
Les Juifs de Lyon > 2nde partie
histoire
par Catherine Déchelette Elmalek
Au XVIIIe siècle, la pensée des
Lumières ouvre une perspective de
réflexion nouvelle concernant les
Juifs de France. En 1787, un concours est
lancé par la Société Royale des Sciences et
des Arts de Metz dont le sujet est le suivant :
Est-il des moyens de rendre les juifs plus
heureux et plus utiles en France ? Trois
manuscrits sont retenus et primés sur les dix
reçus ; celui de l’abbé Grégoire, alors curé
à Emberménil, celui de Thiéry, un avocat
protestant de Nancy, et celui de Zalkind
Hourwitz, un Juif polonais immigré à Paris.
Ils se partagent donc le prix, et leurs textes
ne manquent pas de relancer le débat sur
les Juifs de France. À l’exception de Zalkind
Hourwitz, le portrait brossé des Juifs est
peu flatteur et non exempt de préjugés,
mais les textes de l’abbé Grégoire et de
Thiéry indiquent clairement que la société
chrétienne est responsable de cet état de
fait et qu’une refonte des mentalités est
nécessaire1.
Ainsi, une quinzaine de familles juives venant
de Provence, de Bordeaux et d’Alsace
arrivent à Lyon au courant de ce siècle. Au
début du règne de Louis XVI, un premier
embryon de communauté commence à
s’organiser. Les familles, venues des deux
mondes culturels et spirituels du judaïsme2,
désignent un représentant appelé syndic3
dont les attributions sont réglées par le
lieutenant général de police de la ville. Les
archives attestent de l’existence d’Elie
Rouget, né vers 1740 et décédé à Lyon
le 26 février 1785, fils de Moise Rouget et
d’Esther Pichaud, époux de Sara Delpuget
est le syndic de la « nation juive » à Lyon.
Notes :
1 - Pierre Serna, « Un juif rebelle dans la Révolution, La vie de Zalkind
Hourwitz (1751-1812). », Annales historiques de la Révolution française
[En ligne], 324 | avril-juin 2001, mis en ligne le 21 avril 2004.
URL : http://ahrf.revues.org/1123
2 - Les juifs dits « bordelais » sont originaires d’Espagne et du Portugal
et sont donc séfarades. Les juifs « alsaciens » viennent quant à eux du
monde juif ashkénaze.
3 - Les termes changent selon les régions : la Nation portugaise de
Bordeaux (surnom de la communauté juive eectivement originaire
d’Espagne ou du Portugal) comme à Lyon a ses syndics, en Alsace ce
sont des préposés généraux, et dans le Comtat Venaissin des beylons.
Rina Neher-Berheim, Les Juifs en France sous la Révolution française et
l’Empire, judaisme.sdv.fr/histoire/historiq/.../rneher.htm, 2002.
4 - Jean-Claude Cohen et Roger Moulinas-site Nouvelle Gallia
Hebraica : ngj.vjf.cnrs.fr.
5 - L’édit d’expulsion de Charles IV de 1394 est toujours en vigueur,
mais selon les régions des traitements divers et plus ou moins tolérants
(spécificité du Comtat Venaissin et de Bayonne) sont constatés.
6 - Ce quartier était ainsi surnommé en raison de la présence d’une
zone de marais née des bras du Rhône et appelés «mouches».
7 - Ils sont répartis sur le territoire français de la manière suivante:
Paris avec seize départements, Strasbourg avec le département du
Bas Rhin, Wintzenheim Haut Rhin avec trois départements, Metz avec
deux départements, Nancy avec cinq départements, Bordeaux avec dix
départements, Marseille avec huit départements.
« Sur les 7 circonscriptions consistoriales, Marseille et Bordeaux étaient
composés essentiellement de séfardim. Les cinq autres étaient des
communautés ashkénazes dont la presque totalité provenait d’Alsace
et de Lorraine. Le règlement de 1808, confirmant les propositions de
l’assemblée des Notables prévoyait que les grands rabbins seraient
choisis en priorité parmi les membres du grand sanhédrin. Un rabbin ne
pouvait être nommé que s’il présentait un certificat de capacité signé
par trois grands rabbins. »
Max Warschawski, La Révolution et l’Empire, site Judaïsme Alsacien :
judaisme.sdv.fr/histoire/rabbins/rabbinat/revol.htm
8 - Eliane Dreyfus et Lise Marx, Autour des Juifs de Lyon, op.cit., p.147.
Les métiers cités sont les suivants : merciers, quincailliers, colporteurs,
marchands de tabac, militaires.
9 - Xavier de Montclos (édit.), Dictionnaire du monde religieux dans
la France contemporaine, Lyon : Le Lyonnais - Le Beaujolais, Paris,
Beauchesne, 1994, p.320.
«Samuel Heyman de Ricqlès est naturalisé en 1842, après avoir reçu
la médaille d’honneur en or du Roi Louis-Philippe pour sa conduite
exemplaire lors des inondations de Lyon en 1840. Ce notable avait
été nommé dès 1838, commissaire-surveillant (Président) de la
Communauté Juive de Lyon qui dépendait alors du Consistoire de
Marseille.» D’après Frédéric Viey : www.judaicultures.info/histoire-6/
Portraits/article/samuel-heyman-de-ricqles10-Site web-synagogue
Tilsitt : www.consistoiredelyon.fr
Il succède à Aaron Ravel, et son successeur
jusqu’à la Révolution est Benjamin Naquet.
En 1781, Elie avait reçu une lettre du
Lieutenant général de la police de Lyon
lui demandant, ociellement, d’être le
syndic de la « nation juive » de Lyon, et
responsable, à ce titre, de la délivrance
des passeports aux Juifs. Les patronymes
Rouget et Delpuget, caractéristiques des
familles judéo-contadines, attestent de leur
origine provençale4.
En 1775, la communauté obtient l’aectation
d’un caveau spécial dans les dépendances
de l’Hôtel Dieu. En infraction avec les lois du
Royaume, les Juifs sont reconnus à Lyon5.
La Révolution, par la voix de l’Assemblée
Constituante, vote l’émancipation des Juifs
le 27 septembre 1791 avec un décret qui
reconnaît aux Juifs de France la qualité de
citoyen français, sous la condition qu’ils
prêtent serment et renoncent à toute
exception de droit.
Les juifs de Lyon cherchent dès lors un
endroit plus conforme à la pratique de leur
culte et, en 1795, ils achètent un terrain dans
le quartier de la Guillotière pour y installer
leur cimetière, plus exactement dans le
quartier dit de « la Mouche »6. Le cimetière
juif de la Mouche est ainsi connu pour être le
site juif lyonnais le plus ancien.
Entre 1806 et 1807, Napoléon décide de
réglementer le culte juif. En échange de la
liberté religieuse et des droits civiques, les
juifs de France s’engagent à obéir au Code
civil et à défendre la patrie. Des consistoires,
structures constituées de laïcs sont créés
dans les départements comptant plus de
2000 juifs. Ils sont chargés, entre autres,
de nommer les rabbins. Les consistoires
régionaux sont sous le contrôle d’un
Consistoire central basé à Paris. La France
est alors divisée en treize consistoires
régionaux.
La communauté juive de Lyon, qui n’a
pas encore de reconnaissance car elle ne
compte pas plus de 200 membres, est dans
un premier temps rattachée au consistoire
de Marseille qui couvre huit départements
avec 2551 juifs dont 450 à Marseille. À la
chute de l’Empire en 1815, on dénombre
environ 40000 juifs en France et il ne reste
que sept consistoires sur les treize crées
initialement puisque les consistoires rhénans
et italiens ne dépendent plus de la France7.
Les archives témoignent des professions
des membres de la communauté
juive lyonnaise8. Il apparaît qu’ils sont
essentiellement commerçants et ont des
revenus pour la plupart modestes. En 1838,
ils nomment Samuel Heyman de Ricqlès,
originaire d’Amsterdam et négociant en
soierie, comme commissaire à la tête de la
communauté9. Selon le recensement général
eectué par le préfet, le département du
Rhône compte 762 juifs en 184110.
Les années suivantes voient la communauté
juive de Lyon « s’ocialiser » par la création
d’un consistoire spécifique et la construction
de la première synagogue. Alors que ce
consistoire prend forme et arme une
présence juive reconnue, un nouveau
siècle déjà commence et voit l’émergence
de nouvelles communautés au gré des
mouvements migratoires.
L’histoire des Juifs à Lyon commence dès les premiers siècles de la Diaspora imposée par Rome à partir
de 70. Les premiers écrits des archives lyonnaises attestant de la présence juive dans la ville de Lyon
datent du Ve siècle. Durant le Moyen-âge, puis la Renaissance, son histoire suit les aléas des politiques
engagées par les rois et les évêques du royaume de France et de la ville de Lyon, alternant tolérance et
expulsion, dialogue et menace.
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