend dire sans cesse : tu n'as
encoree rien compris, nomme a nouveau. Et la raison s'efforce de se faire
Pamiee de 1'événement, qui dement son assurance MPhil, 189).
Quee peut-on dire de cette 'chose-source' ? La 'chose' innommable ne se pose
pass comme problème a résoudre mais comme ce qui est la 'source' dynamique
quii precede Ie problème et la recherche. « Nous philosophes, prenons Ie parti,
avonss Ie parti pris, de baptiser la chose. Et ce faisant, de la transformer en
problèmee » (MPhil, 183).7 C'est un effort courageux, mais destine a la faillite.
Laa 'chose' est ce qui se retire a la problématisation, puis qu'elle est ce qui
1'incite.8 8
Quii peut dire que Ie nom
['chose'
ou 'libidinal' ou 'difference' ou
'phrase-affect'' pour Lyotard] est Ie bon ? Celui que nous portons, vous
ett moi, Ie nom dit propre, nous essayons du moins de Ie mériter, et il
arrivee qu'il devienne Ie, a force. Mais la chose que nous baptisons
n'essaiee rien, ne se soucie de mériter
rien,
reste a
1'écart
des noms qu'on
luii prête. [Le] désordre, [la] méprise, c'est a quoi précisément la chose
faitt sentir sa presence; C'est-a-dire sa dérobade. Vous croyez
1'avoir
identifiée,, nommée, posée devant vous comme un problème qui
demandee un projet, un programme. Mais elle n'a rien a faire de vos pro-
,, de vos professions, elle résiste de fait a la symbolique et a la
problématiquee (MPhil, 183-184).
77 Lyotard discute ce que Chfitelet nommait 'histoire' ou 'libido' (MPhil, 183, 189). La question
vautt également pour Lyotard hri-même: quelle est la légitimité du nom 'chose* ? Pourquoi la
chosee est-elle une 'chose', si son trait décisif
dans
la pensee est précisément qu'elle ne tombe pas
souss les conditions de la 'chosification' ? Pareille critique, articulée après Ia mort de Kant, a été
formuléee par Schelling et Schopenhauer è
1'adresse
de Ia Ding an sich: si la chose en soi est
d'avantt la chose phénoménale, comment savoir si elle est, de quel droit mérite-t-elle le nom
'chose'' ?
88 Lyotard s'oppose done a ce qui chez Kant est le problème posé par le nouménal et par le Ding
anan
sich.
« Ich nenne einen Begriff problematisch, der keinen Widerspruch enthalt, der auch als
einee Begrenzung gegebener Begriffe mit anderen Erkenntnissen zusammenhangt, dessen
objektivee Realitat aber auf
keine
Weise erkannt werden kann » (KRV A254, 304). L'extériorité
problématiquee de la chose en soi a, pour Kant, Ia fonction de delimiter le domaine de
1'expérience.. La 'chose' (ou presence) lyotardienne ne se démarque pas; elle travaille, par
le
biais
dee
1'affect
et comme ex nihilo,
1'ordre
de la representation dans son intérieur, ainsi le
déstabilisant. .
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