Trouvaille. Anamneses de la critique (Kant, Freud, Lyotard)

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Trouvaille. Anamneses de la critique (Kant, Freud, Lyotard)
Doude van Troostwijk, C.H.
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Doude van Troostwijk, C. H. (2003). Trouvaille. Anamneses de la critique (Kant, Freud, Lyotard) Straatsburg: in
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Download date: 04 Jun 2017
Conclusion n
Onn a dit que toute Phistoire de la philosophic occidentale se resume a une série
dee notes explicatives de Platon. Notre recherche n'était pas une exception. S'il
fallaitt determiner !e texte dont elle est Ie commentaire, il s'agirait du Banquet,
ouu la discussion entre Socrate et ses amis se concentre sur YEros. En germe, on
yy rencontre la « désirologie ». Pausanias nous enseigne que si Ie désir érotique
entree amis sert a apprendre la science ou la vertu, son principe doit être Ie même
quee celui qui gouverne la quête philosophique (184d)\ Ainsi, il affirme que le
désirr de la sagesse et du bien joue un role essentiel dans la philosophic Sa
descriptionn est encore approfondie par Socrate, quand ce dernier enseigne que
cee désir est universel et décisif pour Y eudaimonia, et que
c'est
pour cette raison
quee la philosophic Test (204c). Selon le
Banquet^
la philosophic se nourrit du
désir. .
DésirologieDésirologie et trouvaille
Laa désirologie se défïnit en gros comme la recherche (logos) sur ce désir,
c'est-
a-diree
sur Inspiration philosophique au savoir. Plus spécifiquement, dans notre
definitionn la désirologie est la philosophie qui, en étant recherche, se pose la
questionn de sa propre possibilité. Cette reduction de Pusage du terme è la
recherchee de Porigine de la recherche philosophie pourrait aussi trouver son
inspirationn dans le Banquet. Pour Phaidros, qui ouvre les reflexions autour de la
tablee rassemblant les amis, YEros est la divinité d'origine cosmique. En suivant
Hésiode,, il souligne que Yeros et la (terre) ont été générés dans le chaos du
commencementt (178b). Eros est le dieu d'origine formatrice, force de beauté et
dee bonheur, qui se realise dans Pêtre dont la terre est le siège. Reconnaissable «
passionn d'origine », nous avons suivi néanmoins la critique de Socrate comme
quoii YEros ne peut pas être identifié au principe formel ou final de Pordre
cosmique.. Plutöt, comme YEros concerne la passion et non pas le résultat de
cettee passion, nous avons identifié la désirologie philosophique par la formule
11 Nous citons le Symposium dans :
Werke
in acht
Bonden
(Griechisch undDeutsch; Band
3).
Darmstadt:: WBG, 1990 (1977), pp. 209-394. Reference est faite dans le texte.
479 9
qu'ellee est la recherche de et sur ce qui incite a la recherche. C'est aussi dans
cettee perspective qu'on doit parier, en philosophie, de la «trouvaille ».
Sii Ton accepte de caractériser la pensee comme une recherche, la « trouvaille
désirologiquee » en philosophie concerne la rencontre avec ce qui donne a
penser.. Cette trouvaille radicale est un objet désirologique impossible (et c'est
enn ceci que notre usage du terme est incompatible avec celui d'Urban, qui est
psychosociale).. Trouver ce qui fait chercher, rencontrer ce qui fait penser, cela
nee s'affirme que dans Ie fait même de chercher ou de penser. La trouvaille
désirologiquee concerne ainsi 1'énigme de la dynamique interminable de la
penseee reflexive, concerne « la vie de 1'esprit ». Interminable, elle 1'est dans la
mesuree oü la « trouvaille » désigne Ie rapport aporétique qui existe entre
chercherr et trouver: si 1'on trouve ce qui fait chercher, on cherche déja pour Ie
(re)trouver.. Paradoxe signifiant que la trouvaille de 1'origine de la pensee ne
peutt se révéler que dans sa perte. Et que cette perte est continue (comme, pour
Lyotard,««
1'état
de naissance de la modernité » était continu).
Cettee perte n'est done pas privative. Elle ne peut Fêtre, puisque la «
trouvaillee » n'est pas Ie résultat, mais 1'incitation conditionnelle a la recherche.
C'estt seulement dans la pensee en representations qu'on utilise la notion de
trouvaillee dans Ie sens de « résultat ». On 1'appelle alors invention ou
découverte.. La «trouvaille » est a 1'origine ce qui provoque de telles trouvailles
(dess résultats ou des effets de la recherche), sur
Ie
mode du futur antérieur. La «
trouvaillee » ne se trouve pas, mais on trouvera qu'il y a eu une « trouvaille »,
dontt témoignent des effets ou des produits.
LapauvretéLapauvreté abondante de la philosophie
C'estt ici qu'il faut avouer que notre recherche de la trouvaille n'est qu'une
nouvellee mise en concept de la lecon de Diotime. La « trouvaille » étant la
rencontree avec 1'instabilité permanente, elle est a la fois la Tm' de la recherche
philosophique,, sa plenitude, et la rencontre avec son commencement, sa
pauvreté.. Après que chaque participant au banquet a offert a sa maniere un
élogee de YEros, Socrate, élève de Diotime en affaires d'amour, prend la parole.
Ill explique YEros a
1'aide
du mythe de sa naissance qui Ie pare d'un caractère
tragique.. Il raconte. A la fête de la naissance d*Aphrodite était invite Poros, Ie
filss de Metis (son nom signifie inventivité, sagesse et habileté) dont Ie nom est a
comprendree comme « pouvoir, abondance ». Apparemment, Ie fils se révolte
contree son père prudent. Saoülé au nectar, il s'endort dans Ie jardin. C'est la que
Iee trouve Penia, dont Ie nom signifie « Ie manque », qui se sent attirée par cette
ivressee d'abondance et se fait faire un enfant par lui. Ce sera Eros, qui en tant
qu'enfant-nomadee sans domicile fixe, manifeste la descendance maternelle.
Maiss il est aussi chercheur, sophiste inventif plein de moyens, avec un penchant
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aa rexces comme son pere. Eros est en cela un cas limite, une figure borderline,
mourantt et régénéré è la fois (203 d-e). Cette condition « érotique » est, selon
Diotime,, également celle de la philosophie. Eros invente pour perdre, ce qui fait
qu'ill ne connaït ni pauvreté ni richesse. « Was er sich schafft, geht ihm immer
wiederr fort, so dafi Eros nie weder arm ist noch reich. Und auch zwischen
Weisheitt und Unverstand steht er immer in der Mitte » (203e). Ni les dieux, ni
less sages, ne pratiquent la philosophie, puisque la philosophie est Ie désir de la
sagessee qui s'éteint si la sagesse est trouvée. Et, inversement, les ignorants ne la
pratiquentt pas non plus, puisqu'ils se satisfont du status quo, sans ambition
quelconque.. Tel est YEros, ce philosophe désirant savoir sans jamais
«disposer»» de ce savoir. Diotime apprend a Socrate a donner, dans la
philosophie,, Ia priorité a Ia perspective du désirant au détriment de celle du
désiréé (204c).
L'essencee de la désirologie ne se trouvant pas dans Ie résultat, la «
trouvaillee » désigne alors la rencontre avec 1'inadéquation radicale des facultés
dee representation. La désirologie est radicale en raison de 1'impossibilité de la
rencontree avec Pobjet du désir
réflexif,
dans des inventions et des découvertes
quii ne sont que secondares et inadéquates par rapport a la trouvaille radicale. Si
ErosEros trouve en perdant, reproduisant la dynamique continue du vieillissement et
duu renouvellement,
c'est
parce que Pexcès auquel il s'adonne ne provoque que
Iee sentiment de manque. Il dispose de tous les moyens (porof), sauf
de
celui de
s'approprierr ces moyens (penia). Ni la découverte ni Pinventivité, ni
1'acuité
ni
laa créativité, ne sont en mesure d'achever Ie désir, puisqu'en el les aussi peut se
rencontrerr la trouvaille qui donne a chercher. L'objet absolu de la recherche, la
«« trouvaille », est cache dans des trouvailles (inventions et découvertes).
Lyotardd parle a ce propos de structure de dissimulation.
C'estt
sur ce point que Socrate aussi critique les panégyristes. Le fait que Ie fils
néé du « manque » et de la « surabondance » devienne 1'admirateur aveugle
d'Aphrodite,, et qu'il soit continuellement envouté par sa beauté alors qu'il est
lui-mêmee ignoble, n'a pas pour consequence qu'il soit beau ou qu'il soit un
principee de Pordre cosmique. Agathon, tragédien et organisateur du symposion,
avaitt tort d'identifier dans son panégyrique Eros a un dieu juvenile qui fait
naitree dans Pame tout ce qui est beau et bien. Ses louanges font perdre de vue
Pambiguttéé d'Eros. Eros, comme principe explicatif du désir, ne peut être
identifiéé è la fin du désir. On ne rend pas comprehensible le désir en postulant
saa fin. Au contraire, on ne le rend que plus incomprehensible encore. Si le
principee est la fin, on comprend Paccomplissement du désir mais on omet sa
dynamique.. Si Eros est le principe
d'une
aspiration a la beauté, il ne la possède
pas..
Il
n'est
done pas dieu, mais daimon (200e). Ainsi, le symposion procédé
commee les autres maltre-dialogues de Platon a
Vanamnese
de I'origine du désir
481 1
quii est, comme recherche de 1'origine de la philosophic, anamnese de la
trouvaille. trouvaille.
AnamneseAnamnese et trouvaille de l'madéquation
Lee mot d'ordre de notre recherche est done anamnese. Recherche de
1'inadéquation,, Vanamnese cherche la « trouvaille » que la presence échappe a
laa representation (sa mise en situation, en phrase articulée). Pensee limite, done,
puisqu'ellee est rencontre avec 1'inadéquation de la thématisation avec
1'effectivitéé singuliere, inadéquation de Vin situ et de Vin actu. Cette pensee
déconstruitt alors la definition métaphysique de la vérité comme adéquatio rei et
intellectu.intellectu. L'inadéquation reside dans le rapport entre cogito et esse. La
deductionn ontologique n'est pas possible, e'est-a-dire qu'il y a brisure entre
VeinaiVeinai et le logos. C'est dans cette brisure que le désir puise son énergie. On
définitt alors Vanamnese de la trouvaille comme la recherche de Pêtre « dans
sonn retrait», 1'existence ek-siste
par
rapport a la pensee qui se découvre comme
«« dérobée » par rapport a Pêtre.2 Toute découverte ou invention dans la pensee
n'estt qu'un effet inadéquat de la rencontre avec cette ek-sistence.
Onn nous reprochera que cette conception de V anamnese ne soit pas
platonicienne,, pas maïeutique. Chez Platon, l'esprit mortel cherche la proximité
dee belles choses parce qu'elles provoquent en lui le souvenir de sa descendance
divinee (209c). Bien que notre intention ne soit pas d'interpreter mais de
commenter,, nous remettons en question que Vanamnese se réduise è la
reminiscencee des idees dont le souvenir s'efface dans le processus
d'incarnation.. Diotime donne de 1'anamnese une image beaucoup plus
dynamique.. Elle souligne le caractère performatif du désir. Ce n'est pas la
beautéé qu'on désire, c'est la generation en beauté, la procuration de quelque
chose,, de physique ou de psychique, sur le mode de la beauté. « Weil eben die
Erzeugungg das Ewige ist und das Unsterbliche, wie es im Sterblichen sein kann
»» (206e-207a). C'est seulement dans la production, qui est toujours la
transformationn du rien en quelque chose, que
1'être
mortel peut réaliser un peu
d'éternité.. Etant
daimon
philosophique, Eros realise le désir de Pinfïni par une
performativitéé continue, par une ex-périmentation. L'immortalité, aspiration
naturellee de l'esprit humain, n'est realisable que par le renouvellement infini
(207d).. Les dieux seuls préservent étemellement les idees. Chez Phomme,
1'éternitéé implique que toute perte soit remplie par une nouveauté qui soit
destinéee a être perdue (208a-b). Bien que, selon Diotime, pour le philosophe
réussii la beauté absolue ne se manifeste que dans une intuition immediate
(212a)) et qu'il lui faut descendre de 1'au-dela pour la réaliser (selon la Politeia
danss le polis), 1'infmité de Vanamnèse reste. L'état mortel de l'esprit empêche
laa realisation parfaite de 1'éternel.
Jean-Lucc Nancy La
pensee
dérobée.
Paris
:
Galilée, 2001.
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